Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

mercredi 28 janvier 2015

La Baraka en politique (MBelgique du 9/1/15)

 

C’est l’élément dont aucun homme politique ne vous parlera jamais rue de la Loi. Tout comme nul d’entre eux n’avouera jamais se rendre parfois chez une voyante ou un astrologue. Ou conserver très religieusement l’un ou l’autre objet fétiche censé porter chance.
En politique, c’est tout simple: il y a ceux qui ont la baraka, et ceux qui ne l’ont pas. On a beau être des bourreaux de travail, encore faut-il  avoir la “bonne fortune” qui fait parfois mystérieusement les réussites politiques.
 Peeters, ex co-formateur: un défaut de fabrication.
 “La baraka, mot arabe hérité des guerres coloniales, compte plus que tous les plans stratégiques” a écrit l’essayiste français Philippe Alexandre, l’un des rares à avoir abordé le sujet.
Churchill l’avait; Jacques Chirac l’avait, Edouard Balladur ne l’a guère rencontrée. Chez nous, contrairement à un Guy Verhofstadt ou un Herman Van Rompuy (sa chance conduisant même l’homme de Rhode jusqu’à la Présidence de l’Europe), Yves Leterme ne l’a eue qu’un temps. Elio Di Rupo rêve de la retrouver puisque l’adversité est censée contenir toujours le ferment d’une nouvelle chance. Olivier Deleuze et Emily Hoyos l’ont bel et bien perdue de vue. Contrairement à Bart De Wever qui espère la garder longtemps, lui qui sait combien la chance c’est aussi un dur labeur et l’opportunité de saisir au vol les opportunités politiques.
Charles Michel, Premier Ministre inattendu à 39 ans, a assurément déjà souvent bénéficié, dans sa carrière, de cette forme laïque du miracle.
Conservera-t-il la baraka pendant cette année politique 2015?
“Si la chance veut venir à toi, tu la conduiras avec un cheveu; mais si la chance veut partir, elle rompra une chaîne” dit le proverbe berbère.
Une certitude: le Premier Ministre de la coalition #Suédoise en aura bien besoin les mois qui viennent. Petit tour d’horizon des aléas et obstacles à franchir, si la baraka le veut…

Déflation, nous voilà…

L’image de réussite d’un gouvernement, en Belgique comme partout, est souvent étroitement liée à la situation économique. Si l’ancien Premier Ministre Guy Verhofstadt a laissé une telle trace positive chez les francophones, c’est notamment parce que ses gouvernements avaient bénéficié d’une conjoncture économique positive. (que l’homme a pour le moins dilapidée, mais ça c’est une autre histoire)
Moins de chance pour la coalition #Michel1 : si au printemps 2014, la Banque Nationale misait encore sur une croissance de 1,5% pour 2015 et de 1,7% pour 2016, elle table depuis peu sur une croissance du PIB de 0,9% en 2015 et de 1,4% l'année suivante.
Autre os: la Belgique entre elle aussi, mine de rien, dans la déflation. Le belge Peter Praet, le big chef économiste de la Banque Centrale Européenne, a été très franc du cotillon pour le réveillon du Nouvel-An : "Les dernières mesures monétaires prises pour relancer l'économie européenne pourraient ne pas suffire, d'autant que la chute des prix du pétrole risque d'entraîner l'inflation en territoire négatif pendant une bonne partie de 2015" a-t-il expliqué alors qu’en septembre son boss Mario Draghi affirmait encore qu'il "n'y avait pas de risque de déflation”. Bref, un changement de ton radical et peu optimiste alors que la relance économique caracole aux USA. (ou, autre autres éléments faisant la différence, le poids des structures bancaires d’après crise est bien moins lourdingue qu’en Europe)

La question fiscale qui tue

Avec une aussi médiocre toile de fond, combien la coalition #suédoise devra-t-elle trouver de centaines de millions d’euros supplémentaires en mars? Deux milliards? Oups: ce qui est sûr c’est que le moment sera politiquement critique pour #Michel.
Car comment trouver les liards nécessaires? De fait, l’enjeu des débats sera surtout fiscal avec une question qui tue: comment diable réformer l’impôt des personnes physiques (IPP) ? Est-ce possible “globalement”, comme le veut le Premier Ministre?
De quoi attiser à vif les passions entre partenaires, surtout flamands, de la coalition. Dont les désaccords internes sont évidents.
Il faut bien photographier ceci : l'aile gauche du CD&V et leurs amis de l’ACW-CSC (Mouvement Ouvrier Chrétien flamand) ne seront jamais, jamais vraiment à l'aise dans ce gouvernement‎ de centre droit.
C’est bien simple: à chaque fois que Kris Peeters s’exprime, on se perd en conjectures sur la réelle signification quasi hiéroglyphique de ses propos.
Le petit jeu de rôle entre le CD&V et le tandem N-VA/OpenVLD dure ainsi déjà depuis des semaines.
Résumé des multiples épisodes précédents: Wouter Beke et les démocrates-chrétiens du Nord veulent s’adjuger un “trophée de gauche”, genre taxation des plus values dans le cadre d’un tax-shift (entendez un glissement des impôts du travail vers le capital). Ce qui n’enthousiasme ni Gwendolyn Rutten ni Bart De Wever, pas forcément disposés à médailler mentalement Thomas Piketty de l’Ordre de Léopold pour son constat de la montée des inégalités et, surtout, ses propositions d’impôt progressif.
Le jeu est subtil, sinon confus.
"Dans ce pays, les charges sur le travail sont supérieures aux taxes sur le caviar : il faut donc un « shift », lançait l’autre jour le N-VA Siegfried Bracke, comme toujours en mission commandée. Avec des objectifs de com’ clairs: coller au sentiment de l’opinion publique flamande, qui souhaite d’évidence plus d’équilibre fiscal, et donner l’impression d’être un parti dûment constructif. En décembre Bart De Wever, malin, s’était déjà dit “ouvert à une taxe sur les plus values tout en évoquant parallèlement une compensation pour les pertes”. Compensation qu’il savait pertinemment imbuvable pour le CD&V. À qui il collait du coup une étiquette de parti un brin dogmatique. Malin.
De Wever a assurément la baraka mais il excelle aussi dans l’art de transformer, de retourner positivement, à l’avantage de sa formation, un élément politique risquant d’être perçu négativement. Message subliminal: ce n’est pas la faute de la N-VA si on ne peut nouer d’accord sur cette thématique fiscale hypersensible; remise du coup au frigo jusqu’en mars.
Bref, le “shift” de la N-VA n’est assurément pas le “shift” du CD&V. La configuration idéologique de la coalition  ne s’y prête pas vraiment. “Je ne mettrai pas en place des fiscalités marquanbtes sur la plan du symbole mais inutiles et inefficaces” a confirmé Charles Michel. A bon entendeur salut.
Pour les nationalistes et les libéraux, c’est plutôt diminuer les charges sur le coût du travail et jongler, ce qui n’enthousiasme pas le CD&V, avec les taux de TVA. Un relèvement du taux de TVA de 21% à 22 % rapporterait ainsi, dit-on, 1,1 milliard d’euros.



Quel est le projet? : les co-formateurs n’ont pas assez négocié


En fait, tout cela ramène à un sérieux défaut de fabrication originel: pourquoi les deux co-formateurs, Charles Michel et Kris Peeters,  pour ce qui est de la fiscalité, n’ont-ils pas diable pris les quelques jours de négociations supplémentaires nécessaires pour préciser leurs intentions?  Malgré l’éviction des socialistes, il n’y a, sur le sujet, aucun consensus: que des dissensions par trop apparentes pour une coalition “des droites” qui devrait être théoriquement assez homogène.
L’éditorialiste libéral du Laatste Nieuws, Luc Van der Kelen, posait l’autre jour une question hautement typique de ce sentiment d’interrogation qui s’accentue au Nord: “Le but de Wilfried Martens était la "politique de relance de l'économie," Dehaene se battait pour "rejoindre la zone euro." Mais qui peut dire quel est le projet du gouvernement Michel? “


Bart va mettre le CD&V au pied du mur

Le CD&V, via son Vice Premier Ministre Kris Peeters, a souvent  tendance à rejouer la fable de la grenouille se voulant aussi grosse que le boeuf.
Son pouvoir est limité par les divisions au sein de son propre parti (l'aile gauche ne volant pas forcément de concert avec l'aile droite) et il n'est pas vraiment en mesure d'imposer son point de vue au sein de #Michel1.
Il lui reste juste l’arme du classique: “ Retenez-moi, ou je fais un malheur, genre retirer la prise”. Le hic, c’est que la menace ne semble impressionner personne. Chantage flop. Quo Vadis CD&V? comme dirait Bart.
Bref, en mars, le CD&V risque fort d’être confronté à un choix: accepter un tax-shift bidonné, plus que très symbolique sur les plus values ou déclencher une crise gouvernementale. Et vu le climat entre les partis flamands, on n’est même plus trop sûr qu’il y ait une offre symbolique pour sauver la face aux sociaux-chrétiens…
Retenez bien ceci: dans les résolutions prises par Bart De Wever, il y a celle de mener, en 2015, une “contre-offensive”. Entendez  vulgariser les mesures voulues par la N-VA et progressivement forcer le CD&V à choisir (en mars) une fois pour toutes:  soit Wouter Beke fait vraiment du centre-droit (et vogue la #suédoise pour longtemps) sans plus chipoter, soit ils peuvent aussi faire leurs valises. Avec tous les risques pour Wouter Beke de voir son parti se détricoter au profit de la  N-VA ou de l’OpenVLD. Win/win.  Et la pression (subtile et explicite) du tandem N-VA+VLD sur le CD&V a toutes les chances de monter crescendo dans les semaines à venir. Jusqu'en mars, ou jusqu’au moment ou les sociaux-chrétiens auront décidé de ce qu’ils veulent vraiment.
Situation paradoxale: depuis le 16 rue de la Loi, Charles Michel, représentant du seul parti francophone de la coalition, peut, selon le mot du politologue Dave Sinardet, “juste regarder les partis flamands s’entretuer”. Pas simple pour un Premier Ministre de faire face tout à la fois à des oppositions externes et des dissensions internes.


L’offensive N-VA de 2015 va la jouer plutôt “rassembleur”

Reste à voir en quoi consistera exactement l’offensive politique annoncée par De Wever pour 2015. En bonne stratégie, la N-VA devrait plutôt porter un “message rassembleur”.
C’est à dire s’efforcer de vulgariser et d’expliquer à l’opinion  pourquoi, selon eux, il convient bien de prendre les mesures de #Michel1.
Bart De Wever le répète d’ailleurs déjà comme un mantra: “Il n’y a pas d’autre voie possible”.
Bref, la campagne 2015 de la N-VA veillera à sans cesse comparer le “modèle N-VA” au “modèle socialiste”.
Bref, sur ton qui se voudra réfléchi et modéré, elle distillera sans cesse la dynamique  de l’opposition “droite contre gauche”, ce bon vieux clivage belge traditionnel ressorti désormais du grenier.
Bref, on tentera de convaincre. Et d’influer sur le Cd&V pour mettre les sociaux-chrétiens encore un peu plus mal à l’aise. ( genre: “Dis, Wouter, tu choisis quoi, le “modèle N-VA” ou le “modèle PS”?”)

Hollande, nouveau chéri de la #suédoise

Quitte à utiliser l’actualité étrangère pour en remettre une couche. Amusant et tout sauf anodin: plusieurs personnalités de la N-VA (Johan Van Overtveldt, ministre N-VA des Finances) ou de l’OpenVLD (Patrick Dewael) ont tweeté, pas par hasard, pour saluer l’abandon par François Hollande de la taxe française sur les super-riches, au rendement controversé.
Du côté de la N-VA et surtout des libéraux flamands, d’aucuns pensent même qu’une offensive de communication bien menée pourrait même aller jusqu’à influer sur l’électorat francophone et donner un coup de main au Premier Ministre.


Pensions: décider des “périodes assimilées”


Et sur le Front Social ? Reverra-t-on des actions syndicales en cascade? Celles de la fin 2014 ont assurément eu leur effet:  il est clair que des Fédérations patronales, par souci de réalisme, n’ont pas été pour rien dans l’accord noué entre syndicats et employeurs (qui règle le différent sur les fins de carrière et les prépensions) et finalement opportunément avalisé par le gouvernement.
Il  reste deux dossiers-clé: les pensions et le saut d’index.
Pour ce qui est du premier, on peut s’attendre à de solides discussions, non point pour l’heure pour ce qui est de la “pension pour les morts” (les 67 ans, c’est pour 2025) mais bien pour le calcul futur des pensions.
Entendez le délicat choix des “périodes assimilées” entrant ou non en compte pour le calcul des pensions futures. L’exemple-type étant celui des travailleurs du bâtiment lorsqu’ils sont mis en chômage technique pour cause d’intempéries hivernales. Leur statut, qui vient d’être raboté (le gouvernement  diminué l’indemnité de chômage- intempéries de 7%) sera-t-il ou non pris en compte pour leur future pension? Ca, c’est du très concret pour quasi demain.
Pour ce qui est du controversé saut d’index, le hic, c’est qu’il est devenu politiquement hypersymbolique.

Emballer le saut d’index?

Le Conseil Central de l’Economie (organe important même s’il est méconnu) a pondu ainsi un document ouvrant potentiellement la voie, si on le lit bien, à un accord entre employeurs et syndicats et   réévaluant notamment à la baisse l’handicap salarial belge. Et d’autres données pourraient encore surprendre.
Mais les partis de la #suédoise sont bien décidés: saut d’index il y aura. Comment éviter de nouvelles actions de grève? Circule ainsi l’idée d’amadouer les esprits avec toujours le fameux taxshift (qui s’annonce résolument comme le mot-clé de ce début 2015)  et en consacrant une partie de la récolte du saut d’index à des garanties d’emploi jusqu’ici inexistantes, ce genre… Peut-être de quoi, tablent à nouveau d’aucuns rue de la Loi, enfin dissocier syndicat chrétien et syndicat socialiste. Car, du côté FGTB, l’allergie est toujours totale: c’est un non, un niet catégorique au saut d’index, fut-il plus joliment emballé.
Tout ça dans un paysage économique difficile ou des économistes libéraux comme Bruno Colmant tirent la sonnette d’alarme sur la politique d’austérité:
“Il vaut mieux assouplir l'austérité budgétaire et le rigorisme monétaire pour éroder les dettes publiques plutôt que de s'obstiner à évoquer une rigueur qui sera, à terme, socialement intenable”, écrit-il dans L’Echo. On peut repousser l'âge de la pension, mais comment susciter du travail et apporter de l'aide sociale aux personnes de plus de 55 ans qui perdent leur emploi ? On peut réduire les allocations de chômage et autres indemnités assimilées, mais comment assurer une formation continue utile à ces personnes, etc...(…) Croire que l'austérité sera compensée par une économie privée spontanée en période de déflation est, à mon intuition, une erreur de jugement.”



“Solution temporaire” : la N-VA doit rassurer ses électeurs confédéralistes

Autre aléas pour #Michel1 et les libéraux francophones, c’est que la stratégie de la N-VA ne l’aide guère, seul qu’ils sont contre tous au Sud du pays.
Une des ficelles de com’ classiques de la N-VA, c’est de mettre à profit toutes les périodes censées être de calme plat pour matraquer ses messages. C’est ce qui est arrivé une fois de plus entre Noël et Nouvel An.
Ce fut le réveillon de la communication N-VA, les leaders nationalistes livrant de multiples messages au ton finalement souvent très communautaire. L’exact contraire de l’image socio-éco pure à laquelle aspire par dessus tout le Premier Ministre.
C’est que Bart De Wever se doit de rassurer, et surtout de ne pas perdre les voix des électeurs qui ont voté N-VA pour décrocher le confédéralisme; sinon plus. (et pour qui cinq ans d’attente, c’est longuet)
Le message envoyé est clair: comprenez qu’on s’occupe à court-terme du socio-économique dans une “solution temporaire” (entendez la coalition suédoise) mais n’ayez nulle crainte on n’oublie nullement le confédéralisme.
En mode soft, exactement ce que Jan Jambon disait en faisant allusion aux fameux “cahiers Atoma” riches d’idées sur une future 7ème réforme de l’Etat.
Laquelle postule forcément une majorité des deux tiers et donc un accord futur avec… le PS. Euh.
Ce qui s’appelle tirer des plans sur la Comète. Car, en attendant, 2015 sera surtout l’année ou la Wallonie et la Région bruxelloise devront mettre en pratique tous les transferts de compétences (allocations familiales, etc) nés de la 6ème réforme de l’Etat. Ce qui va nécessiter aussi une solide dose de, comment dire?: oui, de baraka.


Michel HENRION

Le coût de l’énergie: le levier totalement ignoré du gouvernement Michel (paru dans MBelgique du 19/12/14)


 “ Si un saut d’index doit provoquer une telle agitation sociale, autant alléger le coût du travail autrement”.
C’est Etienne De Callatay, expert économiste à la Banque Degroof, peu soupçonné de grandes affinités avec Marc Goblet (FGTB) ou Marc Leemans (ACV-CSC), qui avait lâché en substance, jouant les précurseurs il y a quelques semaines:
C’est Bernard Delvaux, le CEO de la Sonaca (aéronautique), qui enchaînait ces jours-ci sur les plateaux-télé: “Le saut d’index n’est pas forcément une bonne chose si cette mesure bloque toute concertation”.
Ce sont d’autres patrons encore qui, dans Le Soir- au grand dam de Pieter Timmerman et de l’institutionnelle FEB- balancent ce qu’ils ont sur le coeur:  “Le saut d’index, ça rend fou les syndicats et ça ne nous rapporte pratiquement rien”.
Des syndicats qui, derrière les fumigènes des piquets de grève, sont aussi très conscients  des impératifs de compétitivité.  On y relève des propos pour le moins très éloignés des discours agités du PTB.
C’est Marie-Hélène Ska qui, pour la CSC, déclare: “Le front commun syndical ne conteste ni l'assainissement ni le besoin de compétitivité.”
C’est Marc Leemans, puissant  boss de l’ACV-CSC, qui renchérit: “Faut-il assainir? Oui. Améliorer la compétitivité des entreprises? Oui”
C’est Marc Goblet (FGTB) qui réaffirme sans cesse sa volonté d’aider les entreprises à créer de l’emploi. Et invite la FEB à tracer en commun une "feuille de route" économique et sociale (compétitivité, taux d'emploi, etc)
Curieux climat, ou sur fond de déflation, d’inflation négative, l’idéologie semble parfois prendre le dessus sur les réalités du terrain.
Jean-François Héris, Président de l’Union Wallonne des Entreprises, relève: “Ce que les investisseurs étrangers regardent avant de s’installer dans un pays, c’est le taux d’imposition, le coût salarial mais aussi le coût énergétique…”
Bernard Delvaux, boss de la Sonaca, martèle encore plus fort: "Le gouvernement ne communique pas une vision de la Belgique à un horizon de trois à cinq ans. Le programme de #Michel1 sera insuffisant pour redresser la compétitivité industrielle. Il y a d’autres facteurs, dans la compétitivité, que le coût du travail: il y a l’énergie”.

Salaires: +32%, Energie: +156% en dix ans

On ne lit pas assez les documents de la Banque Nationale. Accrochez-vous: dans notre pays, de 2000 à 2010,  les coûts salariaux ont augmenté de +32%, tandis que ceux des matières premières énergétiques ont fait un bond de…+156%.
Or, étonnement:  dans le programme de #Michel1, nulle trace d’une quelconque mesure pour améliorer la compétitivité des entreprises belges via un allègement des coûts énergétiques. L’évoquez-vous avec la ministre fédérale de l’Energie Marie-Christine Marghem (MR) qu’elle botte aussitôt en touche, comme si c’était là mission impossible.
Le coût de l’énergie est, de fait, la piste complètement ignorée du gouvernement #Michel1.
Celle qui, pourtant, ces jours-ci, agite et intéresse de plus en plus les patrons sur le terrain. Ceux qui, plutôt que de jouer les idéologues, s’intéressent au jour le jour à leurs coûts de production.
Une autre voie que le saut d’index est-elle possible pour relancer la compétitivité des entreprises belges. Damien Ernst, professeur à l’Université de Liège et sommité mondiale de la vision énergétique, y va d’un tableau secouant pour M…Belgique. Interview décapante à contre-courant.

Damien Ernst: “ En Chimie, c’est devenu impensable de construire de nouvelles usines”
Damien Ernst (ULg)

-M…Belgique: Le saut d’index est un des noeuds gordiens de la confrontation sociale actuelle. Ne serait-ce pas une solution de le trancher en diminuant carrément le coût de l’énergie pour augmenter la compétitivité de nos entreprises ? 

Damien Ernst:  Ce qu’on peut en tout cas relever, affirmer, ce dont on peut s’étonner c’est qu’aucune mesure qui permettrait de diminuer, et ce de manière significative, les coûts énergétiques des entreprises-et, en particulier, l’impact de l’électricité- ne soit mise à l’ordre du jour! C’est d’autant plus surprenant qu’il est maintenant très clairement admis dans le monde industriel belge qu’il est devenu impensable d’espérer des investissements dans de nouvelles usines gourmandes en électricité, par exemple les usines chimiques,  avec un prix de l’électricité aussi élevé que celui qu’on connait à l’heure actuelle.
Un exemple? En Belgique, un industriel paiera aux alentours de 110 euros/MWh pour son électricité. Alors qu’en Amérique du Nord ce prix tourne aux alentours de 60-70 euros/MWh, voire même moins.
Résultat: un industriel préfèrera dès lors toujours investir dans une usine chimique en Amérique de nord plutôt qu’en Belgique…
Beaucoup d’autres pays européens souffrent d’un problème similaire, même si ce dernier semble être plus aigu en Belgique.  Vous savez, du côté de la Commission Européenne, on estime même qu’une des raisons fortes derrière la “désindustrialisation” de l’Europe est précisément ce coût trop élevé de l’énergie.

L’Allemagne, elle, a protégé ses grandes industries

-Mais pourquoi diable avons-nous un prix de l’électricité bien plus élevé en Belgique qu’ailleurs ?

-D.E. : Il y a plein de raisons différentes derrière cette situation de fait. Mais la plus souvent évoquée  ces temps-ci par les industriels belges est le financement des “énergies renouvelables” au travers d’une augmentation du tarif de l’électricité.
Il faut savoir que chaque  fois qu’un industriel achète un MWh d’électricité, il doit payer pour plus de 10 euros de “certificats verts”, ce qui pénalise sa compétitivité, surtout si ses usines sont gourmandes en électricité.
Contrairement à la Belgique, l’Allemagne a posé un autre choix: celui de faire porter le financement de ses énergies renouvelables principalement par les petits consommateurs, ne grevant ainsi pas la compétitivité de ses grosses industries. 
Une mesure similaire serait sans doute accueillie avec beaucoup d’enthousiasme par les industriels belges mais peut-être un peu moins par les citoyens vu qu’en Allemagne le tarif de fourniture de l’électricité aux particuliers est de l’ordre de 290 euros/MWh contre 220euros/MWh en Belgique.

-Donc tout est de la faute des énergies renouvelables ?

-D.E. : Financer les énergies renouvelables en augmentant le coût de l’électricité pour nos industries n’était pas, à mon avis, une très bonne idée. Et ce surtout à cause de la très forte globalisation des économies de la planète. Cela a incontestablement étouffé notre monde industriel  et, de par la même, sans doute aussi participé  à la crise économique à laquelle on doit faire face aujourd’hui.
Il aurait sans doute fallu financer  les énergies renouvelables en évitant d’ augmenter le prix de l’électricité pour les industriels. 

Un tax shift électrique plus belge que les intérêts notionnels

-Mais quelles idées le gouvernement pourrait-il développer pour réduire le prix de l’électricité et améliorer ainsi, autrement, la compétitivité tant souhaitée?

-D.E. : On peut agir. Un travail pourrait certainement être mené à bien pour diminuer les coûts des réseaux de transmission et peux être aussi des réseaux de distribution. Beaucoup de taxes, autres que celles liées aux énergies renouvelables,  sont également inclues dans le prix de l’électricité et affectent assurément la compétitivité de nos entreprises.
On pourrait très bien imaginer un “tax shift” de l’électricité donnant de l’air à nos industries. Je suis persuadé que cela pourrait être une mesure fiscale très efficace. Et ce d’autant plus que contrairement aux fameux intérêts notionnels, seules les entreprises ayant réellement une vraie  activité  industrielle sur notre territoire en bénéficieraient! 

- Même en finançant autrement les énergies renouvelables, il aurait quand même fallu les payer, non? Question un brin provo: dans le contexte économiquement très morose que l’Europe connait, n’est-ce pas un luxe de vouloir, comme on dit, “faire du vert”. Ne faudrait-il pas développer une politique énergétique uniquement basée sur les coûts et mettre de côté, comme d’aucuns le voudraient, toutes ces préoccupations écologiques ?

500 milliards perdus chaque année


-D.E. : De fait, on pourrait être tenté de dire qu’une politique énergétique trop fortement basée sur le renouvelable est suicidaire pour l’économie européenne.
Mais quand on analyse bien les choses, je pense que l’Europe n’a pas vraiment le choix. Surtout dans un contexte où il est devenu socialement pour le moins difficile de construire de nouvelles centrales nucléaires.  Pourquoi ? Parce que se passer du renouvelable dans un tel contexte impliquerait augmenter notre dépendance aux combustibles fossiles. Et même si l’on exclut de l’équation leur côté polluant, l’Europe a un immense problème de ce côté-là .Qui tient en un montant secouant: les quasi 500 milliards d’euros que l’Europe des 27  dépense chaque année pour importer de l’énergie  fossile. 
Photographiez bien ceci: ce ne sont pas 500 milliards d’euros qui sont réinvestis dans l’économie européenne, comme cela serait le cas si l’on investissait dans les soins de santé ou dans l’éducation. Ce sont carrément 500 milliards de perdus.

Pas de permis pour le charbon chez nous

-Il nous reste quand même du charbon en Europe, non? Question #Vrebosstyle qu’on-n’ose-pas-poser-mais-qu’on-pose-quand-même: pourquoi ne pas développer, comme en Allemagne, une filière charbon ? Si on reprend au mot votre thèse selon laquelle un faible prix de l’électricité favorise la croissance économique, le choix d’un combustible aussi peu onéreux que le charbon par la Chine pourrait expliquer, du moins en partie, ce qu’on a appelé le “miracle économique chinois”?

-D.E. : Pour la Chine je vous rejoins. Théoriquement, pour ce qui est d’une politique énergétique  européenne  basée fortement sur le charbon, ce serait effectivement une solution pour produire de l’électricité à faible coût.
Mais il faut garder à l’esprit que le charbon est très polluant! Surtout les charbons de basse qualité comme le lignite qui est utilisé en Allemagne.Autre élément:  il est devenu quasi impossible d’obtenir en Belgique des permis environnementaux pour construire des centrales au charbon. On en a eu la démonstration il y a quelques années avec un projet de construction d’une centrale au charbon dans la région d’Anvers. Celui-ci n’a jamais vu le jour car le permis environnemental n’a jamais pu être obtenu.

La Belgique pourrait déjà aller, seule, de l’avant

-L’énergie est donc bien un levier beaucoup trop peu utilisé, aussi en Belgique,  pour le développement économique…

-D.E. : Il ne faut pas se leurrer, l’Europe et, en particulier la Belgique, a un vrai problème au niveau de son approvisionnement énergétique. De plus en plus de scientifiques ou économistes, s’accordent d’ailleurs à dire que la crise actuelle en Europe est avant tout énergétique. Soyons clairs: il est impossible que l’industrie européenne redevienne à nouveau championne sans que l’Europe ne résolve son problème énergétique. D’aucuns parlement d’utopie, mais, à mon modeste avis, cela passe par un plan européen ambitieux et cohérent d’investissements dans le renouvelable et/ou le nucléaire. Et la Belgique pourrait très clairement déjà aller de l’avant sans attendre l’Europe. Si notre pays est peu chanceux en termes de ressources énergétiques, elle devrait à tout le moins s’attacher à réduire sa consommation, notamment en dopant bien plus qu’aujourd’hui l’ utilisation rationnelle de l’énergie.
C’est sans doute quelque chose qui ferait très plaisir à la SNCB. N’oubliez jamais que le train est, à l’heure actuelle, le moyen de transport énergétiquement le plus efficace…


Michel HENRION