Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

vendredi 27 novembre 2015

La Wallonie mise en pénitence: la puissance de la Flandre au fédéral lourde de conséquences (MBelgique Hebdo du 30/10/2015)

En Flandre, les paris sur le futur sont de plus en plus clairs: le patronat flamand, entendez le puissant VOKA (qui représente 17.000 entreprises du Nord) rêve déjà bel et bien de ce qu’il veut après 2019.
A savoir cinq années de plus de centre-droit fédéral. Bref, un « Michel 2 ». Un seul hic: il faudra pour cela que l’aile libérale et la moins confédéraliste de la N-VA (Siegfried Bracke, le ministre des Finances Johan Van Overtveldt, des parlementaires comme Zuhal Demir…) réussisse à convaincre les nationalistes purs et durs du parti d’encore mettre cinq années de plus leur romantisme indépendantiste au vestiaire.
Ils auront en tout cas pour cela un argument fort: à savoir que la 7ème réforme de l’Etat (l’encre de la 6ème étant à peine sèche) est, mine de rien, bel et bien en train de se réaliser très concrètement par les décisions socio-économiques de la #Suédoise.
C’est le grand paradoxe: les régions, les entités fédérées, n’ont jamais reçu autant de compétences. Mais, bizarrement, pour ce qui est de la Wallonie, c’est comme si elle n’existait pas davantage.
Explication: le fédéral conserve, par ces leviers très forts que sont la fiscalité, la taxation, le pouvoir sur les cotisations sociales, ce pouvoir essentiel d’orienter les choses. Ce qui est bien plus influent que de juste subventionner.
Et, dans cette #Suédoise si particulière, avec le MR comme seul parti francophone, les rapports de force sont sans cesse à rappeler: sur les 87 députés qui soutiennent l’actuel gouvernement, 65 sont des flamands. Et le reste, du côté francophone, représente seulement 31,74% des élus de la Wallonie et de Bruxelles.

Au profit du Nord

« Toutes les politiques menées depuis un an, qu’il s’agisse des pensions, de la flexibilité, des cotisations sociales, des intérêts notionnels, etc… sont en fait d’abord menées en faveur des entreprises flamandes » s’exclamait ainsi l’autre jour un syndicaliste wallon de premier plan.
Pour nombre d’observateurs wallons, la puissance de la N-VA et de la Flandre au niveau fédéral développe en réalité une stratégie lourde de conséquences pour l’avenir de la Wallonie.
Comme si d’aucuns entendaient quasi organiser l’appauvrissement de la Wallonie au profit de la Flandre et un peu plus particulièrement d’Anvers.
Le N-VA Hendrik Vuye a mis les pieds dans le plat il y a peu: «On assiste à une flamandisation du niveau belge. On lui impose la politique N-VA et des autres partis flamands »
Conséquence: le fédéral met la Wallonie en pénitence.
La grande opinion publique francophone et wallonne ne prend généralement conscience de ce « confédéralisme larvé » qu’à l’occasion de dossiers très médiatisés.
Ainsi l’injustifiée  suppression-suspension du Thalys wallon a-t-elle frappé les esprits en Wallonie, tout comme l’achèvement du RER wallon, sans cesse reporté (alors que le projet du RER d’Anvers avance à toute vibrure). 
On méconnaît d’ailleurs trop l’importance des chemins de fer comme enjeu économique essentiel: et on en arrive, avec le poids du Nord à la SNCB, à des situations aberrantes. Comme ces wagons de transport de marchandises qui, pour passer d’Allemagne au Luxembourg, font un détour par …Anvers. Ou leur valeur ajoutée sera donc dûment intégrée dans le Produit Intérieur Brut régional flamand.
Et ce n’est pas un détail pour la Wallonie lorsque la ministre Galant octroie (déjà jusque fin septembre) les droits de trafic que demandait depuis belle lurette le lobby de l’aéroport de Zaventem. Pour qu’Ethiopian Airlines transporte du fret cargo vers Dubaï, Hong Kong et Shanghaï et concurrence ainsi durement l’aéroport  wallon de Liège- Bierset.Trois destinations, comme par hasard, déjà desservies par TNT, avec emplois wallons à la clé.
Rien d’étonnant: la formidable réussite des aéroports wallons ne cesse d’enrager certains milieux économiques flamands. Tout comme celle du parc Pairi Daiza d’Eric Domb: la polémique sur les Pandas, lancée par un Zoo d’Anvers jaloux et subsidié à tout va par la Flandre, l’a spectaculairement montrée.
Ces jours-ci, l’actualité zoologique a d’ailleurs mis en avant un autre phénomène: où sont diable passés les investisseurs privés wallons? Désormais, ce sont des flamands comme le milliardaire Marc Coucke qui placent leurs billes en Wallonie.
En fait, les patrons du Nord, si serrés dans une Flandre saturée et manquant d’espace, virent migrants économiques en Wallonie, notamment dans le secteur de la logistique.
 Le monde francophone de la finance a désinvesti de Wallonie mais  c’est un patronat flamand très concret qui prend sa place.
 Dans la même veine, quel est le poids d’influence du patronat wallon?
Heureusement que la Wallonie peut compter, pour son actuel redressement,  sur toutes les PME qui se développent au Luxembourg, en Hainaut Occidental et en Brabant Wallon et qui combleront le déclin des grands bassins industriels.
Mais que pèse l’Union Wallonne des Entreprises au niveau fédéral? Un exemple: l’actualité sociale agitée de ces derniers mois a remis au premier plan ce haut lieu de la concertation sociale qu’est le « Groupe des Dix » (là ou patronat, classes moyennes et syndicats s’efforcent de se concerter). L’Union wallonne des Entreprises n’y siège pas, tandis que le puissant Voka y pèse indirectement de tout son poids via les structures internes de la FEB…


Aucun parti fédéral n’est au gouvernement wallon

Le fédéral met la Wallonie en pénitence, disions-nous.  En fait, le phénomène politique est que les  décisions de la #Suédoise ont des effets budgétaires lourds pour les Régions, notamment en Wallonie. On l’a vu d’abord avec l’application à rebondissements (les chiffres étaient finalement erronés) de la loi de financement. Pour quelque 30% des ressources, le niveau fédéral disait cavalièrement au gouvernement wallon : “ Voilà, c’est comme ça.  Et ne comptez pas sur moi pour vous expliquer comment j’arrive à ce résultat.”. On le voit à nouveau ces temps-ci avec le taxshift.
D’après les experts du Conseil de la fiscalité et des Finances de Wallonie, le taxshift du Fédéral va coûter un peu plus de 300 millions à la Wallonie..Autant de chausse-trappes -de « coups vaches « disent certains-  largement inspirés par la conjonction de la présence de nationalistes flamands « n’oeuvrant pas pour tout le pays » (dixit Siegfried Bracke) et d’une singularité politique. A savoir qu’aucun parti du gouvernement fédéral  n’est présent à la Région Wallonne où à la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Résultat: le Gouvernement wallon, dès qu’on joue aux montagnes russes avec ses budgets et ses besoins, n’a d’autre choix que de gémir ou hurler.
Deux attitudes généralement peu appréciées des électeurs qui n’aiment ni les déclarations agressives ni les propos plaintifs. C’est tout le danger du Calimeurisme.

Coucou, voici les néo-régionalistes!

Un autre élément du climat est assurément le choix politique de la majorité PS-CDH de se doter à nouveau de deux ministres-présidents: l’un pour la Région Wallonne (Magnette), l’autre pour la Fédération Wallonie-Bruxelles (Demotte) et de moins de ministres à forte « double casquette ».
Si l’avantage pour la Communauté française est de s’être réaffirmée au plan international, pour la Wallonie c’est assurément une perte: moins de surface d’action et de communication.
Par ailleurs, Paul Magnette, le ministre-président wallon, dépense beaucoup de son énergie au redressement de Charleroi, faisant le pari, pas toujours si évident, que la perception du changement sera positive pour toute l’image wallonne . Il en va de même pour le N°2,  le CDH, Maxime Prevot, qui, à son tour, s’occupe énormément de Namur. Des attitudes qui comportent
un risque de sous-localisme, ce mal wallon. C’est un peu chacun dans son coin: dans sa région, dans ses compétences. Ce qui ramène à une interrogation persistante: puisqu’il n’y a aucune élection s’appliquant à tout l’espace wallon, ne faut-il pas relancer la réflexion d’un quota de parlementaires namurois élus par l’ensemble de l’espace wallon?
Autant d’éléments qui expliquent sans doute la résurrection du régionalisme wallon, tant au MR (pourtant plutôt communautariste) qu’au PS (où le combat wallon, pas vraiment la tasse de thé de Di Rupo, demeure très présent dans les esprits). Objectif à tout le moins commun: simplifier les structures de la Wallonie, la rendre plus »lisible » pour l’électeur. Avec cependant une forte différence: la proposition des PS Nicolas Martin, P-Y Dermagne et Christophe Collignon est pragmatique, réalisable par un débat et un accord entre bruxellois et wallons en se passant de tout aval du Nord. Au MR, celle de P-Y Jeholet et J-L Crucke postule une septième réforme de l’Etat, ce qui aguiche fort la N-VA.
Une certitude: les futurs députés wallons (et bruxellois), forts des énormes compétences reçues (bonus-logement, titres-services, allocations familiales…) seront de plus en plus régionalistes. C’est un paradoxe: le progressif transfert de compétences a sans doute fait diminuer le combat wallon mais les régions s’imposent plus que jamais comme la réalité de référence.

Michel HENRION




José FONTAINE: « C’est curieux: le Premier Ministre a fait la rentrée des classes alors
qu'il n’a plus aucune compétence d’enseignement »



Philosophe, républicain, co-fondateur de la revue Toudi*,  José Fontaine est  uniment considéré comme un des meilleurs connaisseurs du Mouvement Wallon. Pour M…Belgique, il analyse quelques contradictions politiques du moment.

-Vous pointez des contradictions de niveaux de pouvoir chez les ministres fédéraux?

-Oui, c’est bizarre. Récemment, ce gouvernement fédéral a fait parader à Libramont un ministre fédéral de l’agriculture -par ailleurs wallon- qui n’a quasiment plus aucune compétence en agriculture mais qui tenait à être là « symboliquement »? Pas vraiment pour faire comprendre comment ce pays fonctionne… 
De même, le Premier ministre -par ailleurs wallon lui aussi- a tenu à être présent dans des écoles lors de la rentrée des classes en Wallonie… alors que son gouvernement n’a aucune compétence en matière d’enseignement! Et pour y déclarer que le fait d’avoir trois langues nationales en Belgique était un atout. C’est sans doute un symbole, pas -du moins automatiquement- un atout. Car un gouvernement fédéral où la Wallonie est mal représentée, où la Flandre est dominante, ce n’est pas que symbolique. Ce n’est pas un atout mais un handicap grave. 

-Vous relevez que la pauvreté en Wallonie émeut moins que les questions linguistiques?


-Pour tout observateur politique lucide, la situation minoritaire de la Wallonie est un handicap évident pour les Wallons, mais peut-être pas pour la paix belge. Le professeur Michel Quévit a pointé  une série d’effets indésirables de ce rapport de force dans la réalité économique (subsides européens pour le développement des régions, aides aux entreprises, restructuration des banques etc.), qui ont gravement déséquilibré pour longtemps la Belgique en défaveur de la Wallonie.
Or, on se rend compte que pas mal de ces déséquilibres n’ont pas toujours troublé profondément les rapports entre Flamands et Wallons, sans doute parce que ces questions-là, moins sensibles, moins lisibles——moins lisibles directement—, sont moins de nature à susciter les querelles. 
On ne sait d’habitude pas qu’il y a deux fois plus de pauvres et de chômeurs en Wallonie qu’en Flandre. Ou, du moins, cela émeut moins facilement, moins directement que les questions purement linguistiques. Si l’on peut rendre l’usage d’une langue obligatoire (les trois langues nationales sont mises à égalité, égalité qui n’est pas que symbolique, et dont toute violation est directement sanctionnée), il est impossible de prescrire une telle égalité en matière de taux de chômage ou de seuil de pauvreté. Mais il est tout aussi évident que c’est bien la minorisation de la Wallonie —comme dans le gouvernement actuel—qui explique ces déséquilibres.
Quant au raisonnement implicite de tous les responsables belges de tendance unitariste se réjouissant du fait « que sous ce gouvernement il n’y ait pas d’affrontements communautaires »  il faut les interroger. Croient-ils réellement que c’est en écartant du pouvoir fédéral la majorité des représentants de la Région du pays (la Wallonie) où il y a le plus de chômage, où la pauvreté est la plus criante (ainsi qu’à Bruxelles), que l’on se donne le plus de chances de surmonter ces disparités ?

-Pour vous, la Flandre ne cesse de peser plus lourd dans l’Etat belge?


-Le gouvernement Michel est plus à droite que le précédent présidé par Elio Di Rupo. Celui-ci avait pourtant mené une politique socialement dure parce que son gouvernement -intégrant trois partis flamands représentant un peu moins de 50 % des voix en Flandre- devait donner des gages à ces trois partis politiques face à la NVA, parti politique déjà le plus important en Flandre.
La Wallonie était très bien représentée, mais cela n’empêchait pas la Flandre d’y peser déjà de tout son poids.Dans le gouvernement actuel, la Flandre est encore plus forte. On peut dire que les partis flamands qui soutiennent la coalition représentent  2/3 des voix flamandes. Au contraire, le MR, le seul parti wallon et francophone de la coalition, ne représente même pas un tiers des voix wallonnes, mais à peine plus d’un quart (27%). Beaucoup se réjouissent de voir le PS écarté du pouvoir fédéral. Comme si sa seule présence pesait plus que tout, ce qui doit être, on l’a vu, fortement relativisé. En outre, ce n’est pas seulement le PS qui est mis à l’écart mais tous les autres partis wallons et francophones.

-Vous épinglez aussi que le Premier Ministre est désormais « sexué linguistiquement …

-Pour pallier la minorisation de la Wallonie, tout gouvernement fédéral doit être paritaire, mais, ajoutent les textes, « le premier ministre éventuellement excepté ».  Il en a toujours été ainsi y compris sous la présidence de Di Rupo, mais c’est la première fois que la possibilité du «  Premier Ministre éventuellement excepté », n’est pas appliquée, que Charles Michel est compté comme francophone,  et cela alors que l’aile wallonne et francophone du gouvernement est déjà pourtant très faible.  Un observateur comme Dave Sinardet, à qui on faisait remarquer que la Wallonie et la Belgique francophone étaient peu représentées dans le gouvernement, ce qui affaiblissait le MR, répondit que « c’était là la règle du jeu démocratique » On le sait très partisan d’une « circonscription nationale » permettant que des électeurs wallons et francophones puissent élire éventuellement des députés fédéraux flamands, la même chose étant possible dans le sens inverse (des Flamands pouvant élire des Wallons). Tout cela dans l’idée que des députés fédéraux élus tant par des voix en Wallonie qu’en Flandre, seraient mieux disposés à soutenir des solutions de compromis.  Or on ne l’entend plus guère aujourd’hui sur ce thème. Est-ce parce que seul le conflit ouvert l’importune et non le déséquilibre « objectif » entre Flandre et Wallonie dans le rapport de force ? Ce rapport de force devenant à ses yeux légitime puisque respectant le jeu démocratique?

    *    Sur le Net:  http://www.larevuetoudi.org/
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(propos recueillis par Michel HENRION)