Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

mardi 30 juin 2015

LE TAX-SHIFT POUR LES NULS (MBelgique Hebdo/ juin 2015)

« Je ne vais tout de même pas, au prochain Gordel, endosser un t-shirt proclamant « Le tax-shift maintenant! «  comme je l’ai fait jadis pour réclamer la scission de BHV », s’exclamait l’autre jour le CD&V  Eric Van Rompuy, président de la Commission des Finances de la Chambre.
Pourtant, il y a un indéniable point commun entre les dossiers « Tax Shift et « BHV »: tous deux ont fleuri à la « Une » des médias mais le grand public n’y entrave que pouic hermétique.
Les mots ont théoriquement un sens.
Sauf d’évidence en politique. L’expression « tax shift », importée du monde anglo-saxon, est totalement abstraite.
Pire: c’est un piège médiapolitique dans la mesure ou, en bonus, la rue de la Loi multiplie les ambiguïtés, les interprétations fluctuantes, les confusions, les contradictions.
Tout est issu d’un constat peu contesté, présent en toutes lettres dans la déclaration gouvernementale : « La pression fiscale et parafiscale globale, y lit-on, est non seulement très  élevée  en  Belgique mais en outre,  la  répartition est  déséquilibrée entre les revenus du travail et  les autres revenus». Pas faux, puisque notre pays est carrément le troisième pays le plus taxé de l’OCDE avec une pression fiscale de 44,6% du PIB contre une moyenne de 34,1%. (2013) Mais lorsqu’on se penche sur la structure de l’impôt, oups, une évidence: chez nous on taxe davantage les revenus des personnes physique que les bénéfices des sociétés.
Loin déjà d’être d’accord sur les solutions mais pressés d’annoncer au bon peuple la naissance de la #Suédoise, les négociateurs N-VA, CD&V, OVLD et MR convinrent juste d’un texte
un brin flou passe-partout. A savoir que (là on va citer in extenso, en toute conscience du risque somniférique) « le  gouvernement  maîtrisera   les   dépenses   et mettra en oeuvre un glissement fiscal et parafiscal ("tax shift") pour financer une  réduction  substantielle  des  charges,  de  manière  à diminuer les charges fiscales et parafiscales sur le travail ». (fin de citation)
Pour faire simple: les recettes de l’Etat restent kif, mais tandis qu’on
baisse des impôts d’un côté on en augmente forcément d’autres pour compenser. Capito?
vous voyez, c’est tout simple, le « tax shift », au delà du jargon.
Le hic, c’est que Kris Peeters et Charles Michel auraient peut-être dû, à l’époque, prolonger de quelques jours leur mission d’informateurs histoire de se mettre davantage d’accord entre partis sur les modalités d’exécution de ce fameux tax-shift, que nul n’imaginait à l’époque voué à un tel hype médiapolitique.

Le Concours Lépine du CD&V

Lorsque le Front Commun Syndical FGTB-CSC-CGSLB (syndicat libéral) a réussi sa manifestation nationale du 6 novembre dernier (120.000 travailleurs fâchés, dont -surprise-la moitié de flamands), le CD&V de Kris Peeters et Wouter Beke- qui n’oublient jamais de ménager le poids du pilier syndical chrétien- se sont mis à agiter triomphalement le «drapeau du « tax shift » (le grand glissement fiscal) comme s’ils venaient de conquérir Iwo Jima. Comme un symbole d’une certaine équité. « Oui, ami travailleur , désolé de te faire avaler le saut d’index mais reste cool, on va voir ce que l’on va voir: le capital va itou devoir y passer. »
En fait, c’est le CD&V -le seul parti du gouvernement Michel à avoir une « aile gauche »- qui a, en quelque sorte, littéralement inventé le « tax shift ». Tout comme Louis Lépine avait inventé en son temps (1897) le sifflet à roulettes et les chiens-sauveteurs.
Ici, il s’agissait de sauver la face à Marc Leemans, le puissant leader flamand des syndicats chrétiens. De distancier son organisation de cet empêcheur de tourner en rond, de ce fétichiste de la concertation sociale qu’est Marc Goblet, le très stratège secrétaire général de la FGTB/ABVV.
C’est le temps de la métamorphose de Kris Peeters: on ne reconnaît plus l’ex boss patronal de l’Unizo (PME flamandes) qui, soudain, devient quasi  militant syndicaliste. Pour faire simple, le stratégie, la vision social-chrétienne est d’estimer que le « tax shift » (glissement fiscal) se doit d’être un contrepoids  pour les « mesures asociales » que les syndicats ont dû avaler.
Wouter Beke, vrai boss incontesté du CD&V, l’a encore martelé l’autre jour à la VRT: « Mettez-vous bien dans la tête, a-t-il dit en substance, que le tax-shift est dans la Bible gouvernementale » et « qu’il s’agit de répondre au sentiment d’injustice sociale ». Bref, augmentons, notamment, la taxation sur le capital et, de préférence, pas touche à la Sécurité Sociale.  Car ça, cela ferait encore mauvais effet pour un CD&V proche du monde syndical du Nord et qui se veut le « visage social » (le truc a l’air ne pas trop mal fonctionner) des meuchantes tribus #suédoises.
Le hic, c’est que tant du côté des libéraux de l’Open VLD que des nationalistes N-VA de Bart De Wever le « tax shift » est vu comme tout, sauf une compensation pour les mesures qui suscitent l’ire du Front Commun syndical.  Comme souvent, le parti de Gwendolyn Rutten n’est pas forcément très clair: on y rêve toujours d’une réduction de la taxation sur le travail en réduisant « le coût de l’Etat ». Comment? L’OpenVLD ne le sait pas trop lui-même.
Le discours de N-VA, va lui encore plus loin. Hendrik Vuye, le chef de groupe N-VA à la Chambre, a fixé une des pistes importante des nationalistes: «  Il faut mettre sur la table le fonctionnement et l’organisation de la Sécurité sociale. » Olé, l’inverse exact du CD&V.

Reglobaliser les revenus comme jadis


En fait, on voit se dessiner plusieurs phénomènes:
-Les politiques se méfient des réactions de l’opinion publique. Le ministre des Finances N-VA, Johan Van Overtveldt, a évoqué l’idée d’une péréquation cadastrale. De Wever a illico tué l’idée dans l’oeuf. Sans doute se souvenait-il que le dernier Ministre des Finances à avoir voulu cela il y a des lustres (Gaston Geens) y  perdit, face à l’impopularité du système, tout espoir de carrière fédérale et fut relégué au niveau de l’Exécutif flamand.
-Certains politiques, certains économistes, comme le libéral Bruno Colmant, ne voient comme vraie solution que d’en revenir à l’esprit de la réforme fiscale de 1962. Qui globalisait simplement TOUS les revenus, du travail et du capital. « On va immanquablement, dit-il,
-l’objectif du « tax shift » en devient aujourd’hui presque flou, peu clair, voire indéterminé, tant les buts affichés par les partis de coalition sont sensiblement différents.
-les tabous des partis s’additionnent à un rythme fou au fil des interviews.
Le scénario d’une taxe sur la consommation, via la TVA? « Pas question, dit la N-VA. Cette piste augmenterait immanquablement la facture de certains citoyens, comme les pensionnés ».
Taxer le capital (c’est somme toute assez faible en Belgique et surtout mal fichu): multiples vetos. Taxer  les plus values? (un truc d’application dans bon nombre pays d’Europe, là où la Belgique est un des rares pays à ne rien faire) Ouhlala, vous n’y pensez pas, s’écrient d’autres.
Le comble: le président du Voka (le puissant patronat flamand) en arrive proclamer que le « tax-shift » est, à ses yeux, totalement inutile.
Question du jour: Bart De Wever va-t-il un jour prochain adopter le même point de vue?  Cela n’étonnerait guère.

Vuye: « On impose la flamandisation du niveau belge »

Il faut évidemment relativiser cette pluie de vetos, même si elle tourne drache. C’est classique dans le jeu politique que, avant tout grand pow-wow, chacun y aille de sa musclette.
De même qu’il faut toujours se méfier des récits médiatiques pessimistes qui vous martèlent que « la baudruche du tax-shift s’est dégonflée ».  C’est une ficelle de com’ assez récente mais ingénieuse: les médias vous martèlent que tout est voué à l’impossible et, soudain, un lapin sort triomphant du chapeau. Peu importe alors qu’il soit miteux ou efflanqué: comme personne n’y croyait plus, le tour de magie politique passe la rampe. Les Carambars de la com peuvent faire parfois avaler n’importe quoi.
Marc Coucke, l’ex CEO médiatique d’Omega Pharma, n’a cependant pas tort lorsqu’il commente: « Avec le tax-shift, Charles Michel est dans un nid de serpents dans lequel il doit trouver son chemin ». Et d’y aller d’une plus value : » La Belgique a retrouvé ses vieux démons qui sont partout ». De fait lorsque le N-VA Hendrik Vuye, en marge du « tax shift » déclare (on cite): »On assiste à une flamandisation du niveau belge. On lui impose la politique libérale N-VA et des autres partis flamands », on ne peut pas dire qu’il appuie vraiment le Premier Ministre.

Des marges de manoeuvre réduites

Ce qui est bien réel, ce sont aussi certaines réalités économiques.
On peut comprendre l’extrême prudence de d’aucuns sur le fait de modifier des taux de TVA: au moment ou la machine économique se relance, au moment ou la consommation semble redémarrer, peut-on prendre le risque de tout casser par une erreur d’appréciation? (le problème du saumon fumé à 6%, si souvent évoqué par des économistes en chambre qui ignorent qu’il s’agit  depuis lurette d’un  produit d’appel d’Aldi ou Lidl, n’apparaît pas vital)
« Cette piste, a dit Veerle Wauters de la N-VA,  augmentera immanquablement la facture de certains citoyens, comme les pensionnés. Il faudra donc trouver un autre mécanisme pour gommer cette hausse de la fiscalité. »
C’est pourquoi la rue de la Loi bruisse sans cesse de rumeurs: introduire un nouveau taux (8%), aménager des glissements socialement acceptables (luxe de 21% a 22% mais déductions pour des produits basiques pour les plus démunis?-
Taxer les comportements polluants pour modifier les comportements? Dès lors que De Wever n’entend pas toucher à ce scandale très belge que sont les voitures de société,  bye bye . On se contentera donc -c’est une quasi certitude- d’accises sur le diesel..
Et comme, de toute manière, les compétences d’environnement sont plutôt régionalisées, la marge de manoeuvre  est, là aussi, forcément réduite.
Le patrimoine? Le précompte mobilier? La taxation du capital? Même opposition de la N-VA et des libéraux flamands.  Oh, De Wever serait bien disposé à céder de quoi faire illusion, genre « taxe- Caïman controversée  sur les diamantaires » mais certainement pas un grand trophée de gauche.
Ici, aussi, vu l’état des tabous, marge de manoeuvre faiblarde.
« Lorsqu'on recense les jalons des différents partis, dit l’économiste Bruno Colmant,  on en résume la surface à un territoire millimétrique : pas d'impôt sur le capital, ni sur les plus-values, ni sur l'immobilier, ni les voitures de sociétés. Pas question non plus d'augmenter la dernière tranche d'imposition marginale qui serait pourtant la seule manière d'augmenter le minimum non
 imposable. .»
Bizarre comme constat,  au moment ou le  directeur  du Centre  de  politique  fiscale  de  l’OCDE n’y va pas de main morte lorsqu'il  pointe la  « situation  aberrante  de  la  Belgique:  le  capital  n'y est pas taxé, tandis que le travail y est surtaxé ».
Le Premier Ministre y est encore allé d’une déclaration optimiste de plus: « Nous prévoyons un accord pour l’été avec trois  sources  de  revenus  qui permettraient  de  faire  baisser  l'impôt  sur  le  travail: la consommation, l'environnement et les revenus du capital. Le gouvernement ne sera pas déstabilisé ou divisé:  il est déterminé à réussir’. Olé.


CD&V et OVLD n’aideront pas la N-VA


La pièce se jouera en tout essentiellement entre partis du Nord, même si on connaît la créativité dont peut faire preuve, en conclave, un Didier Reynders, qui n’oublie jamais qu’il fut ministre des Finances. Contrairement  à ce qu’on pense souvent du côté francophone, c’est la N-VA qui pourrait aller le plus loin dans la conciliation pour dégager un consensus. Mine de rien, elle a plein de pistes diverses en stock.
  Si OpenVLD et N-VA se trouvent idéologiquement assez proches  l'un de l'autre (centre-droit) pour ce qui est du « tax shift », on peut cependant penser que ce seront probablement CD&V et VLD qui se trouveront. Pourquoi? Ben,  parce qu'ils veulent tout les deux éviter que la fameuse force du changement de Bart De Wever  (De kracht van de verandering) ne se matérialise par trop.
 Ne pas perdre de vue que si le CD&V s’est allié avec la N-VA dans ce gouvernement #suédois c’est non seulement parce qu’il était un brin fatigué du PS, mais aussi parce que Wouter Beke espère toujours arriver à étouffer un jour la N-VA.
De plus, CD&V et VLD, qui savent que le grand  virage socio-éco de De Wever vise leurs électeurs, auront peut-être comme une légère envie de neutraliser la N-VA dans ce débat.Tant pour des raisons économiques que politiques-le « goodwill » ne sera pas automatiquement présent- le « tax shift » à venir a donc toutes les chances d’être plutôt modeste.
Mais, pour la N-VA, l’opération, pourrait  s’étaler sur plusieurs années. Avec l’hypothèse d’un « coup à jouer » juste avant les élections de 2019.
Quant au CD&V, le timing est pour lui plus important que le contenu. Le CD&V veut tout bonnement avoir un trophée à agiter devant le Mouvement Ouvrier Chrétien. Pouvoir afficher qu’il a obtenu un trophée avant cet événement pas mince que sera la nouvelle Manifestation Nationale du Front Commun prévue pour le 7 octobre, bougie rouge-verte-bleue pour l’anniv ‘ du gouvernement Michel.
Il faut en tout cas attentivement surveiller les faits et gestes de Kris Peeters, qui entend d’évidence  gagner la « bataille de la perception » dans un gouvernement positionné très au centre-droit.
Kris Peeters, même s’il vit mieux d’être relégué à un  second rôle, n’a pas renoncé à ses ambitions de Premier Ministre.  L’image du  visage social qui a tenu tête à la N-VA, c’est vraiment pas un mauvais profil à présenter aux électeurs de 2019.


Michel HENRION.