Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

vendredi 13 décembre 2013

La “Nouvelle Belgitude”, pensée magique. (chronique dans Marianne Belgique du 19/10/13)


Aujourd’hui, la com’ politique n’a plus pour but de pondre de jolis slogans, ni même de narrer de belles histoires. Les illusionnistes du métier visent désormais, mine de rien, à “envoûter” les esprits. Il convient donc, plus que jamais, de se méfier des incantations abracadramédiatiquement assommées comme autant de vérités. Ainsi du climat de pensée magique autour de la “Nouvelle Belgitude”.
Cinq éléments de réflexion:
1) Une des clés fortes de compréhension de ce pays est qu’il n’a guère de mémoire collective commune. La Flandre, fut-elle prospère, se vit  toujours avec un historique sentiment collectif de frustration vis à vis des francophones, même si ceux-ci sont vus plus comme gaspilleurs-profiteurs que dominants. Les francophones, eux, vivent encore avec l’image subliminale de la riche Wallonie d’antan, si généreuse pour le Nord, et réclamant dès lors le maintien de la solidarité interpersonnelle si chère à Di Rupo. (1)
2)  Ce sont ces mémoires collectives si différentes qui  nous ont donné une identité commune si vague, presque proche de l’indifférence. Fait récurrent: seul le sport éveille aléatoirement un sentiment émotionnel d’appartenance nationale. Il en fut ainsi, jadis, pour Eddy Merckx. Plus récemment quand Justine Henin et Clijsters raquetaient le tennis mondial, quand Tia Hellebaut et Kim Gevaert trustaient des médailles d’or aux JO, quand les frères Borlée couraient presque aussi vite que ne roulait Philippe Gilbert…A chaque fois, les drapeaux se dépoussiéraient. A chaque fois, le “sentiment belche” était momentanément plus prononcé.
3) La belgitude, c’est un peu comme le soleil en Belgique: ça va, ça vient mais on ne peut le capturer guère plus qu’un moment.
Le football, par sa force rayonnante parfois délirante, photosynthèse encore bien davantage les esprits. D’autant plus que des agences de com’ veillent à viralement assurer le “hype”. Sans parler de ceux pour qui cette belgitude est souvent fond de commerce: médias, sponsors, politiques, artistes (Daan, Arno, Axelle Red, Stromae…)
4)En bon historien nationaliste féru de Tijl Uylenspiegel, De Wever connaît toute la force de ce passé traumatique. Qui influe toujours le flamand lambda bien plus qu’un résultat de match. Pour parler clair, même s’il assure le service minimum, De Wever se fout du foot.
N’aimant pas trop le sport (hormis le badminton, ou il excella) sa stratégie n’accorde guère d’importance au Mundial. Car il sait, à l’instar de Kris Peeters, que la N-VA a plus à gagner avec la compétitivité de l’industrie de Flandre qu’avec celle des Diables.
5)On fait grand cas en com’, au 16 rue de la Loi, du sondage selon lequel le Premier Ministre serait bien vu de 6 flamands sur 10. Le léger hic, c’est qu’à l’analyse détaillée, ce soutien ne se traduit en aucun bonus pour les partis flamands de l’équipe Di Rupo, qui restent kif à leur niveau de 2010. Si la N-VA connaît un recul psychologique grave -qui va forcer De Wever à délaisser Anvers pour redevenir davantage Président de parti - c’est Groen et PVDA+ qui en bénéficient.
L’explication est que, longtemps perçu au Nord comme un quasi personnage de bande dessinée sans grande crédibilité -son néerlandais hésitant rappelant en outre que la classe dominante de jadis ne parlait que le français- Di Rupo a réussi, peu à peu, à changer cette image en Flandre.
Le Nord s’est habitué au personnage d’opéra, à ce style si déconcertant pour un flamand. Après l’avoir longtemps toléré, il l’a accepté. Di Rupo n’apparait plus comme un politique différent jusqu’à l’étrange. 
Pour pas mal de flamands, c’est devenu simplement “Elio”. Un Premier Ministre qui s’est un peu transformé en mascotte. Comme celles qu’on crée -à Rio, ce sera le tatou Fuleco- pour populariser un Mundial de foot.


Michel HENRION.

(1) Lire à ce propos “Un Etat, deux mémoires collectives” (Editions Mardaga)