A force de la diaboliser,
la com’ des partis a souvent obscurci réflexion et nuances…
Dans le monde merveilleux des
vendeurs de consommation politique, une interrogation commence à percer: quel
discours tenir, quelle attitude adopter si -damned!–au soir du 25 mai, les
forces profondes du “grondstroom” faisaient que la N-VA décroche un niveau qui
la rendrait soit incontournable, soit très séductrice pour une coalition
alternative? Et, versus francophone, d’aucuns pourront se poser une autre
fichue bonne question: à force de sataniser la N-VA pour l’affaiblir, ne
l’a-t-on pas finalement, retour de manivelle, plutôt vitaminée?
C’est que l’arme de la
diabolisation, efficace dans tous les camps idéologiques et de toutes les
époques, a un sérieux défaut: on ne sait plus, un moment, comment s’en
dépêtrer. Comment se reparler, comment aller encore déjeûner en catimini chez Bruneau (pour le MR) ou chez Di Roberto (pour Di Rupo) sans risquer d’office le scandale?
Bref, ça réduit la pensée. Ca obscurcit le jugement. Ca nie le libre-examen et
la réflexion. C’est de la com’ politique simpliste et expéditive: “avec nous
ou contre nous”. Olé. Résultat: pour
nombre de francophones lambda, la N-VA, c’est juste méchant, vilain, pas beau
et même que c’est petit (on a généralement zappé les 28,2% qui en font,
jusqu’au 25 mai, le premier parti de Flandre et même du pays). Que c’est
conservatisme avéré, même si ladite N-VA vote l’éthique élargissement de l’
euthanasie aux mineurs, à l’opposé du CD&V et du Belang.
On est dans ce que Jerôme
Janin (ULg) qualifie de “pensée primitive”, celle qui escamote la complexité des individus et des groupes, celui
des cadres de la N-VA étant, de fait, particulièrement clivant. On balaie la
complexité du paysage flamand, ses rivalités partisanes internes qui expliquent
bien des jeux. On ignore les ressorts du mouvement flamand, toujours si
mystérieux pour les francophones; et qui ont du mal à capter que, pour ce qui
est de l’autonomie de la Flandre, il existe une certaine “Forza Flandria”.. Jusqu’à irriter ceux qui, en Flandre, n’ont nulle
sympathie pour Bart De Wever et son idéologie, mais restent souvent perplexes,
voire pantois face à la charge émotionnelle qui imprègne si souvent les visions
convenues, sinon manichéennes, des wallons ou des bruxellois. Tentative,
forcément controversée, d’une autre vision de quelques préjugés francophones
les plus expéditifs.
Bart De Wever=Front
National? Il n’est pas un jour qui ne
se déroule sur Facebook sans que la photo d’archives (De Wever avait 26 ans) ne
fantomasse, comme un argument définitif d’une ligne politique tenant de la “bête
immonde”. (1) C’est en tout cas une
vision avec la France comme GPS idéologique. Or, la N-VA n’est pas le FN
français: ce n’est pas un parti d’extrême-droite, il est pro-européen, pas une
ligne un poil xénophobe dans son programme. (L’intégration des immigrés, c’est
même sa particularité dans le populisme européen.)
C’est plutôt vers la
Grande-Bretagne des Tories qu’il
faut se tourner pour comprendre De Wever. Qui s’inspire tout à la fois de Boris
Johnson -le très médiagénique maire de Londres passionné itou de Rome Antique-
et de David Cameron, le très conservateur Premier Ministre britannique. Les
parallélismes des éléments de langage sont saisissants: même discours brut de
pomme sur la régulation de l’immigration, même mots sur les “wars on terror” (récemment, à VTM, le danger du terrorisme
salafiste), même rejet de la dépénalisation des drogues douces, même adoration
pour les caméras de surveillance (Londres en est saturée), même volonté de
combattre la pornographie, jusqu’à vouloir filtrer et firewaller le Net. Même
tonalité directe et anti-socialiste. Et, sur fond de confédéralisme, européen
ou belge, même parfum de patriotisme. De Wever, c’est clair, aimerait tant
parler de la Flandre comme Cameron de la Grande-Bretagne.
La N-VA, parti
néo-libéral? Même s’il racole les
électeurs de l’OpenVLD, De Wever veille à se distancier: ne pas être perçu
comme néo-libéral, ni comme le parti automatique des patrons flamands. “Foutaises”, a –t-il encore soigneusement lancé à ses voeux 2014.
Si, pour Gwendolyn Rutten, c’est un atout, ça vire au handicap pour la N-VA qui
se veut un grand “volkspartij”,
proche aussi de l’homme de la rue. Si sur papier, libéraux et nationalistes
c’est souvent kif (moins de pression fiscale) leur point idéologique diverge:
les libéraux font primer l’individu, ou la compétitivité; la N-VA fait ça pour
le “peuple de Flandre”, la “société
flamande”.
Et le francophone méconnaît
souvent que la N-VA, à ses yeux composée d’invertébrés du crâne, est au pouvoir
en Région flamande, avec des ministres siégeant bel et bien aux côtés de
socialistes flamands et de sociaux-chrétiens. Bilan bof, l’équipe Peeters
n’étant perçue ni vraiment au centre-droit, ni comme hyper-efficace. Le
politologue Dave Sinardet a dit, non sans raison “qu’il n’y avait rien de
plus belge que le Gouvernement flamand”.
Car, ici aussi, la N-VA
participe pleinement aux jeux bien de chez nous des nominations politiques,
dans les intercommunales ou autres bidules incertains (la nouvelle Vlaamse
Energiemaatschappij). Distingo: à ou l’OpenVLD se veut théoriquement
anti-Etatiste, la N-VA se profile plutôt comme un parti étatiste flamand.
Le terrrrible danger
nationaliste? Pour les politiques les
plus éveillés, le vrai danger N-VA, c’est plutôt son programme économique et
social. Un Moureaux et un Maingain s’accordent sur ce point: la N-VA rompt avec
le pacte social qui fonde la solidarité en Europe.
N’est-ce pas d’ailleurs, mine
de rien , la vraie allergie psy de nombre de francophones? De fait, imaginons
que la N-VA ait oublié son “N” et soit un parti de centre-droit à la Cameron
qui recueillerait 30% à 40% des voix. Les politiques francophones (ou flamands)
n’auraient plus l’argument moral du nationalisme-séparatisme. Le poids des
compétences des entités fédérées relativise mais les francophones
pourraient-ils vivre longtemps dans une Belgique de centre-droit, dominée par
le poids flamand? Au fond, Elio &Co ont de la chance que la N-VA soit
nationaliste, mot-valise politique s’il en est. Qui arrange un peu tout le
monde, qui fait peur juste ce qu’il faut. (la N-VA déteste assurément la
Belgique mais s’inscrit dans les règles de la démocratie belge, tout comme nombre
de partis nationalistes, par exemple au Québec ou en Catalogne) Et Joelle
Milquet marseille lorsqu’elle dit “qu’on était à cinq minutes de la fin de
la Belgique”: ho, on n’a jamais
négocié qu’une sixième réforme de l’Etat proclamée“d’apaisement” dont les francophones n’étaient pas vraiment
demandeurs. Même les hardliners de la N-VA n’ont jamais mis une scission du
pays sur la table. On a juste négocié le hashtag #unenouvelleBelgique. Calmos aussi sur les peurs: aucun Flamand vivant en
Flandre ne peut voter en Wallonie. Et aucun wallon vivant en Wallonie ne peut
voter en Flandre. Même à 100% en Flandre (c’est pour rire, hé) la N-VA devrait
encore négocier avec les bruxellois et les wallons. Ben oui. Shows politiques et logique ont souvent
ont fort peu de rapports.
Encore un exemple pour la
route? Lorsque Guy Verhofstadt, le chouchou des francophones, se répand au
canon contre le séparatisme de la
N-VA, on se surprend à sourire. Car
l’ex-Baby Thatcher, dans
son nouveau livre, dit exactement à 100% le contraire de ce qu'il avait écrit
dans ses “burgermanifesten” des
années 90; ou de ce que les libéraux du Nord disaient il y a à peine encore
deux ans, lorsqu’ils étaient encore statutairement confédéralistes. Urticairé
par la N-VA, le francophone accueille par trop souvent comme déclaration
d’évangile de simples propos de positionnement, de lutte pour des parts de
marché politique en Flandre. Mais sursaute à peine lorsque l’Open VLD s’allie
avec l’odieuse N-VA à Anvers,
comme dans plein de communes flamandes; et demain, s’il le peut, au
gouvernement flamand.
Rien ne va plus à Anvers ?
Malgré la mise en scène ubuesque de la victoire de De Wever
(la marche sur l’Hôtel de Ville de la ’t Stad), ce n’est, à ce jour, ni l’affirmation de la “force du changement” ni le drame agité par les socialistes du cru.
(renvoyés dans l’opposition après un siècle -12 sièges au lieu de 22- ils ne laissent forcément rien
passer médiatiquement, emmenés par Yamine Kherbache, la chef de cabinet NL de
Di Rupo) 90% des éphémères polémiques médiatiques sont retombées, dues
finalement à des décisions que Patrick Janssens (et De Wever déjà) avaient
prises par le passé. (comme l’interdiction de signes distinctifs aux guichets)
De Wever, avec ses partenaires CD&V et OpenVLD, réoriente le budget, a
d’évidence une autre approche sociale et culturelle que Janssens mais en gros,
c’est kif kif bourricot pour les Sinjoren. Avec une exception notable: la “war on drugs” déclenchée par Bart qui fait en sorte que la police
anversoise privilégie la lutte contre drogue et la criminalité. Ce que De Wever
souligne en allant jusqu’à passer médiatiquement son dernier réveillon dans un
combi de police.
Grille d’analyse : il y a une
certaine vision très flamande de la société qui inspire l’action de nombre de
bourgmestres de Flandre: un Bonte (SPa) à Vilvorde, un Somers (Open VLD) à
Malines, un Tobback (SPa) à Louvain, un Daniel Termont (SPa) à Gand ne font
souvent pas autre chose, avec une panoplie de mesures de la même eau, qu’un De
Wever devenu bourgmestre des 500.000 anversois. C’est vrai, par exemple, que
les GAS-SAC (amendes administratives communales) ont partout les faveurs de la
N-VA. Mais l’inventeur de la formule contestée n’est autre que… le papa
socialiste de la ministre SPa Freya Vanden Bossche, depuis lors passé de la
politique à la gestion de grosses fortunes.
N-VA= un parfum de Belang? C’est la diabolisation qui reste la plus fréquente.
Même si les francophones passionnés qui prédisaient des alliances
apocalyptiques au lendemain des communales de 2012 ont bien dû admettre qu’il
n’en fut rien.“Il n’y aura pas
de coalitions communales avec le Belang, ce serait "aller à l'abîme"
car leur "coeur de métier", c'est le "show anti-Islam” avait promis De Wever. Qui a tenu son engagement. On
conseille à tous les francophones qui croient que N-VA et Belang c’est
blanc-bonnet et bonnet-blanc, d’encore regarder la vidéo (1) du face-à-face sur
le thème de l’ immigration qui a opposé, à la VRT, Bart De Wever et un leader
du Belang, Filip De Winter. C’est saisissant parce qu’ aucun politique flamand
n’avait fait ce que le président de la N-VA a osé ce soir-là: combattre
Dewinter sur le fond. Tandis que Dewinter dénonçait “la nouvelle colonisation”, le président de la N-VA développait son discours,
certes musclé, mais approchant
(déjà l’influence de Cameron) “l’immigration de manière positive par une
analyse correcte et positive du multiculturel”.” là ou,
dit De Wever, “ le Belang veut la guerre avec l’Islam”. De Wever s’y attaque déjà aux “fondamentalistes” mais précise bien que la N-VA n’est pas “anti-immigration”.
C’est difficile à admettre pour le francophone mais De
Wever, cet incontestable homme de droite, n’a jamais caché son aversion pour le
Belang, du moins en son état actuel, ou la dimension raciste, fut-elle médiatisée en
chaussures Louboutin, l’emporte désormais sur le combat flamand. D'aucuns, au Nord, ont beaucoup agité le bouchon parce
que la N-VA avait accueilli d’anciens Belangers. C’était de bonne guerre
psychologique pour effrayer ceux qui, en juin 2010, avaient voté pour la
première fois pour le parti nationaliste. Comme si de plus ou moins vagues
types allaient s’emparer du pouvoir dans un parti déjà si structuré.
Aujourd’hui, il n’en reste que peu de chose: De Wever est plutôt passé à
l’étape suivante (les kidnappings à l’OpenVLD). Seul un ex-Belang, Karim Van
Overmeiren, est échevin à Alost avec le soutien de socialistes quasi
dissidents; et le Belang est en déprime dans les sondages autour des 10%. Ce
qui entraîne une bonne réflexion de fond: dites, est-ce que c’est vraiment mal
qu’un parti démocratique de centre-droit (c’est ainsi que se définit la N-VA)
en arrive à faire oublier le fameux “dimanche noir” qui vit, jadis, triompher l’extrême-droite la plus
noire?
Michel HENRION
(1) Pour en savoir plus sur la photo polémique, lire “Les
Secrets de Bart De Wever” de Marcel Sel.
(2) Le débat De Wever-Dewinter: http://www.deredactie.be/permalink/1.1425507