Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

mardi 26 mai 2015

Quel taux de loyauté fédérale dans les chiffres des politiques? (MBelgiqueHebdo du 8/5/2015)

Lorsqu’un slogan commercial proclame “0% de matière grasse”, c’est devenu un grand classique: les associations de consommateurs, labos et experts à l’appui, se font un devoir de vérifier quelle est la réalité derrière les chiffres publicitairement proclamés.
Le phénomène gagne de plus en plus la vie politique. Parce que, mine de rien, les chiffres, les statistiques, ont de plus en plus de pouvoir. Ce qui, à l’origine, se voulait collecte de “données objectives” au service de la décision politique, a pour le moins évolué, sinon dérapé. Souvent, la production de ces chiffres, de ces outils d’évaluation, fait plutôt passer des idéologies. Le monde politique, qu’il soit de droite, de gauche ou du centre,  affectionne de pouvoir choisir les chiffres qu’il décidera d’utiliser. Dans une époque ou les gouvernements se jugent aux résultats, les indicateurs de performance sont devenus une arme de guerre politique. Certains experts poussent même le bouchon plus loin: à les en croire, ce sont les ordinateurs d’Etat qui prennent souvent nombre de décisions de politiques publiques et sociales, surtout en période de récession économique.
Ce n’est pas pour rien si, lors de la dernière campagne électorale  de 2014, la tendance au “factchecking” a explosé, médias et universités s’alliant soudain pour démonter les chiffres des promesses électorales des partis. A l’époque, les chiffres, pour le moins flous et artistiques, de la réforme fiscale du MR, en avaient été ainsi pour le moins secoués… Pourtant ces partis, les pouvoirs politiques n’aiment pas trop que les électeurs malins, les citoyens trop curieux, bref la société civile, se mettent à relativiser, à critiquer leurs  chiffres.  Ils préfèrent que la force de l’énoncé de ceux-ci laisse les gens pantois. La belle intention, inspirée de ce qui se passe aux Pays-Bas, selon laquelle le Bureau du Plan pourrait analyser et chiffrer les coûts des programmes électoraux de 2019 se réalisera-t-elle? On fait plus qu’en douter: nul n’en pipe plus mot déjà.

La légende du fonctionnaire du grand secret

L’actualité politique belge récente est d’ailleurs une formidable démonstration du pouvoir des chiffres et de leur utilisation politique. Ici, ce n’est pas le pourcentage de matière grasse qu’il s’agissait de tester mais bien la teneur en loyauté fédérale, mot valise s’il en est. Qui renferme tous ces autres termes tant agités ces derniers temps: respect, transparence, loyauté.
C’est une des légendes urbaines de la médiapolitique en Belgique: ah, tous ces gens qui vous chuchotent, si, si, qu’il n’y aurait que une ou deux personnes dans ce pays à détenir une mystérieuse clé secrète de compréhension, à pouvoir s’y retrouver dans les méandres de la Loi de financement née de la 6ème Réforme de l’Etat.
Bidon. Fable. Billevesée. La fameuse loi de financement, concoctée par huit partis, est plutôt, quoi qu’on en dise, forcément un brin ardue mais assez claire.
Un des problèmes de fond, c’est que l’opacité délibérée est souvent le fonctionnement ordinaire des administrations.
Connaissez vous Mme Spinnoy, Mr Dhondt ou Mr  Valenduc? Vous n’avez sans doute jamais lu ni entendu leurs noms, mais dans le petit monde politique qui se passionne, sinon se déchire, sur la question- il est vrai totalement essentielle- de la part des recettes de l’impôt des personnes physiques qui doit revenir aux Régions, ces deux fonctionnaires du Ministères des Finances sont des notoriétés.
Pour le moins controversées ces temps-ci. Parce que cela fait des temps immémoriaux que ces quelques fonctionnaires aussi discrets que spécialisés gèrent les dotations aux régions, leurs simulateurs informatiques à résultats soudainement variables. Et ce en total petit monopole, dans le secret de leurs gris bureaux du SPF Finances. C’est leur “chose”, leurs algorithmes. Leur terrain de jeu statistique presque perso.
C’est surtout une mauvaise gestion des Ressources humaines au sein de l’administration des Finances. Celle du genre qui entraîne confusion, opacité et jusqu’à, soudain, une crise politique majeure entre et Régions et Gouvernement fédéral. Qui, pour boucler son ajustement budgétaire, a saisi assurément une opportunité: mais qui n’a certes pas ourdi non plus un grand complot ténébreux.

30% des ressources, ça se discute

On ne va pas assommer ici les lecteurs sous les explications techniques (ah, cette nouveauté de vocabulaire qu’est “l’Impôt-Etat”). En gros, les Régions ont été subitement prévenues qu’elles recevraient 750 mio d’€ de moins que prévus (pour la Wallonie, une tuile de 248 mio€). Stupeur et tremblements, la Flandre n’étant d’ailleurs pas la dernière à s’égosiller.
Déclarations au vitriol en tous sens, arrogances diverses, phénomènes de tête de mule, jeux politiques en tous sens pour en arriver à une conclusion apaisée évidente.
A savoir qu’aucun gouvernement régional de ce pays ne saurait accepter que, pour quelque 30% de ses ressources, le niveau fédéral lui dise: “ Voilà, c’est comme ça.  Et ne comptez pas sur moi pour vous expliquer comment j’arrive à ce résultat. C’est à prendre sans discussion”.
Avec des conséquences pour le gestion budgétaire des Régions mais aussi, élément moins souligné, des communes. Bref, ce problème est essentiel pour les Régions, 30% des recettes régionales dépendant désormais de l’Impôt des Personnes Physiques prélevé par le fédéral. (les flamands, forts d’une administration fiscale en croissance, envisagent de collecter un jour directement cette part de l’IPP, histoire d’éviter ainsi toute interférence du fédéral)
C’est ce qui explique que, peu à peu, bon gré mal gré, le SPF Finances a dû se mettre à s’expliquer, son ministre N-VA des Finances, Johan Van Overtveldt, se montrant lui-même ouvert, en bon nationaliste flamand, aux éclaircissements. Conséquence: le SPF Finances vient, enfin, d’accoucher d’une longue note explicitant son approche, sinon sa méthodologie. Et le boss du SPF Finances a dû affronter un solide feu de questions au Parlement Wallon. Qui, s’il a compris que les montants récupérera en 2018 (lorsqu’on régularisera légalement les comptes) seront assez faibles-195 mio seraient perdus-, a aussi capté que les chiffres du SPF Finances sont toujours flous et ce pour pas moins de 1,8 milliard. Une fameuse inconnue. Un sérieux “gap” nébuleux à éclaircir.
C’est que le SPF Finances adore jouer avec les simulateurs informatiques, et en modifier d’initiative les données. Au moment de voter la Loi de Financement dans la cadre de la 6ème Réforme de l’Etat, en 2013, on avait tout bien calculé. Mais, hop, voici que l’administration modifie la méthodologie, bricole le moteur, c’est à dire  les paramètres macroéconomiques de croissance et d’inflation. Bref, une année considérée comme dûment clôturée est soudain réévaluée à la baisse.Avec des chiffres subitement différents.
Mieux: tantôt les ordinateurs des Finances travaillent sur un échantillon de 343.000 déclarations (par sécurité); tantôt cet échantillon est soudain ramené à 30.000 contribuables.
Bob, bof: rien n’est encore à ce jour totalement clarifié. Et l’administration des Finances n’est pas forcément à l’aise dans tous ses petits souliers. Et on attend désormais que le N-VA Johan Van Overtveldt sorte enfin cet Arrêté Royal qui n’en vient pas, dont une première mouture floue a déjà été recalée par les trois Régions, faute de formule méthodologique, de calcul et d’estimation. Bref, il manque le mode d’emploi.

Une crise tous les six mois?

Certes, tout cela finira par s’arranger. A tout le moins en 2018 lorsqu’on mettra, comme prévu par la loi, les choses à plat.
Le hic, c’est que d’ici là, on risque de se heurter dans cesse aux mêmes résultats aléatoires, ferments d’une vraie crise institutionnelle si des telles difficultés se reproduisaient en 2016 ou en 2017. Personne ne peut se permettre, dans le monde politique, d’avoir tous les six mois un débat aussi agité, aussi dangereux pour le pays.
Le MR Georges-Louis Bouchez a eu raison, au Parlement wallon, de s’inquiéter ainsi de la nécessité pour la Région Wallone de disposer de son propre appareil de prévision, notamment pour une recette aussi importante que l’IPP.
Mais, comme l’a souligné le Conseil wallon de la Fiscalité (à l’unanimité), cela postule de disposer des données, de la méthodologie, d’avoir un droit d’accès des Régions qui porte sur la méthode, l’application de la méthode, mais aussi sur le modèle de simulation macro-économique. Olé.
Bref, ça demande de la transparence. Totale.

Réussir un #taxshift sans les Régions?

Quand on vous le disait que les chiffres ne sont pas une fin en soi mais impliquent bien des décisions sur l’action publique et donc sur notre vie.
Tenez, prenons le grand dossier politique du moment: le TaxShift, cette réforme fiscale d’un minimum de cinq milliards voire bien plus, visant à réduire la fiscalité sur le travail … Un enjeu difficile: chacun sort déjà ses propres vétos, plus ou moins idéologiques et les lobbies sont déjà sur pied de guerre.
Les Régions seront-elles associées à cette réforme fiscale? Pour d’aucuns, comme l’OpenVLD Gwendolyn Rutten, c’est impensable de ramener ainsi les socialistes autour d’une table, rue de la Loi.
D’autres ont une vision pour le moins différente: le Ministre-Président flamand N-VA souhaite fermement être à la table. Le N-VA Geert Bourgeois trouve qu'il se doit d’y être et juge habile d’y impliquer les socialistes via la Région Wallonne et la Région bruxelloise.  Raisonnement: le PS ne pourra plus se permettre d’attaquer le tax shift s’il est ainsi associé à sa confection…. Et le PS serait entraîné, mine de rien, dans une certaine logique “confédérale” si chère à la N-VA.
Se passer des Régions autour de la table apparaît effectivement aléatoire à nombre d’observateurs même si, légalement, ce serait dans la norme.
Les Régions n’ont pas à intervenir dans la base de l’IPP mais si la #Suédoise décidait , outre la TVA et les accises, de jouer sur la fiscalité mobilière, il est clair que cela pourrait, une nouvelle fois, impacter très directement le budget des trois Régions.
Et on agiterait alors assurément à nouveau l’oriflamme médiapolitique du “manque de loyauté fédérale”.
A son origine le mot “statista” (d’où a découlé le terme “statistique”) signifiait “homme d’Etat”. Il serait opportun, en ces temps troublés, que nos politiques s’en souviennent.

Michel HENRION

lundi 4 mai 2015

Energie: la vengeance du renouvelable (MBelgique Hebdo du 24/04/2015)

 
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Branchons tout de go la prise et démarrons illico cet article par un bon gros électrochoc. A savoir que la Belgique a toutes les chances de connaître encore longtemps un grand  boxon, un big désordre énergétique. Et à vivre encore et toujours dans un  curieux système vaseux-thermo-basculaire-à-commotivité-très- aléatoire…
Celui, trève de plaisanterie, ou il faut impérativement pouvoir importer de l’électricité si nos voisins y consentent encore.

La batterie de Tesla: la révolution du stockage de l'électricité.
Celui ou l’on redoute que le prochain hiver, s’il s’avérait cette fois vraiment glagla, ne vous déleste l’électricité plusieurs fois plusieurs heures. (avancée de consolation: si tout va bien, l’hiver prochain, le GSM resterait cette fois opérationnel)

Ce système ou rares se sont aperçus que la menace de “black out” était en fait déjà une mutation dans un monde ou aucune décision ne va guère plus loin que la durée de vie d’une coalition. Ou l’une promet poliment, juré, craché, oui, oui, d’étaler la sortie du nucléaire dès lors qu’une centrale fêtera ses 40 bougies d’usure. Mais ou une autre, nouvellement installée, gomme tout et prolonge à rallonges. Comme les centrales de Doel 1 et Doel 2 qui devaient agoniser en cette année 2015 mais devraient encore jouer les pimpantes prépensionnées jusqu’en 2025; pour autant qu’on trouve quelqu’un pour financer la cure de jouvence du béton et autres soudures. Et si l’inspection prévue fin d’année n’y trouve pas de mauvaise surprise.



Fissures: trancher un vide scientifique



Ce même système, non sans risques, ou l’on réouvre des centrales (Tihange 2 et Doel 3) avant de les refermer d’urgence vu quelques “défauts superficiels”, genre des fissures (“flakes”) jusqu’à… 18 cm. Pays surréaliste ou la ministre fédérale de l’Energie, juriste de formation, agite on ne peut plus sérieusement à la télé, devant Pascal Vrebos, une feuille de papier A4 pour expliquer en substance “qu’avec une gentille fissure horizontale plutôt qu’une meûchante fissure verticale” tout va finalement bien dans les cuves de réacteurs, dormez tranquille les petits.

Ce pays ou les tests confidentiels succèdent sans cesse aux tests non publiés, ou alors avec moult réticences, et ou il reviendra finalement à l’ Agence de Contrôle Nucléaire -dont on espère que l’indépendance est vraiment assurée- d’oublier les énormes enjeux financiers et de trancher un véritable vide scientifique: une cuve irradiée pendant des dizaines d’années et bourrée de microfissures est-elle oui ou non sûre?



Un Pacte Fédéral-Régions?



Soyons clairs: cette politique de gribouille est tout sauf neuve en Belgique. Les ministres successifs, tous partis confondus, n’y ont souvent eu pour seule vision que la budgétaire “rente nucléaire” d’Electrabel.

Donc, à première vue,  lorsque la ministre fédérale Marie-Christine Marghem (MCC/MR) a annoncé l’autre jour qu’elle avait fait approuver par le gouvernement un texte baptisé “Fondements pour une vision énergétique”, avec, en idée de fond, celle d’un de ces grands Pactes que l’histoire politique de Belgique affectionne tant, on s’est dit “Tiens, pourquoi pas?”.

Et Marghem d’avancer cinq thèmes à débattre avec les Régions: entendez le mix énergétique, l’amélioration de la gestion de la demande, le coût de la politique énergétique, la coopération internationale et la mobilité. Le tout devant, dans son esprit, être emballé-pesé d’ici la fin de l’année.

Sur papier, ça le fait. A première vue, c’est plutôt chouette un texte d’orientation dont la date de péremption dépasserait –enfin- une législature.

A seconde vue, c’est même plutôt une très bonne chose que de proposer un dialogue entre les Régions et le Fédéral sur le crucial dossier énergétique. C’est même inévitable pour l’efficacité, puisque la majorité des idées novatrices pour gérer mieux l’énergie (notamment les compteurs intelligents qui permettront aux clients de consommer aux heures les moins chères) dépendent des réseaux de distribution des Régions (le fédéral, lui, se doit de garantir la sécurité d’approvisionnement du pays).

C’est aussi politiquement assez bien vu de la finaude Marie-Christine Marghem: fidèle à son tempérament d’avocate et de juriste, qui cherche toujours à se protéger de tout les aléas, c’est opportun de se couvrir par l’aval des régions…



On oublie la société civile…





Bof, bof.  L’opposition écologiste a eu vite fait d’affirmer que la méthode de travail et les fameux “fondements” approuvés par le gouvernement Michel ouvraient déjà, à son gré,  par trop la porte au nucléaire. Et faisaient du Pacte -à imaginer que le gouvernement fédéral et  les régions s’embrassent soudain davantage folleville que dans la répartition budgétaire découlant de la dernière réforme de l’Etat- une pure “affaire de seuls gouvernements”.

“La société civile –les ONG, les associations spécialisées, etc…- doivent avoir évidemment leur mot à dire”, s’écrie l’Ecolo Jean-Marc Nollet.  “La société civile n’a pas juste à traduire la vision des gouvernements: elle doit pouvoir aussi la remettre en question. Il n’y a pas que les gouvernements à savoir ce qui est bon. Surtout, ajoute-t-il, lorsque ça engage la société future et  les générations à venir”.

L’ex ministre de l’Energie de la région Wallonne le sait: ceux qui ont le pouvoir dans le secteur de l’énergie préfèrent généralement les décisions gentiment unilatérales au dialogue. Pour eux, l’opinion publique peut attendre. Longtemps.





Le nucléaire n’a plus la cote





Mais le premier gros hic pour le futur Pacte est symbolisé par une phrase de la MR Marie-Christine Marghem: “Le renouvelable, dit-elle, est à poursuivre pour une politique énergétique cohérente et ambitieuse”.

Oui, vous avez bien lu. Relisez là encore: c’est prudent, c’est style hirondelle-qui-revient-au-printemps mais voici donc une ministre MR qui, mine de rien, prononce une phrase presque sacrilège, donnant presque raison aux thèses de ces Ecolos à qui le photovoltaïque a fait perdre quasi la moitié de leurs voix aux élections de mai 2014…

C’est que le monde énergétique, en à peine un an, a encore formidablement évolué. Fast and Furious. Les faits sont clairs: non seulement le nucléaire n’a plus la cote et sa part de contribution ne cesse-t-elle de baisser dans le monde (aucune centrale n’a plus été construite aux USA depuis l’accident de Three Mile Island); non seulement la nouvelle génération de centrale (EPR) tourne-t-elle à la cata à Flamanville, dans la Manche (l’addition est déjà passée de 3,3 mia à largement plus de 10 mia) mais il se confirme aussi chaque jour que le nucléaire de la troisième génération est, surtout, horriblement coûteux par mégawatt produit.

Sa rentabilité est en berne: et devient carrément onéreuse par rapport aux coûts en chute du photovoltaïque et de l’éolien. Bref, le constat est que le renouvelable est devenu, très vite, tout sauf une énergie accessoire. 

Mais qui le sait en Belgique? Qui le dit?

Cette année, la majorité des investissements faits dans de nouvelles capacités de production électrique l’ont été dans le renouvelable  (voir http://www.extremetech.com/extreme/202579-global-investment-in-renewable-energy-skyrockets). Et plus personne n’exclut maintenant que, dans 15 ans, la majorité de notre électricité puisse être générée par des énergies renouvelables.



Le Graal: on peut stocker l’électricité



Nombre d’acteurs du secteur ne s’y trompent pas, eux. On ne parle pas ici des incroyables investissements chinois. A nos portes, Areva et EDF, en France, entendent devenir des leaders de l’énergie verte, de l’éolien, du solaire, de la bioénergie.

En Belgique ce n’est pas un hasard si Tecteo-Nethys a opportunément racheté les éoliennes off-shore de l’ostendaise Electrawinds.

Mieux: “on atteint désormais le Graal”, selon le joli mot de l’ex-ministre française Corinne Lepage.

Jusqu’à présent l’électricité ne se stockait pas: désormais on peut. Et ce grâce aux fulgurants progrès dans le secteur de pointe des batteries. Un secteur à soutenir par Charles Michel, selon la page 97 de l’accord de gouvernement.

Le professeur Damien Ernst (ULg), dans l’interview qu’il accordée à M…Belgique, définit clairement ce mariage –et c’est quasi pour demain. Et puis il y a cette mobilité électrique qui apparait et toutes ces technologies numériques qui permettent de bien gérer consommation et productions dispersées. C’est d’autres éléments qui jouent en faveur du renouvelable.



Les arroseurs arrosés



D’ou cette formidable question de politique belge: c’est bien joli le projet de “Pacte Energétique du gouvernement”, mais est-ce que nos élus ont encore à choisir, à décider de ce vers quoi convergera notre système énergétique?

Pour nombre d’experts, c’est tout simple: c’est plié. Et les dés sont d’ores et déjà jetés.

Et ce Pacte risque de n’être que du…vent momentané, qui sera vite oublié par la réalité. Il n’y a plus forcément d’avis à donner, ni de réflexion de fond à mener: il faut peut-être juste constater ce qui se passe. Quasi partout dans le monde.

Evidemment, on comprend que c’est un brin ennuyeux pour un monde politique qui, comme d’habitude,  n’a rien vu venir ces derniers mois..

C’est un peu l’histoire de l’arroseur arrosé.

Pour les libéraux –qui ont littéralement adoré tacler électoralement les écologistes sur le dossier mal enmanché des “certificats verts” - et aussi les socialistes, prononcer aujourd’hui positivement le mot “photovoltaïque” est quasi de l’ordre de l’horreur, de l’hérésie, du film d’épouvante.

Et pourtant, ils y seront condamnés: il devront réapprendre à citer à nouveau ces mots bannis que sont “éolien” et “panneau solaire”…

Au Nord du pays, ce ne sera guère plus facile: si l’OpenVLD n’apprécie plus guère le nucléaire, la N-VA s’accroche, elle,  toujours: elle n’entend sortir du nucléaire qu’en…2065. Et cultive encore un projet mythique de centrale nucléaire de nouvelle génération qui serait d’un coût tellement déraisonnable que Bart De Wever devra se faire une raison. Sa centrale ne verra jamais le jour.



Des start-up à créer



Quant aux acteurs classiques du secteur belge de l’énergie, ils freineront à coup sûr en fonction de leurs intérêts, du maintien de leurs activités actuelles. Au plus la nouvelle destination énergétique se fera attendre, au plus cela fera leurs affaires.

Si le Pacte Energétique est vu, par contre, comme une trajectoire, s’il s’agit de déterminer les étapes pour passer par étapes au monde énergétique de demain, alors il pourrait se révéler positif.

Si chaque acteur du secteur s’efforce de maintenir ce qui l’arrange le mieux, si les partis ont trop peur du renouvelable pour-ne-pas-donner-une-revanche-à-Ecolo, si on n’accepte pas d’interroger la société civile, d’y faire contribuer les Parlements, le Pacte Energétique risque alors, au contraire, de ne pas ressembler à grand chose. Genre grand n’importe quoi mou, faute de consensus. Au détriment de toutes les start-up et autres PME que ce nouveau marché pourrait créer.



Lorsque, dans les années ’80, la machine à écrire a dû s’effacer soudain, en très très peu de temps, et céder la place à l’ordinateur, le gouvernement de l’époque ne s’en est évidemment pas mêlé. C’est, mine de rien, exactement la même situation aujourd’hui dans l’énergie.

Il ne suffit plus de changer le ruban de la machine à écrire pour tapoter un Pacte qui serait déjà désuet.



Michel HENRION



Interview

Damien Ernst (ULg): “ Si on se trompe, la bombe politique sera une forte hausse du prix de l’électricité”



-La ministre fédérale propose de développer toute une vision énergétique pour notre pays ? Les jeux sont-ils encore ouverts?



-Il y a, à mon avis, une ligne déjà inexorable: on convergera vers un monde où la toute grande majorité de notre énergie sera générée par des énergies renouvelables – principalement du photovoltaïque (PV) et de l’éolien - où l’on verra apparaître de plus en plus des dispositifs de stockage d’électricité et où des grandes interconnections seront amenées à se développer. On verra aussi de plus en plus de pompes à chaleur et  de véhicules électriques. Il reste encore juste quelques incertitudes sur la place qui sera donnée à l’hydrogène dans ce système énergétique et sur l’avenir de certaines parties des réseaux de distribution qui vont se faire concurrencer par des micro-réseaux.

Ce serait beaucoup plus simple de reconnaître honnêtement vers quelle destination nos systèmes énergétiques vont converger de manière inévitable. Et puis de travailler pour que le trajet vers cette destination se passe le mieux possible, au lieu de risquer de  « divaguer » sur un pacte énergétique qui n’apportera pas grand chose.  Et je peux vous donner une dizaine d’actions bien concrètes à prendre pour que ce trajet se passe le mieux possible pour l’ensemble de la société belge…



-Vous semblez bien être sûr de votre « destination ». Mais elle semble ne pas toujours plaire à tout le monde…



-De fait, peu d’acteurs du secteur de l’énergie au sens large sont vraiment heureux avec cette destination, car elle est diruptive par rapport à leur activité actuelle. C’est aussi pour cela que ce pacte énergétique risque de ne pas ressembler à grand chose. Ce sera plus un consensus entre les différents acteurs du secteur  qui vont développer une vision rassurante par rapport à la pérennité de leurs activités traditionnelles. Le risque est une négation du fait que toutes les ruptures technologiques que l’on observe -dans les énergies renouvelables, les véhicules électriques ou le stockage- vont tout changer à jamais! 



-Que des lobbies essaient d’influencer un gouvernement, ça  fait hélas partie des règles du jeu classiques en Belgique. Mais le Pacte Energétique, s’il aboutit, sera le résultat d’un long processus…

_ Ma réticence est que je ne suis pas vraiment sûr que le fédéral ait follement envie de communiquer sur la destination que prend notre système énergétique. Je m’explique. Pour le gouvernement fédéral, reconnaître la nature de cette destination équivaudrait à dire : « Ah zut, la vision proposée par Ecolo au cours de la législature précédente en terme énergétique (du PV, de l’éolien, du stockage, de l’autoconsommation, des véhicules électriques, des pompes à chaleur) est, quoi que l’on fasse, en train de se concrétiser. »  Vous voyez Marie Christine Marghem  dire aux gens: « Ecoutez, le PV c’est l’avenir ! » On se retrouve donc avec un gouvernement fédéral qui va avoir très difficile, politiquement, de discuter honnêtement de notre futur énergétique sans donner l’impression de se contredire.



-Finalement, ce Pacte Energétique ne va-t-il pas diluer quelque peu la vision énergétique que la #suédoise avait en début de législature ?



-Oui, sans doute. Il permet aussi de diluer la responsabilité de la prise de décision en matière énergétique sur beaucoup d’acteurs.  Et cela donne aussi l’impression aux citoyens que l’on fait enfin quelque chose dans ce domaine! Moi, je redoute un peu une négation de la réalité: car à force de ne pas reconnaitre  cette dernière, et donc ne pas agir en fonction, on risque vraiment une bombe politique. Et ce pour les différents ministres qui prendront en charge l’énergie. Par exemple, sans des changements drastiques dans la régulation du secteur de l’électricité, les politiques risquent bel et bien de se retrouver avec sur les bras un autre dossier du type “certificats verts” qui a tant empoisonné l’ancien  gouvernement wallon…





-C’est à dire? Une facture en  hausse pour le citoyen?



- Oui. Le système des certificats verts s’est finalement emballé de par une régulation incapable d’évoluer assez vite par rapport à la dynamique avec laquelle le photovoltaïque se développait. Or, à l’heure actuelle, à régulation constante, le photovoltaïque et les batteries- dont les prix n’arrêtent pas de diminuer- vont se développer énormément, même sans subsides. Cela peut mettre les réseaux électriques - qui participent quand même au financement des communes belges - dans de grandes difficultés financières. Cela va aussi conduire, à mon avis dans moins de cinq ans, à une augmentation du prix de l’électricité  très significative. Et le problème c’est qu’il faut agir maintenant, pas en fin de législature, surtout vu le fait que changer la régulation est un mécanisme très lent…



-Vous n’êtes pas un peu trop pessimiste là ? Vous proposeriez quoi comme changement de régulation ?



-Non, je ne crois pas, d’autant plus que je ne vois même pas trop comment il est possible – politiquement en tous les cas – de faire évoluer cette régulation pour éviter cette crise annoncée.  Hypothèse personnelle: peut-être que pour ce problème la solution n’est pas dans un changement de régulation mais bien dans un développement de la filière des véhicules électriques. Cela permettrait d’augmenter la quantité d’énergie électrique transitée par les réseaux électriques et donc de distribuer leurs énormes coûts fixes sur plus de kilowatt heures, et donc de rendre l’électricité moins chère. Mais bon, alors, ce seront les pompistes qui ne seront pas contents. On voit bien qu’avec toutes ces ruptures technologiques dans le secteur de l’énergie, il n’y aura pas toujours que des gagnants…



(propos recueillis par Michel Henrion)