Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

mercredi 28 janvier 2015

Le coût de l’énergie: le levier totalement ignoré du gouvernement Michel (paru dans MBelgique du 19/12/14)


 “ Si un saut d’index doit provoquer une telle agitation sociale, autant alléger le coût du travail autrement”.
C’est Etienne De Callatay, expert économiste à la Banque Degroof, peu soupçonné de grandes affinités avec Marc Goblet (FGTB) ou Marc Leemans (ACV-CSC), qui avait lâché en substance, jouant les précurseurs il y a quelques semaines:
C’est Bernard Delvaux, le CEO de la Sonaca (aéronautique), qui enchaînait ces jours-ci sur les plateaux-télé: “Le saut d’index n’est pas forcément une bonne chose si cette mesure bloque toute concertation”.
Ce sont d’autres patrons encore qui, dans Le Soir- au grand dam de Pieter Timmerman et de l’institutionnelle FEB- balancent ce qu’ils ont sur le coeur:  “Le saut d’index, ça rend fou les syndicats et ça ne nous rapporte pratiquement rien”.
Des syndicats qui, derrière les fumigènes des piquets de grève, sont aussi très conscients  des impératifs de compétitivité.  On y relève des propos pour le moins très éloignés des discours agités du PTB.
C’est Marie-Hélène Ska qui, pour la CSC, déclare: “Le front commun syndical ne conteste ni l'assainissement ni le besoin de compétitivité.”
C’est Marc Leemans, puissant  boss de l’ACV-CSC, qui renchérit: “Faut-il assainir? Oui. Améliorer la compétitivité des entreprises? Oui”
C’est Marc Goblet (FGTB) qui réaffirme sans cesse sa volonté d’aider les entreprises à créer de l’emploi. Et invite la FEB à tracer en commun une "feuille de route" économique et sociale (compétitivité, taux d'emploi, etc)
Curieux climat, ou sur fond de déflation, d’inflation négative, l’idéologie semble parfois prendre le dessus sur les réalités du terrain.
Jean-François Héris, Président de l’Union Wallonne des Entreprises, relève: “Ce que les investisseurs étrangers regardent avant de s’installer dans un pays, c’est le taux d’imposition, le coût salarial mais aussi le coût énergétique…”
Bernard Delvaux, boss de la Sonaca, martèle encore plus fort: "Le gouvernement ne communique pas une vision de la Belgique à un horizon de trois à cinq ans. Le programme de #Michel1 sera insuffisant pour redresser la compétitivité industrielle. Il y a d’autres facteurs, dans la compétitivité, que le coût du travail: il y a l’énergie”.

Salaires: +32%, Energie: +156% en dix ans

On ne lit pas assez les documents de la Banque Nationale. Accrochez-vous: dans notre pays, de 2000 à 2010,  les coûts salariaux ont augmenté de +32%, tandis que ceux des matières premières énergétiques ont fait un bond de…+156%.
Or, étonnement:  dans le programme de #Michel1, nulle trace d’une quelconque mesure pour améliorer la compétitivité des entreprises belges via un allègement des coûts énergétiques. L’évoquez-vous avec la ministre fédérale de l’Energie Marie-Christine Marghem (MR) qu’elle botte aussitôt en touche, comme si c’était là mission impossible.
Le coût de l’énergie est, de fait, la piste complètement ignorée du gouvernement #Michel1.
Celle qui, pourtant, ces jours-ci, agite et intéresse de plus en plus les patrons sur le terrain. Ceux qui, plutôt que de jouer les idéologues, s’intéressent au jour le jour à leurs coûts de production.
Une autre voie que le saut d’index est-elle possible pour relancer la compétitivité des entreprises belges. Damien Ernst, professeur à l’Université de Liège et sommité mondiale de la vision énergétique, y va d’un tableau secouant pour M…Belgique. Interview décapante à contre-courant.

Damien Ernst: “ En Chimie, c’est devenu impensable de construire de nouvelles usines”
Damien Ernst (ULg)

-M…Belgique: Le saut d’index est un des noeuds gordiens de la confrontation sociale actuelle. Ne serait-ce pas une solution de le trancher en diminuant carrément le coût de l’énergie pour augmenter la compétitivité de nos entreprises ? 

Damien Ernst:  Ce qu’on peut en tout cas relever, affirmer, ce dont on peut s’étonner c’est qu’aucune mesure qui permettrait de diminuer, et ce de manière significative, les coûts énergétiques des entreprises-et, en particulier, l’impact de l’électricité- ne soit mise à l’ordre du jour! C’est d’autant plus surprenant qu’il est maintenant très clairement admis dans le monde industriel belge qu’il est devenu impensable d’espérer des investissements dans de nouvelles usines gourmandes en électricité, par exemple les usines chimiques,  avec un prix de l’électricité aussi élevé que celui qu’on connait à l’heure actuelle.
Un exemple? En Belgique, un industriel paiera aux alentours de 110 euros/MWh pour son électricité. Alors qu’en Amérique du Nord ce prix tourne aux alentours de 60-70 euros/MWh, voire même moins.
Résultat: un industriel préfèrera dès lors toujours investir dans une usine chimique en Amérique de nord plutôt qu’en Belgique…
Beaucoup d’autres pays européens souffrent d’un problème similaire, même si ce dernier semble être plus aigu en Belgique.  Vous savez, du côté de la Commission Européenne, on estime même qu’une des raisons fortes derrière la “désindustrialisation” de l’Europe est précisément ce coût trop élevé de l’énergie.

L’Allemagne, elle, a protégé ses grandes industries

-Mais pourquoi diable avons-nous un prix de l’électricité bien plus élevé en Belgique qu’ailleurs ?

-D.E. : Il y a plein de raisons différentes derrière cette situation de fait. Mais la plus souvent évoquée  ces temps-ci par les industriels belges est le financement des “énergies renouvelables” au travers d’une augmentation du tarif de l’électricité.
Il faut savoir que chaque  fois qu’un industriel achète un MWh d’électricité, il doit payer pour plus de 10 euros de “certificats verts”, ce qui pénalise sa compétitivité, surtout si ses usines sont gourmandes en électricité.
Contrairement à la Belgique, l’Allemagne a posé un autre choix: celui de faire porter le financement de ses énergies renouvelables principalement par les petits consommateurs, ne grevant ainsi pas la compétitivité de ses grosses industries. 
Une mesure similaire serait sans doute accueillie avec beaucoup d’enthousiasme par les industriels belges mais peut-être un peu moins par les citoyens vu qu’en Allemagne le tarif de fourniture de l’électricité aux particuliers est de l’ordre de 290 euros/MWh contre 220euros/MWh en Belgique.

-Donc tout est de la faute des énergies renouvelables ?

-D.E. : Financer les énergies renouvelables en augmentant le coût de l’électricité pour nos industries n’était pas, à mon avis, une très bonne idée. Et ce surtout à cause de la très forte globalisation des économies de la planète. Cela a incontestablement étouffé notre monde industriel  et, de par la même, sans doute aussi participé  à la crise économique à laquelle on doit faire face aujourd’hui.
Il aurait sans doute fallu financer  les énergies renouvelables en évitant d’ augmenter le prix de l’électricité pour les industriels. 

Un tax shift électrique plus belge que les intérêts notionnels

-Mais quelles idées le gouvernement pourrait-il développer pour réduire le prix de l’électricité et améliorer ainsi, autrement, la compétitivité tant souhaitée?

-D.E. : On peut agir. Un travail pourrait certainement être mené à bien pour diminuer les coûts des réseaux de transmission et peux être aussi des réseaux de distribution. Beaucoup de taxes, autres que celles liées aux énergies renouvelables,  sont également inclues dans le prix de l’électricité et affectent assurément la compétitivité de nos entreprises.
On pourrait très bien imaginer un “tax shift” de l’électricité donnant de l’air à nos industries. Je suis persuadé que cela pourrait être une mesure fiscale très efficace. Et ce d’autant plus que contrairement aux fameux intérêts notionnels, seules les entreprises ayant réellement une vraie  activité  industrielle sur notre territoire en bénéficieraient! 

- Même en finançant autrement les énergies renouvelables, il aurait quand même fallu les payer, non? Question un brin provo: dans le contexte économiquement très morose que l’Europe connait, n’est-ce pas un luxe de vouloir, comme on dit, “faire du vert”. Ne faudrait-il pas développer une politique énergétique uniquement basée sur les coûts et mettre de côté, comme d’aucuns le voudraient, toutes ces préoccupations écologiques ?

500 milliards perdus chaque année


-D.E. : De fait, on pourrait être tenté de dire qu’une politique énergétique trop fortement basée sur le renouvelable est suicidaire pour l’économie européenne.
Mais quand on analyse bien les choses, je pense que l’Europe n’a pas vraiment le choix. Surtout dans un contexte où il est devenu socialement pour le moins difficile de construire de nouvelles centrales nucléaires.  Pourquoi ? Parce que se passer du renouvelable dans un tel contexte impliquerait augmenter notre dépendance aux combustibles fossiles. Et même si l’on exclut de l’équation leur côté polluant, l’Europe a un immense problème de ce côté-là .Qui tient en un montant secouant: les quasi 500 milliards d’euros que l’Europe des 27  dépense chaque année pour importer de l’énergie  fossile. 
Photographiez bien ceci: ce ne sont pas 500 milliards d’euros qui sont réinvestis dans l’économie européenne, comme cela serait le cas si l’on investissait dans les soins de santé ou dans l’éducation. Ce sont carrément 500 milliards de perdus.

Pas de permis pour le charbon chez nous

-Il nous reste quand même du charbon en Europe, non? Question #Vrebosstyle qu’on-n’ose-pas-poser-mais-qu’on-pose-quand-même: pourquoi ne pas développer, comme en Allemagne, une filière charbon ? Si on reprend au mot votre thèse selon laquelle un faible prix de l’électricité favorise la croissance économique, le choix d’un combustible aussi peu onéreux que le charbon par la Chine pourrait expliquer, du moins en partie, ce qu’on a appelé le “miracle économique chinois”?

-D.E. : Pour la Chine je vous rejoins. Théoriquement, pour ce qui est d’une politique énergétique  européenne  basée fortement sur le charbon, ce serait effectivement une solution pour produire de l’électricité à faible coût.
Mais il faut garder à l’esprit que le charbon est très polluant! Surtout les charbons de basse qualité comme le lignite qui est utilisé en Allemagne.Autre élément:  il est devenu quasi impossible d’obtenir en Belgique des permis environnementaux pour construire des centrales au charbon. On en a eu la démonstration il y a quelques années avec un projet de construction d’une centrale au charbon dans la région d’Anvers. Celui-ci n’a jamais vu le jour car le permis environnemental n’a jamais pu être obtenu.

La Belgique pourrait déjà aller, seule, de l’avant

-L’énergie est donc bien un levier beaucoup trop peu utilisé, aussi en Belgique,  pour le développement économique…

-D.E. : Il ne faut pas se leurrer, l’Europe et, en particulier la Belgique, a un vrai problème au niveau de son approvisionnement énergétique. De plus en plus de scientifiques ou économistes, s’accordent d’ailleurs à dire que la crise actuelle en Europe est avant tout énergétique. Soyons clairs: il est impossible que l’industrie européenne redevienne à nouveau championne sans que l’Europe ne résolve son problème énergétique. D’aucuns parlement d’utopie, mais, à mon modeste avis, cela passe par un plan européen ambitieux et cohérent d’investissements dans le renouvelable et/ou le nucléaire. Et la Belgique pourrait très clairement déjà aller de l’avant sans attendre l’Europe. Si notre pays est peu chanceux en termes de ressources énergétiques, elle devrait à tout le moins s’attacher à réduire sa consommation, notamment en dopant bien plus qu’aujourd’hui l’ utilisation rationnelle de l’énergie.
C’est sans doute quelque chose qui ferait très plaisir à la SNCB. N’oubliez jamais que le train est, à l’heure actuelle, le moyen de transport énergétiquement le plus efficace…


Michel HENRION