Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

lundi 10 février 2014

LA N-VA EST-ELLE VRAIMENT SI MECHANTE? (analyse parue dans Marianne Belgique du 19/1/14)

 A force de la diaboliser, la com’ des partis a souvent obscurci réflexion et nuances…

Dans le monde merveilleux des vendeurs de consommation politique, une interrogation commence à percer: quel discours tenir, quelle attitude adopter si -damned!–au soir du 25 mai, les forces profondes du  “grondstroom” faisaient que la N-VA décroche un niveau qui la rendrait soit incontournable, soit très séductrice pour une coalition alternative? Et, versus francophone, d’aucuns pourront se poser une autre fichue bonne question: à force de sataniser la N-VA pour l’affaiblir, ne l’a-t-on pas finalement, retour de manivelle, plutôt vitaminée?

C’est que l’arme de la diabolisation, efficace dans tous les camps idéologiques et de toutes les époques, a un sérieux défaut: on ne sait plus, un moment, comment s’en dépêtrer. Comment se reparler, comment aller encore déjeûner en catimini chez Bruneau (pour le MR) ou chez Di Roberto (pour Di Rupo) sans risquer d’office le scandale? Bref, ça réduit la pensée. Ca obscurcit le jugement. Ca nie le libre-examen et la réflexion. C’est de la com’ politique simpliste et expéditive: “avec nous ou contre nous”. Olé. Résultat: pour nombre de francophones lambda, la N-VA, c’est juste méchant, vilain, pas beau et même que c’est petit (on a généralement zappé les 28,2% qui en font, jusqu’au 25 mai, le premier parti de Flandre et même du pays). Que c’est conservatisme avéré, même si ladite N-VA vote l’éthique élargissement de l’ euthanasie aux mineurs, à l’opposé du CD&V et du Belang.

On est dans ce que Jerôme Janin (ULg) qualifie de “pensée primitive”, celle qui escamote la complexité des individus et des groupes, celui des cadres de la N-VA étant, de fait, particulièrement clivant. On balaie la complexité du paysage flamand, ses rivalités partisanes internes qui expliquent bien des jeux. On ignore les ressorts du mouvement flamand, toujours si mystérieux pour les francophones; et qui ont du mal à capter que, pour ce qui est de l’autonomie de la Flandre, il existe une certaine “Forza Flandria”.. Jusqu’à irriter ceux qui, en Flandre, n’ont nulle sympathie pour Bart De Wever et son idéologie, mais restent souvent perplexes, voire pantois face à la charge émotionnelle qui imprègne si souvent les visions convenues, sinon manichéennes, des wallons ou des bruxellois. Tentative, forcément controversée, d’une autre vision de quelques préjugés francophones les plus expéditifs.

Bart De Wever=Front National? Il n’est pas un jour qui ne se déroule sur Facebook sans que la photo d’archives (De Wever avait 26 ans) ne fantomasse, comme un argument définitif d’une ligne politique tenant de la “bête immonde”. (1) C’est en tout cas une vision avec la France comme GPS idéologique. Or, la N-VA n’est pas le FN français: ce n’est pas un parti d’extrême-droite, il est pro-européen, pas une ligne un poil xénophobe dans son programme. (L’intégration des immigrés, c’est même sa particularité dans le populisme européen.)

C’est plutôt vers la Grande-Bretagne des Tories qu’il faut se tourner pour comprendre De Wever. Qui s’inspire tout à la fois de Boris Johnson -le très médiagénique maire de Londres passionné itou de Rome Antique- et de David Cameron, le très conservateur Premier Ministre britannique. Les parallélismes des éléments de langage sont saisissants: même discours brut de pomme sur la régulation de l’immigration, même mots sur les “wars on terror” (récemment, à VTM, le danger du terrorisme salafiste), même rejet de la dépénalisation des drogues douces, même adoration pour les caméras de surveillance (Londres en est saturée), même volonté de combattre la pornographie, jusqu’à vouloir filtrer et firewaller le Net. Même tonalité directe et anti-socialiste. Et, sur fond de confédéralisme, européen ou belge, même parfum de patriotisme. De Wever, c’est clair, aimerait tant parler de la Flandre comme Cameron de la Grande-Bretagne.

La N-VA, parti néo-libéral? Même s’il racole les électeurs de l’OpenVLD, De Wever veille à se distancier: ne pas être perçu comme néo-libéral, ni comme le parti automatique des patrons flamands. “Foutaises”, a –t-il encore soigneusement lancé à ses voeux 2014. Si, pour Gwendolyn Rutten, c’est un atout, ça vire au handicap pour la N-VA qui se veut un grand “volkspartij”, proche aussi de l’homme de la rue. Si sur papier, libéraux et nationalistes c’est souvent kif (moins de pression fiscale) leur point idéologique diverge: les libéraux font primer l’individu, ou la compétitivité; la N-VA fait ça pour le “peuple de Flandre”, la “société flamande”.

Et le francophone méconnaît souvent que la N-VA, à ses yeux composée d’invertébrés du crâne, est au pouvoir en Région flamande, avec des ministres siégeant bel et bien aux côtés de socialistes flamands et de sociaux-chrétiens. Bilan bof, l’équipe Peeters n’étant perçue ni vraiment au centre-droit, ni comme hyper-efficace. Le politologue Dave Sinardet a dit, non sans raison “qu’il n’y avait rien de plus belge que le Gouvernement flamand”.

Car, ici aussi, la N-VA participe pleinement aux jeux bien de chez nous des nominations politiques, dans les intercommunales ou autres bidules incertains (la nouvelle Vlaamse Energiemaatschappij). Distingo: à ou l’OpenVLD se veut théoriquement anti-Etatiste, la N-VA se profile plutôt comme un parti étatiste flamand.

Le terrrrible danger nationaliste? Pour les politiques les plus éveillés, le vrai danger N-VA, c’est plutôt son programme économique et social. Un Moureaux et un Maingain s’accordent sur ce point: la N-VA rompt avec le pacte social qui fonde la solidarité en Europe.  

N’est-ce pas d’ailleurs, mine de rien , la vraie allergie psy de nombre de francophones? De fait, imaginons que la N-VA ait oublié son “N” et soit un parti de centre-droit à la Cameron qui recueillerait 30% à 40% des voix. Les politiques francophones (ou flamands) n’auraient plus l’argument moral du nationalisme-séparatisme. Le poids des compétences des entités fédérées relativise mais les francophones pourraient-ils vivre longtemps dans une Belgique de centre-droit, dominée par le poids flamand? Au fond, Elio &Co ont de la chance que la N-VA soit nationaliste, mot-valise politique s’il en est. Qui arrange un peu tout le monde, qui fait peur juste ce qu’il faut. (la N-VA déteste assurément la Belgique mais s’inscrit dans les règles de la démocratie belge, tout comme nombre de partis nationalistes, par exemple au Québec ou en Catalogne) Et Joelle Milquet marseille lorsqu’elle dit “qu’on était à cinq minutes de la fin de la Belgique”: ho, on n’a jamais négocié qu’une sixième réforme de l’Etat proclamée“d’apaisement” dont les francophones n’étaient pas vraiment demandeurs. Même les hardliners de la N-VA n’ont jamais mis une scission du pays sur la table. On a juste négocié le hashtag #unenouvelleBelgique. Calmos aussi sur les peurs: aucun Flamand vivant en Flandre ne peut voter en Wallonie. Et aucun wallon vivant en Wallonie ne peut voter en Flandre. Même à 100% en Flandre (c’est pour rire, hé) la N-VA devrait encore négocier avec les bruxellois et les wallons. Ben oui.  Shows politiques et logique ont souvent ont fort peu de rapports.

Encore un exemple pour la route? Lorsque Guy Verhofstadt, le chouchou des francophones, se répand au canon contre le séparatisme de la N-VA, on se surprend à sourire. Car  l’ex-Baby Thatcher, dans son nouveau livre, dit exactement à 100% le contraire de ce qu'il avait écrit dans ses “burgermanifesten” des années 90; ou de ce que les libéraux du Nord disaient il y a à peine encore deux ans, lorsqu’ils étaient encore statutairement confédéralistes. Urticairé par la N-VA, le francophone accueille par trop souvent comme déclaration d’évangile de simples propos de positionnement, de lutte pour des parts de marché politique en Flandre. Mais sursaute à peine lorsque l’Open VLD s’allie avec l’odieuse N-VA à Anvers, comme dans plein de communes flamandes; et demain, s’il le peut, au gouvernement flamand.

Rien ne va plus à Anvers ?  Malgré la mise en scène ubuesque de la victoire de De Wever (la marche sur l’Hôtel de Ville de la ’t Stad), ce n’est, à ce jour, ni l’affirmation de la  “force du changement” ni le drame agité par les socialistes du cru. (renvoyés dans l’opposition après un siècle  -12 sièges au lieu de 22- ils ne laissent forcément rien passer médiatiquement, emmenés par Yamine Kherbache, la chef de cabinet NL de Di Rupo) 90% des éphémères polémiques médiatiques sont retombées, dues finalement à des décisions que Patrick Janssens (et De Wever déjà) avaient prises par le passé. (comme l’interdiction de signes distinctifs aux guichets) De Wever, avec ses partenaires CD&V et OpenVLD, réoriente le budget, a d’évidence une autre approche sociale et culturelle que Janssens mais en gros, c’est kif kif bourricot pour les Sinjoren. Avec une exception notable: la “war on drugs” déclenchée par Bart qui fait en sorte que la police anversoise privilégie la lutte contre drogue et la criminalité. Ce que De Wever souligne en allant jusqu’à passer médiatiquement son dernier réveillon dans un combi de police.

Grille d’analyse : il y a une certaine vision très flamande de la société qui inspire l’action de nombre de bourgmestres de Flandre: un Bonte (SPa) à Vilvorde, un Somers (Open VLD) à Malines, un Tobback (SPa) à Louvain, un Daniel Termont (SPa) à Gand ne font souvent pas autre chose, avec une panoplie de mesures de la même eau, qu’un De Wever devenu bourgmestre des 500.000 anversois. C’est vrai, par exemple, que les GAS-SAC (amendes administratives communales) ont partout les faveurs de la N-VA. Mais l’inventeur de la formule contestée n’est autre que… le papa socialiste de la ministre SPa Freya Vanden Bossche, depuis lors passé de la politique à la gestion de grosses fortunes.

N-VA= un parfum de Belang? C’est la diabolisation qui reste la plus fréquente. Même si les francophones passionnés qui prédisaient des alliances apocalyptiques au lendemain des communales de 2012 ont bien dû admettre qu’il n’en fut rien.Il n’y aura pas de coalitions communales avec le Belang, ce serait "aller à l'abîme" car leur "coeur de métier", c'est le "show anti-Islam” avait promis De Wever. Qui a tenu son engagement. On conseille à tous les francophones qui croient que N-VA et Belang c’est blanc-bonnet et bonnet-blanc, d’encore regarder la vidéo (1) du face-à-face sur le thème de l’ immigration qui a opposé, à la VRT, Bart De Wever et un leader du Belang, Filip De Winter. C’est saisissant parce qu’ aucun politique flamand n’avait fait ce que le président de la N-VA a osé ce soir-là: combattre Dewinter sur le fond. Tandis que Dewinter dénonçait  “la nouvelle colonisation”, le président de la N-VA développait son discours, certes musclé,  mais approchant (déjà l’influence de Cameron) “l’immigration de manière positive par une analyse correcte et positive du multiculturel”. là ou, dit De Wever, “ le Belang veut la guerre avec l’Islam”. De Wever s’y attaque déjà aux “fondamentalistes” mais précise bien que la N-VA n’est  pas “anti-immigration”.

C’est difficile à  admettre pour le francophone mais De Wever, cet incontestable homme de droite, n’a jamais caché son aversion pour le Belang, du moins en son état actuel, ou la dimension raciste, fut-elle médiatisée en chaussures Louboutin, l’emporte désormais sur le combat flamand. D'aucuns, au Nord, ont beaucoup agité le bouchon parce que la N-VA avait accueilli d’anciens Belangers. C’était de bonne guerre psychologique pour effrayer ceux qui, en juin 2010, avaient voté pour la première fois pour le parti nationaliste. Comme si de plus ou moins vagues types allaient s’emparer du pouvoir dans un parti déjà si structuré. Aujourd’hui, il n’en reste que peu de chose: De Wever est plutôt passé à l’étape suivante (les kidnappings à l’OpenVLD). Seul un ex-Belang, Karim Van Overmeiren, est échevin à Alost avec le soutien de socialistes quasi dissidents; et le Belang est en déprime dans les sondages autour des 10%. Ce qui entraîne une bonne réflexion de fond: dites, est-ce que c’est vraiment mal qu’un parti démocratique de centre-droit (c’est ainsi que se définit la N-VA) en arrive à faire oublier le fameux “dimanche noir” qui vit, jadis, triompher l’extrême-droite la plus noire?



Michel HENRION



(1)    Pour en savoir plus sur la photo polémique, lire “Les Secrets de Bart De Wever” de Marcel Sel.

(2)    Le débat De Wever-Dewinter: http://www.deredactie.be/permalink/1.1425507