Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

vendredi 20 mars 2015

Vieillissement et idéologie: ce qui explique vraiment la logique flamande rue de la Loi (MBelgique Hebdo du 6/3/15)

 



La vie politique, aujourd’hui, se raconte en images et en chiffres.  Point commun: tout cela est mis en scène avec soin par des maîtres en communication. D’où l’importance d’apporter des clés d’analyse. Parfois bêtes comme chou.
Ainsi de la démographie: on ignore ainsi encore par trop que la Flandre va subir de plein fouet le vieillissement de sa population, Bruxelles et la Wallonie se retrouvant dans une situation bien plus favorable, voire dynamique.
Marc Coucke, patron BV.
Marc Coucke, l’emblématique patron flamand d’Omega-Pharma, qui vient d’investir chez Mithra à Liège, n’en doute déjà guère: "Je ne serais pas surpris, si on divisait le pays en deux, que la Wallonie prenne plus vite des actions que la Flandre".
Notez bien ceci: la part des soixante ans et plus en Flandre est devenue supérieure à celle de la population wallonne. En 2050, elle devrait même dépasser le tiers de l’ensemble de la population flamande. D’ou une logique très flamande qui s’efforce de s’imposer rue de la Loi.
C’est tout simplement parce que la Flandre vieillit  que ses politiques font tout pour prolonger l’activité des belges: retarder l’âge de la pension, casser net le système de la prépension.
C’est parce que la Flandre n’aime pas trop l’immigration mais qu’elle a néanmoins très peur pour sa propre croissance, qu’un Théo Francken (N-VA) opte pour l’’immigration économique sélective”, histoire de tout de même compenser par du sang neuf bien limité en Flandre.
Autre clé: la Flandre a un patronat- plusieurs dizaines de milliers de PME- bien plus politisé, voire idéologue, qu’en Wallonie. On se souvient du patron du holding Ackermans & Van Haren, sans doute le CEO le plus influent de Belgique, qui disait ne plus vouloir vivre “dans une société marxiste”.

Un Groupe des Dix aussi très flamand

Résultat:  des associations patronales comme le Voka, l’Unizo ou Agoria (ou le poids flamand est lourd) en arrivent à décrocher le controversé saut d’index. En Flandre, c’est un patronat de combat qui lobbye déjà pour décrocher une limitation des allocations de chômage dans le temps, en commençant stratégiquement par celles des plus jeunes.
C’est d’autant plus facile pour les politiques flamands que leur électorat n’est, statistiquement, que le moins concerné.
C’est d’autant plus facile que la puissante aile flamande de la CSC, proche du CD&V, est, in fine, toujours plus accommodante. Un observateur de la vie syndicale définit ainsi Marc Leemans, le puissant boss flamand du syndicat chrétien, par ailleurs qasi un inconnu chez les francophones: “ Un Che Guevara dans les propos, plus vite réfugié dans les tranchées dès qu’il y a confrontation dure avec le patronat au fameux “Groupe des Dix” de concertation sociale”.
Un Groupe des Dix ou la représentation flamande, et c’est tout sauf un détail, est d’ailleurs hyperdominante.
Toujours retenir ceci: dès qu’on parle, en politique belge, de mesures concernant les plus modestes: hausses de TVA ou chômage, les chiffres sont clairs. Ca touche toujours bien davantage la Wallonie, bien plus pauvre.

Le Gorafi politique de Gwendolyn

Gwendolyn Rutten, la présidente de l’OpenVLD,  ne manque pas d’aplomb. Comme on lui demandait l’autre jour si un hypothétique gouvernement composé de trois partis francophones et d’un seul parti néerlandophone serait imaginable, elle y alla d’un hardi: “Bien sûr, puisque c’est la logique fédérale”. Euh. C’est vrai que c’est cohérent (elle disait déjà kif pour justifier jadis le manque d’un seul siège dans la majorité flamande qui soutenait la tripartite Di Rupo) mais toute la rue de Loi sait pertinemment qu’une telle idée folle tient du hoax, du Gorafi politique: qu’elle est totalement irrecevable, inconcevable, inimaginable, bref intolérable au Nord.

Ces disputes flamandes qui préservent le MR

Les disputes incessantes entre partis flamands de la coalition, les querelles de chiffoniers, les “pesten” (harcèlements) entre le CD&V de Kris Peeters et la N-VA, ont un double effet médiapolitique:
1) elles occupent le devant de l’actu politique et coupent, mine de rien, le pied à l’opposition
2) Elles préservent le MR, les polémiques flamandes détournant le regard de l’unique parti francophone du gouvernement.
A force, on en arriverait presque, dans les médias, à oublier l’arithmétique asymétrique qui fait toute la singularité de ce gouvernement N-VA-CD&V-OpenVLD-MR. Ou les wallons et les bruxellois ne sont représentés que par seulement 20 députés sur les 63 francophones qui siègent à la Chambre (à l’inverse, la coalition est fortement soutenue en Flandre: 65 députés flamands sur 87)
Aux débuts de la “Suédoise”, c’est la solitude de cette aventure francophone du seul MR qui suscitait le plus de craintes chez les analystes. C’était l’époque ou on feuilletonnait sur le fait que les partis flamands se-devraient-de-souvent-voler-au-secours-du-MR. Aujourd’hui, nada, peanuts, on s’en fiche au Nord. Parce que le MR “tient” dans les sondages et que, paradoxalement,  les fissures les plus vulnérables du réacteur suédois ne sont pas au Sud, mais bien en Flandre.
Avec ce malaise du CD&V devenu élément dissonnant de la coalition,  sans cesse en porte à faux, toujours comme excédé par la N-VA. Avec aussi un Kris Peeters méconnaissable, qui fulmine, qui croit qu’on cherche à le pousser à la démission, qui vit mal l’autorité militante d’une N-VA à ses yeux encore peu formée aux arcanes du pouvoir. Bref, un gouvernement sans guère de grands marathons nocturnes, mais ou, selon des axes d’alliances très changeants (le MR donne tantôt raison au CD&V, tantôtà la N-VA…) on rédéfinit plutôt souvent ce qui a déjà été décidé.
C’est encore le CEO flamand Marc Coucke qui lâchait cette formule: “La Flandre est en train de se belgiciser alors que la Belgique se flamandise”.
Et, du côté des francophones, toute la communication du patronat flamand et de la N-VA (ah, les milliards de transferts Nord/Sud si martelés par De Wever) semble avoir été sinon gobée, du moins avoir imprégné nombre d’esprits.
“C’est la mentalité du colonisé gentil avec son maître”, commente un économiste wallon. “Les wallons se rattachent notamment à l’Etat belgo-flamand parce que c’est là qu’ils trouvent encore des outils économiques comme Belfius. Sait-on assez, alors que le mot régionalisme est presque mal vu par d’aucuns, qu’en Allemagne, il n’y a pas un Land qui n’ait pas sa propre banque?”



Thalys: la “logique” flamande


C’est dans ce climat ou le fameux “Front des francophones” (créé à l’époque du défunt Pacte d’Egmont et aux épisodes à éclipses) apparaît comme ayant viré carrément fossile pour Musée d’histoire politique, qu’il suffit parfois d’un tout petit rien, d’un incident, d’une bêtise, par exemple l’arrêt ou la mort d’une ligne du Thalys, pour réveiller le wallon.
Logique flamande: puisque le Thalys vers Ostende n'avait que 7% de fréquentation, on tue aussi le Thalys wallon (avec des taux de remplissage tournant autour de 50%, soit atteignant doucettement un taux de rentabilité qui n’est d’ailleurs pas forcément l’aune d’un service public)
Et la ministre Marie-Christine Marghem d’un peu gaffer en lâchant ce qu’il ne fallait pas surtout dire en com’chez Pascal Vrebos sur cette suspension/suppression:
"Il faut garder un équilibre dans ce pays. C'est une correspondance d'équité"
Oups. Benoît Lutgen, qui devient, mine de rien, de plus en plus wallon, s’est aussitôt engouffré dans la fissure ouverte par la MR-MCC en remettant le dossier du Thalys dans un contexte d’intérêt économique pour toute la Wallonie: "Arrêter le ‎Thalys wallon c'est casser l'axe Est-Ouest (fluvial,autoroutes, rail) qui est essentiel économiquement pour la Wallonie . Pour être clair, cet axe ne va plus vers Anvers".
Anvers ou le président de la N-VA, qui n’a cessé, sous la coalition Di Rupo, d’user jusqu’à la corde l’argument du “siège qui manquait”  pour une majorité flamande à la Chambre, juge tout à fait "normal" qu'un gouvernement très minoritaire en Wallonie gouverne l’ensemble du pays.
L’argument du président de la N-VA a, il est vrai,  toujours été de dire que “c’est la plus grande communauté du pays qui payait l’addition”. Bart De Wever ne justifie pas vraiment la minorisation des francophones: son raisonnement est de dire qu’il aimerait que ce soit différent- seul le confédéralisme pouvant résoudre la problématique- mais que l’actuel systême belge lui impose de “faire comme cela”, si on entend, comme il le voulait, gouverner sans le PS.
C’est une thèse que le président de la N-VA a développé avec succès en Flandre ou nul n’aborde plus cette question devenue carrément hors-propos.

Le mystère stratégique de Di Rupo

 Plus surprenante, en positionnement politique, est l’attitude du PS. Alors que Bart De Wever a tiré jadis un profit électoral évident à taper récuremment sur le clou du fameux “siège manquant” aux flamands, il y a là un évident argument de communication (les francophones ne sont représentés que par 20 sièges sur 63) qu’Elio Di Rupo n’utilise étonamment qu’avec parcimonie, quasi accessoirement.
Ce qui ne va pas sans surprendre d’aucuns dans son propre parti, alors que l’opposition socio-économique du PS ne marche pas très fort. Alors que les sondages ne sont pas vraiment enthousiasmants. Alors que le MR peut rêver de devenir, comme fugitivement en 2007, le premier parti de Wallonie. Alors que nombre de militants sont toujours furax, fâchés qu’ils sont d’avoir vu le PS faire tomber le tout premier domino de l’effondrement des droits des chômeurs. Alors que le régionalisme et la défense des wallons et des francophones font partie de l’ADN du PS.
Certes, l’homme est sans doute prisonnier d’un discours qu’il a lui-même instauré, d’une certaine logique belgicaine qui a sensiblement conditionné l’opinion publique francophone (la Wallonie ne peut rester debout qu’en se couvrant du tricolore belge) et qui l’a porté au poste de Premier Ministre.
Certes, il faut digérer la sixième réforme de l’Etat (mais les tensions sociales actuelles montrent combien le niveau fédéral demeure un levier très important)
Certes, l’homme est-il prudent avec d’éventuelles alliances à venir (2019) ou cultive-t-il sans doute encore le chantier de l’idée d’apparaître comme un recours en cas de crise…
Mais, pour un fort en com’, se priver de marteler un argument tel que l’infériorisation arithmétique des wallons et des francophones dans un gouvernement ou la N-VA pèse de tout son poids est, assurément, un insondable mystère stratégique.

Michel HENRION