Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

lundi 2 février 2015

Et si nos politiques prenaient enfin de la hauteur ? La Belgique va-t-elle oser les questions de société mises sous le tapis ? (MBelgique du 16/01/15)

 
En communication, en médiapolitique, l’efflet de souffle de #Charlie restera un événement majeur. Qui se résume en une question: qui aurait cru, à l’annonce sidérante du carnage, que des millions de personnes, dans cette société qu’on dit si individualiste, voire si égoïste, se lèveraient et marcheraient ainsi ensemble dans une incroyable émotion solidaire. Houellebecq s’est trompé: il n’y a pas de “Soumission”. Grâce à une formidable démonstration du poids de l’indispensable société civile.
Et c’est l’écrivain Erik Orsenna qui a lâché la phrase sans doute la plus forte: “Maintenant, les politiques ont des devoirs”.
De fait.
Le Ministre de l'Intérieur Jan Jambon (N-VA)
A commencer par celui de prendre de la hauteur. D’arrêter de se prendre pour des comptables ou, parfois pire, de pseudo économistes. De limiter cette communication soi-disant de proximité qui dévalorise l’image même de l’action politique (notre Premier Ministre, quelques heures avant que les dessinatueurs n’exécutent #Charlie, jugeait encore bon d’envoyer la photo de son “attentat” au Musée de la Frite). De consacrer les budgets ad hoc à ce qui est indispensable à court terme (la sécurité) ou à long terme (l’éducation).
Tout le monde connaît, au fond, les “devoirs” des politiques: à savoir vraiment s’emparer des problèmes de fond.
Les zones les plus paupérisées en Belgique sont souvent loin d'être les plus violentes. Et il est vrai que la culture de l’excuse sociale n’a jamais rien expliqué en matière criminelle ou terroriste. Par contre, elle malmène le “vivre ensemble”. Donc, on ne peut plus fermer les yeux sur certains ghettos. Donc, il faut sortir des bla-bla convenus pour que les jeunes en désarroi échappent, à terme, par l’emploi aux tentations sectaires. Endiguer la haine et, pour d’aucuns, au sein de leur propre formation politique. Cela suffit que des présidents de parti laissent des élus propager des idées populistes, sinon extrémistes. Cela suffit que d’aucuns, souvent par pur calcul électoral, pointent sans cesse des communautés. Il faut oser le constat: une certaine médiocrité (on sait, le mot est fort) a gagné du terrain dans les rangs des politiques belges, tous partis confondus.

UN seul engagement en 2015 pour le RAID belge

Il y a d’évidence deux clés d’action, quasi immédiates, pour tout décideur:
-       Veiller à ce que nos services de renseignements et d’intervention disposent de tous les moyens nécessaires. Ce n’est pas le cas. Si la Belgique dispose d’un excellent groupe d’intervention, avec des hommes très impliques, très compétents, très motivés (qui n’ont pas grand chose à envier au RAID ou au GIGN, sauf l’expérience) ceux-ci souffrent de matériel vieillot et de sous-effectifs. Accrochez-vous: selon les informations de M…Belgique, le ministre N-VA Jambon aurait autorisé un (vous avez bien lu: un seul) recrutement "exceptionnel" pour cette année. Donc, en 2016, il y aura UN renfort ( ben oui,  il faut environ une année pour le recrutement et la formation ) En réalité, il manque des dizaines de personnes au CGSU, le groupe fédéral d’intervention spécialisé. (toutes sections confondues, toutes spécialisations confondues)
-       S’emparer de l’arme de la culture générale. C’est invraisemblable que dès qu’on entend toucher à l’enseignement, dans ce pays, tout se bloque (on l’a encore vu l’an dernier, en Flandre, avec l’influence du pilier chrétien). C’est insupportable qu’on force encore; en 2015,  nos gamins à se séparer à l’heure ou des cours communs de philosophie vulgarisant les valeurs des différentes confessions et de la laïcité seraient une arme essentielle contre les haines nées de l’ignorance de l’autre et de l’inculture.


Le flamand n’aime pas les débats d’idées “à la française”
.

Si la Belgique francophone, la “démocratie” wallonne et bruxelloise, a l’habitude d’importer
les émois franco-français, la “démocratie du Nord” chère à De Wever n’en a généralement cure. Pourtant #Charlie, de manière certes plus light, a aussi marqué la Flandre. Où l’on a vu aussi des flamands se réunir pour marcher, notamment à Gand. Où l’on se préoccupe itou des valeurs du “Vivre Ensemble” de plus en plus mises en cause.
Il faut savoir qu’au Nord, on n’aime pas trop les grands débats d’idées à la française (davantage prisés pourtant aux Pays Bas).
L’effet #Charlie vivra-t-il longtemps?  Une certitude: pour l’heure, une jolie “fenêtre d’opportunité” s’est ouverte. Une période rare où l’on pourra débattre de sujets habituellement tabous. Mais dans tous les sens. L’autre soir, à la VRT, un Reyers Laat avec De Wever parfait représentant d’une certaine droite décomplexée- mixait ainsi un intéressant débat d’idées avec, hélas, les traditionnelles caricatures polarisées…
Le clivage #Charlie, en Belgique, ne sera guère communautaire: comme tout en Belgique ces derniers mois, c’est l’axe gauche-droite qui prédominera.

Manifester pour la liberté et en avoir…moins?

En Belgique, comme en Europe, on risque donc fort un incroyable paradoxe: des manifestations historiques pour la liberté d’expression risquent, si on n’y prend garde, de déboucher sur des restrictions des mêmes libertés.
L’après 11 septembre l’a prouvé: l’attitude négative de ceux “qui veulent faire la guerre à l’Islam” recoupe un moment l’attitude, plus positive, de ceux “qui veulent combattre juste le terrorisme”. A un moment, le climat conjoint crée par les deux attitudes engendre un dangereux raidissement de l’Etat. Gare, en Belgique aussi, aux lois antiterroristes, votées dans un large consensus émotionnel, mais parfois inutilement attentatoires aux libertés.

L’annuaire inutile de Jan Jambon

Il est peu de voix, dans ce contexte actuel (la stratégie terroriste actuelle vise à mener à bien des actes très spectaculaires, visant des symboles) pour ramener le terrorisme actuel à ses justes estimations.
Le criminologue français Alain Bauer, expert en terrorisme et en religions, est de ceux qui osent appeler un chat un chat. A contre-courant. Son constat est simple:
-L’Union Européenne est finalement, statistiquement, peu frappée par des attentats (il y a davantage, dit-il avec un brin de provocation, de victimes de violences conjugales)
-la plupart des attentats commis sont le fait de gens qu'on a empêché d'aller faire le djihad en Syrie et pas de gens qui en seraient revenus.
-Il faudrait, selon Bauer, davantage parler d’”adaptation culturelle” des services de renseignements que seulement de moyens. “Il faut, dit-il, travailler sur la qualité et le contenu. Que des agents de terrain extrêmement efficaces et des universitaires travaillent ensemble à modifier leur approche. La collecte de renseignements est très performante. Mais, l’analyse de ces renseignements est défaillante. Les terroristes avaient été repérés. Mais, on n’a pas su quoi faire de ces informations. Si on ose une comparaison avec l’habillement, il faut sortir du prêt à porter pour aller vers du sur-mesure.”
Quant à l’idée du ministre de l’Intérieur (N-VA) Jan Jambon d’une liste européenne des combattants étrangers ralliant le djihad, Bauer la pulvérise dans La Libre: “Cette liste existe déjà mais la compilation de données n’empêche jamais rien : c’est une obsession médiatico-politique que d’annoncer des listes, des listes et encore des listes. Quand vous mettez tout le monde sur des listes, vous n’y mettez plus personne. Cela devient l’annuaire du téléphone.”
Médiocre bourgmestre de Brasschaat, Jan Jambon, ministre de l’Intérieur, est d’ailleurs, en interne à la N-VA, considéré comme une déception du “casting nationaliste”.
C’est le danger pour la Belgique: au lieu d’oser débattre des grandes questions de société qui peuvent déranger ou diviser, le risque est qu’on se contente de mitonner, de ravaler une nouvelle lasagne de lois, juste histoire de rassurer. Et surtout d’ éviter de penser plus loin.
La Belgique, tant au Nord qu’au Sud, adore décidément la politique de l’autruche.

Michel HENRION