Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

dimanche 6 octobre 2013

Emotion de défiance (chronique parue dans Marianne Belgique du 31/09/2013)

Test. On vous donne cinq minutes de courage psy: à choisir, entre un Yves Leterme, toursiveux, au double langage hypocrisé, et un  Bart De Wever- brutal et direct quant à ses objectifs affichés cartes sur table- vous opteriez pour qui? Duraille, hein?  Rajoutons donc un nom, celui de Koen Geens, notre actuel ministre des Finances. Ah, voila qui vous donne déjà une honorable porte de sortie du dilemne…Tout simplement parce que vous le connaissez moins, cet avocat d’affaires au physique de bon-papa descendant du Tornado. Qui, pourtant, fut de ceux à tirer bien des ficelles contestées dans le scandale ACW-Belfius-Dexia.
C’est que, se méfier, c’est savoir. La méfiance, c’est un certain degré de connaissance: et que Leterme on a déjà donné. Et que de Wever, on en sait plus qu’assez.
Le citoyen  échaudé peut d’ailleurs- le sondage Marianne Belgique-Dedicated le démontre- se méfier de plein de choses très différentes. En fait, de tout ce qui a fait débat ou scandale médiapolitique.
Qui achèterait encore quelque placement, fut-ce un coupon de chez Groupon, à Maurice Lippens, symbole de la rupture du contrat moral qui liait le belge à sa banque? Qui croit que Mgr Léonard mène vraiment la chasse aux pédophiles dans ses églises? Qui n’a pas été interloqué par l’asymétrie entre les gains fous des grands patrons et la rigueur de fer qu’ils entendent comme naturellement imposer aux autres?
Qui pense que les lobbies n‘influent pas la rue de la Loi?
A la différence près que le syndicaliste s’habille en sac-poubelle rouge, vert ou bleu pour porte-hurler dans les rues tandis que le syndicaliste du Voka, de l’Unizo ou de la FEB avance plutôt discret dans des salons feutrés.
“ C’est de la com!”, “C’est de la pub!” entend-on souvent dire, en réaction à l’une ou l’autre actualité. L’expression, à force, est devenue banale: mine de rien, elle est formidablement brutale. Traduite, elle suppose le mensonge démago, à tout le moins des arrière-pensées quasi inavouables.
Il y a donc comme une césure dans ce sondage: entre ceux dont tous les jeux troubles ont déjà été démasqués (Lobbyistes, politiques, banquiers, religieux de toutes obédiences, militant associatifs et souvent trop partisans, médias) et ceux qui y échappent encore (ça existe les médecins dominants, les scientifiques voleurs d’intérêt général…) mais dont le tour viendra en son temps, aux hasards de l’émotion d’autres scandales médiatisés.
Car la méfiance, ou plutôt la défiance, notion plus positive, c’est de l’intelligence.
On ne la fait plus au citoyen qui, de par la révolution du Net, a désormais les yeux bien ouverts, toute l’info du monde à portée de moteur de recherche.
Le “storystelling” des instances est désormais mis en doute, contredit, parfois ruiné. Parfois d’un seul tweet, d’un seul post.
C’est ce qui fait vaciller nombre d’institutions d’autorité amidonnée d’un âge qui n’est plus: le citoyen futé, informé, échappe peu à peu à leur système, les forçant même –on croit rêver- à rendre des comptes.
La défiance, c’est finalement de la liberté de pensée.

Michel HENRION