Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

lundi 21 septembre 2015

Asile: la Belgique des Ponce-Pilate (MBelgique Hebdo du 11/09/15)

Le contraste est saisissant. En Allemagne, Angela Merkel a réussi, non sans courage, ce tour de force de faire du dossier de l’asile une grande cause nationale, à transformer cette crise en opportunité politique. Quasi chaque jour, le populaire quotidien Bild -le plus important d’Europe- se mobilise en faveur des migrants, pour "montrer que les braillards et les xénophobes du mouvement Pegida ne gueulent pas au nom de l’Allemagne ».
Scène quasi impensable chez nous: dans les stades de foot, des « tifo » continuent à décorer les tribunes du slogan «  Refugees Welcome ». Et le président de la Fédération de l’Industrie martèle sans répit que l’Allemagne -qui, il est vrai, se porte plutôt bien, avec du boulot et des logements- a besoin de main-d'œuvre qualifiée étrangère pour sa croissance. (et, ne soyons pas naïfs, pour faire pression sur les salaires)
Le contraste est saisissant. En Belgique, on continue à balayer sous le tapis. A se calfeutrer. Et nos politiques, si peu pédagogues, parfois si tant démagogues, ne sont pas exonérés d’une bonne part de responsabilités. Alors que ce pays est une terre de migrations depuis 1945, chaque sondage d’opinion vient inexorablement confirmer le précédent. A l’Eurovision de l’allergie à celui venu d’ailleurs, la Belgique est toujours imperturbablement dans le « top 5 ».
Mal informés, imbibés de bien des bobards, nombre de belges, lorsqu’on leur parle de « migrants », mot fourre-tout s’il en est, confondent tout: demandeurs d’asile fuyant la mort, réfugiés économiques, immigration ordinaire (regroupement familial) et même jusqu'aux belges de 3ème génération.
La Belgique est comme tétanisée, en désarroi étatique, basculant entre l’hystérie collective (les nauséeux forums Facebook) et le syndrome Ponce Pilate. Comme si l’orage allait passer. (alors que les analystes prévoient une crise de plusieurs années, sinon bien davantage).
Pourtant, les textes fondateurs du droit d’asile sont clairs. L’asile est un droit. On est demandeur d’asile où on ne l’est pas. Point à la ligne.
Les yazidis, les baha’is , les assyriens, les juifs, les arméniens, les turcomans qui fuient le Daesh n’ont évidemment pas à être jaugés à l’aune de quotas, comme de quelconques marchandises. Car ils étaient en danger de mort.

La légende urbaine du conducteur de bus


Or, le discours public de nombre de nos politiques fait prévaloir le doute sur le bien fondé des demandes d’asile des syriens, des irakiens, des afghans, des somaliens ou des russes (eh,oui). (le gros du flux actuel). C’est l’ère du soupçon vis à vis de tout qui fuit les guerres ou la dictature de son pays. Et le belge oscille sans cesse entre la compassion (les camions de l’asphyxie ou les bateaux de noyés) et le soupçon.
Celui qui raconte massacres, tortures, viols, est-il vraiment un réfugié politique ou ne serait-ce pas un simple menteur? Bref, est-il victime ou coupable? Un homme à secourir où à surveiller?
C’est généralement pourtant assez clair: celui qui vient encore d’un pays des Balkans en 2015 en se présentant comme demandeur d’asile n’est plus crédible: c’est clairement un réfugié économique dont le dossier sera rejeté.
Dans les textes fondateurs du droit d’asile, celui qui fuit son pays a droit a un statut vraiment spécifique: on doit le distinguer tout à la fois de l’indigent (SDF, ce genre) et de l’immigré lambda.
Double phénomène: d’une part, la politique de l’asile est de plus en plus confondue avec celle de l’immigration; d’autre part, l’asile est entré davantage dans la sphère des guichets de l’action sociale.  Avec son incroyable lot de légendes urbaines pour réseaux sociaux.
Ainsi de ce conducteur de bus flamand qui s’est mis à faire le buzz sur Facebook avec un post délirant affirmant que les demandeurs d’asile recevraient un logement gratuit, de la nourriture et des vêtements gratuits ainsi que près de 40 euros par jour.
Il a fallu un contre-post du Secrétaire d’Etat N-VA Theo Francken himself pour freiner la rumeur: « Les demandeurs d’asile ne reçoivent pas d’argent, a-t-il dû repréciser. Ce sont les centres d’accueil qui reçoivent en effet un budget de Fedasil pour payer les factures demandées. Cet argent va donc aux centres et jamais dans les mains des demandeurs d’asile. »(l’aide sociale financière est remplacée depuis 2001 par une aide matérielle aux structures d’accueil).

Maggie la butée

C’est qu’il fait plutôt le job, le secrétaire d’État N-VA à l'Asile et aux Migrations, ouvrant sans cesse de nouvelles places pour les demandeurs (on en est à 28.200 prévues) , mobilisant des tentes « plutôt que de laisser quelqu’un dormir dehors », faisant appel au privé, réfléchissant à des solutions multiples.
Tous ne l’admettront pas rue de la Loi, mais c’est plutôt la surprise du chef pour nombre de ceux qui avaient jugé et diabolisé vite fait le populaire bourgmestre de Lubbeek. Qui avait d’ailleurs vraiment très mal vécu, à ses débuts, le fait d’être accusé de racisme. Dans l’opposition, Theo Francken s’était plutôt profilé jadis comme celui qui trouvait qu'il y avait par trop d’immigration passive, que les lois du Royaume (sa seconde grande spécialité de l’époque était la critique monarchique) étaient trop souples, etc…
En fait, Theo Francken, dans cette crise de l’accueil, a assurément marqué des points et perdu des points. Il en a gagné face à l'opinion publique belge, francophone et flamande. Nombre de gens qui ne l'aimaient pas trop (les syndicats du secteur, la gauche du Nord et du Sud, les médias francophones ..) sont surpris. Et il en a perdu sans doute un peu face a son nouvel électorat N-VA. « Dans ma région, j’ai cannibalisé le Vlaams Belang , se plait parfois à dire l’homme qui, en cas de fusion des communes, pourrait bien devenir un jour bourgmestre de Louvain. Et rêve, à ses heures, de voir le Belang « sans plus aucun élu au Parlement . «  
Pour ceux-là, Theo Francken c’est la surprise de découvrir que le «  hardliner » de jadis   se comporte, maintenant qu'il est au pouvoir, d'une manière très « soft », plus humaine sur les dossiers. Par rapport à la politique butée, fermée, têtue de Maggie De Block (OpenVLD) c’est assurément un monde de différences, même si la ligne politique reste aussi ferme.
Plus question par exemple d’expulser les réfugiés bien établis, les étudiants aux études s’ils sont bien intégrés, parlent la langue de la région…Exit les dossiers émotionnels du type Pawais Sangari (expulsé en 2012 vers Kaboul), Scott Manyo (un jeune Camerounais) ou Narid Sharifi, le jeune plombier afghan si médiatisé par l’index vers le bas de Maggie De Block..
Principal problème de l’homme Francken: son compte Twitter, ou le Secrétaire d’Etat déclenche récurremment, en Flandre, nombre de polémiques médiatiques. (blocage d’un journaliste de Knack, critique d’une « Une » du Morgen…).

Le bon flic et le mauvais flic

Bref, Francken, c’est plutôt le rôle du « bon flic » de la N-VA. Et Bart De Wever s’est donc chargé de l’autre rôle classique du polar: celui du « mauvais flic ».
En envoyant un message touchant précisément au coeur de ce que nous évoquions ci-dessus: l’entrée du demandeur d’asile dans la sphère de la politique sociale. De Wever a souhaité un « statut spécial pour les réfugiés reconnus » en manière telle qu’ils n’aient pas un certain nombre de droits, faute de quoi « les gens qui ont contribué toute leur vie au système » ne comprendraient pas). Analyse universelle: c’est là  un statut que le président de la N-VA sait parfaitement impossible, illégale, impraticable.
C'est du populisme pur jus: De Wever joue clairement sur les émotions irrationnelles des gens concernant l'immigration et les demandeurs d’asile. C’est aussi clairement une attaque de la N-VA contre l’Europe.
Mine de rien, De Wever a mis ainsi à la sauce la « préférence nationale », cette formule du Front National exprimant la volonté de refuser des aides sociales à des personnes qui n'auraient pas la nationalité du pays. « Ce que les politologues nomme le chauvinisme du bien-être (Welfare Chauvinism) : oui à des droits sociaux, mais seulement pour « nos » (vrais) nationaux « , confirme Pascal Delwit.
C’est d’ailleurs vachement culotté: le président de la N-VA  a un ministre N-VA de la Défense Nationale, Steven Vandeput, qui a envoyé des F-16 bombarder l’Irak, et affirme pourtant que ceux qui fuient l’Etat Islamique le feraient juste pour des allocations sociales… Gonflé,on vous dit.
Certes, De Wever veille-t-il ainsi, comme souvent, à préserver l’électorat  qui a quitté le Vlaamse Belang pour un parti démocratique..
Mais on peut penser tout aussi bien que De Wever aurait dit kif la même chose si le Vlaamse Belang avait disparu de la carte politique.
Une des forces de De Wever c’est évidemment d’avoir un sens aigu du timing politique mais aussi de bien capter le « grondstroom » de la Flandre, ce mot presque intraduisible (« forces telluriques », « climat souterrain », ce genre) pour les francophones.
Le coup politique de Bart De Wever, c’est que ses propos infaisables, volontairement bidons,  peuvent être « vus » (on souligne le mot) au Nord comme une solution potentielle « raisonnable » à une préoccupation émotionnelle (« l’invasion ») pour lequel aucun autre  politique n’avait l'air d’avoir en poche une quelconque solution. Le bourgmestre N-VA d’Anvers se distingue avec cette proposition/communication des autres hommes politiques flamands et les prend tous de vitesse.
Fait peut-être encore plus marquant que les propos de De Wever: la réaction de Gwendolyn Rutten, présidente de l’OpenVLD, pas précisément portée à droite-droite. Mais qui, avec une belle part de pure com’ également, a plutôt suivi  et embrayé sur De Wever, fut-ce de manière plus nuancée. Elle ne l'aurait assurément pas fait si elle considérait que c’était là du « racisme’ » .Ou si elle avait considéré que c’était là une pure manoeuvre de De Wever pour conserver l’électoratdu Belang.(ni elle, ni l’Opne VLD ne veulent être associés avec l'un ou avec l’autre)
Le constat est flagrant: la « préférence nationale » n’est pas que portée par le solde du Belang et une partie de la N-VA, mais aussi par une partie de l’OpenVLD, du CD&V et peut être même, marginalement, du sp.a…
Bart De Wever, on ne le soulignera jamais assez, a deux modèles: le « modèle allemand » lorsque ça l’arrange (pas question du combat de Merkel, alors que la Flandre va connaître le même vieillissement démographique: un tiers des flamands aura bientôt plus de 60 ans) et David Cameron, l’actuel leader des conservateurs britanniques. A qui il a emprunté bien des idées (caméras dans la ville, lutte contre la drogue ou la pornographie sur le net).
Plus important: les élus européens de la N-VA font désormais partie, auParlement Européen, du « Groupe des Conservateurs et Réformistes » (ECR), fondé en 2009  par le parti conservateur britannique et regroupant un ensemble de partis de droite parfois populistes et nationalistes.
On y trouve entre autres le parti des « Vrais Finlandais » ou l’important « Parti du Peuple Danois ». Or, trois des quatre pays nordiques – Danemark, Finlande et Norvège – sont aujourd’hui gouvernés ou menés par des partis de droite, une grande première depuis 1945.
L’exception, c’est la Suède ou, autre fait notable, on a importé le « cordon sanitaire » à la belge: droite et gauche y ont signé un pacte de non-agression qui s’étend jusqu’en 2022 (deux législatures) afin de neutraliser le parti populiste des Démocrates suédois (SD)
Il ne faut donc pas s’étonner si la #Suédoise vire aujourd’hui  à la #Danoise, surtout pour ce qui est de l’asile et l’immigration.
C’est fou ce que les ténors de la N-VA, tout comme ceux de l’OpenVLD, font subitement référence aux premières décisions du fragile nouveau gouvernement minoritaire danois, le Premier Ministre libéral Rasmussen étant  juste soutenu de l’extérieur par Le Parti du Peuple danois . Un parti assez xénophobe qui , dans la foulée de l’attentat de Copenhague et dans un contexte de crispations autour des questions d'immigration et d’intégration, a fortement progressé aux élections de juin.  Pour soutenir le gouvernement, le Parti du peuple danois a ainsi d’abord exigé la réintroduction du contrôle des frontières du Danemark, réclamé « des règles d’asile plus strictes et plus d’exigences pour les immigrés »: « Si tu viens au Danemark, tu dois travailler », proclamaient les affiches de ce parti lors des dernières élections.
Ce n’est pas une première: ce parti avait déjà monnayé son soutien aux gouvernements de droite minoritaires successifs en échange, à chaque fois, de l'adoption de mesures draconiennes en matière d’immigration.
Cette fois, c’est la réduction de moitié des allocations aux demandeurs d’asile danois  qui plait tant à la N-VA et à Gwendolyn Rutten. Tout comme la prime versée à ceux qui parlent suffisamment bien le danois (en version N-VA, entendez le flamand).
Il n’y a qu’un léger hic: dans leurs interventions, les ténors N-VA ou OpenVLD se gardent bien de donner les montants encore octroyés au Danemark, Etat-Providence qui entend bien le rester.
Pour un célibataire demandeur d’asile, c’est 797€ par mois.
Pour un couple avec deux enfants, c’est 2.229€.
Chez nous, l’allocation hebdomadaire du demandeur d’asile accueilli chez Fedasil est de 7,40 € par semaine.

Michel HENRION

lundi 7 septembre 2015

Le taxshift a-t-il vraiment le physique de l’emploi? (MBelgique Hebdo du 7/8/15)

Dans le débat politique belge, il est aujourd’hui un terme sinistré, démodé, quasi tabou: le mot « travail ». Remplacé dans tous les discours par le mot « emploi ».
Or, le travail, c’est bien plus que de l’emploi. Le matin, le belge se lève évidemment « pour aller au travail »: pas pour se rendre à l’emploi.
Et chacun d’entre nous peut vivre tantôt un travail valorisant, épanouissant, intéressant ou, tout au contraire se sentir exploité, «comme un « moins que rien », bref ce que les sociologues appellent un brin doctement du « travail sans qualités ».
Ce n’est pas qu’une banale guérilla de vocabulaire: en privilégiant le mot « emploi », tous nos politiques font que le travail est devenu abstrait: l’essentiel désormais est qu’il rapporte juste un salaire.
Comme l’a dit le sociologue Bernard Vasseur, « être sans emploi », ça signifie être privé de ressources, de salaire et donc de possibilité de consommer. « Etre sans travail », c’est ne plus se sentir utile, être très vite privé de repères, ne plus pouvoir « apporter sa pierre », ne plus recevoir et ne plus transmettre ».
Créer de l’emploi, pour les politiques, c’est désormais juste mettre sur le marché des objectifs froids à remplir.
La jeune génération en panne de boulot a bien de la chance si on lui trouve un emploi quelconque et un salaire tout aussi quelconque: il lui suffira d’aller chez Aldi ou Lidl acheter quelques menus plaisirs-gadgets à quelques euros pour se donner l’illusion du bonheur.

« Jobs, jobs,jobs »


Cela fait des lustres que les promesses électorales tant de la gauche que de la droite rivalisent ainsi  à coups de promesses d’emplois.
Jadis, les socialistes furent les premiers à se lancer dans ce jeu hasardeux par la promesse irréaliste de  « 100.000 emplois nouveaux » en une période de grande déglingue économique: il leur fallut des années pour faire oublier l’hasardeux et malencontreux slogan.
Le flamboyant Guy Verhofstadt, oublieux de la leçon, en remit lui une couche en osant doubler la mise à carrément 200.000 emplois. mais c’était l’époque ou l’homme avait la baraka: servi par de formidables années de conjoncture économique et quelques menus artifices statistiques, l’engagement ne fut pas démenti.
Aujourd’hui, c’est au tour de la #Suédoise d’y aller d’un pari risqué sur la création d’emplois. «Jobs, jobs et jobs», a matraqué la com’ du Premier Ministre, s’appuyant sur l’exécution d’un point fort de l’accord gouvernemental: la réduction des cotisations patronales de 33 à 25 %, censée être, selon Charles Michel, un « moteur pour l’emploi ».
On connaît la controverse: si tous les partis étaient en gros d’accord pour baisser les charges sur le travail (le taux de 33% étant l’un des plus élevés en Europe) la recette variait. D’aucuns ont toujours préféré des opérations ciblées: par exemple moins de charges pour les bas salaires ou le travail de nuit, ce genre. Défaut: pour nombre d’employeurs, le bénéfice était jugé trop peu visualisé. Et le taux d’emploi des bas salaires, lors de mesures précédentes, n’a pas vraiment explosé.
D’aucuns encore souhaitaient conditionner une telle baisse des charges à des engagements fermes des milieux patronaux. Bref, contraindre à embaucher un minimum.
Résultat des courses: la #Suédoise a choisi de changer, là, la structure fiscale sur le travail de façon inconditionnelle. On répète bien: inconditionnelle.
Une mesure linéaire comme on n’en a plus vu depuis les réformes fiscales d’antan.
Message politique: le coût du travail en Belgique est désormais plus bas. Un signal fort qu’aucun agent économique ne peut cette fois ignorer.
Comment les entreprises vont-elles redistribuer cet effet là: vont-elles augmenter les bénéfices des actionnaires -comme le pensent les syndicats- ou, comme promis par le gouvernement, créer de l’emploi?
Bref, les employeurs vont-ils bouger? A la N-VA, dont le poids fut lourd dans la négociation, (ben oui, ça pèse 33 sièges sur 88) on est d’ailleurs plus que prudent: « Nous avons fait le premier pas vers les employeurs, j’aimerais qu’ils fassent le deuxième en créant de l’emploi » a lancé lourdement le Vice-Premier ministre Jan Jambon.

La maladresse de Van Overtveldt

Une invitation à bouger qui risque d’être contrariée par la maladresse - peu relevée jusqu’ici- d’un autre ministre N-VA, à savoir le ministre des Finances Johan Van Overtveldt.
Qui s’est empressé, pour rassurer l’électeur N-VA (qui, lui aussi, va évidemment financer ces baisses de charges) de poser un inattendu veto.
« Je suis contre de nouvelles discussions à propos d’un futur autre tax-shift » a-t-il aussitôt verrouillé, présentant la mesure gouvernementale comme un one-shot. 
Comment dire? Pour nombre d’économistes, les effets retour d’une mesure fiscale sont d’autant plus forts s’ils laissent présager qu’il ne s’agit que d’une première étape.
Genre: on est déterminés, si c’est possible, si le budget le permet, à persévérer et à recommencer au plus tôt.
Bref, si on entend envoyer un « signal fort », on a intérêt à capitaliser sur celui-ci. Un comble pour la coalition #Suédoise: elle semble ignorer cette stratégie progressive qui a pourtant été menée dans les pays nordiques.
L’équation du taxshift fonctionnera-t-elle pour l’emploi? La réponse est sans doute en large partie ailleurs: entendez dans la situation économique. Le gouvernement Di Rupo a dû se débrouiller avec une conjoncture déprimante: la #Suédoise pourrait avoir plus de bol. La baraka, en politique, compte plus que tous les plans stratégiques. Le secteur de l’intérim donne des signes encourageants: et les perspectives de croissance pourraient être revues à la hausse.
A défaut, en cas de flop, ce sera pour le moins difficile à la majorité d’expliquer aux électeurs que ce qu’ils ont financé, que ce qui va aussi réduire les moyens de la Sécurité Sociale, que ce qui va toucher nombre de pensionnés,  ne donne que pouic. Ou à peu près.
Le libéral Thierry Afschrift , expert fiscal s’il en est est n’y est pas allé de main-morte dans ses critiques sur Twitter: «6 milliards d'impôts en plus que sous Di Rupo. Pluie de nouvelles taxes. Aucune réduction des dépenses publiques. Rage taxatoire.Le Tax shift une grande réforme fiscale? Les 7,2 milliards, ça fait à peine 4% du budget ».

Les vieilles recettes à la belge


Car un autre élément frappant de de taxshift (imprécis sur bien des points de son application) c’est tout de même qu’il a été mitonné sur base de vieilles recettes. Accises sur le tabac et l’alcool, diesel, TVA, etc : ce sont là des mesures cuites et recuites depuis trente ans.
Pas le moindre trace, par exemple, d’une avancée vers la globalisation des revenus, que la Belgique a pourtant connue, eh oui, jusque dans les années ’80.
Pour rappel, la globalisation des revenus, née en 1962, fut abandonnée au profit du précompte mobilier libératoire. Pour comprendre pourquoi, il convient de passer par un petit retour historique: il s’agissait à l’époque de gérer au mieux la fuite des capitaux belges vers des paradis fiscaux pas forcément lointains.
Aujourd’hui, à l’heure de l’Euro et surtout de la transparence fiscale entre états, il n’y a de fait plus aucune solide raison technique de taxer différemment revenus du travail et revenus du capital. Ce sont les revenus globaux qui devraient à nouveau être taxés selon le barème progressif de l’IPP.
Comme le dit l’économiste libéral Bruno Colmant:  « L’exercice sera délicat mais il est incontournable : les alignements des paramètres macro-économiques exigent de repenser les solidarités. Bien sûr, modifier la fiscalité suscitera des mécontentements. Mais la situation des dettes publiques est d'une telle gravité qu'aucune solution n'est à trouver dans la répétition de scénarios ou le vain espoir de croire pouvoir échapper à de nouvelles réalités fiscales. »

La rentrée sociale s’annonce en tout cas animée. Les syndicats, qui souffrent (la stratégie ACV-CSC de tabler sur le CD&V apparait comme un échec) ne manqueront pas de mettre en avant qu’après le saut d’index pour les employeurs, le taxshift bénéficie surtout aux entreprises par la réduction des cotisations sociales patronales. (en veillant à ne pas abaisser parallèlement l’autre facteur que sont les cotisations personnelles).
Et le CD&V peut continuer longtemps dans son style « Retenez-moi ou je fais un malheur », ça ne perturbe d’évidence ni Bart De Wever ni les libéraux. Sans la présence du CDH (présent sous les coalitions Martens-Gol des années ’80) ce gouvernement assume d’ailleurs clairement sa marque .
C’est d’ailleurs, mine de rien, une nouveauté: jusqu’ici il n’y avait pas grand monde  en Belgique pour revendiquer ainsi le label de »droite » ou de « conservateur ».  «  C’est un gouvernement plus marqué, un gouvernement de droite » relevait l’autre matin le politologue Jean Faniel, directeur du CRISP.
Et qui, pour l’heure, tient plutôt la route. En s’imaginant souvent que la politique est la version sophistiquée de la communication.

Michel HENRION