David Pestieau, le vrai N°2 FR du PTB. |
A gauche, l’expression est bizarrement utilisée tant par le social-démocrate PS français (J-C Cambadélis, Premier secrétaire, en a même fait un gimmick) que par… le PTB, son président national réinstallé Peter Mertens psalmodiant l’expression jusqu’à l’incantation. Décomplexé de quoi? De quel complexe psy? On ne sait pas trop: mais la formule est dans l’air du temps médiapolitique. Et vient bien à point à un parti qui a curieusement pleinement fait sienne la réplique-culte de feu l’acteur Charles Denner dans « L’aventure, c’est l’aventure »: « La politique, c’est du show-business ».
Car le PTB, l'une des rares organisations marxistes-léninistes d'origine maoiste à avoir survécu à tous les bouleversements de l'histoire depuis les années ’60, a plus que jamais une volonté frappante: celle d’exceller dans la communication politique. Une stratégie externe très délibérée, très calculée, décidée il y a bien des années déjà, appliquée depuis avec minutie. La tactique externe érigée, comme l’a écrit en son temps un des stratèges du mouvement, en « art politique ».
On en a encore eu la démonstration, l’autre week end, au neuvième Congrès du PTB -PvdA. Le premier depuis …sept ans. (la norme est peu prenante: un congrès tous les cinq ans). Qui a proclamé médiatiquement avoir réélu son président, Peter Mertens, par 93,9% des voix. Ce qui, en com’, fait apparemment très démocratique, genre suffrage direct des membres. Le léger hic, c’est que, en réalité, c’est toujours le Comité National -soit les vieux de la vieille entre eux- qui propose le nom du Président, lequel est ensuite juste avalisé par le vote des délégués. Bref, c’est pas demain la veille qu’une proposition contraire à celle de l’appareil y serait adoptée.« C’est la démocratie du consensus! », comme nous le dit Raoul Hedebouw. Bref, pas une structure pas encore vraiment décomplexée.
Le pétébé des Inconnus
Ne dites d’ailleurs jamais à un francophone lambda que Hedebouw n’est pas le président du PTB: il ne vous croirait pas. C’est que en Wallonie et à Bruxelles, on ignore quasi tout de Peter Mertens, l’anversois, dauphin de feu Ludo Martens, le père fondateur d’Amada (Alle Macht Aan De Arbeiders: Tout le Pouvoir aux Ouvriers) et ensuite du PTB/PVDA. Qui s’opposaient, à l’époque, tout à la fois à l'impérialisme américain et au "social-impérialisme" soviétique tout en appelant à renforcer l’OTAN. Si.
Tout au plus certains connaissent-ils Peter Mertens comme l’auteur de « Comment osent-ils »?, grand best-seller de l’édition en Flandre et traduit en français.
A l’inverse, ne parlez jamais à un néerlandophone lambda de Raoul Hedebouw: seuls les flamands qui suivent la politique et les travaux parlementaires de près le connaissent. En Flandre, dès qu’une caméra s’intéresse au PTB-PvdA, c’est Peter Mertens qui débarque, même s’il n’est pas parlementaire.
Cette incarnation très différenciée est délibérée: de chaque côté de la frontière linguistique, le but était de personnaliser fortement le PTB, notamment dans les relations avec la presse et les médias. Le fiston du séminariste flamand venu éduquer la classe ouvrière wallonne maîtrise à merveille tous les codes de com’, jusqu’à fréquenter le très patronal Cercle de Lorraine ou se faire applaudir par un public plutôt huppé à une remise de Lobby Awards. Jusqu’à être très conservateur sur les questions de société lorsqu’il prend le pouls d’une certaine opinion publique. (Michèle Martin hébergée chez l’ex-juge Christian Panier « qui ne peut plus être candidat PTB ».
Le très discret homme fort
Raoul Hedebouw c’est le type qui se la joue sympa et qui a patiemment tissé un fort réseau dans les médias, ou certains acteurs se transforment même parfois en sympathisants.
Comme le note un membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, cela commence à parfois poser question.
« Pourquoi, dit-il, une telle présence de l’extrême-gauche? La droite extrême du Parti Populaire n’est pas ma tasse de thé mais cette formation a également un élu à la Chambre et sa présence est, elle, totalement congrue. Pourquoi Hedebouw est-il à ce point mis en avant avec 30.000 voix de plus que Modrikamen? » (ndlr: 132.943 voix PTB contre 102.581 au PP)
Pourtant, n’hésitez pas à relever devant le simple porte-parole qu’est Raoul Hedebouw que, assez discrètement, le PTB s’est doté d’un vice-président francophone en la personne de David Pestieau, directeur du Centre d’Etudes et le véritable homme fort des coulisses francophones du PTB. Raoul Hedebouw n’en sera nullement complexé: il connaît, lui, les règles du jeu interne.
Il n’est pas le N° 2 du parti mais il sait parfaitement jouer de son nouveau rôle de député fédéral, même si le parlementarisme est tout, sauf la tasse de thé de la doctrine PTB. Exemple récent: dès que le pétébiste a humé que le débat nucléaire entre l’Ecolo Jean-Marc Nollet le la ministre Marie-Christine Marghem commençait à passionner opinion et médias, l’homme s’est médiatiquement pointé dans une Commission qui ne le passionnait d’évidence guère jusque là…
Le jackpot du financement public
Grande conquête des élections de mai 2014, avec deux députés fédéraux, le PTB a, à son tour, touché le bingo du financement public des partis. « Autour du million d’euros », comme nous l’a confirmé Hedebouw lui-même. Avec, en Commission ad hoc, une sérieuse controverse: le PTB peut-il faire valoir, peut-il transformer les voix flamandes du PvdA en subsides sonnants et trébuchants?
C’est tout le problème de ce parti, qui se veut national, mais se présente sous des labels différents au Nord (Partij voor de Aarbeid) et au Sud. (Parti du Travail de Belgique) Et ne met pas forcément en avant les mêmes points de son programme. Comme par exemple le point qui prône rien de moins que la refédéralisation de l’Enseignement, comme au bon vieux temps du Ministère de l’Education Nationale.
Bref, le truc que même les micro-partis les plus belgicains hésiteraient à mettre sur papier, tant l’idée est saugrenue dans un Etat fédéraliste cautionné par la Monarchie. En Flandre, il faudrait d’ailleurs se lever tôt avant d’entendre Peter Mertens s’exprimer sur ce point: le PvdA fait plutôt peu référence au « sentiment belge » en Flandre.
Par contre, le PTB a fait de la région liégeoise un de ses terrains d’action préférés: mais son programme belgicain a de quoi faire se retourner dans sa tombe feu André Renard.
C’est l’une des critiques les moins courantes vis à vis du PTB mais comme le dit un syndicaliste wallon de premier plan: « Par son belgicisme forcené, dans quelle mesure ce parti ne contribue-t-il pas à la démoralisation du peuple wallon? «
Avec ses deux députés fédéraux (très médiatiques), ses deux députés wallons (pas très actifs), ses deux bruxellois, (pas très visibles) le PTB a plutôt réussi son test électoral de mai 2014, (132.943 voix) surtout en se présentant sous une très momentanée étiquette d’ouverture: le label PTBGo. Le Go étant, le scrutin passé, vite oublié, les petits alliés faiseurs de voix (sans eux, le député Marco Van Hees n’aurait, dit-on, probablement pas été élu) étant vite renvoyés à leur destin. On vous épargne les micro-conflits qui passionnent tout le petit monde de l’ultra-gauche, mais le Comac (entendez le mouvement des jeunes du PTB) se méfiait par exemple comme de la peste du succès, dans les milieux étudiants, du dynamisme du PSL-LSP trotskiste.
Pas d’élus parlementaires au Nord
Le grand problème stratégique des pétébistes, c’est que l’émergence est à deux vitesses. C’est un comble pour un parti créé jadis à Anvers, mais les résultats électoraux sont pour le moins très différents au Nord (118.333 voix en 2014 et pas d’élus) et au Sud (132.943 voix soit 5,5% ). Et ce malgré tous les efforts déployés par les marxistes, surtout à Anvers. A tel point que, faute de moyens, ils ont, du coup, négligé le reste de la Flandre.
Mais la vraie explication est sans doute ailleurs. La clé de la montée du PTB en Wallonie est sociologique: comme l’a relevé le Cevipol (ULB), les électeurs du PTB sont majoritairement, et nettement, des « pessimistes ». Le PTB réalise ainsi ses meilleures performances parmi les demandeurs d’emploi et les bénéficiaires d’un revenu d’insertion (10,4 %) ainsi que chez les ouvriers (8,3 %). Hedebouw persuade davantage parmi les détenteurs d’un diplôme secondaire inférieur professionnel (9 %), secondaire supérieur professionnel (7,8 %) et primaire (7,4%)
Un public-cible pour le PTB dont la com met sans cesse en avant un côté « parti anti-systême. » Or, en Flandre, la situation est pour le moins très différente: la toute puissante N-VA y cultive déjà elle-même ce même aspect anti-establishment, le solde du Vlaams Belang y ajoutant le racisme.
Et ce n’est pas tout: à gauche les écolos flamands de Groen se montrent, eux aussi, volontiers anti-establishment, tout en développant un programme qui se veut positif. C’est donc Groen qui capte plutôt la sympathie des électeurs décus par les socialistes flamands jugés trop « blairistes » sous les présidences d’une Caroline Gennez ou celle, assez cata, d’un Bruno Tobback. On verra d’ici peu le ton que John Crombez, à qui on prête de grandes qualités, donnera à l’opposition d’un parti clairement social-démocrate. Le PTB se heurte en fait à deux freins en Flandre: contrairement à la Wallonie, on y perçoit davantage son profil marxiste et l’on y franchit moins vite le pas vers le « communisme marxiste-léniniste light ».
Le PS pris en tenaille
C’est sans doute une bonne part d’explication aux problèmes du PS, pour la première fois critiqué sur deux fronts. Par le MR sur sa droite (qui développe l’image du PS « ringard » ou « archaïque », c’est selon) et par le PTB sur sa gauche (les « traîtres sociaux-démocrates »). Puisque les pétébistes sont grands amateurs de réseaux sociaux, qui se retweetent sans cesse les uns les autres, il suffit de remonter le fil des tweets de @RaoulHedebouw ou d’autres acteurs majeurs du parti. Les « méchants », ce sont aussi bien le gouvernement #Suédois que le PS, celui-ci étant clairement le plus visé.
Cela évoque ce grand lecteur de Mazarin, ce manoeuvrier machiavélique de génie qu’était François Mitterrand. Qui avait, dans les années ’80, déstabilisé la droite française (RPR, UDF) en prêtant beaucoup d’attention au Front National. D’abord en appelant curieusement l'attention des responsables des chaînes télé de l’époque sur les manquements d’antenne dont Jean-Marie Le Pen aurait été la victime . Ensuite, en instaurant la proportionnelle et en faisant élire 35 députés du Front national pour affaiblir son ennemi principal. « La crise du PS c’est en partie cela, constate ce parlementaire socialiste. Deux camps théoriquement opposés s’allient désormais pour décrire le PS comme un parti atroce… Ce n’est pas pour rien si Charles Michel met en avant l’opposition PTB et si le PTB, à son congrès, met en avant les propos du Premier Ministre . L’électorat MR n’aime pas qu’on agite la loi de la rue chère au PTB, mais il y a parfois comme une alliance MR-PTB pour s’en prendre au PS . Si le PTB est à 10% en 2019, oubliez toute coalition de centre-gauche».
La cuisine et le restaurant
Si on censurait les livres en Belgique- comme dans ces pays amis que furent le Laos, le Vietnam, l’Albanie, la Chine et Cuba- on ne doute pas que l’étude (1) assez polémique que le politologue Pascal Delwit a consacré l’an dernier au PTB aurait de bonnes chances d’être Anastasiée… Le politologue y expliquait patiemment, documents ou témoignages à l'appui, pourquoi les sympathisants et même les membres du PTB -qui fonctionnent à l'indignation et à la dénonciation des injustices- "n'ont pas une vraie idée de l'identité réelle du parti ou de la voie qu'il promeut ».Les recherches de Pascal Delwit débouchaient sur cette conclusion"qu'une double ligne était désormais opératoire au PTB : la ligne interne -la "cuisine"- où, dans l'entre-soi, l'avenir du marxisme-léninisme est débattu et rêvé, et une ligne externe -la "salle de restaurant"- ou le PTB se donne à voir comme "un gentil parti social-démocrate réformateur". Peu de Marx, Engels ou Lénine dans le propos, encore moins de Staline ou de Mao. Pour le PTB, constatait Delwit, l'enjeu est de ne parler que de "sa salle de restaurant ». Sur les principes, son appartenance au mouvement communiste international, le PTB est inébranlable mais, au jour le jour, le mot d'ordre est à la souplesse. Il y a le "quartier général révolutionnaire" en cercle clos, mais, en externe, il convient d'être beaucoup "plus souple" et ouvert. Certes, Lénine prônait déjà "la fermeté dans les principes et la souplesse dans la tactique" mais cette double facette est devenue aujourd'hui, relevait Delwit, une donnée presque identitaire du PTB. En interne, le PTB ne cache nullement son essence marxiste-léniniste et la proclame fièrement à l'étranger et dans les séminaires communistes internationaux".
Pas un parti de rassemblement
« Ce qu’il faut bien comprendre, relève un fin connaisseur des dédales de l’extrême-gauche, c’est que le PTB n’est nullement un parti de rassemblement de la gauche. Pas question que d’autres leur fassent de l’ombre. Le PTB, ça n’a rien à voir avec Podemos ou Syriza. En Grèce, le PTB a toujours soutenu le KKE, les communistes grecs, pas Tsipras. Il ne faut pas s’y tromper: dans l’optique du PTB, si la Grèce sortait de la zone euro, ce ne serait pas pour relancer le pays, mais juste pour y instaurer une toute nouvelle expérience socialiste de type cubain ou autre… Ce n’est pas demain la veille que l’on condamnera l ‘exploitation des travailleurs chinois . Bref, on peut s’interroger si tout leur discours de rupture avec l’austérité est vraiment progressiste… »
Certes, le PTB vient de se doter d’un nouveau logo multicolore, de verdir son étoile communisante. Toujours le marketing.
« Mais au fond, poursuit notre interlocuteur, il y a un aspect très Corée du Nord dans les structures du parti. Le pouvoir est repris par les enfants de la nomenklatura dans un phénomène de reproduction des élites. Les fils du professeur de physique Jean Pestieau occupent ainsi à eux deux une large part du vrai pouvoir. L’un est désormais vice-président et l’autre en charge d’un autre poste-clé: les relations avec les syndicats, qu’il s’agit évidemment d’infilter, comme aux TEC de Charleroi ». Des relations avec les syndicats parfois très houleuses, comme ce jour de l’an 2000 ou deux cents militants déchaînés du PTB avaient carrément et brutalement envahi le siège central de la FGTB, qui dut recourir…à la police.
Le PTB était déjà, comme on dit, très décomplexé.
Michel HENRION