Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

vendredi 12 octobre 2012

Ma "Carte Blanche" au "Soir": Petites et grandes tendances du cru électoral 2012

C’est de la tristitude, cette campagne communale: la pêche aux voix s’est faite désenchantée, mettant en scène des ombres politiques presque interchangeables avec leurs phrases toutes faites, ikéatées sur la sécurité ou la mobilité.
La faute aux partis, dont les slogans nationaux convenus, sans force, lissés pour le grand marais des indécis, ne sont même plus mémorisés. La faute aux listes, ou les politisés se camouflent souvent désormais derrière des appellations masquées. (“Ensemble pour le Renouveau de l’Avenir”, ce genre). La politique devrait être un grand chantier animé: on est dans l’atone, juste médiatiquement animé par la “comédie démocratique” des candidats décalés. Entendez se lâchant sur les réseaux sociaux pour y gagner un zeste de notoriété locale. Symptome accessoire non point d’une quelconque décadence,  mais d’un certaine folklore updaté et surtout d’une transition de communication ne heurtant que des modèles déjà évanouis.
C’est qu’il est, question marketing politique, un peu perdu le candidat blanchi sous le harnais communal. Son monde n’est plus du tout celui de 2006, une éternité. Coincé qu’il est entre le plafonnement de ses dépenses, le retrécissement de l’affichage, la difficulté à composer des listes plausibles tant les idéologies ne parviennent plus à recruter, les flyers parfois mal vus et à peine lus, les marchés absurdes aux meutes de candidats rivaux et des réseaux sociaux quasi imposés mais qu’il ne maîtrise pas.  Tentative de décryptage des bonus-malus de cette campagne. Avec une double ligne de force paradoxale: les multiples influences de l’internet connectif et, paradoxalement, le grand retour au plus basic un temps passé de mode: le porte à porte.

ON SE PINCE MAIS, EN 2006, LES RESEAUX SOCIAUX N’EXISTAIENT PAS

Le politique doit s’adapter à toute allure. On ne photographie pas assez que lors du précédent scrutin communal d’octobre 2006, les réseaux sociaux, entendez surtout Facebook et Twitter, n’existaient tout simplement pas. (Facebook s’est ouvert à tous en septembre 2006 et Twitter était plus que balbutiant).
Le “buzz” viral était encore dans l’éprouvette. Et l’affiche au slogan un peu snul, le propos excessif d’un candidat, tout cela existait déjà depuis longtemps mais amusait rarement plus loin que les pages locales des quotidiens. Le candidat attrape-voix existait itou: mais le commerçant populaire, l’animateur de la vie locale ou la Miss Bisou du cru ne se faisait pas encore son cinéma sur YouTube.
Et l’échevin ambitieux, faute de pouvoir être invité à la vraie télé, ne l’avait pas encore fait venir à lui en en singeant les procédés. L’imprimeur local, lui, n’était pas encore déprimé: et pouvait vendre ses imprimés au prix fort au client très occasionnel qu’est le candidat aux communales. Qui, depuis -encore et toujours le Net- a découvert les prix en chute des imprimeries en ligne. (pour un solide paquet de cinq cents affiches-vitrine (60x40 cm), le candidat n’a guère plus qu’à sortir…130€ de sa poche)
On ne gagne pas (encore) une élection communale avec ces diaboliques réseaux sociaux si peu aimés des politiques. Mais ne pas y être est désormais génant, carrément old. Si peu aimés parce qu’ils en ont peur; si peu aimés parce que mettant à mal la présomption d’incompétence de l’électeur lambda, (en quelques coups de clic, celui-ci peut désormais en savoir presque autant sur le Cwatup wallon que le notable élu…); si peu aimés parce que le connectif bouscule les lourdeurs administratives, source de multiples pouvoirs. Combien de communes poussent-elles réellement l’administration en ligne? On n’oserait se passer du site informatif mais
les e-Services, les aides au citoyen en ligne piétinent.
Le Net a donc vécu, pour ce scrutin, un usage électoral de transition, encore par trop bricolé, tantôt sous-estimé, malmené, surestimé ou mal utilisé par les “analphabètes” des réseaux sociaux. (le candidat qui croit qu’avoir mis son tract papier en ligne fait délirer les foules ou qu’un tweet posté touche illico autant de fans que Lady Gaga…)
On peut penser qu’en 2018, tous ces candidats qui savent si bien animer leur bal, distribuer des poignées de mains aux commerçants, donner des bisous aux vieilles dames dans les maisons de repos, couper plein de rubans inauguraux et autres ficelles du métier auront enfin trouvé le temps de maîtriser -surtout par eux-mêmes, avec engagement perso et affectif- les  règles et surtout l’atmosphère, atmosphère de ces formidables outils. Qui, en théorie, sont le rêve de tout politique: être en contact direct avec l’électeur, susciter des opinions directes, des débats autour de problèmes locaux…Bref, de la saine démocratie participative.
Bien plus authentique que ces fausses consultations populaires, très tendance en 2012, où l’on bidonne un questionnaire censer ”décider ensemble de notre ville”. Vieille ficelle de com’ qui postule que la réponse paraisse venir de l’électeur alors que celle-ci est déjà scellée, tantôt par l’administration, tantôt par les forces installées.



LA CREVASSE DU VIRTUEL


Slogans décalés: rien de bien neuf...
Bien sûr, la multiplication des candidats aux affiches ou vidéos décalées a parfois navré. Car, parfois, un chouia trop loin. C’est d’ailleurs pour une belle part une spécificité très belge: en clair, l’héritage de feu Michel Daerden. Une sorte d’autorisation au portnawak, à la facétie empathique, à l’humour, voire au grotesque. Avec l’espoir lotto de faire le buzz sur You Tube ou Dailymotion. Une spécificité belge électorale quasiment surréaliste: on a  aussi voté cette année en France ou aux Pays-Bas. Mais les chasseurs de tracts surréalistes n’y ont fait, comparativement, qu’une assez maigre moisson.
Mais le cortège des pleureurs , la cohorte des dinosaures grognons ne comprend guère que cette approche est souvent simplement autre que celle des générations précédentes.
La crevasse entre familiers et allergiques du virtuel est si large qu’on ne la mesure que peu.
C’est pour ça qu’il faut observer avec intérêt comment les jeunes candidats se jouent de la Toile, n’habitant plus, en fait, le même espace que d’autres candidats de la même commune. Le candidat a muté: tous ces jeunes des listes sont aussi le fruit de la culture de l’internet. Ils sont eux-mêmes, de leur génération, de celle qui rit  de Sacha Baron Cohen ou d’une parodie de rap et capte la politique d’un regard n’excluant pas le clin d’oeil.
Ce sont les enfants d’une mutation ou tout sera à réinventer, le collectif laissant la place au connectif.Ce sont ceux-là même qui, arrivés dans un conseil communal, dans un Collège, feront basculer le trop ancien monde. Un cas: à Jemeppe-sur-Sambre, c’est toujours un candidat-bourgmestre de 79 ans qui s’adjuge  l’échevinat de la “communication extérieure”, internet compris. On doute, malgré tout notre respect pour l’expérience, que ce soit lui qui pense un jour à streamer en direct les réunions du Conseil Communal, à permettre de réserver en ligne les bouquins de la Bibliothèque publique du coin, bref à accompagner le basculement du connectif.
Le seul hic, c’est que toutes ces farfeluteries ont par trop gommé l’aspect globalement positif de ces centaines de vidéos de candidats. Souvent trop longues, ou trop soporifiques, mais qui sont bien plus regardées qu’on ne le croit. Et permettent lorsqu’elles sont réussies, ça arrive,  de découvrir une personnalité et de mieux décider de son choix électoral. Un clic qui vit, c’est bien mieux qu’une affiche.

AFFICHES A PRIX CASSE, SMART HABILLEES ET MAGAZINES…

L’affiche qui, précisément, connaît une double mutation. D’abord parce que l’imprimerie en ligne a cassé les prix. Ensuite parce que la prohibition des grands formats (pas plus de 4m2) et de l’affichage sauvage, largement éradiqué, ont conduit les candidats à faire la quête aux terrains privés, aux fenêtres de sympathisants ou vitrines de commerçants, à inventer des oeuvres quasi para-artistiques. La tendance, c’est donc l’affiche ambulante. Non plus tant la remorque usée par les scrutins mais la multiplication des voitures “tunées”, habillées d’un décor électoral. (400€ HTVA pour une Smart) Phénomène d’ailleurs étrange que cette floraison soudaine soudain de Smart tunées dans nos rues. Simple: elles sont souvent louées à 550€/mois.
Mais c’est moins l’affiche qui compte que l’effet multiplicateur de  l’unité de campagne, à condition que chaque candidat décline enfin un même code graphique.
Le tract, le dépliant électoral  (dire “flyer” en 2012) souffre, lui aussi, même si c’est le seul imprimé à pouvoir franchir légalement toutes les boites aux lettres  Souvent mal lu. Souvent peu lu. Phénomène troublant: se contentant souvent de présenter les bobines des candidats assorties de quelques phrase passe-partout sur la sécurité ou la mobilité. Aussitôt lu, vous ne savez même plus de quel parti il s’agit. Pour ce qui est du programme, là on trouve l’internet très utile. On s’en débarrasse vite fait sur un site ad hoc sur lequel nul ne se précipitera.
Le réflexe n’est pas stupide: aux élections communales, on ne vote pas vraiment pour un programme. On vote souvent pour ce que l’on voit sous ses yeux. Du matériel. Du concret. Tout ce qui a un impact sur la vie quotidienne. (installations sportives, salle polyvalente, pistes cyclables, ce genre).
Autre mutation: pour rendre la prose politique moins ennuyeuse, la présenter dans un “magazine” ressemblant comme deux gouttes d’eau à ceux des librairies. Anvers en est le laboratoire avec le magazine “Patrick” (Janssens) ou le mag’ “Meyrem”(Almaci-Groen!). Ce n’est qu’un début: continuons le maga. On reverra ça souvent en 2014.

DEPENSES ELECTORALES: 2010 TOUJOURS PAS CONTROLE

La Twizzy de Destexhe: véhicule personnel ou publicitaire ?
Forcément, tout ça coûte bonbon. Et les législations successives de contrôle des dépenses électorales ont vieilli. Accrochez-vous: pour ce qui est de l’internet, la loi empoussiérée en est toujours à causer des dépenses afférentes à la création d'applications internet  (les jeunes politiques pourront updater la loi qui ne cause nullement d’apps Iphone )
Et l’on triche toujours beaucoup. Plus ou moins discrètement, plus ou moins audacieusement, les seuls ennuis des candidats ne pouvant découler que d’une plainte. Les déclarations de campagne oublieront  parfois des collections entières de timbres, feront passer au bleu nombre de banderoles, omettront le contrat de pub “au clic” sur Facebook ou qu’une Twizzy électrique -qui joue voiture purement publicitaire- devrait en fait être déclarée pour 33% de son coût.
Pourquoi se gêner ? Les procédures disciplinaires sont ici régionales, mais sait-on que le rapport commun Chambre-Sénat de la très discrète Commission de Controle des Dépenses Electorales n’a toujours pas publié son rapport sur les abus relevés lors des législatives fédérales …de juin 2010, soit plus de deux ans après le scrutin.

LE VISUEL QUI FAIT JOLI FACE A L’EFFIGIE-PROGRAMME


Il y a toujours, en 2012, ce fossé entre marketing et politique.  Qui  ne comprennent encore souvent pas grand chose l’un à l’autre. Lorsqu’on a inventé la limitation des dépenses électorales, cela postulait en quelque sorte que les partis, désormais financés par l’Etat, investiraient dès lors, à l’instar de n’importe quelle marque, dans des campagnes intermédiaires… C’est toujours aussi rare. Et c’est idiot puisque c’est quand le paysage politique est vide que les esprits peuvent être  le mieux sensibilisés. Et qu’on peut alors se permettre de dépenser moins en périodes électorales.
Cette année, du côté francophone, on s’est contenté de pré-campagnes d’image, sympathiques, faisant joli, mais ne rappelant pas instanément le parti qui casquait financièrement les affiches. C’est que le visuel, lorsqu’il est  non spécifique, (un visage, un enfant…) pose vite un problème d’identification. Le genre qui est plus un décor qu’un argumentaire.
En Flandre, la N-VA (le parti le plus riche du pays) a fait tout le contraire, affichant partout, comme un drapeau, l’effigie à l’impact certain de Bart De Wever, devenant ainsi programme à lui tout seul. Cela postule une prise de risque (Elio di Rupo, malgré sa popularité, ne s’y est jamais risqué comme Président du PS, pas plus que Didier Reynders jadis au MR) mais l’impact est certain, surtout assorti d’un slogan de type quasi présidentiel .“La force du changement”, ce n’est pas trop polémique et en tout cas, porteur d’engagement ou d’espoir. (surtout assorti d’un étonnant régime du chef de file).
Petit jeu: pouvez-vous, de mémoire, citer à l’inverse un seul des slogans “nationaux des partis francophones ?  Euh ? Ben non. Tout slogan postule une phrase simple, évocatrice, aisée à mémoriser.
La règle est simple: tout ce qui est long est rejeté. Si c’est jugé trop fort, c’est que c’est problablement un bon slogan.
Lorsque le CDH proclame, “L’humanisme au coeur des politiques locales”, lorsque Ecolo (qui tenait pourtant une très bonne accroche avec sa “société de l’épuisement”)  se rabat sur  “Avec vous pour des solutions durables”, ça ne casse pas trois pattes à un canard bio. Et ceux du PS (“Votre quotidien, notre combat” et du MR “L’avenir ça se travaille”), pour plus dynamiques qu’ils soient ne laisseront pas non plus une grande trace dans l’histoire de la com politique….

TRIPORTEUR ET MEGAPHONE, LE RETOUR
"Thé Dansant" (en Fr) pour la N-VA


Dans ce fouillis de l’évolution électorale- dont le but est toujours le même, occuper l’espace -, se dégagent en fait deux tendances : le basculement vers un monde plus connectif  et le retour à la proximité physique.
A pied, à vélo, en triporteur, le porte à porte s’impose , dans l’arsenal de campagne, comme l’arme électorale-très physique- à nouveau la plus efficace. Oh, ici comme souvent, le candidat se berce parfois d’illusions: le rapport direct ne conduit pas forcément à voter pour le candidat qui va à la rencontre.
En Wallonie, le PS a déjà maintes fois tiré profit de la technique du porte à porte. A Woluwé St Lambert, on a vu Olivier Maingain recourir au déconcertant mégaphone, mais si utile dans un contexte très urbain ou les relations interpersonnelles sont quasi inexistantes entre candidats et habitants. En Flandre, la N-VA, qui s’appuie sur tout le militantisme de la défunte Volksunie, ne jure que par la proximité. Depuis des mois, cela sature d’apéritifs, de dîners spaghetti, de barbecues, de Vlaamsebieravond ou de soirées Lotto, voire (en français) de “Thé Dansant”… Proximité et militantisme, mots-clé.
En Flandre, tous les partis ont ressuscité le porte à porte.  Un art délicat qui a ses règles (outre celle d’éviter les morsures de chiens): entre 17H30 et 19H30, avant les séries télé,  entretien entre 30” et 3’ maxi dans un échange très cadré. Si on est bourgmestre, on pacifie, on note les micro-décisions à prendre,  on met son statut en avant, comme un sésame. Si on est de l’opposition, on mobilise, on disqualifie l’adversaire, on tente de générer de l’engagement.
Bref, dans les deux cas, essayer par la discussion de rationaliser l’imprévisibilité du suffrage universel.
Ainsi évolue, en ce cru 2012, la com’ électorale à la belge: on cliquera de plus en plus sur des claviers pour faire campagne et on appuiera de plus en plus à la sonnette de chaque électeur.

Michel HENRION
La "Maison Meunier", limite oeuvre d'art (Mons)