Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

jeudi 11 décembre 2014

Tout comme pour une marque, les ratés de com’ peuvent faire mal: Abercrombie & Michel (chronique de MBelgique Hebdo du 21/11/14)

 
--> La célèbre chaîne de prêt à porter US Abercrombie & Fitch est en crise. Car le chiffre d’affaires de ses boutiques-discothèques parfumées est plutôt en deuil. L’image de la marque est désormais plombée, limite quasi ringarde. Et l’avenir de la firme pour le moins compromis, à force d’erreurs de stratégie et de dérapages en série. (“Beaucoup de gens ne correspondent pas à nos vêtements et ne le peuvent pas. Est-ce que nous faisons de l’exclusion? Absolument!” avait proclamé le boss d’Abercrombie dans une interview ravageuse pour son entreprise)
En fait, ce qui vaut pour une marque vaut souvent en communication politique.

Retenez bien cette règle médiapolitique: si le discours est raté plusieurs fois, le mal est fait.

Abercrombie & Fitch, au départ c’est un peu comme le gouvernement #Michel1: avec un fort atout anticonformiste. Entendez la famille socialiste exclue du pouvoir fédéral pour la première fois depuis 1987.  Et l'aarivée de la N-VA. De quoi théoriquement donner, à l’instar d’Abercrombie, au gouvernement  #Michel1 une forte identité de marque politique. L’occasion unique de faire diminuer, par exemple, impôts et charge fiscale.

Sur ce plan, le tissu noué pendant les négociations de la coalition n’était, dès le départ -à l’instar des fringues d’Abercrombie- pas de la meilleure qualité.

La fameuse “réforme fiscale audacieuse” de la campagne électorale du MR avait déjà  été rangée dans l’arrière-magasin de la rue de la Loi  “jusqu’à la seconde partie de la législature, jusqu’à ce qu’elle soit finançable par les effets retour des mesures des deux premières années”. (dixit le ministre MR du Budget)

Passe encore: chez Abercrombie & Fitch, le client n’y voit pas toujours très clair non plus puisque c’est tout noir et qu’on n’y entend souvent que pouic puisque la musique est forte. Bref, le produit est presque un prétexte. #Michel1 pouvait donc parfaitement, même sans réforme fiscale, vendre sans trop de peine le marketing du “gouvernement du courage” favorable aux classes moyennes. Et tous les partis de centre-droit de la coalition en récolter uniment les fruits au bout de la législature.



Le choix du CD&V: relayer l’opposition sociale





Pour sa garde-robe, le prince Laurent est encore un habitué d’Abercrombie & Fitch: pour Yves Leterme, on est moins sûr, même si notre ancien Premier Ministre CD&V a d’évidence certains talents personnels de séduction qui peuvent rivaliser avec ceux des célèbres vendeurs de la marque US.

Certains francophones ont ainsi eu tort de sourire l’autre matin, lorsque, au micro de Martin Buxant (BelRTL), le dénomméYves Leterme -qui doit sa carrière à l’aile démocrate-chrétienne du CD&V- a plaidé pour plus d’ “équité  dans les efforts”, entendez fiscaux.

Sa sortie n’était nullement une gaffe “à la Leterme”, mais bien l’expression de la stratégie même du CD&V, fut-elle un peu bizarroïde. La presse du Nord rappelait il y a peu cette formule d’Herman Van Rompuy selon laquelle, “dans un gouvernement avec des libéraux, tout Cd&V se métamorphosait en membre du Mouvement Ouvrier Chrétien” (ACW, un des piliers du CVP-CD&V).

L’adage se confirme: le Vice-Premier Ministre Kris Peeters, pourtant issu de l’Unizo (patronat des PME flamandes) se veut aujourd’hui le “visage social” du gouvernement #Michel1. Et n’est pas le dernier à réclamer une plus forte taxation du capital. Et Koen Geens, autre CD&V désormais Ministre de la Justice après son passage aux Finances, a lancé au passage un débat sensible sur les moyens budgétaires de la justice belge. 

C’est que le scandale #Luxleaks (les petits arrangements fiscaux au Luxembourg), la révélation des conventions fiscales pour le moins singulières d’AB Inbev, le PDG d’Omega Pharma qui ne doit pas payer un euro de taxe sur l’énorme plus value réalisée sur la vente de ses actions (600 mio d’€) et le blanchiment d’argent de diamantaires anversois via la banque HSBC, ont créé un tout autre climat.



La N-VA prête à agiter d'autres dossiers



A tel point que la N-VA, qui sait humer l’opinion publique, a fait mine d’entrouvrir la porte à une taxation du capital. Mais à ses conditions puisque le CD&V semble avoir choisi de relayer l’opposition de la démocratie chrétienne. Et puisque ce n’est pas dans la Bible gouvernementale, a dit en substance Hendrik Vuye, professeur de Droit Constitutionnel à Namur et désormais malin chef de groupe N-VA à la Chambre, “il faudra alors reparler d’autres dossiers”

Entendez, pour qui se souvient des négociations gouvernementales, réouvrir par exemple le dossier de la limitation des allocations de chômage dans le temps.

Ce qui, avec 128.000 syndicalistes dans la rue et les nouvelles grèves tournantes provinciales, est donc impensable: le CD&V ne fera pas plus aujourd’hui une telle concession qu’hier.

Le terrain de la perception vient donc d’être sensiblement modifié: si les attaques de l’opposition confortent plutôt l’entente entre leaders MR et N-VA, le Cd&V, lui, a opté pour la stratégie du contrepoids social dans un gouvernement de centre –droit. Wouter Beke n’entend nullement retirer la prise mais n’en valide pas moins une partie des critiques des partis de gauche.

Stratégie de com’ complexe: l’électorat flamand est volatile. Et vendre de concert une “message de majorité” et un “message de quasi-opposition” est chose périlleuse.



Le surpoids de la N-VA



Bref, même si on ne sait pas trop bien à quoi le CD&V joue, ce n’est pas idéal pour l’image du gouvernement #Michel1. Qui a déjà bien du mal à tenter de faire oublier, chez les wallons et les bruxellois, non pas la participation de la N-VA au gouvernement, mais bien le surpoids surprenant des nationalistes dans la coalition.

Si, versus francophone, la communication du PS doit prendre garde à n’être pas “revancharde”, celle du MR se devrait à être moins “discriminante”. Car si des dérapages en série – les chiffres de Jacqueline Galant, le nucléaire de Marghem- peuvent certes ternir une marque (c’est ce qui s’est produit chez Abercrombie) il n’est rien de pire, en communication, que le ton d’exclusion.

“Il faudrait que quelqu’un se fasse lifter, dispose de deux voitures diesel, fume trois paquets par jour et boive deux bouteilles  de cognac pour que les fins de mois soient plus pénibles” a lancé ainsi l’autre jour le ministre #MR Hervé Jamar.

C’est le quotidien financier De Tijd, peu suspect d’être gauchisant, qui relevait l’autre jour que le gouvernement #Michel était dangereusement en passe de n‘être plus vu que “comme une coalition défendant seulement les riches” et plus seulement “de kleine man” ( M. Tout-le-Monde, le “petit”)

De fait, il ne faut jamais, en politique, enfermer le ressenti des gens dans des cases. 

Car c’est  précisément pour ce genre d’erreur que le boss d’Abercrombie & Fitch doit désormais aller se rhabiller.


Michel HENRION