Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

lundi 9 mai 2011

Polémiques pour un bouquin (“Un Roi sans pays”) : lorsque d’aucuns oublient qu’ écrire c'est lever toutes les censures…

Les constitutionnalistes belges forment un aéropage multiforme étrange, spécialistes de la vérité unilatérale d’entre deux marcs de café, rarement habités par le doute.
Allez, c’est du off : ce dernier dimanche, en sortant du plateau télé de “Sans Langue de Bois” (RTL-TVI), je tombe sur Francis Delperée bavardant critiquement, se mettant en quelque sorte en chauffe avant le mini-boxing -organisé par Pascal Vrebos- avec Martin Buxant, l’un des auteurs de cette petite bombe politique qu’est le livre “Belgique, un Roi sans pays”. Mais à l’écouter, me vient un doute. Non sur l’origine du perpétuel bronzage du sénateur CDH (banc solaire, carotène loréalisée ou chaise longue du clip électoral du CDH ?) mais sur le fait qu’il m’apparaît soudain qu’il n’a apparemment même pas lu… le book dont il vient débattre.
Il me le confirme, se débat un peu dans le yaourt en se réfugiant derrière l’argument qu’il vient juste causer “ colloque singulier”, mais feuillette tout de même mine de rien, en toute hâte, l’exemplaire que j’avais emporté sous le bras…
Comme quoi, le libre-examen est décidément loin d’être un système de pensée partagé.
Tenez, prenons un autre constitutionnaliste, le liégeois Christian Behrendt, celui qui est très, très tendance ces derniers mois, qui se répand désormais partout dans la presse. Parce que là aussi, on aime le sang médiatique frais.
Donc, j’écoutais et je lisais de temps à autres, parfois en sourcillant d’un étonnement, les avis très éclectiques et toujours catégoriques (un constitutionnaliste se doit d’évidence d’avoir l’opinion bien tranchée) du nouveau prof à la mode. Dont, contrairement à Didier Reynders, j'ignore tout des opinions perso et me fiche un peu de sa couleur politique.
Mais comme la com’ est toujours une question de regard, désormais, ce qui est sûr, c'est que je mettrai plus que des filtres critiques en zyeutant le bonhomme. Qui vient, à mes yeux, de s’affaisser des méninges.
Puisque, dans une interview tout de même assez ahurissante au “Soir”, il remet- mais oui, faut parfois dire crûment ce qui est-, joyeusement en cause la liberté de la presse ou d’éditer, réinventant presque pour un peu, si on le laissait délirer plus avant, la “lettre de cachet”.
On se frotte les yeux à lire des phrases comme : “ Pensez-vous que dans un pays se trouvant dans la crise la plus longue de son histoire, où le premier parti de Flandre souhaite à terme sa disparition, il est opportun de sortir un livre fragilisant le Roi ? Poser la question c’est y répondre”.
Et d’en rajouter une louche d’obscurcissement de la coiffe: “ Lorsque vous êtes dépositaire d’une information que vous savez confidentielle en vertu du droit constitutionnel, le fait de la publier dans un livre, c’est contraire aux usages et c’est fortement dommageable (…) Ceux qui publient ce livre se rendent-ils compte ? “
Bref, la censure, ou ce qui en tient lieu, je vous la sers à point ou bien cuite?
“Ecrire, c’est lever toutes les censures” disait Genêt.
M. Behrendt a-t-il à ce point envie d’une médaille pour services rendus à la natation en idées troubles pour spectateurs de "C'est du Belge" à protéger ?
Allons, quoi ! On a une crise politique qui dure depuis des lunes, c’est le seul moment ou le Roi influe fortement le jeu politique et les journalistes ne devraient surtout pas essayer de savoir ce qui se passe, plutôt ce qui se trame depuis plus d' un an ?
Je me suis surpris samedi-, adossé à une de ces cabanes typiques qui font le charme de Blériot-Plage- à lire vraiment d’une traite le book du tandem Buxant-Samyn. C’est que c'est de l’enlevé, du documenté, du vivant: on sent bien que Steven Samyn et Martin Buxant sont des journalistes de la
génération “ Twitter”. Du vite sur la balle de l’actu, mais du vérifié plus que d'aucuns ne le disent, du recoupé autant-que-possible, pas des paparazzades du tout. C’est sans doute certes parfois un chouia romanesque, mais, oh, ce n’est assurément pas facile que de s’approcher de la vérité, que de preuveparneuver. Surtout lorsque les événements se déroulent derrière des volets aussi fermés, aussi tamisés mantille que ceux du Palais Royal.
Ce n’est pas écrit à l’encre Suisse, certains passages sont vinaigrés, c’est du off . Donc cela dérange apparemment une certaine flore qui ressemble souvent à de la faune: tant mieux. Car c’est très démocratique que de dénaphtaliner quelque peu le caractère par trop idyllique d’un palais ou, quoiqu’on en dise, règne un homme certes respecté mais qui a sans doute bien plus de pouvoir que tous les autres souverains européens.
Pour dire vrai, je connais à peine Martin Buxant, juste pour l’avoir quelque peu croisé dans des studios télé ou radio et surtout le lire quotidiennement dans La Libre.
C’est un peu un “gentleman-cambrioleur”: qui doit se taper des interviews parfois soporifiques mais qui, adepte récidiviste du journalisme off à la française, donc forcément un brin hâbleur, en profite pour écouter plus loin. Et note donc sur des coins de nappe les p’tites notations, les p’tites confessions très conscientes de nos politiques en chasse de RP. Y compris celles de Bart, auprès de qui il est un des rares francophones persona grata.
Et qui, de plus en plus décomplexés, ont fait voler depuis longtemps en éclat le “gentleman agreement” que le faux naïf de Christian Behrendt est seul à croire encore gravé dans le petit granit du Bocq.
Il est peu d’auteurs à avoir tenté de forcer les grilles du Palais. Dans un tout autre style, disons un brin plus académique, Guy Polspoel et Pol Van Den Driessche portèrent sur la place publique, en 2003, * le propre réseau de pouvoir du chef de cabinet du Roi, M. Van Ypersele, surnommé le Vice-Roi. Dont nombre de politiques, de Verhofstadt à Vande Lanotte, souhaitèrent publiquement l’exit mais qui est toujours, à  presque 75 ans, toujours aussi inamovible. Bien que tout le monde sache qu’il tente, avec son influence énorme, parfois des jeux politiques très perso…
Je vais vous dire: le vrai sujet du book * de Buxant-Samyn, c’est d’ailleurs une question qui semble désormais préoccuper bien plus de monde qu’on ne pense (et d’autres “off” que je connais surprendraient encore plus): qu’est-ce qui se passera pour la royaltée le jour ou il faudra un successeur à Albert 2 ?
Bien plus secouant que cette mini-polémique sur le “colloque singulier”, croyez-moi.


1) “Belgique, un Roi sans pays” par Martin Buxant — Steven Samyn
Editions Plon.(2011)
2) “Roi et Vice Roi, l’influence de la Cour” par Guy Polspoel et Pol Van Den Driessche. Editions Luc Pire (2003)