Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

mercredi 7 mai 2014

L'ELECTION-MERE DE TOUS LES FLOUS (chronique parue dans M Belgique)

Ca a commencé par une décision aux motivations politiciennes plus ou moins nettes: faire, cette fois, délibérément coincider les scrutins fédéraux, régionaux et européens.
Résultat: à deux encablures de la “mère de toutes les élections”, l’électeur se mélange pour le moins les pinceaux et ne différencie que fort mal les enjeux européens, fédéraux, régionaux ou communautaires entre tous ces niveaux de pouvoirs.
Largement flouté, voire escamoté, le débat vital sur l’Europe et ce "29ème État membre peuplé de tous ceux qui sont sans emploi". (selon la formule forte de J-C Juncker)
Largement flouté, voire honteusement minimisé, le débat tout aussi crucial sur les futurs Gouvernements régionaux d’après la sixième réforme de l’Etat.  Qui dira à l’électeur que les entités fédérées, qui ne comptaient que pour une dizaine de pour cent dans les années 80, pèseront désormais pour 70%, y compris des compétences de sécurité sociale?  Qui rend cela un poil perceptible ? Explique à l’électeur que, puisque le financement d’une région sera aussi lié à des recettes, on pourra juger directement de l’efficacité d’une politique régionale à ses conséquences?
C’est le flou trompeur: comme si le thème de la réforme fiscale, pour important qu’il soit, était le seul qui importait dans cette campagne électorale. Comme si, dans le fond, on ne votait que pour le fédéral, les autres élections étant considérées comme un brin accessoires.
La personnalité du Premier Ministre n’y est pas pour rien: Elio Di Rupo a comme trait de caractère de magnifier toujours le niveau de pouvoir ou il se médiapolitise. Ministre-Président wallon, il arborait le coq de Paulus; Premier Ministre attentif du Roi Philippe, il épingle tout aussi imperturbablement son pin’s aux couleurs nationales.
Mais, autre flou encore, le voici quelque peu perdu, mal à l’aise, ne sachant trop bien dans ses prestations floues de campagne, s’il doit se comporter en Premier Ministre ou en président toujours en titre du PS. Les deux développant de concert un kriegspiel on ne peut plus flou: diaboliser la N-VA jusqu’à dépasser la mesure et friser parfois l’absurde puisque, dans ce pays désormais encore bien plus fédéralisé par la 6ème réforme du Gouvernement Papillon, aucun wallon ne peut voter pour la N-VA. Qui n’a, à tout le moins, rien à dire en Wallonie et, jusqu’à nouvel ordre, en Région bruxelloise.
Les nostalgiques de la Belgique de papa avaient pour habitude d’estimer que les conflits communautaires détournaient la population des “vrais problèmes”: cette fois, le stratégique bashing anti-N-VA empêche quelque part les francophones et les wallons de se pencher sur les nouveaux enjeux qui les concernent très directement dans leur bien-être. Flou et dangereux paravent.
Flou toujours lorsque le Premier Ministre refuse –pour des raisons stratégiques qui lui appartiennent- un débat  avec la N-VA, seul parti à représenter clairement une forte opposition au fédéral, mais l’accepte avec Didier Reynders, son propre…Vice-Premier Ministre MR. Allez vous y retrouver comme électeur lambda.
Flou encore lorsque les slogans des partis, à force de viser tous le centre, à force  d’aligner des mots mous, creux et génériques (“ensemble”, “avenir”, “changement”,  etc…) deviennent carrément interchangeables, ne marquant plus en rien l’électeur.
Flou et inquiétudes lorsque les répondants des sondages d’intentions de vote ne répondent plus ce qu’ils pensent mais ce qu’ils croient que l’ensemble de leurs voisins pensent.
Les “baromètres” médiapolitiques ne mesurent plus le temps qu’il fera: c’est plutôt le temps qu’il a fait, au mieux le temps qu’il fait.
Retenez bien ceci: en Flandre, entre 18 et 24 ans, six électeurs sur dix ne se décideraient que la veille du scrutin!
En fonction d’une impression, d’un fait du jour, bref, d’un truc de dernière minute.
A force de multiplier les flous, on risque fort, le soir du 25 mai, d’être clairement surpris.

Michel HENRION