Lorsqu’un slogan commercial proclame “0% de matière grasse”, c’est devenu un grand classique: les associations de consommateurs, labos et experts à l’appui, se font un devoir de vérifier quelle est la réalité derrière les chiffres publicitairement proclamés.
Le phénomène gagne de plus en plus la vie politique. Parce que, mine de rien, les chiffres, les statistiques, ont de plus en plus de pouvoir. Ce qui, à l’origine, se voulait collecte de “données objectives” au service de la décision politique, a pour le moins évolué, sinon dérapé. Souvent, la production de ces chiffres, de ces outils d’évaluation, fait plutôt passer des idéologies. Le monde politique, qu’il soit de droite, de gauche ou du centre, affectionne de pouvoir choisir les chiffres qu’il décidera d’utiliser. Dans une époque ou les gouvernements se jugent aux résultats, les indicateurs de performance sont devenus une arme de guerre politique. Certains experts poussent même le bouchon plus loin: à les en croire, ce sont les ordinateurs d’Etat qui prennent souvent nombre de décisions de politiques publiques et sociales, surtout en période de récession économique.
Ce n’est pas pour rien si, lors de la dernière campagne électorale de 2014, la tendance au “factchecking” a explosé, médias et universités s’alliant soudain pour démonter les chiffres des promesses électorales des partis. A l’époque, les chiffres, pour le moins flous et artistiques, de la réforme fiscale du MR, en avaient été ainsi pour le moins secoués… Pourtant ces partis, les pouvoirs politiques n’aiment pas trop que les électeurs malins, les citoyens trop curieux, bref la société civile, se mettent à relativiser, à critiquer leurs chiffres. Ils préfèrent que la force de l’énoncé de ceux-ci laisse les gens pantois. La belle intention, inspirée de ce qui se passe aux Pays-Bas, selon laquelle le Bureau du Plan pourrait analyser et chiffrer les coûts des programmes électoraux de 2019 se réalisera-t-elle? On fait plus qu’en douter: nul n’en pipe plus mot déjà.
La légende du fonctionnaire du grand secret
L’actualité politique belge récente est d’ailleurs une formidable démonstration du pouvoir des chiffres et de leur utilisation politique. Ici, ce n’est pas le pourcentage de matière grasse qu’il s’agissait de tester mais bien la teneur en loyauté fédérale, mot valise s’il en est. Qui renferme tous ces autres termes tant agités ces derniers temps: respect, transparence, loyauté.
C’est une des légendes urbaines de la médiapolitique en Belgique: ah, tous ces gens qui vous chuchotent, si, si, qu’il n’y aurait que une ou deux personnes dans ce pays à détenir une mystérieuse clé secrète de compréhension, à pouvoir s’y retrouver dans les méandres de la Loi de financement née de la 6ème Réforme de l’Etat.
Bidon. Fable. Billevesée. La fameuse loi de financement, concoctée par huit partis, est plutôt, quoi qu’on en dise, forcément un brin ardue mais assez claire.
Un des problèmes de fond, c’est que l’opacité délibérée est souvent le fonctionnement ordinaire des administrations.
Connaissez vous Mme Spinnoy, Mr Dhondt ou Mr Valenduc? Vous n’avez sans doute jamais lu ni entendu leurs noms, mais dans le petit monde politique qui se passionne, sinon se déchire, sur la question- il est vrai totalement essentielle- de la part des recettes de l’impôt des personnes physiques qui doit revenir aux Régions, ces deux fonctionnaires du Ministères des Finances sont des notoriétés.
Pour le moins controversées ces temps-ci. Parce que cela fait des temps immémoriaux que ces quelques fonctionnaires aussi discrets que spécialisés gèrent les dotations aux régions, leurs simulateurs informatiques à résultats soudainement variables. Et ce en total petit monopole, dans le secret de leurs gris bureaux du SPF Finances. C’est leur “chose”, leurs algorithmes. Leur terrain de jeu statistique presque perso.
C’est surtout une mauvaise gestion des Ressources humaines au sein de l’administration des Finances. Celle du genre qui entraîne confusion, opacité et jusqu’à, soudain, une crise politique majeure entre et Régions et Gouvernement fédéral. Qui, pour boucler son ajustement budgétaire, a saisi assurément une opportunité: mais qui n’a certes pas ourdi non plus un grand complot ténébreux.
30% des ressources, ça se discute
On ne va pas assommer ici les lecteurs sous les explications techniques (ah, cette nouveauté de vocabulaire qu’est “l’Impôt-Etat”). En gros, les Régions ont été subitement prévenues qu’elles recevraient 750 mio d’€ de moins que prévus (pour la Wallonie, une tuile de 248 mio€). Stupeur et tremblements, la Flandre n’étant d’ailleurs pas la dernière à s’égosiller.
Déclarations au vitriol en tous sens, arrogances diverses, phénomènes de tête de mule, jeux politiques en tous sens pour en arriver à une conclusion apaisée évidente.
A savoir qu’aucun gouvernement régional de ce pays ne saurait accepter que, pour quelque 30% de ses ressources, le niveau fédéral lui dise: “ Voilà, c’est comme ça. Et ne comptez pas sur moi pour vous expliquer comment j’arrive à ce résultat. C’est à prendre sans discussion”.
Avec des conséquences pour le gestion budgétaire des Régions mais aussi, élément moins souligné, des communes. Bref, ce problème est essentiel pour les Régions, 30% des recettes régionales dépendant désormais de l’Impôt des Personnes Physiques prélevé par le fédéral. (les flamands, forts d’une administration fiscale en croissance, envisagent de collecter un jour directement cette part de l’IPP, histoire d’éviter ainsi toute interférence du fédéral)
C’est ce qui explique que, peu à peu, bon gré mal gré, le SPF Finances a dû se mettre à s’expliquer, son ministre N-VA des Finances, Johan Van Overtveldt, se montrant lui-même ouvert, en bon nationaliste flamand, aux éclaircissements. Conséquence: le SPF Finances vient, enfin, d’accoucher d’une longue note explicitant son approche, sinon sa méthodologie. Et le boss du SPF Finances a dû affronter un solide feu de questions au Parlement Wallon. Qui, s’il a compris que les montants récupérera en 2018 (lorsqu’on régularisera légalement les comptes) seront assez faibles-195 mio seraient perdus-, a aussi capté que les chiffres du SPF Finances sont toujours flous et ce pour pas moins de 1,8 milliard. Une fameuse inconnue. Un sérieux “gap” nébuleux à éclaircir.
C’est que le SPF Finances adore jouer avec les simulateurs informatiques, et en modifier d’initiative les données. Au moment de voter la Loi de Financement dans la cadre de la 6ème Réforme de l’Etat, en 2013, on avait tout bien calculé. Mais, hop, voici que l’administration modifie la méthodologie, bricole le moteur, c’est à dire les paramètres macroéconomiques de croissance et d’inflation. Bref, une année considérée comme dûment clôturée est soudain réévaluée à la baisse.Avec des chiffres subitement différents.
Mieux: tantôt les ordinateurs des Finances travaillent sur un échantillon de 343.000 déclarations (par sécurité); tantôt cet échantillon est soudain ramené à 30.000 contribuables.
Bob, bof: rien n’est encore à ce jour totalement clarifié. Et l’administration des Finances n’est pas forcément à l’aise dans tous ses petits souliers. Et on attend désormais que le N-VA Johan Van Overtveldt sorte enfin cet Arrêté Royal qui n’en vient pas, dont une première mouture floue a déjà été recalée par les trois Régions, faute de formule méthodologique, de calcul et d’estimation. Bref, il manque le mode d’emploi.
Une crise tous les six mois?
Certes, tout cela finira par s’arranger. A tout le moins en 2018 lorsqu’on mettra, comme prévu par la loi, les choses à plat.
Le hic, c’est que d’ici là, on risque de se heurter dans cesse aux mêmes résultats aléatoires, ferments d’une vraie crise institutionnelle si des telles difficultés se reproduisaient en 2016 ou en 2017. Personne ne peut se permettre, dans le monde politique, d’avoir tous les six mois un débat aussi agité, aussi dangereux pour le pays.
Le MR Georges-Louis Bouchez a eu raison, au Parlement wallon, de s’inquiéter ainsi de la nécessité pour la Région Wallone de disposer de son propre appareil de prévision, notamment pour une recette aussi importante que l’IPP.
Mais, comme l’a souligné le Conseil wallon de la Fiscalité (à l’unanimité), cela postule de disposer des données, de la méthodologie, d’avoir un droit d’accès des Régions qui porte sur la méthode, l’application de la méthode, mais aussi sur le modèle de simulation macro-économique. Olé.
Bref, ça demande de la transparence. Totale.
Réussir un #taxshift sans les Régions?
Quand on vous le disait que les chiffres ne sont pas une fin en soi mais impliquent bien des décisions sur l’action publique et donc sur notre vie.
Tenez, prenons le grand dossier politique du moment: le TaxShift, cette réforme fiscale d’un minimum de cinq milliards voire bien plus, visant à réduire la fiscalité sur le travail … Un enjeu difficile: chacun sort déjà ses propres vétos, plus ou moins idéologiques et les lobbies sont déjà sur pied de guerre.
Les Régions seront-elles associées à cette réforme fiscale? Pour d’aucuns, comme l’OpenVLD Gwendolyn Rutten, c’est impensable de ramener ainsi les socialistes autour d’une table, rue de la Loi.
D’autres ont une vision pour le moins différente: le Ministre-Président flamand N-VA souhaite fermement être à la table. Le N-VA Geert Bourgeois trouve qu'il se doit d’y être et juge habile d’y impliquer les socialistes via la Région Wallonne et la Région bruxelloise. Raisonnement: le PS ne pourra plus se permettre d’attaquer le tax shift s’il est ainsi associé à sa confection…. Et le PS serait entraîné, mine de rien, dans une certaine logique “confédérale” si chère à la N-VA.
Se passer des Régions autour de la table apparaît effectivement aléatoire à nombre d’observateurs même si, légalement, ce serait dans la norme.
Les Régions n’ont pas à intervenir dans la base de l’IPP mais si la #Suédoise décidait , outre la TVA et les accises, de jouer sur la fiscalité mobilière, il est clair que cela pourrait, une nouvelle fois, impacter très directement le budget des trois Régions.
Et on agiterait alors assurément à nouveau l’oriflamme médiapolitique du “manque de loyauté fédérale”.
A son origine le mot “statista” (d’où a découlé le terme “statistique”) signifiait “homme d’Etat”. Il serait opportun, en ces temps troublés, que nos politiques s’en souviennent.
Michel HENRION
mardi 26 mai 2015
lundi 4 mai 2015
Energie: la vengeance du renouvelable (MBelgique Hebdo du 24/04/2015)
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Branchons tout de go la prise et démarrons illico cet article par un bon gros électrochoc. A savoir que la Belgique a toutes les chances de connaître encore longtemps un grand boxon, un big désordre énergétique. Et à vivre encore et toujours dans un curieux système vaseux-thermo-basculaire-à-commotivité-très- aléatoire…
Celui, trève de plaisanterie, ou il faut impérativement pouvoir importer
de l’électricité si nos voisins y consentent encore.
La batterie de Tesla: la révolution du stockage de l'électricité. |
Celui ou l’on redoute que le prochain hiver, s’il s’avérait cette fois
vraiment glagla, ne vous déleste l’électricité plusieurs fois plusieurs heures.
(avancée de consolation: si tout va bien, l’hiver prochain, le GSM resterait
cette fois opérationnel)
Ce système ou rares se sont aperçus que la menace de “black out” était
en fait déjà une mutation dans un monde ou aucune décision ne va guère plus
loin que la durée de vie d’une coalition. Ou l’une promet poliment, juré,
craché, oui, oui, d’étaler la sortie du nucléaire dès lors qu’une centrale
fêtera ses 40 bougies d’usure. Mais ou une autre, nouvellement installée, gomme
tout et prolonge à rallonges. Comme les centrales de Doel 1 et Doel 2 qui
devaient agoniser en cette année 2015 mais devraient encore jouer les pimpantes
prépensionnées jusqu’en 2025; pour autant qu’on trouve quelqu’un pour financer
la cure de jouvence du béton et autres soudures. Et si l’inspection prévue fin
d’année n’y trouve pas de mauvaise surprise.
Fissures: trancher un vide
scientifique
Ce même système, non sans risques, ou l’on réouvre des centrales
(Tihange 2 et Doel 3) avant de les refermer d’urgence vu quelques “défauts
superficiels”, genre des fissures (“flakes”) jusqu’à… 18 cm. Pays surréaliste
ou la ministre fédérale de l’Energie, juriste de formation, agite on ne peut
plus sérieusement à la télé, devant Pascal Vrebos, une feuille de papier A4
pour expliquer en substance “qu’avec une gentille fissure horizontale plutôt
qu’une meûchante fissure verticale” tout va finalement bien dans les cuves de
réacteurs, dormez tranquille les petits.
Ce pays ou les tests confidentiels succèdent sans cesse aux tests non
publiés, ou alors avec moult réticences, et ou il reviendra finalement à l’
Agence de Contrôle Nucléaire -dont on espère que l’indépendance est vraiment
assurée- d’oublier les énormes enjeux financiers et de trancher un véritable
vide scientifique: une cuve irradiée pendant des dizaines d’années et bourrée
de microfissures est-elle oui ou non sûre?
Un Pacte Fédéral-Régions?
Soyons clairs: cette politique de gribouille est tout sauf neuve en
Belgique. Les ministres successifs, tous partis confondus, n’y ont souvent eu
pour seule vision que la budgétaire “rente nucléaire” d’Electrabel.
Donc, à première vue,
lorsque la ministre fédérale Marie-Christine Marghem (MCC/MR) a annoncé
l’autre jour qu’elle avait fait approuver par le gouvernement un texte baptisé
“Fondements pour une vision énergétique”, avec, en idée de fond, celle d’un de
ces grands Pactes que l’histoire politique de Belgique affectionne tant, on
s’est dit “Tiens, pourquoi pas?”.
Et Marghem d’avancer cinq thèmes à débattre avec les Régions: entendez
le mix énergétique, l’amélioration de la gestion de la demande, le coût de la
politique énergétique, la coopération internationale et la mobilité. Le tout
devant, dans son esprit, être emballé-pesé d’ici la fin de l’année.
Sur papier, ça le fait. A première vue, c’est plutôt chouette un texte
d’orientation dont la date de péremption dépasserait –enfin- une législature.
A seconde vue, c’est même plutôt une très bonne chose que de proposer un
dialogue entre les Régions et le Fédéral sur le crucial dossier énergétique.
C’est même inévitable pour l’efficacité, puisque la majorité des idées
novatrices pour gérer mieux l’énergie (notamment les compteurs intelligents qui
permettront aux clients de consommer aux heures les moins chères) dépendent des
réseaux de distribution des Régions (le fédéral, lui, se doit de garantir la
sécurité d’approvisionnement du pays).
C’est aussi politiquement assez bien vu de la finaude Marie-Christine
Marghem: fidèle à son tempérament d’avocate et de juriste, qui cherche toujours
à se protéger de tout les aléas, c’est opportun de se couvrir par l’aval des
régions…
On oublie la société civile…
Bof, bof. L’opposition
écologiste a eu vite fait d’affirmer que la méthode de travail et les fameux
“fondements” approuvés par le gouvernement Michel ouvraient déjà, à son gré, par trop la porte au nucléaire. Et
faisaient du Pacte -à imaginer que le gouvernement fédéral et les régions s’embrassent soudain
davantage folleville que dans la répartition budgétaire découlant de la
dernière réforme de l’Etat- une pure “affaire de seuls gouvernements”.
“La société civile –les ONG, les associations spécialisées, etc…-
doivent avoir évidemment leur mot à dire”, s’écrie l’Ecolo Jean-Marc
Nollet. “La société civile n’a
pas juste à traduire la vision des gouvernements: elle doit pouvoir aussi la
remettre en question. Il n’y a pas que les gouvernements à savoir ce qui est
bon. Surtout, ajoute-t-il, lorsque ça engage la société future et les générations à venir”.
L’ex ministre de l’Energie de la région Wallonne le sait: ceux qui ont
le pouvoir dans le secteur de l’énergie préfèrent généralement les décisions
gentiment unilatérales au dialogue. Pour eux, l’opinion publique peut attendre.
Longtemps.
Le nucléaire n’a plus la cote
Mais le premier gros hic pour le futur Pacte est symbolisé par une
phrase de la MR Marie-Christine Marghem: “Le renouvelable, dit-elle, est à
poursuivre pour une politique énergétique cohérente et ambitieuse”.
Oui, vous avez bien lu. Relisez là encore: c’est prudent, c’est style
hirondelle-qui-revient-au-printemps mais voici donc une ministre MR qui, mine
de rien, prononce une phrase presque sacrilège, donnant presque raison aux
thèses de ces Ecolos à qui le photovoltaïque a fait perdre quasi la moitié de
leurs voix aux élections de mai 2014…
C’est que le monde énergétique, en à peine un an, a encore
formidablement évolué. Fast and Furious. Les faits sont clairs: non seulement
le nucléaire n’a plus la cote et sa part de contribution ne cesse-t-elle de
baisser dans le monde (aucune centrale n’a plus été construite aux USA depuis l’accident
de Three Mile Island); non seulement la nouvelle génération de centrale (EPR)
tourne-t-elle à la cata à Flamanville, dans la Manche (l’addition est déjà
passée de 3,3 mia à largement plus de 10 mia) mais il se confirme aussi chaque
jour que le nucléaire de la troisième génération est, surtout, horriblement
coûteux par mégawatt produit.
Sa rentabilité est en berne: et devient carrément onéreuse par rapport
aux coûts en chute du photovoltaïque et de l’éolien. Bref, le constat est que
le renouvelable est devenu, très vite, tout sauf une énergie accessoire.
Mais qui le sait en Belgique? Qui le dit?
Cette année, la majorité des investissements faits dans de nouvelles
capacités de production électrique l’ont été dans le renouvelable (voir http://www.extremetech.com/extreme/202579-global-investment-in-renewable-energy-skyrockets).
Et plus personne n’exclut maintenant que, dans 15 ans, la majorité de notre
électricité puisse être générée par des énergies renouvelables.
Le Graal: on peut stocker l’électricité
Nombre d’acteurs du secteur ne s’y trompent pas, eux. On ne parle pas
ici des incroyables investissements chinois. A nos portes, Areva et EDF, en
France, entendent devenir des leaders de l’énergie verte, de l’éolien, du
solaire, de la bioénergie.
En Belgique ce n’est pas un hasard si Tecteo-Nethys a opportunément
racheté les éoliennes off-shore de l’ostendaise Electrawinds.
Mieux: “on atteint désormais le Graal”, selon le joli mot de
l’ex-ministre française Corinne Lepage.
Jusqu’à présent l’électricité ne se stockait pas: désormais on peut. Et
ce grâce aux fulgurants progrès dans le secteur de pointe des batteries. Un
secteur à soutenir par Charles Michel, selon la page 97 de l’accord de
gouvernement.
Le professeur Damien Ernst (ULg), dans l’interview qu’il accordée à M…Belgique, définit
clairement ce mariage –et c’est quasi pour demain. Et puis il y a cette
mobilité électrique qui apparait et toutes ces technologies numériques qui
permettent de bien gérer consommation et productions dispersées. C’est d’autres
éléments qui jouent en faveur du renouvelable.
Les arroseurs arrosés
D’ou cette formidable question de politique belge: c’est bien joli le
projet de “Pacte Energétique du gouvernement”, mais est-ce que nos élus ont
encore à choisir, à décider de ce vers quoi convergera notre système
énergétique?
Pour nombre d’experts, c’est tout simple: c’est plié. Et les dés sont
d’ores et déjà jetés.
Et ce Pacte risque de n’être que du…vent momentané, qui sera vite oublié
par la réalité. Il n’y a plus forcément d’avis à donner, ni de réflexion de
fond à mener: il faut peut-être juste constater ce qui se passe. Quasi partout
dans le monde.
Evidemment, on comprend que c’est un brin ennuyeux pour un monde
politique qui, comme d’habitude,
n’a rien vu venir ces derniers mois..
C’est un peu l’histoire de l’arroseur arrosé.
Pour les libéraux –qui ont littéralement adoré tacler électoralement les
écologistes sur le dossier mal enmanché des “certificats verts” - et aussi les
socialistes, prononcer aujourd’hui positivement le mot “photovoltaïque” est
quasi de l’ordre de l’horreur, de l’hérésie, du film d’épouvante.
Et pourtant, ils y seront condamnés: il devront réapprendre à citer à
nouveau ces mots bannis que sont “éolien” et “panneau solaire”…
Au Nord du pays, ce ne sera guère plus facile: si l’OpenVLD n’apprécie
plus guère le nucléaire, la N-VA s’accroche, elle, toujours: elle n’entend sortir du nucléaire qu’en…2065. Et
cultive encore un projet mythique de centrale nucléaire de nouvelle génération
qui serait d’un coût tellement déraisonnable que Bart De Wever devra se faire
une raison. Sa centrale ne verra jamais le jour.
Des start-up à créer
Quant aux acteurs classiques du secteur belge de l’énergie, ils
freineront à coup sûr en fonction de leurs intérêts, du maintien de leurs
activités actuelles. Au plus la nouvelle destination énergétique se fera
attendre, au plus cela fera leurs affaires.
Si le Pacte Energétique est vu, par contre, comme une trajectoire, s’il
s’agit de déterminer les étapes pour passer par étapes au monde énergétique de
demain, alors il pourrait se révéler positif.
Si chaque acteur du secteur s’efforce de maintenir ce qui l’arrange le
mieux, si les partis ont trop peur du renouvelable pour-ne-pas-donner-une-revanche-à-Ecolo,
si on n’accepte pas d’interroger la société civile, d’y faire contribuer les
Parlements, le Pacte Energétique risque alors, au contraire, de ne pas
ressembler à grand chose. Genre grand n’importe quoi mou, faute de consensus.
Au détriment de toutes les start-up et autres PME que ce nouveau marché
pourrait créer.
Lorsque, dans les années ’80, la machine à écrire a dû s’effacer
soudain, en très très peu de temps, et céder la place à l’ordinateur, le
gouvernement de l’époque ne s’en est évidemment pas mêlé. C’est, mine de rien,
exactement la même situation aujourd’hui dans l’énergie.
Il ne suffit plus de changer le ruban de la machine à écrire pour
tapoter un Pacte qui serait déjà désuet.
Michel HENRION
Interview
Damien Ernst (ULg): “ Si on se trompe, la bombe politique sera une
forte hausse du prix de l’électricité”
-La ministre fédérale propose de développer toute une vision énergétique
pour notre pays ? Les jeux sont-ils encore ouverts?
-Il y a, à mon avis, une ligne déjà inexorable: on convergera vers un
monde où la toute grande majorité de notre énergie sera générée par des
énergies renouvelables – principalement du photovoltaïque (PV) et de l’éolien -
où l’on verra apparaître de plus en plus des dispositifs de stockage
d’électricité et où des grandes interconnections seront amenées à se
développer. On verra aussi de plus en plus de pompes à chaleur et de véhicules électriques. Il reste
encore juste quelques incertitudes sur la place qui sera donnée à l’hydrogène
dans ce système énergétique et sur l’avenir de certaines parties des réseaux de
distribution qui vont se faire concurrencer par des micro-réseaux.
Ce serait beaucoup plus simple de reconnaître honnêtement vers quelle
destination nos systèmes énergétiques vont converger de manière inévitable. Et
puis de travailler pour que le trajet vers cette destination se passe le mieux
possible, au lieu de risquer de «
divaguer » sur un pacte énergétique qui n’apportera pas grand chose. Et je peux vous donner une dizaine
d’actions bien concrètes à prendre pour que ce trajet se passe le mieux
possible pour l’ensemble de la société belge…
-Vous semblez bien être sûr de votre « destination ». Mais elle semble
ne pas toujours plaire à tout le monde…
-De fait, peu d’acteurs du secteur de l’énergie au sens large sont
vraiment heureux avec cette destination, car elle est diruptive par rapport à
leur activité actuelle. C’est aussi pour cela que ce pacte énergétique risque
de ne pas ressembler à grand chose. Ce sera plus un consensus entre les différents
acteurs du secteur qui vont
développer une vision rassurante par rapport à la pérennité de leurs activités
traditionnelles. Le risque est une négation du fait que toutes les ruptures
technologiques que l’on observe -dans les énergies renouvelables, les véhicules
électriques ou le stockage- vont tout changer à jamais!
-Que des lobbies essaient d’influencer un gouvernement, ça fait hélas partie des règles du jeu
classiques en Belgique. Mais le Pacte Energétique, s’il aboutit, sera le résultat
d’un long processus…
_ Ma réticence est que je ne suis pas vraiment sûr que le fédéral ait
follement envie de communiquer sur la destination que prend notre système
énergétique. Je m’explique. Pour le gouvernement fédéral, reconnaître la nature
de cette destination équivaudrait à dire : « Ah zut, la vision proposée par
Ecolo au cours de la législature précédente en terme énergétique (du PV, de
l’éolien, du stockage, de l’autoconsommation, des véhicules électriques, des
pompes à chaleur) est, quoi que l’on fasse, en train de se concrétiser. » Vous voyez Marie Christine Marghem dire aux gens: « Ecoutez, le PV c’est
l’avenir ! » On se retrouve donc avec un gouvernement fédéral qui va avoir très
difficile, politiquement, de discuter honnêtement de notre futur énergétique
sans donner l’impression de se contredire.
-Finalement, ce Pacte Energétique ne va-t-il pas diluer quelque peu la
vision énergétique que la #suédoise avait en début de législature ?
-Oui, sans doute. Il permet aussi de diluer la responsabilité de la prise
de décision en matière énergétique sur beaucoup d’acteurs. Et cela donne aussi l’impression aux
citoyens que l’on fait enfin quelque chose dans ce domaine! Moi, je redoute un
peu une négation de la réalité: car à force de ne pas reconnaitre cette dernière, et donc ne pas agir en
fonction, on risque vraiment une bombe politique. Et ce pour les différents
ministres qui prendront en charge l’énergie. Par exemple, sans des changements
drastiques dans la régulation du secteur de l’électricité, les politiques
risquent bel et bien de se retrouver avec sur les bras un autre dossier du type
“certificats verts” qui a tant empoisonné l’ancien gouvernement wallon…
-C’est à dire? Une facture en
hausse pour le citoyen?
- Oui. Le système des certificats verts s’est finalement emballé de par
une régulation incapable d’évoluer assez vite par rapport à la dynamique avec
laquelle le photovoltaïque se développait. Or, à l’heure actuelle, à régulation
constante, le photovoltaïque et les batteries- dont les prix n’arrêtent pas de
diminuer- vont se développer énormément, même sans subsides. Cela peut mettre
les réseaux électriques - qui participent quand même au financement des
communes belges - dans de grandes difficultés financières. Cela va aussi
conduire, à mon avis dans moins de cinq ans, à une augmentation du prix de
l’électricité très significative.
Et le problème c’est qu’il faut agir maintenant, pas en fin de législature,
surtout vu le fait que changer la régulation est un mécanisme très lent…
-Vous n’êtes pas un peu trop pessimiste là ? Vous proposeriez quoi comme
changement de régulation ?
-Non, je ne crois pas, d’autant plus que je ne vois même pas trop
comment il est possible – politiquement en tous les cas – de faire évoluer
cette régulation pour éviter cette crise annoncée. Hypothèse personnelle: peut-être que pour ce problème la
solution n’est pas dans un changement de régulation mais bien dans un
développement de la filière des véhicules électriques. Cela permettrait
d’augmenter la quantité d’énergie électrique transitée par les réseaux
électriques et donc de distribuer leurs énormes coûts fixes sur plus de
kilowatt heures, et donc de rendre l’électricité moins chère. Mais bon, alors,
ce seront les pompistes qui ne seront pas contents. On voit bien qu’avec toutes
ces ruptures technologiques dans le secteur de l’énergie, il n’y aura pas
toujours que des gagnants…
(propos recueillis par Michel Henrion)
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