Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

lundi 7 septembre 2015

Le taxshift a-t-il vraiment le physique de l’emploi? (MBelgique Hebdo du 7/8/15)

Dans le débat politique belge, il est aujourd’hui un terme sinistré, démodé, quasi tabou: le mot « travail ». Remplacé dans tous les discours par le mot « emploi ».
Or, le travail, c’est bien plus que de l’emploi. Le matin, le belge se lève évidemment « pour aller au travail »: pas pour se rendre à l’emploi.
Et chacun d’entre nous peut vivre tantôt un travail valorisant, épanouissant, intéressant ou, tout au contraire se sentir exploité, «comme un « moins que rien », bref ce que les sociologues appellent un brin doctement du « travail sans qualités ».
Ce n’est pas qu’une banale guérilla de vocabulaire: en privilégiant le mot « emploi », tous nos politiques font que le travail est devenu abstrait: l’essentiel désormais est qu’il rapporte juste un salaire.
Comme l’a dit le sociologue Bernard Vasseur, « être sans emploi », ça signifie être privé de ressources, de salaire et donc de possibilité de consommer. « Etre sans travail », c’est ne plus se sentir utile, être très vite privé de repères, ne plus pouvoir « apporter sa pierre », ne plus recevoir et ne plus transmettre ».
Créer de l’emploi, pour les politiques, c’est désormais juste mettre sur le marché des objectifs froids à remplir.
La jeune génération en panne de boulot a bien de la chance si on lui trouve un emploi quelconque et un salaire tout aussi quelconque: il lui suffira d’aller chez Aldi ou Lidl acheter quelques menus plaisirs-gadgets à quelques euros pour se donner l’illusion du bonheur.

« Jobs, jobs,jobs »


Cela fait des lustres que les promesses électorales tant de la gauche que de la droite rivalisent ainsi  à coups de promesses d’emplois.
Jadis, les socialistes furent les premiers à se lancer dans ce jeu hasardeux par la promesse irréaliste de  « 100.000 emplois nouveaux » en une période de grande déglingue économique: il leur fallut des années pour faire oublier l’hasardeux et malencontreux slogan.
Le flamboyant Guy Verhofstadt, oublieux de la leçon, en remit lui une couche en osant doubler la mise à carrément 200.000 emplois. mais c’était l’époque ou l’homme avait la baraka: servi par de formidables années de conjoncture économique et quelques menus artifices statistiques, l’engagement ne fut pas démenti.
Aujourd’hui, c’est au tour de la #Suédoise d’y aller d’un pari risqué sur la création d’emplois. «Jobs, jobs et jobs», a matraqué la com’ du Premier Ministre, s’appuyant sur l’exécution d’un point fort de l’accord gouvernemental: la réduction des cotisations patronales de 33 à 25 %, censée être, selon Charles Michel, un « moteur pour l’emploi ».
On connaît la controverse: si tous les partis étaient en gros d’accord pour baisser les charges sur le travail (le taux de 33% étant l’un des plus élevés en Europe) la recette variait. D’aucuns ont toujours préféré des opérations ciblées: par exemple moins de charges pour les bas salaires ou le travail de nuit, ce genre. Défaut: pour nombre d’employeurs, le bénéfice était jugé trop peu visualisé. Et le taux d’emploi des bas salaires, lors de mesures précédentes, n’a pas vraiment explosé.
D’aucuns encore souhaitaient conditionner une telle baisse des charges à des engagements fermes des milieux patronaux. Bref, contraindre à embaucher un minimum.
Résultat des courses: la #Suédoise a choisi de changer, là, la structure fiscale sur le travail de façon inconditionnelle. On répète bien: inconditionnelle.
Une mesure linéaire comme on n’en a plus vu depuis les réformes fiscales d’antan.
Message politique: le coût du travail en Belgique est désormais plus bas. Un signal fort qu’aucun agent économique ne peut cette fois ignorer.
Comment les entreprises vont-elles redistribuer cet effet là: vont-elles augmenter les bénéfices des actionnaires -comme le pensent les syndicats- ou, comme promis par le gouvernement, créer de l’emploi?
Bref, les employeurs vont-ils bouger? A la N-VA, dont le poids fut lourd dans la négociation, (ben oui, ça pèse 33 sièges sur 88) on est d’ailleurs plus que prudent: « Nous avons fait le premier pas vers les employeurs, j’aimerais qu’ils fassent le deuxième en créant de l’emploi » a lancé lourdement le Vice-Premier ministre Jan Jambon.

La maladresse de Van Overtveldt

Une invitation à bouger qui risque d’être contrariée par la maladresse - peu relevée jusqu’ici- d’un autre ministre N-VA, à savoir le ministre des Finances Johan Van Overtveldt.
Qui s’est empressé, pour rassurer l’électeur N-VA (qui, lui aussi, va évidemment financer ces baisses de charges) de poser un inattendu veto.
« Je suis contre de nouvelles discussions à propos d’un futur autre tax-shift » a-t-il aussitôt verrouillé, présentant la mesure gouvernementale comme un one-shot. 
Comment dire? Pour nombre d’économistes, les effets retour d’une mesure fiscale sont d’autant plus forts s’ils laissent présager qu’il ne s’agit que d’une première étape.
Genre: on est déterminés, si c’est possible, si le budget le permet, à persévérer et à recommencer au plus tôt.
Bref, si on entend envoyer un « signal fort », on a intérêt à capitaliser sur celui-ci. Un comble pour la coalition #Suédoise: elle semble ignorer cette stratégie progressive qui a pourtant été menée dans les pays nordiques.
L’équation du taxshift fonctionnera-t-elle pour l’emploi? La réponse est sans doute en large partie ailleurs: entendez dans la situation économique. Le gouvernement Di Rupo a dû se débrouiller avec une conjoncture déprimante: la #Suédoise pourrait avoir plus de bol. La baraka, en politique, compte plus que tous les plans stratégiques. Le secteur de l’intérim donne des signes encourageants: et les perspectives de croissance pourraient être revues à la hausse.
A défaut, en cas de flop, ce sera pour le moins difficile à la majorité d’expliquer aux électeurs que ce qu’ils ont financé, que ce qui va aussi réduire les moyens de la Sécurité Sociale, que ce qui va toucher nombre de pensionnés,  ne donne que pouic. Ou à peu près.
Le libéral Thierry Afschrift , expert fiscal s’il en est est n’y est pas allé de main-morte dans ses critiques sur Twitter: «6 milliards d'impôts en plus que sous Di Rupo. Pluie de nouvelles taxes. Aucune réduction des dépenses publiques. Rage taxatoire.Le Tax shift une grande réforme fiscale? Les 7,2 milliards, ça fait à peine 4% du budget ».

Les vieilles recettes à la belge


Car un autre élément frappant de de taxshift (imprécis sur bien des points de son application) c’est tout de même qu’il a été mitonné sur base de vieilles recettes. Accises sur le tabac et l’alcool, diesel, TVA, etc : ce sont là des mesures cuites et recuites depuis trente ans.
Pas le moindre trace, par exemple, d’une avancée vers la globalisation des revenus, que la Belgique a pourtant connue, eh oui, jusque dans les années ’80.
Pour rappel, la globalisation des revenus, née en 1962, fut abandonnée au profit du précompte mobilier libératoire. Pour comprendre pourquoi, il convient de passer par un petit retour historique: il s’agissait à l’époque de gérer au mieux la fuite des capitaux belges vers des paradis fiscaux pas forcément lointains.
Aujourd’hui, à l’heure de l’Euro et surtout de la transparence fiscale entre états, il n’y a de fait plus aucune solide raison technique de taxer différemment revenus du travail et revenus du capital. Ce sont les revenus globaux qui devraient à nouveau être taxés selon le barème progressif de l’IPP.
Comme le dit l’économiste libéral Bruno Colmant:  « L’exercice sera délicat mais il est incontournable : les alignements des paramètres macro-économiques exigent de repenser les solidarités. Bien sûr, modifier la fiscalité suscitera des mécontentements. Mais la situation des dettes publiques est d'une telle gravité qu'aucune solution n'est à trouver dans la répétition de scénarios ou le vain espoir de croire pouvoir échapper à de nouvelles réalités fiscales. »

La rentrée sociale s’annonce en tout cas animée. Les syndicats, qui souffrent (la stratégie ACV-CSC de tabler sur le CD&V apparait comme un échec) ne manqueront pas de mettre en avant qu’après le saut d’index pour les employeurs, le taxshift bénéficie surtout aux entreprises par la réduction des cotisations sociales patronales. (en veillant à ne pas abaisser parallèlement l’autre facteur que sont les cotisations personnelles).
Et le CD&V peut continuer longtemps dans son style « Retenez-moi ou je fais un malheur », ça ne perturbe d’évidence ni Bart De Wever ni les libéraux. Sans la présence du CDH (présent sous les coalitions Martens-Gol des années ’80) ce gouvernement assume d’ailleurs clairement sa marque .
C’est d’ailleurs, mine de rien, une nouveauté: jusqu’ici il n’y avait pas grand monde  en Belgique pour revendiquer ainsi le label de »droite » ou de « conservateur ».  «  C’est un gouvernement plus marqué, un gouvernement de droite » relevait l’autre matin le politologue Jean Faniel, directeur du CRISP.
Et qui, pour l’heure, tient plutôt la route. En s’imaginant souvent que la politique est la version sophistiquée de la communication.

Michel HENRION