Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

mardi 9 juin 2015

Portrait d’un « tempérament »: Marie-Christine Marghem, l’ambigue. (MBelgique Hebdo du 29/5/15)

« Oh, excusez-moi de vous faire faux bond: c’est que j’ai écrasé un chat: et je suis toute bouleversée ». On est le soir des élections communales de 2006, à Tournai. Chez les socialistes locaux, on s’inquiète de la soudaine disparition-évaporation de Marie-Christine Marghem, l’échevine MCC-MR sortante théoriquement prête à signer un accord de majorité. En réalité, il n’y a de chat que dans un sac:  au même moment, elle tente en effet de nouer une tripartite alternative qui foirera, faute d’appui du cdh et des amis locaux… de l’écolo Jean-Marc Nollet. Résultat: colère du  PS local qui s’allia illico avec le cdh. Et l’ambigue Marie-Christine Marghem a dû patienter six ans avant de redevenir, en 2012, première échevine du nouveau bourgmestre PS Rudy Demotte.
L’anecdote fait encore sourire aujourd’hui le petit monde politique du Hainaut Occidental ou, quasi tous partis confondus, le tempérament de Marie-Christine Marghem -la « dure tête » comme on dit en Wallonie Picarde- inspire comme un parfum de méfiance. Les filets de notre enquête  dans la ville aux Cinq clochers ont d’ailleurs curieusement ramené, dans toutes les eaux politiques, même libérales, les mêmes mots. Marghem? Assurément de l’intelligence et de l’ambition à revendre, mais aussi un goût certain pour la manipulation, voire pour le mépris; de la désinvolture sur la connaissance des dossiers et, surtout, comme un talent presque maladif, un attrait constant pour la mensongite.

La méthode du suppositoire


Oh, on n’est pas naïfs:  puisqu’il convient de séduire le peuple, petits et gros mensonges font partie depuis toujours des moeurs politiques. Nombre de politiques considèrent d’ailleurs que les mensonges politiques sont des ruses carrément acceptables dès lors qu’il s’agit du bien public. Ce que Michel Rocard, lorsqu’il était à Matignon, appelait la «méthode du suppositoire ». La gamme du mensonge se décline ainsi avec d’infinies nuances. Dans le genre culotté, tantôt c’est un Berlusconi pour qui la politique s’apprenait à l’école du mensonge, tantôt c’est un Jérôme Cahuzac, ex-ministre socialiste français, qui nie ses comptes en Suisse avec un aplomb stupéfiant, le « mensonge droit dans les yeux ». Dans le genre plus orfèvre, d’autres sont habiles dans le brouillage, l’ambiguité, le demi-mensonge,  le travestissement de la réalité. Le succès du PTB est de cette dernière catégorie: un « rebranding » et de gentils nouveaux habits presque socio-démocrates pour une doctrine qui reste, jusqu’à nouvel ordre, d’essence très profondément marxiste-léniniste, avec Cuba pour référence principale.
La nouveauté de notre époque- ou le citoyen doit plus que jamais détecter les mensonges des récits médiatiques bidonnés- c’est que souvent, le menteur croit à son message. Il n’établit plus vraiment de distance entre ce qu’il dit et ce qu’il croit.
C’est l’usage, immodéré qu’autant injustifié, du mensonge public.

C’est un peu ce qui s’est passé ces dernières semaines en Commission quasi nucléaire de la Chambre. Ou la technique de l’avocate  Marghem a visiblement atteint ses limites politiques. Y aller à l’aplomb, au culot, à l’effet de manche, ça peut fonctionner souvent devant un juge, qui n’a pas forcément l’envie d’aller vérifier encore et encore ce que l’avocate affirme d’un ton tellement péremptoire. Ca marche quasi toujours devant un conseiller communal tournaisien qui n’a pas forcément le temps d’aller archéologiser les dossiers communaux.
Devant des parlementaires aguerris -ou simplement conscients que le noble rôle de l’opposition est de contrôler, de freiner l’éternelle tentation des majorités de passer en force- ça le fait moins.
«L’erreur avec Marghem est  généralement de croire qu’elle en fait alors qu’en réalité c’est  juste sa stratégie délibérée « commente un fin observateur libéral. « Mais ici, ajoute-t-il,  il y a un couac. Marghem n’a pas encore réalisé qu’elle était ministre, qu’elle n’était plus comme une parlementaire sur un plateau télé » commente notre informateur. « Face à l’offensive-guérilla de Jean-Marc Nollet (Ecolo) ou Kristof Calvo (Groen), ajoute-t-il, elle n’avait pas à les tourner sans cesse en dérision:. Il fallait juste leur répondre comme il sied à une ministre, surtout sur un dossier aussi sensible que le nucléaire. En gestionnaire, en leur livrant juste, comme il convenait, toutes les réponses techniques »
« Ce qu’il y a de plus surprenant, rajoute un membre éminent de la Commission de l’Economie, c’est qu’il lui arrive de mentir, pardon, de dire le contraire de la vérité, sans aucune raison apparente. Comme par plaisir. Comme s’il s’agissait d’une méthode ».
Le résultat est connu: cafouillages, contradictions, réécritures controversées, tronquage de textes juridiques, pirouettes polémiques de la ministre ont fini par énerver d’aucuns au CD&V ou à la N-VA. Et suscité de cruels commentaire des médias. Conséquence du capharnaüm; un « savon » qu’on nous dit, de très bonne source,  riche en bulles à l’avenue de la Toison d’or, siège du MR.

L’entêtée de Tournai


Pourtant, le « tempérament Marghem » ne surprend d’évidence pas grand monde à Tournai, lorsque nous y allons de notre fact-checking de terrain.
« Ici, on n’est pas étonné du tout », nous dit tout de go un habitué des conseils communaux. «  Je ne charge pas la barque mais Marghem, c’est quelqu’un qui -qu’elle soit en charge du Budget ou de l’Urbanisme- qui ne connaissait déjà pas vraiment ses dossiers. Ca a toujours été une vision plutôt superficielle. Et lorsqu’elle est contredite, lorsqu’elle est poussée, sur un dossier, dans ses derniers retranchements, elle n’avouera jamais ni son ignorance ni son erreur. Alors, elle toise les gens et ça peut même vire à la morgue, à un certain mépris.  Elle peut présenter un pensum insipide mais  l’agressivité de ses réponses fait souvent l’affaire»  
Un libéral qui la connaît bien ajoute: « Pour comprendre Marie-Christine, il faut se mettre en tête que si c’est une femme très intelligente c’est paradoxalement, une têtue. Mieux: une entêtée, qui a extrêmement peu le sens de la remise en question »

Oui, nous confie-t-on dans la cité scaldienne, « elle peut aller jusqu'à tripatouiller les dossiers pour finir par l’emporter. »
Bref, retient-on, Marie-Christine l’ambigue veut imposer son point de vue à tout prix, même quitte à être côté de ses pompes.
On ne sursaute donc plus de l’entendre arpenter les boules de gomme et reprocher à l’Ecolo Jean-Marc Nollet de « ne pas avoir assez développé l’électricité verte », ce qui est un argument pour le moins curieux au souvenir des grandes envolées du MR contre le grand éolien ou le photovoltaïque au Parlement wallon.
S’étonne-t-on de ce curieux trait de communication un chouia méprisant qui la pousse, au Grand Oral Le Soir-RTBF, à confesser qu’elle surnomme  l’Ecolo Nollet « Doel 1 » et le Groen Kristof Calvo « Doel2 »?  Rien de neuf sous le soleil, vous confesse-t-on à Tournai : l’échevin cdh Michel Leclerc a dû subir en son temps bien des jeux de mots potaches, genre « le clair obscur » ou le « clair voyant… ».
Même l’actuel bourgmestre ff de Tournai, Paul-Olivier Delannois, s’est vu traiter un jour, en pleine réunion, d’ « intellectuellement limité ». Pas très classe. « Limite vulgaire » s’exclame un élu social-chrétien.

Dissidence au MR


Dans le fond, Marie-Christine Marghem c’est l’histoire d’une ambition forcenée. « Elle s’assiérait sur la tête de tout le monde », nous lance-t-on avec l’accent de la région. « Aujourd’hui, il n’y a plus de MR à Tournai: c’est juste le parti de Marie-Christine Marghem ». Dont la personnalité, nous rappelle-t-on, a été jusqu’à provoquer une dissidence chez les libéraux aux élections communales de 2012. Une liste dissidente (Tournai plus), composée plutôt de « vrais libéraux sociaux à l’ancienne » (dont l’ancienne sénatrice  Marie-Hélène Crombé-Berton)  a fait trois sièges contre celle qu’ils affublaient à l’époque (chacun son tour) des doux surnoms de « Cruella » ou de « Femme Araignée ». C’est dire l’ambiance et les cotillons.
« Il est loin, confie un libéral nostalgique, le temps d’Arnaud Decléty, cet ancien ministre wallon de l’Économie, de l’Emploi et des Classes moyenne qui ne cachait pas son appartenance à la franc-maçonnerie ».
D’abord élue conseillère communale PSC en 1994, celle qui affirme sa sympathie pour les mouvements anti-interruption de grossesse (« Je suis pour le droit à la vie » a-t-elle encore précisé récemment, en prenant quelque distance avec les mouvements très conservateurs qu’elle appuyait jadis), vire habilement au MCC de Gerard Deprez, lorsque celui-ci plaide le rapprochement avec les libéraux. Deprez, en bon politologue, capte illico tout le potentiel électoral de la pétulante tournaisienne, laquelle additionnera effectivement les bons succès électoraux, soutenue par toute une jeune garde libérale se positionnant assez à droite.

Le poids du MCC

Résultat: au sein du mini-parti de Gerard Deprez, (73 ans, réélu miraculeusement grâce à la Vierge de Jalhay lors des élections européenne de 2014), Marie-Christine Marghem justifie quasi à elle seule l’existence de cette composante presque anachronique du MR. D’autant plus que la comtesse Nathalie de T' Serclaes de Wommersom, ex-sénatrice, a pris sa retraite. C’est par ce biais du MCC que Marie-Christine Marghem est ainsi devenue ministre, au détriment de Jean-Luc Crucke, MR de tradition.
C’est tout le paradoxe de notre enquête à Tournai: voici une personnalité pour le moins controversée dans tous les partis, y compris le sien et dont nos interlocuteurs n’entendent d’ailleurs parler que sous le sceau de la confidence. (Marie-Christine aurait la dent dure et la rancune tenace)Mais qui, pourtant, collectionne les votes de préférence dans la population.
7.911 voix au communales tournaisiennes de 2012 et un peu moins, soit 6.179 votes dans le canton de Tournai aux fédérales de mai 2014. Joli. Dans tous les partis, l’attitude du jevousaicompris et l’appareil à caresser le cervelet, ça fonctionne.
« C’est l’inverse de mes valeurs, de ma conception politique, s’indigne un ancien conseiller communal. Tout respect a disparu. Vous savez, Marie-Christine c’est une enjôleuse qui sait surtout utiliser son pouvoir de séduction. C’est la grande parade avec pas mal de populisme, sinon de démagogie, notamment en matière de sécurité. Capable d’incohérences incroyables juste pour complaire aux électeurs. Son grand rêve, c’est d’accéder un jour au maïorat: mais elle n’aura aucun vrai projet »

Un ministre technicien

L’autre jour, Gérard Depardieu y allait, dans Vanity Fair, de quelques propos existentialistes. "J'ai tout vécu. Cela, il n'y a pas beaucoup de gens qui peuvent le dire, je peux mourir à présent. »
Ce qui est certain, c’est qu’il ne mourra pas à Tournai, là ou Marie-Christine Marghem l’avait pris en main,  après l’avoir quasi kidnappé  au bourgmestre de Néchin, Daniel Senesael (qui, à l’heure ou l’ONEM poursuit les chômeurs cohabitants, en avait fait un Citoyen d’honneur pour y avoir établi un domicile évidemment fictif).
Il n’y aura jamais de « bar à vin » Depardieu à Tournai:  du moins on l’attend toujours désespérément. Mais cela aura juste permis à Marie-Christine Marghem d’appliquer sa méthode de com’: créer l’événement. Jusqu’à un soir faire blablatusier à l’acteur, un peu beurré, un avis-vidéo sur le devenir du Pont des Trous. (référendum populaire en vue) Comme par hasard itou celui de Marghem.

Pour l’heure le bilan de Marie-Christine Marghem au département de l’Energie est, disons, un brin confus. A sa décharge, un seul élément: l’erreur de casting. Elle rêvait de devenir ministre de la Justice, ce qui lui eût assurément mieux convenu. Las, elle hérita de l’Energie. Sans rien y connaître. D’où cette bonne question: un pays en crise énergétique grave comme la Belgique pouvait-il encore se permettre de désigner comme ministre quelqu’un qui doit tout apprendre d’un secteur complexe et d’une importance cruciale? Et qui, forcément,  ne peut développer de grande vision. Pour nombre d’experts, c’est le type même de département ou un ministre-technicien s’imposait pour éviter tout cet amateurisme.
Bon, Marie-Christine Marghem a l’art de rebondir. D’ici là, on ne peut que lui conseiller de revoir un excellent film de Gérard Depardieu: « Préparez vos mouchoirs »


Michel HENRION