Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

lundi 10 août 2015

Vers la naissance d’un parti musulman modéré? (MBelgique Hebdo 03/07/15)

Les 18.536 voix d'Emir Kir:pas que du vote ethnique
La phrase est péremptoire. « Vous verrez, nous prédit ce fin connaisseur de la diversité, c’est pour moi une quasi certitude: on va assister un de ces jours à la naissance, à Bruxelles, d’un parti musulman modéré ». Relisez le dernier mot, il est important: « modéré ». Car ceux qui y pensent plus qu’en se rasant le matin sont, cette fois, tout sauf des fous d’un Dieu. Juste des  musulmans  qui entendent affirmer une volonté de se débarrasser  d’une image d’ « assistés », ou qui n’en peuvent plus d’un climat difficile, à leurs yeux souvent fait d’hostilité ouverte. Et ce ne sont pas les derniers événements tragiques de Tunisie qui vont rasséréner un climat  ou l’on assimile en permanence l’Islam au terrorisme d’une frange du monde musulman: les salafistes djihadistes.
Résultat: un climat lourdingue, un contexte ou le fossé entre belges et nouveaux belges se creuse sur fond de xénophobie. Sans parler des discriminations à l’embauche, du chômage massif ou-simplement- du respect de ces communautés, ce qui est pour le moins différent du communautarisme.
D’ou le ralbol d’un certain nombre de musulmans issus souvent du petit monde associatif musulman ou de milieux  très dynamiques. On retrouve, par exemple ( à titre individuel), parmi ceux-ci des plus ou moins actifs ou proches de l’Association Belge des Professionnels Musulmans, qui se consacre « au développement de l’esprit d’entreprise et à une meilleure accessibilité à l’emploi pour les populations issues de la diversité. » Une association  connue pour la vulgarisation, auprès de nos politiques, de la « Finance Islamique » ou par sa journée Déclic, initiative née du constat de l’important taux d’échec des jeunes issus des quartiers populaires.
On en retrouve d’autres au sein de l’influent réseau Emrid, » pour qui la religion musulmane représente une thématique contemporaine majeure qui nécessite l’apport urgent de clés de compréhension ». Bref, plutôt du lobby parfois haut de gamme.
On en retrouve encore d’autres dans certains partis ou mouvements politiques, parfois mal  à l’aise en interne.
C’est clairement le cas au cdh ou Benoît Lutgen
En tout cas, rien à voir avec le mini-parti fondamentaliste Islam, dont la disparition ne peinerait d’évidence pas nombre de ces musulmans plutôt modernes.

Le parti Islam: un coup de main à la peur…


Toujours prêter garde aux chiffres électoraux: spectaculairement apparu aux élections communales de 2012 (un élu à Anderlecht, l’autre à Molenbeek), un sondage de mars 2015 accordait toujours et encore 3,1% des intentions de vote dans les 19 communes à la formation Islam de Redouane Ahrouch, l’homme qui ne serre pas la main aux femmes. (et ne présentait aux dernières communales que des listes d’un seul candidat, histoire d’échapper à la mixité légale imposée dès la deuxième place sur une liste électorale).
Davantage d’intentions de vote pour Islam que pour le Parti Populaire de Modrikammen et ce malgré d’incroyables casseroles, la plus rocambolesque étant d’évidence le très momentané ralliement en 2013 de l’ineffable Laurent Louis (désormais inéligible pendant six ans), celui-ci s’emparant même de la Présidence en excluant le chiite Ahrouch dans un pittoresque putsch-vaudeville des Mille et une Nuits.
Si, à Molenbeek, Lhoucine Aït Jeddig (élu avec 4,12% des voix en 2012) « ne dit pas, dit-on, que des conneries », son rôle reste extrêmement confidentiel tout comme celui de l’autre conseiller communal élu à Anderlecht qui, lui, est carrément quasi muet, Redouane Ahrouch  (4,13% des voix en 2012) « préférant travailler sur le terrain ». Et tenter d’y propager son programme ubuesque faisant de la Belgique un Etat islamique sous la loi de la Charia, avec rétablissement parallèle de la peine de mort et évidemment pénalisation de tout avortement.
Bref, de quoi donner un petit coup de main politique à tous ceux qui surfent précisément sur la peur de l’Islam, cette religion dont l’on fait ce que l’on veut…
Parfois, ce sont des bourgmestres eux-mêmes qui contribuent, peut-être à l’insu de leur plein gré, à la montée d’un climat détestable.  Ainsi, a-t-on vu, il y a peu, le bourgmestre cdh de Berchem St Agathe, Joël Riguelle - connu pour n’être pas précisément, disons, le plus ouvert à l’Islam- prendre bizarrement l’initiative, qui se voulait aimable, de faire barrer par la police une petite rue de sa commune. Histoire de permettre aux musulmans, victimes de la petitesse d’une mosquée en début de Ramadan, d’y prier en pleine rue. Conséquence: la vidéo de la pratique donna lieu à un buzz souvent xénophobe. Alors que la plus élémentaire logique eût été, face à cette situation, que le bourgmestre prête un local communal suffisamment grand pour permettre  la pratique religieuse.
«  Il faudrait d’abord commencer par construire de vraies mosquées pour les musulmans qui sont des citoyens comme les autres. Ils ne peuvent plus se satisfaire de prier dans des garages, des caves, des maisons aménagées. Il ne faut pas déranger les non-musulmans, avec ces pratiques. Par contre, si l’État ne fait toujours rien, cela risque de se reproduire » a commenté Noureddine Smaili, président de l’Exécutif des Musulmans de Belgique


Le kaléidoscope musulman


La réalité est qu’on vit, à Bruxelles, avec un kaléidoscope musulman.
« Quand vous parlez avec des électeurs issus de l’immigration, ils ont quasi exactement les mêmes préoccupations que les belges de souche » relève cet élu molenbeekois. « Le vote communautaire, du moins chez les belges d’origine marocaine, n’existe quasi plus: c’est fini le temps ou il suffisait de paraître: en période électorale, c’est un examen à chaque coin de rue, avec des sujets comme l’emploi, la discrimination à l’embauche d’abord. D’ailleurs, tous ceux qui tiennent ou ont tenu des discours très communautaires en prennent  désormais un coup ».
Si la communauté turque continue, elle, à voter davantage massivement, cela mérite aussi plus qu‘une  nuance:les 18.536 voix en 2014 du bourgmestre de St Josse Emir Kir ne sont pas que du vote ethnique.

Le fossé est clair: il y a toujours une difficulté, en Belgique et à Bruxelles plus particulièrement, d’accepter la diversité, et cela vaut aussi bien évidemment pour les belges d’origine congolaise.
Et l’arrivée rue de la Loi de la N-VA n’a pas aidé. « On a beau leur mettre sous les yeux tous les rapports  officiels positifs sur l’immigration, les nationalistes n’en tiennent aucun compte et entretiennent un climat négatif» s’exclame un parlementaire PS.
Un député Ecolo remarque quant à lui: « Avez-vous fait déjà vraiment attention à la représentation du MR à la Chambre? Pas un seul élu issu de l’immigration!  Je n’aime pas cette expression, mais que des « blancs «  ! Et l’on s’étonne que certains se sentent peu ou mal représentés? »

L’optique psy

Mais, question partis, c’est au CDH que la situation est la plus agitée depuis l’affaire Mahinur Ozdemir -jadis sponsorisée par Joelle Milquet- et son exclusion illico presto du parti par Benoît Lutgen dans le dossier du génocide arménien, devenu, mine de rien, bien plus enjeu politique que débat de fond.
Benoît Lutgen, pour avoir calculé ses risques comme président de parti, n’en a pas moins pris d’autres. Notamment le fait que la parlementaire bruxelloise Mahinur Ozdemir devienne une « martyre » (on ne s’en fait pas trop pour elle: d’ici 2019, la Turquie d’Erdogan pourra lui offrir bien des reconversions)
Notamment le fait que, à tort où à raison, la population bruxelloise d’origine turque se sent pour l’heure quelque peu stigmatisée.  «  C’est l’aspect du dossier que nul n’évoque jamais, constate ce connaisseur de la diversité. Mine de rien, des politiques belges précisent bien aux belgo-turcs de Belgique qu’ils n’ont rien à voir avec le génocide d’antan ;mais en oubliant qu’ils descendent de leurs aïeuls. Qu’il y a toujours une mémoire familiale. Bref, qu’on leur demande de considérer leurs aïeuls comme des génocidaires, une dimension psychologique que d’autres pays ont mieux comprise et gérée ». C’est en tout cas une difficulté de plus pour le « vivre ensemble » et pour certains élus.
Le cdh Ahmed El Khanouss, à Molenbeek, pour avoir tenté le grand écart ("Que le massacre des Arméniens doive être ou non appelé un génocide ? Je m’en fous ! Si on me dit de dire que c’est un génocide, je le dirai, je n’ai aucun problème avec cela! »)  et publié une page internet enflammée à la gloire de la Turquie d’Erdogan, s’est ainsi d’évidence « carbonisé » auprès du cdh. Et ses dons au karaté (il fut champion de Belgique) n’y changeront rien: la ligne Lutgen, qui entend faire s’évanouir la fracture entre le profil électoral wallon, plus centre-droit,et le profil bruxellois, plus immigré, du cdh (qui pénaliserait les sociaux-chrétiens wallons), l’a mis au tapis.
Rien d’étonnant donc si, dans tout le petit monde associatif musulman, nombreux sont ceux qui le verraient bien lancer l’aventure d’un nouveau parti musulman modéré.

La stratégie de Lutgen, le déclin de Milquet

Ce n’est pas vraiment par hasard si  le dénommé Ahmed El Khanouss a réuni autour de lui il y a peu le ban et l’arrière-ban des musulmans cdh de la Région bruxelloise. Inquiets par ailleurs du déclin de la « ligne Milquet », lequel ferait s’évanouir l’électorat musulman du cdh.  De quoi faire penser que l’éventuel parti des musulmans modérés pourrait  bien d’abord se constituer autour des musulmans  issus du cdh. Et parfois plus conservateurs (notamment par leur homophobie).
« Ne vous y trompez pas, confie-t-on pour conclure, avec ou sans lui, il ne faudrait pas beaucoup d’élus ou de personnalités connues pour y arriver « .
Le risque est qu’un tel parti , s’il fédérait des musulmans d’origines diverses, pourrait brasser large à l’échelle régionale et entérinerait le communautarisme  (« Je vote musulman »)
Le chant des sirènes, c’est vieux comme le monde: et souvent, ça fonctionne.

Michel HENRION



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