Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

samedi 25 avril 2015

Cette spécificité bien belge: le ravalement de façade politique (chronique pour M...Belgique Hebdo du 05/04/15)



 En Belgique, les Nic-Nacs, ces petits biscuits secs en forme  d’alphabet, ont, outre les enfants, deux clientèles assez portées à jouer avec les lettres: les banquiers et les responsables de partis politiques.
Les premiers parce qu’il s’agissait évidemment, en changeant les logos des agences, de faire oublier la crise bancaire. Les seconds, parce qu’ils s’imaginent régulièrement que rebaptiser leur formation politique  donnera forcément un nouveau souffle à celle-ci.
Comme les Nic-Nacs, c’est vraiment là une spécialité très belge. Que nos politiques ne partagent qu’avec la France, recordman du genre, dans une curieuse exception politico-culturelle. Si l’on met à part le cas plus spécifique de l’Italie -ou la corruption fit s’effondrer tout le paysage politique - rares sont les pays où l’on change presque de sigle comme Elio Di Rupo de chemise le 21 juillet.
En Andalousie, lors des élections-test pour les futures législatives ibériques, c’est toujours un “Parti Socialiste Ouvrier” qui vient de l’emporter. Et ce sous sa très vieille appellation qui n’émeut d’évidence aucun andalou. En Allemagne, les sociaux-démocrates du SPD vivent avec la même étiquette depuis 1890. Et ne parlons pas des Etats-Unis ou ni le Parti Démocrate (1824) ni le Républicain (1854) ne penseraient un instant à toucher à leur appellation.

Pourquoi le FDF veut se rebaptiser “libéral social”


Tiens, vous souvenez-vous ainsi du PPW, le Parti Pour la Wallonie? Pas étonnant: ce parti éphémère ne fut qu’à usage unique, pour un seul scrutin de 1991, à l’époque ou Olivier Maingain souhaitait que le FDF-PPW devienne le “parti québécois” de la Communauté française, histoire de renforcer son identité francophone. Avec pour ambition – curieusement redevenue d’actualité vingt ans plus tard- de “soumettre les autres partis à des tests de sincérité francophone”.
On rappelle la suite: un an plus tard, en 1993, le FDF (dont l’ADN implique qu’il ait toujours, depuis la disparition de feu le Rassemblement Wallon,  un pendant/allié au Sud du pays) construit la Fédération PRL-FDF, rejointe en 1998 par une mini-dissidence du PSC, le MCC. Résultat: en 2002, la fédération PRL-FDF-MCC prend le nom de Mouvement Réformateur, en bref, le MR.
Un sigle à forte identité qui vaut déjà la peine de s’y attarder en analyse médiapolitique:
-Tout comme Charles de Gaulle, on préfèra à l’époque éviter le mot “parti” et opter pour le mot “Mouvement”, moins rebutant.
-On se limitait à deux lettres, histoire d’affronter de front celles du PS.
-On abandonnait, dans la dénomination, le mot “libéral”, dont l’image était jugée ternie par les dérives de la mondialisation…
Retournement politique: en 2011, le FDF claque la porte du MR estimant déjà “que les capitulent devant les exigences flamandes”. (libéraux (car l’usage du terme “libéral” s’est maintenu, on ne parle qu’occasionnellement de “réformateurs”)
Et voici qu’Olivier Maingain aujourd’hui fort de sa enième réelection se dit enclin, pour “mieux traduire l’évolution socio-économique de son parti”, à changer l’appellation FDF à travers un nouveau sigle. Pour y greffer le mot “libéral” et l’idée du “libéralisme social”, abandonnée, selon Maingain, depuis que Charles Michel s’est allié avec la N-VA.
L’objectif stratégique est évident: l’électeur aurait ainsi le choix, surtout à Bruxelles (14,8% des voix au FDF, 23,04% au MR), entre deux partis se revendiquant du libéralisme.
Et des libéraux qui s’inquiètent des “dérives” de l’alliance avec Bart De Wever pourraient enfin donner un peu de poids au FDF wallon. (2,53% en Wallonie au scrutin 2014)
On vous parle de ça, car c’est un cas d’école: celui ou on entend adapter le nom du parti à l’évolution d’une ligne politique. Ici d’un parti qui, BHV aidant, met désormais plutôt l’accent sur ses propositions socio-économiques et, originalité, la défense de la laïcité. Oh, sans doute le FDF n’ira-t-il évidemment pas jusqu’à suicider sa marque très forte mais l’ajout à celle-ci d’une touche libérale sociale sera une consolidation.

Le cdH ne se rebaptisera pas mais se centre sur son C


Au cdH, lui aussi en pleine phase de réflexion, nul mandataire ne sait exactement la ligne de redressement que Benoît Lutgen mitonne dans un quasi black-out. C’est que les sociaux-chrétiens voient soudain avec bonheur s’ouvrir davantage d’espace politique au centre, entre la “droite suédoise” et le PS obligé , sous la pression PTB, de s’ancrer davantage à gauche. Sans parler des électeurs jadis détournés du droit chemin par la com’ de l’Ecolo monarchiste Jean-Michel Javaux. Cela pourrait-il aller, comme des jeunes cdH l’ont imaginé, jusqu’à encore se rebaptiser puisque le meilleur score historique du cdH est en dessous du pire score de l'histoire du défunt PSC (Parti social chrétien) d’antan?
Il n’en sera rien: on ne changera plus ni l’eau ni le nom du bocal à poisson orange. Mais, dans ce climat politique il est clair que les stratèges du Centre démocrate Humaniste mettront davantage l’accent sur le C de leur sigle (ici, C comme Centre) que sur le H d’Humaniste. Un mot controversé, puisque faisant par trop référence aux Lumières et à la Libre Pensée, mais qui a vachement servi le cdH, du moins à Bruxelles, lui permettant de s’ouvrir massivement aux électeurs musulmans et de repasser largement la barre des 10%.
Mais lui valant aussi sa nouvelle appellation de “Parti des Religions”. Ce qui postule aussi une moins grande volatilité que celle de l’électeur Ecolo. (depuis mai 2014, le rapport de force CDH/ Ecolo , en Wallonie, c’est 15,1% contre 8,6%)
Dans cette création du cdH, un gros hic: non seulement l’ouverture aux laïcs est-elle restée quasi lettre morte depuis 2002 mais encore le changement de dénomination n’a-t-il guère fonctionné en Wallonie, sociologie électorale aidant. Dans le cas du cdH, le changement de dénomination se voulait véritable rupture: ce ne fut pas pour autant la renaissance escomptée.




Côté flamand, c’est un fait marquant que tous -oui tous- les partis du Nord ont changé leur nom. Parfois par la force (la Cour de Cassation qui condamna le Vlaamse Blok pour racisme et xénophobie, le forçant à se rebaptiser en Belang et “cassant” son élan), le plus souvent pour se défaire du passé, avec plus ou moins de bonheur.

Au CD&V, une mayonnaise qui a mis son temps à prendre

Ainsi, lorsqu’il s’est retrouvé dans l’opposition en 2001, le CVP choisit de se défaire de l’image “conservatrice” de l’Etat CVP. Des spins doctors inventèrement donc le CD&V, insistant sur le coup de génie du symbole &, censé démontrer la volonté d’unir et non point de diviser.
Las, la mayonnaise a pris lentement mais a fini par virer plutôt réussite, en “image publique” s’entend. Le fait est là: alors que le CVP ne séduisait presque plus aucun jeune flamand, c’est devenu un parti, voire une marque qui fonctionne à nouveau chez les jeunes électeurs flamands.
Les libéraux flamands, eux, ont connu bonheurs et malheurs. Lancé sur orbite en 1992 par l’emblématique Verhofstadt, le VLD (Vlaamse Liberalen en Democraten) devient finalement, de peu, le premier parti de Flandre en 1999. 
Mais a la curieuse idée en 2007 de se mettre en cartel, histoire de se montrer encore plus rassembleur, avec le mini parti Vivant du richissime Roland Duchâtelet (oui, celui du Standard de Liège) sous le nom d'Open Vld. C’est le début de ses ennuis. Déjà critiqué parce que ses trois premiers “Burgermanifesten” (les petits livres ou Verhofstadt décrivait sa vision politique) ne collaient pas vraiment avec son action comme Premier Ministre jugée bien trop à gauche en Flandre, Verhofstadt réactualise ses convictions et opte parallèlement de changer le VLD en OpenVLD.
Trois ans plus tard, Alexander De Croo retire la prise du gouvernement Leterme: et les libéraux du Nord dévissent les échalotes, perdant plus d’un quart de leurs électeurs. Et la N-VA fait un énorme bond en avant. Merci Alexander. Ici, la nouvelle image du parti aura été celle de la chute et du déclin.

Le nom d’un parti: une valeur variable

C’est le moment d’épingler un phénomène évident: le nom d’un parti n’a pas la même valeur à droite qu’à gauche d’une assemblée parlementaire.
La droite -le phénomène est très voyant en France- a plutôt tendance à opter pour des valeurs consensuelles. On parlera de “Rassemblement”, d’ “Union”, ou , comme pour le MR, de “Mouvement”. Les militants ne sont pas attachés à tout prix au nom de leur parti: à preuve en France les multiples appellations successives du courant gaulliste… (UDR, RPR, UMP, demain les Républicains?)
Les partis de gauche, eux, ont davantage l’impression de perdre partie de leur identité. Leur appellation c’est, mine de rien, la continuité des luttes politiques des ancêtres, de toute l’histoire sociale du Mouvement ouvrier.
C’est ce qui explique que, comme en France depuis 1971, le PS n’a, chez nous, jamais même envisagé de changer de nom depuis la scission du national PSB en 1978. Même dans ses périodes de ressac. On y a juste, dans une “consolidation stratégique” de com’ jeté avec les orties la rose au poing, empruntée à François Mitterrand depuis 1971, et relooké design le logo PS.

Le sp.a ne pétille plus

Du côté des socialistes flamands, pour là aussi faire oublier les affaires judiciaires et se défaire d’une image vieillotte,  le publicitaire Patrick Janssens devenu soudain président en 1999 appliqua une logique marketing. Le SP devint le sp.a, (Socialistiche Partij Anders) le point graphique étant juste là pour qu’on ne confonde pas le parti avec… l’eau minérale. Il s’agissait aussi d’accueillir le mini-parti Spirit de Geert Lambert, ex vice-président de la Volksunie. Et touriste politique puisqu’il fonda ensuite le Sociaal-Liberale Partij, qui fusionnera avec les écolos flamands de Groen.
Bref, les socialistes flamands ont tellement voulu changer le nom et leur image d’ouverture qu’ils ont fini par s’égarer. (pour rappel, Caroline Gennez voulait appeler son parti Socialistisch en Progressist Partij) C’est pourquoi l’actuel duel interne entre l’ostendais John Crombez et Bruno Tobback se focalise tant sur la question du message et des valeurs que le Sp.a doit incarner et “vendre” à l’opinion.
Or, les deux hommes représentent finalement les mêmes valeurs un peu floues. Ni l’un ni l’autre ne va inventer l’eau chaude qui , soudainement, fera faire des bulles électorales aux socialistes du Nord. “Il y a, lâche un politologue flamand, des enterrements plus gais que les débats entre les deux candidats”
John Crombez, qui ne manque pas de qualités, sera sans doute le prochain président des socialistes flamands mais juste pour une raison principale: il n’est pas Bruno Tobback.

On le voit: un nouveau nom n’est pas automatiquement, pour n parti, une renaissance: c’est aussi un risque.
L’entreprise peut être une formidable réussite (le VLD de la grande époque de Guy Verhofstadt ou un égarement (l’embarras des socialistes flamands).
Bref, une belle interrogation médiapolitique: faut-il toujours tout chambouler pour se moderniser?

Michel HENRION