Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

mardi 4 février 2014

Marketing électoral : "Il y a un lien entre la ligne vestimentaire et la ligne politique" (Le Soir du 1/02/2014)

Mon interview par Camille Wernaers, du "Soir, parue le 1/02/2014.

«Il y a un lien entre la ligne vestimentaire et la ligne politique»

Le socialiste Elio Di Rupo et son nœud papillon rouge, le libéral Didier Reynders et sa cravate bleue, le nationaliste flamand Bart De Wever et son costume bien cintré… Alors que les élections du 25 mai prochain se rapprochent, les hommes politiques laissent de plus en plus apparaître la couleur de leur parti. «Tout ça n’est que vernis médiatique», selon Michel Henrion, spécialiste de communication.
Comment expliquer cette importance du vêtement et de la couleur dans la vie politique actuelle?
La vie politique se raconte en images. On sait bien qu’en politique, tout est image! Ça vaut pour les électeurs, qui ont accès à la télévision: l’œil compte plus que la réalité du programme, un électeur retient mieux la sympathie que dégage un politique, s’il lui fait confiance, comment il est habillé, plutôt qu’un programme compliqué ou un débat sur les intérêts notionnels. De tous temps, les politiques ont fait évoluer leur image. En ce moment, c’est dans l’air du temps, nous sommes dans une période de plus grande sobriété. Avec la crise économique pas mal de partis optent pour la rigueur. La plupart des discours politiques sont formatés et plutôt au centre. Tous les discours se ressemblent. Il faut se différencier par l’image ou par des actions de communication, réussies ou ratées d’ailleurs. Et cette importance du vêtement est plus frappante du côté francophone.
On oppose souvent De Wever et Di Rupo, est-ce que cela vaut aussi pour leurs codes vestimentaires?
Bart de Wever représente sûrement la transformation la plus sérieuse. Il a maigri, puis commencer à faire attention à son style. C’est parallèle à un changement de son programme: d’abord conquérir Anvers puis aller au fédéral. Il passe du ciré jaune au costume trois-pièces, dans le style de David Cameron en Angleterre, qui est par ailleurs son modèle. Il a totalement transformé son allure physique pour devenir ce qu’il imagine que les Flamands attendent de leurs hommes politiques. Et là, on a un exemple d’un changement qui n’est pas forcément une réussite. Il se montre plus sérieux mais il a clairement perdu une rondeur et une bonhomie. Il est passé d’un extrême à l’autre. Il y a donc un lien entre la ligne vestimentaire et la ligne politique, puisque lorsque ses ambitions montent, il y attache plus d’importance.

Pour Elio Di Rupo, c’est autre chose. Il est habillé de la même manière depuis les années 80 et le nœud papillon lui sert de signe de reconnaissance. Et ça fonctionne: si un publicitaire utilise le nœud pap’ dans une campagne ou si un dessin presse montre cette signalétique, 90% de Belges auront compris à qui on fait référence. On est presque dans du graphisme plutôt que dans du code vestimentaire. Et il a gardé ce nœud papillon même dans les mauvaises périodes. Aujourd’hui, il l’a toujours, mais c’est son comportement physique qui a changé. Le nœud papillon garantit presque l’intégrité physique de la Belgique contre ceux qui en veulent la fin, il l’utilise comme un symbole. On voit donc que le nœud pap’ peut changer de signification puisqu’il était surtout amusant au début de sa carrière.

«Les libéraux sont habillés de manière bourgeoise»

Est-ce que le vêtement compte aussi pour les petits partis?
Il faut d’abord un certain niveau de notoriété pour que ça marche. Les libéraux par exemple sont toujours habillés de la même manière, au Sud comme au Nord du pays: costume, cravate, chemise. C’est très bourgeois finalement. On retrouve aussi la signalétique des couleurs: il y aura toujours une touche de bleu. C’est ridicule. En plus c’est l’hiver, donc on va voir Joëlle Milquet avec un châle orange, Olivier Deleuze avec une écharpe verte etc. C’est du vernis médiatique et tout le monde n’en a pas besoin. Dans l’histoire récente, il y a eu des hommes politiques qui se fichaient de leur aspect vestimentaire. Raoul Hedebouw du PTB n’en a pas besoin par exemple, comme la N-VA à ses débuts, parce que la ligne politique de son parti est très particulière. Il se distingue suffisamment comme ça. On est dans l’image de l’ascension médiatique, de la bande de copains qui espèrent réussir à faire passer leurs idées aux élections. Ils ont des discours très neufs, alors que les autres sont formatés et au centre. Ils donnent une impression de différence, d’authenticité. Les gens sont curieux.
Il y a donc des hommes politiques qui n’ont pas utilisé de codes vestimentaires?
Oui, Philippe Moureaux par exemple n’a jamais fait attention à sa tenue, et cela n’a jamais joué sur sa vie politique. Cela ne l’a pas empêché de peser de tout son poids dans la vie politique de son parti. Jean-Luc Dehaene a lui aussi montré un total désintérêt pour son vêtement. Il est même connu pour cultiver l’image inverse, jusqu’à arriver il y a quelques mois en bermuda et sandales à la télé. Pour Maggie De Block aussi, je ne suis pas certain que son allure joue dans son succès politique. C’est étrange la vie politique, parfois l’image ne laisse aucun souvenir et un événement impromptu va au contraire en laisser un très fort.

«Les lunettes sont importantes»

Est-ce qu’il y a d’autres détails importants?
Les lunettes sont très importantes! Durant les années 80, l’homme politique pouvait suivre la mode avec des lunettes très grandes, très larges, mais aujourd’hui c’est complètement inimaginable. On peut penser qu’il s’agit d’un simple détail, mais c’est très important. Charles Michel porte donc des lunettes noires, qui marquent son visage. Elles sont complètement différentes des lunettes qu’il portait il y a 5 ans. Guy Verhofstadt a vécu plus ou moins la même évolution. Wouter Beke était le jeune président pas connu du CD&V et il a changé de lunettes pour avoir plus d’allure, notamment à la télévision. Un autre détail m’a marqué, c’est cette mode, dans les années 80 et 90, des conseillers en communication qui venaient du monde de la publicité. Ils faisaient porter aux politiques un veston marron, parce que cela passait bien à la télé. Et on avait alors cette situation cocasse, où sur le plateau de «Controverse» par exemple, trois politiques sur cinq portaient le même veston (rires). Aujourd’hui, c’est passé de mode mais j’en vois encore de temps en temps qui portent ce même veston et je me dis qu’en 20 ans, leur garde-robe n’a pas beaucoup changé (rires). Cela montre que les conseils n’étaient pas des plus judicieux: il vaut parfois mieux laisser les politiques au «naturel». Pourquoi les transformer complètement? On touche là aux abus du marketing politique, quand on mélange fond et forme.

 

Qu’en est-il des autres pays?
Cela a lieu partout, et cette idée qu’en politique l’image compte est bien ancrée, même si je doute que cela fonctionne vraiment en Belgique. En France, cela monte par contre d’un cran, puisque les élections ont d’autres enjeux, devenir président de la République par exemple. Aux États-Unis, c’est encore pire parce que si on est élu gouverneur de la Californie, on a autant de pouvoir, si pas plus, que le président français. Là-bas, le marketing politique a atteint le plus grand degré de raffinement. Les enjeux sont très importants et chaque détail compte: on va faire attention à la salle, aux décors, etc. Cela dépend bien entendu des niveaux de pouvoir et en Belgique, c’est pareil. Pour les élections communales de 2012, l’important était de descendre dans la rue, de serrer la main de ses habitants. Il fallait faire passer l’image d’un bourgmestre sympathique, proche des gens. La campagne pour mai 2014 sera différente.