Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

lundi 17 février 2014

Derrière le “V” viral de la N-VA, la construction d’un nationalisme 2.0 (chronique parue dans Marianne Belgique du 8/2/14)

 

 On a tout dit du méga-show de la N-VA, sauf, curieusement, l’essentiel.  A savoir qu’elle entend -bien avant tout autre enjeu électoral ou de pouvoir- imposer définitivement dans les esprits une nouvelle vision, une toute autre image du “nationalisme flamand”.  Car le discours le plus important,  mine de rien, ne fut pas celui de Bart De Wever, mais bien celui de Peter De Roover, futur député et âme du Vlaamse Volksbeweging, évoquant une société flamande “ouverte, chaleureuse, ou tout le monde pouvait trouver sa place”.
C’était ça, le vrai but subliminal: infiltrer dans les esprits une toute autre image du nationalisme flamand, avec pour signe de ralliement le fameux “feel good” “V” de Winston Churchill (ou des Spice Girls), un fort geste de ralliement mental et viral qui dépasse de très loin l’enjeu du 25 mai.
Jusqu’il y a peu, le mot “nationaliste” portait automatiquement une connotation négative, évoquant tantôt les joyeusetés du TAK ou les attitudes d’extrème-droite des xénophobes du Vlaams Belang.
Ce que de Wever veut- habilement conseillé par des communicateurs très pro- c’est que, peu à peu, lorsqu’on utilisera l’expression “nationaliste flamand”,  c’est  que ce soit cette nouvelle perception “inclusive et ouverte”, moins ethnique, qui saute désormais à l’esprit de l’homme de la rue. Cassant accessoirement, par sa référence d’historien roué à Martin Luther, l’image d’une Flandre qui serait nécessairement catholique. On démode la célèbre abréviation AVV-VVK (“Tout pour la Flandre, la Flandre pour le Christ“) slogan célèbre du vieux mouvement flamand d’antan. Habile: pan dans les dents du CD&V et des syndicats chrétiens qui ont par trop vénéré  les dieux d’argent de Dexia -Arco.
De Wever sait pertinemment que la vie politique n’est pas un long Escaut tranquille. Et que rien n’exclut, en cas de revers électoral, que son parti soit viré, un jour prochain ou lointain, du pouvoir en Flandre. Donc, l’objectif est de long terme:  ancrer plus que jamais la N-VA sur l’échiquier flamand. Avec un noyau stable et suffisamment solide: pour qu’importent moins les conjonctures politiques .
Et, surtout, influencer:  il ne faut pas être fortiche en politique pour relever que le Mouvement flamand  ne connaît pas la notion d’armistice. A-t-on assez photographié que c’est la N-VA qui, même si elle quitta la table, a marqué de toute son empreinte une large part de la 6ème réforme de l’Etat finalisée par Di Rupo?
En Flandre, on évoque souvent la notion de “grondstroom”,  entendez les “forces souterraines” du peuple flamand.  Ce sont ces forces-là que Guy Verhofstadt, à l’époque bien plus à droite que De Wever (on l’appelait  “Baby Thatcher”) avait un temps réussi à capter  par ses divers “Burger Manifesten”, sa vision d’une société colorée au libéralisme mais ouverte à tous, bien au delà d’un simple programme. Le congrès triomphal de l’Open VLD de l’époque, qui proposait un projet qui lui valut  jusqu’à 28% aux élections, n’est pas sans rappeler l’enthousiasme de celui de la N-VA. Hormis les avancées éthiques, on sait ce qu’il en est advenu: chouchou immortel des francophones, Verhofstadt  a déçu, voire “trahi” en Flandre, son parti chutant à moins de 12% en 2007.
De Wever ne fait pas grand chose par hasard: et si Frits Bolkenstein fut l’invité du #vvvcongres, c’est parce que ce libéral hollandais personnifie tout ce que Verhofstadt aurait pu être aujourd’hui: un libéral qui n’a pas troqué ses convictions contre pouvoir et marketing.
Tel est le message: regardez, c’est nous, la N-VA, qui captons désormais le grondstroom de la Flandre. Et c’est notre vision libérale qui dominera la société flamande pour longtemps. Message à Gwendolyn Rutten et Charles Michel: “Non, libéralisme et nationalisme, ce n’est pas incompatible”.
Bart De Wever entend écrire une page historique pour la Flandre. Et c’est tout sauf un hasard si l’après-midi de chaque élection, il s’en va discrètement se recueillir sur la tombe de son père. Mais ce 25 mai, ce sera avec l’atout viral d’un nationalisme 2.0 en poche.

Michel HENRION.