Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

mercredi 7 mai 2014

Les trois clés qui font que socialistes et libéraux se détestent ou s’aiment (ah, la nostalgie Verhofstadt…)

 
Il est un trousseau de trois clés à toujours avoir à l’esprit pour décrypter toute “campagne électorale”, ce vocabulaire que la politique a emprunté à l’art de la guerre.
A savoir que la Belgique a cette particularité d’être traversée par un triple clivage: le classique gauche-droite, le tout aussi classique laïcs-catholiques et le plus particulier francophones contre flamands. Trois oppositions qui ne cessent de se croiser, de se mélanger, de s’entrelacer selon les thèmes politiques aiguisés du moment.
Contrairement à d’autres pays - système électoral proportionnel aidant- nos frontières politiques y sont donc floues, les connivences parfois surprenantes.
Ce qui explique que socialistes et libéraux soient tantôt ennemis, tantôt meilleurs amis du monde.
A l’heure ou ces maîtres en images électorales que sont PS et MR s’étripent avec soin, dans une mise en scène télécolorée selon toutes les règles de l’art, ceux-ci savent pertinemment  que leurs éclats n’accrocheront guère la mémoire de l’électeur.
Qui a, pourtant, parfois, le culte du souvenir.
Ainsi, à chaque sondage de popularité, wallons et bruxellois affichent-ils imperturbablement et très étrangement leur souvenir quasi culte de Guy Verhofstadt.
Et de ses huit années comme Premier Ministre dans ses deux premiers gouvernements, un “arc-en-ciel” (libéraux, socialistes et écologistes) et un “violacé” (libéraux, socialistes avec un zeste du minuscule parti Spirit)

Baby Thatcher : le grand projet, avec… les socialistes

Pourquoi cette étrange nostalgie pour une alliance socialistes-libéraux presque inhabituelle dans l’histoire du pays? (on ne recense comme autre exemple que les gouvernements d’Achille Van Acker et de Camille Huysmans dans l’immédiat après la seconde guerre mondiale, avec d’ailleurs aussi des ministres communistes) 
Parce que Guy Verhofstadt, l’ex dogmatique Baby Thatcher –qui a commencé sa carrière politique en étant nettement tout aussi ingérable que la N-VA et bien plus à droite qu’un Bart De Wever- est aussi un homme de grands projets.
Et que lui est venu un jour à l’esprit l’idée d’une révolution politique à la belge: celle de renvoyer dans l’opposition l’ Etat-CVP et l’ensemble des sociaux-chrétiens, présents au pouvoir- parfois en majorité absolue- depuis la nuit des temps, entendez la révolutionnaire Muette de Portici de 1830.
Son grand dessein échoua une première fois (les socialistes flamands réclamaient bêtement le 16 pour l’un des leurs) mais aboutit enfin en 1999, lançant un gouvernement libéral-socialiste-écolo qui, par ses formidables avancées sur le plan de l’éthique (loi de 2002 sur l'euthanasie; loi de 2003 qui fait alors de la Belgique le deuxième pays au monde -après les Pays-Bas- à reconnaître le mariage homosexuel, droits des LBGT, etc…)
C’est important à souligner, car c’est une illustration récente de ces périodes ou libéraux et socialistes se rapprochent parce qu’ils sont anticléricaux (jadis) ou simplement défendent des valeurs laïques, de progrès face aux lobbiesd’influence catholique.(en ce sens, on ne voit guère de différence entre PSC et le CDH qui, malgré une mue un temps intéressante, n’a pas réussi à s’ouvrir philosophiquement comme les libéraux le firent, avec succès, en d’autres temps)
C’est une des clés évoquées en début d’article: Verhofstadt  a gouverné sur l’axe d’opposition laïcs-catholiques, allant jusqu’à obliger le CD&V à se carteliser naïvement avec la N-VA pour se refaire…
A certains moments de l’histoire, face aux lobbies cathos, les libéraux et les  socialistes se rejoignent. Parfois, c’est loin (la lutte pour le suffrage universel ou le Congrès wallon de 1913, qui fixa le drapeau wallon et institua une Assemblée wallonne avec le concours d'un très grand nombre, sinon de quasi tous les parlementaires socialistes et libéraux) parfois c’est encore très présent dans la mémoire familiale collective.
Ainsi lors de la “Question Royale”, de 1944 à 1950 et bien au delà ; où lors de la Guerre Scolaire, libéraux et socialistes se sont longuement retrouvés alliés. (de 1954 à 1958, un gouvernement au “laïcisme très prononcé” (socialistes et Libéraux), présidé par Achille Van Acker, avait succédé à un gouvernement PSC homogène au “cléricalisme très marqué”)

Le symbole d’une trahison par la fiscalité
On notera que, contrairement à l’homme de la rue francophone,  le Nord du pays ne partage pas cette même nostalgie de l’époque Verhofstadt.
En Flandre, l’ex-Premier est devenu le symbole d’une fiscalité galopante, bien que sa grande époque ait été marquée par des circonstances économiques somme toute favorables.
C’est tout à fait étonnant et permet d’ailleurs de mieux comprendre l’actuelle envolée de la N-VA.
Bien avant De Wever, le libéral de Gand avait su, lui, aussi capter le “grondstroom” flamand (les forces souterraines de la Flandre). Le hic, c’est qu’il n’a rien consolidé, que tout s’est évaporé, qu’il a joyeusement liquidé le patrimoine de d’Etat et tous les efforts budgétaires d’avant son règne…
Fortes avancées éthiques top,  mais sur son “core business” flamand, entendez l’économique, le flop. Bref, pour l’électeur flamand- qui parfois en arrive même à le mépriser - Verhofstadt a trahi et s’est surtout trahi lui-même.  Et la N-VA ne fait, somme toute, aujourd’hui, que promettre de réaliser ce que l’ex grand-homme de l’OpenVLD n’a pu ou voulu réaliser.
Elio Di Rupo, qui fut l'un des principaux négociateurs des accords de ce gouvernement « arc-en-ciel » dirigé par le libéral flamand Guy Verhofstadt, a d’ailleurs un point commun aujourd’hui avec le libéral flamand.
Tout comme Di Rupo, qui se proclame porte-parole du modèle de société belge  et dit sans cesse pis que pendre des confédéralistes mais n’ose pas le débat avec Bart De Wever, Guy Verhofstadt se profile comme un grand homme d’Etat européen, quasi un visionnaire, mais refuse toute forme de débat, ni avec De Wever, ni même avec de simples eurosceptiques (ainsi Thierry Baudet, polémiste universitaire bien connu aux  Pays-Bas, qui s’oppose à l’Europ élitiste)

MR et PS, tantôt régionalistes, tantôt unitaristes…

Les trois clivages, disions-nous, n’arrêtent pas de s’entrelacer: pour ce qui du communautaire, de la conception de la Belgique fédéralisée,  libéraux et socialistes ont ainsi chacun leurs périodes plutôt unitaristes ou plutôt régionalistes. Au Nord, l’OpenVLD de Gwendolyn Rutten  croit aujourd’hui, face à la N-VA, trouver son salut dans l’abandon du confédéralisme: c’est un pari hardi puisque le CD&V le conserve prudemment en l’assortissant d’un mot rassurant: “confédéralisme positif”.
En Wallonie, après l’usure de l’unitariste PLP, de nouveaux acteurs sont apparus, notamment le Rassemblement Wallon  ou le virage du syndicat chrétien, lui-même un temps assez wallon. L’ancien président libéral André Damseaux fut lui-même un wallon plus convaincu qu’on ne le pense et, lors de l’éclatement de feu le Rassemblement wallon, ceux qui rallièrent les libéraux finirent par y prendre le pouvoir, Jean Gol en tête. A la Région wallonne, le très régionaliste Guy Spitaels fit alliance avec le CDH du wallon Gerard Deprez, de 1992 à 1994. Mais, de 1999 à 2004, le MR Serge Kubla apparut comme un wallon convaincu. Mais fut évincé par le retour-surprise d’une alliance régionale PS-CDH.

Le PS 2014: bien plus éloigné du MR que par le passé…

Oui, on sait: tout cela est fort complexe. Et c’est volontaire d’aligner, ici, tous ces rebondissements à s’y perdre. On veut démontrer par ceci, ami lecteur de MBelgique, que les trois clés secrètes de la politique belge font sans cesse évoluer les alliances dans tous les sens.
Il est vrai que, contrairement à ceux des scrutins de 2007 et de 2010, le programme électoral du PS de 2014 est bien plus divergent de celui des libéraux : mais il ne faut pas s’y tromper, ce virage d’aile vise avant tout à contrecarrer la grande peur qu’est la brusque émergence des marxistes-léninistes du PTB.
Qui, tensions PS-FGTB aidant, surfent sur la conversion à l’économie de marché des partis socialistes ou sociaux-démocrates, et ce partout en Europe de manière plus ou moins recentrée.
Louis Michel, jadis, pour le MR, a marqué bien des points avec son malin “libéralisme social”  que Didier Reynders rangea quelque peu au grenier des idées libérales.
Mais les conversions européenne des partis socialistes en Europe , qui acceptent peu ou prou l’économie de marché, ne signifie pas forcément l’acceptation d’une société de marché, celle-ci ne produisant, selon les leaders du PS, ni vraie valeur ni sens…
Cela peut se débattre à l’infini, mais on voit bien que les socialistes du Nord  ne sont souvent pas horriblement éloignés de l’OpenVLD.
On l’a vu récemment lors du vote de la saga des noms de famille: l’alliance, au Parlement, fut violette. On le voit dans plein d’autres dossiers très agités en Flandre (contournement d’Anvers, compétitivité…) ou les alliances qui se forment sont souvent libérales-socialitstes contre l’axe CD&V-N-VA.

Relations humaines et parole donnée

Il est une  autre règle essentielle en politique: les partis sont accros au pouvoir.  A l’instar du MR et du PS, la libérale flamande Gwendolyn Rutten fera évidemment tout, et encore plus, pour participer au pouvoir régional et fédéral.
Le seul hic dans tout ça, ce sont les relations humaines.  Ce n’est un secret pour personne qu’un Louis Michel , même dix ans passés, est toujours bouleversé, troublé par le fait qu’Elio di Rupo, président d’un PS plus belgicain, n’avait pas respecté sa parole et les accords de 2004 qui devaient voir MR et PS gérer de concert la Région wallonne (Di Rupo argua, un brin laconiquement, qu’il avait été mis en minorité à son Bureau politique).
C’est ce genre d’épisodes qui laissent parfois des traces psy lourdes: et qui font que, le soir de chaque scrutin, seul le nombre de sièges est une assurance tous-risques pour un grand parti.
S’ils sont suffisants, d’autres critères entrent alors en compte: comme le fait que, curieusement, les coalitions PS-MR dans les entités fédérées se déroulent de manière parfois moins heurtées que sous des alliances progressistes plus larges et plus sujettes à remous.
La politique  est un art qui conjugue de la guerre, du spectacle, de la communication et de la réconciliation parfois suprenante.
La raison d’être de la droite, c’est bien sûr de mener contre la gauche une guerre éternelle. La raison d’être de la gauche c’est de mener contre la droite une guerre sans fin.
Mais en Belgique, entre libéraux et socialistes, tiens, on ne sait jamais.

Michel HENRION