Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

lundi 17 février 2014

Derrière le “V” viral de la N-VA, la construction d’un nationalisme 2.0 (chronique parue dans Marianne Belgique du 8/2/14)

 

 On a tout dit du méga-show de la N-VA, sauf, curieusement, l’essentiel.  A savoir qu’elle entend -bien avant tout autre enjeu électoral ou de pouvoir- imposer définitivement dans les esprits une nouvelle vision, une toute autre image du “nationalisme flamand”.  Car le discours le plus important,  mine de rien, ne fut pas celui de Bart De Wever, mais bien celui de Peter De Roover, futur député et âme du Vlaamse Volksbeweging, évoquant une société flamande “ouverte, chaleureuse, ou tout le monde pouvait trouver sa place”.
C’était ça, le vrai but subliminal: infiltrer dans les esprits une toute autre image du nationalisme flamand, avec pour signe de ralliement le fameux “feel good” “V” de Winston Churchill (ou des Spice Girls), un fort geste de ralliement mental et viral qui dépasse de très loin l’enjeu du 25 mai.
Jusqu’il y a peu, le mot “nationaliste” portait automatiquement une connotation négative, évoquant tantôt les joyeusetés du TAK ou les attitudes d’extrème-droite des xénophobes du Vlaams Belang.
Ce que de Wever veut- habilement conseillé par des communicateurs très pro- c’est que, peu à peu, lorsqu’on utilisera l’expression “nationaliste flamand”,  c’est  que ce soit cette nouvelle perception “inclusive et ouverte”, moins ethnique, qui saute désormais à l’esprit de l’homme de la rue. Cassant accessoirement, par sa référence d’historien roué à Martin Luther, l’image d’une Flandre qui serait nécessairement catholique. On démode la célèbre abréviation AVV-VVK (“Tout pour la Flandre, la Flandre pour le Christ“) slogan célèbre du vieux mouvement flamand d’antan. Habile: pan dans les dents du CD&V et des syndicats chrétiens qui ont par trop vénéré  les dieux d’argent de Dexia -Arco.
De Wever sait pertinemment que la vie politique n’est pas un long Escaut tranquille. Et que rien n’exclut, en cas de revers électoral, que son parti soit viré, un jour prochain ou lointain, du pouvoir en Flandre. Donc, l’objectif est de long terme:  ancrer plus que jamais la N-VA sur l’échiquier flamand. Avec un noyau stable et suffisamment solide: pour qu’importent moins les conjonctures politiques .
Et, surtout, influencer:  il ne faut pas être fortiche en politique pour relever que le Mouvement flamand  ne connaît pas la notion d’armistice. A-t-on assez photographié que c’est la N-VA qui, même si elle quitta la table, a marqué de toute son empreinte une large part de la 6ème réforme de l’Etat finalisée par Di Rupo?
En Flandre, on évoque souvent la notion de “grondstroom”,  entendez les “forces souterraines” du peuple flamand.  Ce sont ces forces-là que Guy Verhofstadt, à l’époque bien plus à droite que De Wever (on l’appelait  “Baby Thatcher”) avait un temps réussi à capter  par ses divers “Burger Manifesten”, sa vision d’une société colorée au libéralisme mais ouverte à tous, bien au delà d’un simple programme. Le congrès triomphal de l’Open VLD de l’époque, qui proposait un projet qui lui valut  jusqu’à 28% aux élections, n’est pas sans rappeler l’enthousiasme de celui de la N-VA. Hormis les avancées éthiques, on sait ce qu’il en est advenu: chouchou immortel des francophones, Verhofstadt  a déçu, voire “trahi” en Flandre, son parti chutant à moins de 12% en 2007.
De Wever ne fait pas grand chose par hasard: et si Frits Bolkenstein fut l’invité du #vvvcongres, c’est parce que ce libéral hollandais personnifie tout ce que Verhofstadt aurait pu être aujourd’hui: un libéral qui n’a pas troqué ses convictions contre pouvoir et marketing.
Tel est le message: regardez, c’est nous, la N-VA, qui captons désormais le grondstroom de la Flandre. Et c’est notre vision libérale qui dominera la société flamande pour longtemps. Message à Gwendolyn Rutten et Charles Michel: “Non, libéralisme et nationalisme, ce n’est pas incompatible”.
Bart De Wever entend écrire une page historique pour la Flandre. Et c’est tout sauf un hasard si l’après-midi de chaque élection, il s’en va discrètement se recueillir sur la tombe de son père. Mais ce 25 mai, ce sera avec l’atout viral d’un nationalisme 2.0 en poche.

Michel HENRION.


lundi 10 février 2014

LA N-VA EST-ELLE VRAIMENT SI MECHANTE? (analyse parue dans Marianne Belgique du 19/1/14)

 A force de la diaboliser, la com’ des partis a souvent obscurci réflexion et nuances…

Dans le monde merveilleux des vendeurs de consommation politique, une interrogation commence à percer: quel discours tenir, quelle attitude adopter si -damned!–au soir du 25 mai, les forces profondes du  “grondstroom” faisaient que la N-VA décroche un niveau qui la rendrait soit incontournable, soit très séductrice pour une coalition alternative? Et, versus francophone, d’aucuns pourront se poser une autre fichue bonne question: à force de sataniser la N-VA pour l’affaiblir, ne l’a-t-on pas finalement, retour de manivelle, plutôt vitaminée?

C’est que l’arme de la diabolisation, efficace dans tous les camps idéologiques et de toutes les époques, a un sérieux défaut: on ne sait plus, un moment, comment s’en dépêtrer. Comment se reparler, comment aller encore déjeûner en catimini chez Bruneau (pour le MR) ou chez Di Roberto (pour Di Rupo) sans risquer d’office le scandale? Bref, ça réduit la pensée. Ca obscurcit le jugement. Ca nie le libre-examen et la réflexion. C’est de la com’ politique simpliste et expéditive: “avec nous ou contre nous”. Olé. Résultat: pour nombre de francophones lambda, la N-VA, c’est juste méchant, vilain, pas beau et même que c’est petit (on a généralement zappé les 28,2% qui en font, jusqu’au 25 mai, le premier parti de Flandre et même du pays). Que c’est conservatisme avéré, même si ladite N-VA vote l’éthique élargissement de l’ euthanasie aux mineurs, à l’opposé du CD&V et du Belang.

On est dans ce que Jerôme Janin (ULg) qualifie de “pensée primitive”, celle qui escamote la complexité des individus et des groupes, celui des cadres de la N-VA étant, de fait, particulièrement clivant. On balaie la complexité du paysage flamand, ses rivalités partisanes internes qui expliquent bien des jeux. On ignore les ressorts du mouvement flamand, toujours si mystérieux pour les francophones; et qui ont du mal à capter que, pour ce qui est de l’autonomie de la Flandre, il existe une certaine “Forza Flandria”.. Jusqu’à irriter ceux qui, en Flandre, n’ont nulle sympathie pour Bart De Wever et son idéologie, mais restent souvent perplexes, voire pantois face à la charge émotionnelle qui imprègne si souvent les visions convenues, sinon manichéennes, des wallons ou des bruxellois. Tentative, forcément controversée, d’une autre vision de quelques préjugés francophones les plus expéditifs.

Bart De Wever=Front National? Il n’est pas un jour qui ne se déroule sur Facebook sans que la photo d’archives (De Wever avait 26 ans) ne fantomasse, comme un argument définitif d’une ligne politique tenant de la “bête immonde”. (1) C’est en tout cas une vision avec la France comme GPS idéologique. Or, la N-VA n’est pas le FN français: ce n’est pas un parti d’extrême-droite, il est pro-européen, pas une ligne un poil xénophobe dans son programme. (L’intégration des immigrés, c’est même sa particularité dans le populisme européen.)

C’est plutôt vers la Grande-Bretagne des Tories qu’il faut se tourner pour comprendre De Wever. Qui s’inspire tout à la fois de Boris Johnson -le très médiagénique maire de Londres passionné itou de Rome Antique- et de David Cameron, le très conservateur Premier Ministre britannique. Les parallélismes des éléments de langage sont saisissants: même discours brut de pomme sur la régulation de l’immigration, même mots sur les “wars on terror” (récemment, à VTM, le danger du terrorisme salafiste), même rejet de la dépénalisation des drogues douces, même adoration pour les caméras de surveillance (Londres en est saturée), même volonté de combattre la pornographie, jusqu’à vouloir filtrer et firewaller le Net. Même tonalité directe et anti-socialiste. Et, sur fond de confédéralisme, européen ou belge, même parfum de patriotisme. De Wever, c’est clair, aimerait tant parler de la Flandre comme Cameron de la Grande-Bretagne.

La N-VA, parti néo-libéral? Même s’il racole les électeurs de l’OpenVLD, De Wever veille à se distancier: ne pas être perçu comme néo-libéral, ni comme le parti automatique des patrons flamands. “Foutaises”, a –t-il encore soigneusement lancé à ses voeux 2014. Si, pour Gwendolyn Rutten, c’est un atout, ça vire au handicap pour la N-VA qui se veut un grand “volkspartij”, proche aussi de l’homme de la rue. Si sur papier, libéraux et nationalistes c’est souvent kif (moins de pression fiscale) leur point idéologique diverge: les libéraux font primer l’individu, ou la compétitivité; la N-VA fait ça pour le “peuple de Flandre”, la “société flamande”.

Et le francophone méconnaît souvent que la N-VA, à ses yeux composée d’invertébrés du crâne, est au pouvoir en Région flamande, avec des ministres siégeant bel et bien aux côtés de socialistes flamands et de sociaux-chrétiens. Bilan bof, l’équipe Peeters n’étant perçue ni vraiment au centre-droit, ni comme hyper-efficace. Le politologue Dave Sinardet a dit, non sans raison “qu’il n’y avait rien de plus belge que le Gouvernement flamand”.

Car, ici aussi, la N-VA participe pleinement aux jeux bien de chez nous des nominations politiques, dans les intercommunales ou autres bidules incertains (la nouvelle Vlaamse Energiemaatschappij). Distingo: à ou l’OpenVLD se veut théoriquement anti-Etatiste, la N-VA se profile plutôt comme un parti étatiste flamand.

Le terrrrible danger nationaliste? Pour les politiques les plus éveillés, le vrai danger N-VA, c’est plutôt son programme économique et social. Un Moureaux et un Maingain s’accordent sur ce point: la N-VA rompt avec le pacte social qui fonde la solidarité en Europe.  

N’est-ce pas d’ailleurs, mine de rien , la vraie allergie psy de nombre de francophones? De fait, imaginons que la N-VA ait oublié son “N” et soit un parti de centre-droit à la Cameron qui recueillerait 30% à 40% des voix. Les politiques francophones (ou flamands) n’auraient plus l’argument moral du nationalisme-séparatisme. Le poids des compétences des entités fédérées relativise mais les francophones pourraient-ils vivre longtemps dans une Belgique de centre-droit, dominée par le poids flamand? Au fond, Elio &Co ont de la chance que la N-VA soit nationaliste, mot-valise politique s’il en est. Qui arrange un peu tout le monde, qui fait peur juste ce qu’il faut. (la N-VA déteste assurément la Belgique mais s’inscrit dans les règles de la démocratie belge, tout comme nombre de partis nationalistes, par exemple au Québec ou en Catalogne) Et Joelle Milquet marseille lorsqu’elle dit “qu’on était à cinq minutes de la fin de la Belgique”: ho, on n’a jamais négocié qu’une sixième réforme de l’Etat proclamée“d’apaisement” dont les francophones n’étaient pas vraiment demandeurs. Même les hardliners de la N-VA n’ont jamais mis une scission du pays sur la table. On a juste négocié le hashtag #unenouvelleBelgique. Calmos aussi sur les peurs: aucun Flamand vivant en Flandre ne peut voter en Wallonie. Et aucun wallon vivant en Wallonie ne peut voter en Flandre. Même à 100% en Flandre (c’est pour rire, hé) la N-VA devrait encore négocier avec les bruxellois et les wallons. Ben oui.  Shows politiques et logique ont souvent ont fort peu de rapports.

Encore un exemple pour la route? Lorsque Guy Verhofstadt, le chouchou des francophones, se répand au canon contre le séparatisme de la N-VA, on se surprend à sourire. Car  l’ex-Baby Thatcher, dans son nouveau livre, dit exactement à 100% le contraire de ce qu'il avait écrit dans ses “burgermanifesten” des années 90; ou de ce que les libéraux du Nord disaient il y a à peine encore deux ans, lorsqu’ils étaient encore statutairement confédéralistes. Urticairé par la N-VA, le francophone accueille par trop souvent comme déclaration d’évangile de simples propos de positionnement, de lutte pour des parts de marché politique en Flandre. Mais sursaute à peine lorsque l’Open VLD s’allie avec l’odieuse N-VA à Anvers, comme dans plein de communes flamandes; et demain, s’il le peut, au gouvernement flamand.

Rien ne va plus à Anvers ?  Malgré la mise en scène ubuesque de la victoire de De Wever (la marche sur l’Hôtel de Ville de la ’t Stad), ce n’est, à ce jour, ni l’affirmation de la  “force du changement” ni le drame agité par les socialistes du cru. (renvoyés dans l’opposition après un siècle  -12 sièges au lieu de 22- ils ne laissent forcément rien passer médiatiquement, emmenés par Yamine Kherbache, la chef de cabinet NL de Di Rupo) 90% des éphémères polémiques médiatiques sont retombées, dues finalement à des décisions que Patrick Janssens (et De Wever déjà) avaient prises par le passé. (comme l’interdiction de signes distinctifs aux guichets) De Wever, avec ses partenaires CD&V et OpenVLD, réoriente le budget, a d’évidence une autre approche sociale et culturelle que Janssens mais en gros, c’est kif kif bourricot pour les Sinjoren. Avec une exception notable: la “war on drugs” déclenchée par Bart qui fait en sorte que la police anversoise privilégie la lutte contre drogue et la criminalité. Ce que De Wever souligne en allant jusqu’à passer médiatiquement son dernier réveillon dans un combi de police.

Grille d’analyse : il y a une certaine vision très flamande de la société qui inspire l’action de nombre de bourgmestres de Flandre: un Bonte (SPa) à Vilvorde, un Somers (Open VLD) à Malines, un Tobback (SPa) à Louvain, un Daniel Termont (SPa) à Gand ne font souvent pas autre chose, avec une panoplie de mesures de la même eau, qu’un De Wever devenu bourgmestre des 500.000 anversois. C’est vrai, par exemple, que les GAS-SAC (amendes administratives communales) ont partout les faveurs de la N-VA. Mais l’inventeur de la formule contestée n’est autre que… le papa socialiste de la ministre SPa Freya Vanden Bossche, depuis lors passé de la politique à la gestion de grosses fortunes.

N-VA= un parfum de Belang? C’est la diabolisation qui reste la plus fréquente. Même si les francophones passionnés qui prédisaient des alliances apocalyptiques au lendemain des communales de 2012 ont bien dû admettre qu’il n’en fut rien.Il n’y aura pas de coalitions communales avec le Belang, ce serait "aller à l'abîme" car leur "coeur de métier", c'est le "show anti-Islam” avait promis De Wever. Qui a tenu son engagement. On conseille à tous les francophones qui croient que N-VA et Belang c’est blanc-bonnet et bonnet-blanc, d’encore regarder la vidéo (1) du face-à-face sur le thème de l’ immigration qui a opposé, à la VRT, Bart De Wever et un leader du Belang, Filip De Winter. C’est saisissant parce qu’ aucun politique flamand n’avait fait ce que le président de la N-VA a osé ce soir-là: combattre Dewinter sur le fond. Tandis que Dewinter dénonçait  “la nouvelle colonisation”, le président de la N-VA développait son discours, certes musclé,  mais approchant (déjà l’influence de Cameron) “l’immigration de manière positive par une analyse correcte et positive du multiculturel”. là ou, dit De Wever, “ le Belang veut la guerre avec l’Islam”. De Wever s’y attaque déjà aux “fondamentalistes” mais précise bien que la N-VA n’est  pas “anti-immigration”.

C’est difficile à  admettre pour le francophone mais De Wever, cet incontestable homme de droite, n’a jamais caché son aversion pour le Belang, du moins en son état actuel, ou la dimension raciste, fut-elle médiatisée en chaussures Louboutin, l’emporte désormais sur le combat flamand. D'aucuns, au Nord, ont beaucoup agité le bouchon parce que la N-VA avait accueilli d’anciens Belangers. C’était de bonne guerre psychologique pour effrayer ceux qui, en juin 2010, avaient voté pour la première fois pour le parti nationaliste. Comme si de plus ou moins vagues types allaient s’emparer du pouvoir dans un parti déjà si structuré. Aujourd’hui, il n’en reste que peu de chose: De Wever est plutôt passé à l’étape suivante (les kidnappings à l’OpenVLD). Seul un ex-Belang, Karim Van Overmeiren, est échevin à Alost avec le soutien de socialistes quasi dissidents; et le Belang est en déprime dans les sondages autour des 10%. Ce qui entraîne une bonne réflexion de fond: dites, est-ce que c’est vraiment mal qu’un parti démocratique de centre-droit (c’est ainsi que se définit la N-VA) en arrive à faire oublier le fameux “dimanche noir” qui vit, jadis, triompher l’extrême-droite la plus noire?



Michel HENRION



(1)    Pour en savoir plus sur la photo polémique, lire “Les Secrets de Bart De Wever” de Marcel Sel.

(2)    Le débat De Wever-Dewinter: http://www.deredactie.be/permalink/1.1425507


mardi 4 février 2014

Marketing électoral : "Il y a un lien entre la ligne vestimentaire et la ligne politique" (Le Soir du 1/02/2014)

Mon interview par Camille Wernaers, du "Soir, parue le 1/02/2014.

«Il y a un lien entre la ligne vestimentaire et la ligne politique»

Le socialiste Elio Di Rupo et son nœud papillon rouge, le libéral Didier Reynders et sa cravate bleue, le nationaliste flamand Bart De Wever et son costume bien cintré… Alors que les élections du 25 mai prochain se rapprochent, les hommes politiques laissent de plus en plus apparaître la couleur de leur parti. «Tout ça n’est que vernis médiatique», selon Michel Henrion, spécialiste de communication.
Comment expliquer cette importance du vêtement et de la couleur dans la vie politique actuelle?
La vie politique se raconte en images. On sait bien qu’en politique, tout est image! Ça vaut pour les électeurs, qui ont accès à la télévision: l’œil compte plus que la réalité du programme, un électeur retient mieux la sympathie que dégage un politique, s’il lui fait confiance, comment il est habillé, plutôt qu’un programme compliqué ou un débat sur les intérêts notionnels. De tous temps, les politiques ont fait évoluer leur image. En ce moment, c’est dans l’air du temps, nous sommes dans une période de plus grande sobriété. Avec la crise économique pas mal de partis optent pour la rigueur. La plupart des discours politiques sont formatés et plutôt au centre. Tous les discours se ressemblent. Il faut se différencier par l’image ou par des actions de communication, réussies ou ratées d’ailleurs. Et cette importance du vêtement est plus frappante du côté francophone.
On oppose souvent De Wever et Di Rupo, est-ce que cela vaut aussi pour leurs codes vestimentaires?
Bart de Wever représente sûrement la transformation la plus sérieuse. Il a maigri, puis commencer à faire attention à son style. C’est parallèle à un changement de son programme: d’abord conquérir Anvers puis aller au fédéral. Il passe du ciré jaune au costume trois-pièces, dans le style de David Cameron en Angleterre, qui est par ailleurs son modèle. Il a totalement transformé son allure physique pour devenir ce qu’il imagine que les Flamands attendent de leurs hommes politiques. Et là, on a un exemple d’un changement qui n’est pas forcément une réussite. Il se montre plus sérieux mais il a clairement perdu une rondeur et une bonhomie. Il est passé d’un extrême à l’autre. Il y a donc un lien entre la ligne vestimentaire et la ligne politique, puisque lorsque ses ambitions montent, il y attache plus d’importance.

Pour Elio Di Rupo, c’est autre chose. Il est habillé de la même manière depuis les années 80 et le nœud papillon lui sert de signe de reconnaissance. Et ça fonctionne: si un publicitaire utilise le nœud pap’ dans une campagne ou si un dessin presse montre cette signalétique, 90% de Belges auront compris à qui on fait référence. On est presque dans du graphisme plutôt que dans du code vestimentaire. Et il a gardé ce nœud papillon même dans les mauvaises périodes. Aujourd’hui, il l’a toujours, mais c’est son comportement physique qui a changé. Le nœud papillon garantit presque l’intégrité physique de la Belgique contre ceux qui en veulent la fin, il l’utilise comme un symbole. On voit donc que le nœud pap’ peut changer de signification puisqu’il était surtout amusant au début de sa carrière.

«Les libéraux sont habillés de manière bourgeoise»

Est-ce que le vêtement compte aussi pour les petits partis?
Il faut d’abord un certain niveau de notoriété pour que ça marche. Les libéraux par exemple sont toujours habillés de la même manière, au Sud comme au Nord du pays: costume, cravate, chemise. C’est très bourgeois finalement. On retrouve aussi la signalétique des couleurs: il y aura toujours une touche de bleu. C’est ridicule. En plus c’est l’hiver, donc on va voir Joëlle Milquet avec un châle orange, Olivier Deleuze avec une écharpe verte etc. C’est du vernis médiatique et tout le monde n’en a pas besoin. Dans l’histoire récente, il y a eu des hommes politiques qui se fichaient de leur aspect vestimentaire. Raoul Hedebouw du PTB n’en a pas besoin par exemple, comme la N-VA à ses débuts, parce que la ligne politique de son parti est très particulière. Il se distingue suffisamment comme ça. On est dans l’image de l’ascension médiatique, de la bande de copains qui espèrent réussir à faire passer leurs idées aux élections. Ils ont des discours très neufs, alors que les autres sont formatés et au centre. Ils donnent une impression de différence, d’authenticité. Les gens sont curieux.
Il y a donc des hommes politiques qui n’ont pas utilisé de codes vestimentaires?
Oui, Philippe Moureaux par exemple n’a jamais fait attention à sa tenue, et cela n’a jamais joué sur sa vie politique. Cela ne l’a pas empêché de peser de tout son poids dans la vie politique de son parti. Jean-Luc Dehaene a lui aussi montré un total désintérêt pour son vêtement. Il est même connu pour cultiver l’image inverse, jusqu’à arriver il y a quelques mois en bermuda et sandales à la télé. Pour Maggie De Block aussi, je ne suis pas certain que son allure joue dans son succès politique. C’est étrange la vie politique, parfois l’image ne laisse aucun souvenir et un événement impromptu va au contraire en laisser un très fort.

«Les lunettes sont importantes»

Est-ce qu’il y a d’autres détails importants?
Les lunettes sont très importantes! Durant les années 80, l’homme politique pouvait suivre la mode avec des lunettes très grandes, très larges, mais aujourd’hui c’est complètement inimaginable. On peut penser qu’il s’agit d’un simple détail, mais c’est très important. Charles Michel porte donc des lunettes noires, qui marquent son visage. Elles sont complètement différentes des lunettes qu’il portait il y a 5 ans. Guy Verhofstadt a vécu plus ou moins la même évolution. Wouter Beke était le jeune président pas connu du CD&V et il a changé de lunettes pour avoir plus d’allure, notamment à la télévision. Un autre détail m’a marqué, c’est cette mode, dans les années 80 et 90, des conseillers en communication qui venaient du monde de la publicité. Ils faisaient porter aux politiques un veston marron, parce que cela passait bien à la télé. Et on avait alors cette situation cocasse, où sur le plateau de «Controverse» par exemple, trois politiques sur cinq portaient le même veston (rires). Aujourd’hui, c’est passé de mode mais j’en vois encore de temps en temps qui portent ce même veston et je me dis qu’en 20 ans, leur garde-robe n’a pas beaucoup changé (rires). Cela montre que les conseils n’étaient pas des plus judicieux: il vaut parfois mieux laisser les politiques au «naturel». Pourquoi les transformer complètement? On touche là aux abus du marketing politique, quand on mélange fond et forme.

 

Qu’en est-il des autres pays?
Cela a lieu partout, et cette idée qu’en politique l’image compte est bien ancrée, même si je doute que cela fonctionne vraiment en Belgique. En France, cela monte par contre d’un cran, puisque les élections ont d’autres enjeux, devenir président de la République par exemple. Aux États-Unis, c’est encore pire parce que si on est élu gouverneur de la Californie, on a autant de pouvoir, si pas plus, que le président français. Là-bas, le marketing politique a atteint le plus grand degré de raffinement. Les enjeux sont très importants et chaque détail compte: on va faire attention à la salle, aux décors, etc. Cela dépend bien entendu des niveaux de pouvoir et en Belgique, c’est pareil. Pour les élections communales de 2012, l’important était de descendre dans la rue, de serrer la main de ses habitants. Il fallait faire passer l’image d’un bourgmestre sympathique, proche des gens. La campagne pour mai 2014 sera différente.



lundi 3 février 2014

LE "BASHING" ANTI-WALLON (paru dans Marianne Belgique du 26/01/2014)



C’est un des mystères de la création politique que le sourire de com’ mécanisé de Di Rupo ne suffit pas à expliquer. Pourquoi alors que le gouvernement fédéral est régulièrement secoué, paralysé par des conflits pas tristes, zizanié par de profondes disputes politiques, que ses décisions sont parfois erratiques ou impopulaires, que ses accords et désaccords sont loin d’être glorieux (ah, les petits jeux à la SNCB…), pourquoi l’image de ce gouvernement là, sans très grande vision, s’en sort-elle mieux que celle du Gouvernement wallon?  Qui, quasiment quoi qu’il fasse -et ce serait, selon d’aucuns, plutôt mieux comme bilan qu’au fédéral- fait curieusement automatiquement l’objet d’un bashing (1) récurrent. Pas seulement de l’opposition libérale, qui fait somme toute son job. Non: on retrouve ce bashing aussi dans les médias et jusque sur les réseaux sociaux ou souvent le wallon facebookeur se moque des autres wallons, comme par automatisme stérile d’auto-dénigrement. Nuance: il en va d’ailleurs un peu ainsi de toutes les entités fédérées; et l’observation vaut aussi largement pour le Gouvernement de la Région Bruxelloise ou la Fédération Wallonie-Bruxelles. Bref, tout ce qui n’est pas le fédéral de papa.  Or, si en 1983, la Wallonie ne gérait somme toute que 10% des compétences, la 6ème réforme de l’Etat fait que les entités fédérées seront de loin plus importantes que ce qui restera de compétences fédérales. Philippe ne s’y est pas trompé: il sait qu’il est le roi d’un “autre pays” lorsqu’il proclame “que la force de la Belgique réside aussi dans ses entités fédérées”. Le fait massif est que le pouvoir va se trouver désormais à quasi 70% dans les Régions et Communautés. Mais cette réalité, si elle a bien été intégrée par les politiques (en Flandre, les meilleurs, comme le “numero uno” CD&V Kris Peeters, sont surtout intéressés à gouverner le Nord) a du mal à être intégrée par la population, qui n’a souvent qu’une administration comme réalité tangible du changement. Et qui aime ses fonctionnaires, hein? Si, en Flandre, le niveau fédéral (ou l’influence du Nord est historiquement prépondérante) précède encore itou ce qui se passe au Parlement flamand, on n’y connaît pas ce même climat de bashing ou dénigrement. Pourtant, le climat interne au gouvernement de Kris Peeters  a été tout aussi tumultueux, avec autant de crisettes et de frictions; mais il n’y a pas, au Nord, cette attitude si vite auto-négative vis à vis de son gouvernement régional, quelle que soit d’ailleurs sa composition politique. Le sentiment y est qu’on pourrait faire mieux (pour la mobilité, pour le cauchemar du contournement d’Anvers…) mais Kris Peeters apparaît un peu comme le “pater familias” du flamand, lui garantissant une relative bonne gestion sans “malgoverno”. Sa précédente équipe (avec le SPa Franck Vandenbroucke) avait déjà laissé plutôt de bons souvenirs dans l’opinion, gérant pas trop mal les budgets et réalisant bof bof plus ou moins ce qu’ils avaient promis. Bref, toute critique  de Kris Peeters ne porte guère, glissant comme eau sur les plumes d’un canard. Au Sud, un Rudy Demotte, s’il a pu casser la légende ridicule du wallon qui n’affectionnerait pas les entreprises, n’a pas droit à cet atout, notamment de par la rivalité légendaire du liégeois J-C Marcourt.   (Elio Di Rupo, au fédéral, peut rester au dessus des partis par l’appui de Laurette Onkelinx: au gouvernement wallon, Demotte a dû souvent y jouer le double rôle: chef de file et représentant du PS) .
Ca se discute bien sûr, mais le bilan du pouvoir wallon (mise à jour du plan Marshall, gestion budgétaire, tarification solidaire de l’électricité arrachée par J-M Nollet, meilleure gouvernance - a fin du cumul député-bourgmestre est la vraie raison cachée de l’hostilité interne aux écolos- n’a, si on regarde ça d’un oeil calcaire, pas grand chose à envier à celui d’un Kris Peeters.

Qu’en retenir: que, demain les bruxellois et les wallons seront de plus en plus responsables d’eux-mêmes. Que leurs dirigeants l’ont bien perçu, mais qu’ils ne le communiquent pas vraiment à l’homme de la rue. Qui, du coup,  ne perçoit pas que les francophones n’ont quasi plus rien à dire en Flandre et inversément. Ce qui fait apparaître d’autant plus stériles certains jeux politiques basés sur l’illusion qu’il existerait encore un seul corps électoral belge. Car le danger, c’est qu’à force d’encore se mêler de ce qui se passe en Flandre, -ah, ce combat stérile contre la N-VA- certains politiques wallons en oublient qu’ils ont surtout à bosser positivement pour leur région. Et fissa.


Michel HENRION


(1) Le bashing est une forme de défoulement qui consiste à dénigrer collectivement une personne ou un sujet.