-->Le Premier Ministre a choisi définitivement sa partition politique et sa musique de campagne. L’homme, qu’on a souvent comparé à un chanteur d’opéra, répétera inlassablement –comme dans les choeurs de La Monnaie- l’élément de langage selon lequel son gouvernement a “stabilisé le pays”.
Paradoxe total: car c’est précisément une forte instabilité
qui serait le meilleur -sinon le seul- atout pour que l’homme arrive à se
succéder à lui-même dans un hypothétique Di Rupo 2.
C’est que l’opinion publique wallonne et bruxelloise est
tellement assoupie que l’homme de la rue est souvent benoîtement persuadé que
le papillon ne peut que poursuivre, quasi automatiquement, son vol politique.
Le sérail, lui, sait que s’il y a bien quelque chose qui n’est pas du tout
stabilisé, c’est bien Elio Di Rupo lui-même au 16 rue de la Loi. Et les pronostics, s’ils varient selon
les observateurs, donnent pour l’heure seulement de 2 à 5 chances sur 10 (les
vraiment très optimistes) à Di Rupo de se succéder à lui-même cette fois pour
carrément cinq ans, élément de durée pas anodin. Décryptage en dix points pour
mieux comprendre l’enjeu:
1) Il est une règle élémentaire en politique: ne jamais
avouer ses ambitions brûlantes. D’ailleurs, si l’on n’en a point, mieux vaut
choisir illico un tout autre métier. La vérité crue est que l’ambitieux Elio-
qui risqua jadis l’exclusion du
sacro-saint parti- a toujours rêvé de le conquérir, ce 16 rue de la Loi. Il n’y
est pas arrivé “par hasard”, quoiqu’il
en dise. Nul doute là-dessus: pas plus sur le fait qu’il fera évidemment tout,
avec l’acharnement inlassable qui est le sien, pour y rester.
Ce qui est vrai, avec le recul, c’est qu’il est déjà assez invraisemblable qu’il y soit
parvenu. “Cela a été le résultat d’une situation donnée”, disait-il l’autre jour à Pascal Vrebos, faisant
allusion aux 511 jours de la folle
crise d’après le scrutin de 2010. C’est on ne peut plus exact.
2) C’est aussi tout son problème. Car en Flandre, tous les
partis, jusqu’à la N-VA, se focalisent désormais uniment sur le
socio-économique. Ce que certains appellent, un brin pompeusement, les “années
Di Rupo” sont juste considérées au Nord
comme une période de crise institutionnelle et exceptionnelle désormais quasi périmée.
Raisonnement basic: puisqu’on en est sorti, retour au “business as
usual”.
Place à la lutte pour la compétitivité de l’industrie, qui,
tiens, est au Nord.
Et plus de bonne raison de “tolérer” un socialiste, en outre wallon, comme Premier Ministre.
3) Il faut bien photographier ceci: que la Flandre (60% des
belges) va voter largement au centre-droit, d’ailleurs parfois très droit.
Toutes les gauches confondues (socialistes du SPa en capilotade, écologistes de
Groen, gauchos du PVDA+) ne représenteraient plus que 21% de l’ électorat
flamand.
Conclusion: ce sera vachement plus difficile de faire avaler
à la Flandre la seule idée qu’un socialiste wallon redevienne à nouveau
locataire du Seize, là où le CD&V se sent tellement chez lui.
Tout se résume par un rire: celui qui échappa, il y a
quelques mois, à une joyeuse bande de politiques flamands de haut niveau sur le
plateau de la chaîne flamande Vier: “Un Di Rupo 2?” Esclaffement général, comme pour une blague de Bert
Kruismans. Et hautement révélateur.
4) Oh, ce n’est pas qu’il n’y ait pas mis du sien, “Elio”, comme on dit aussi désormais en Flandre. On lui y
sait gré de ses efforts pour causer un néerlandais devenu même tellement
acceptable qu’il s’est risqué à apparaître dans quelques-uns de ces talk-shows
télé si populaires en Flandre et qui échappent un peu à la compréhension
francophone. C’est que les politiques du Nord s’en servent avant tout pour
apparaître comme des “gens normaux”.
Pour montrer qu’ils ont, tantôt de l’humour, tantôt de petits défauts sympa,
tantôt des émotions. Le hic, c’est
que le style Di Rupo est plutôt de tout maîtriser jusqu’à l’obsession.
Une mécanique faite de gestes attendus, de discours prudents ou juste
répétitifs, qui produit peu de cette authenticité si recherchée par les
flamands. (à RTL-TVI, parfois les mêmes réponses mot pour mot que lors de son
dernier passage d’il y a un an et demi)
Certes, l’homme a déroulé inlassablement jusqu’à l’excès le storytelling de son enfance d’immigré, certes il a montré à
toutes les caméras la valise-relique en carton de son papa ou (sur Vier) la charrue de son grand-père, mais c’était toujours
Elio le Premier Ministre, pas Elio
le bon gars qui vient de Mons. Certes, il
s’est un peu dénudé (changement de chemise) pour les reportages intimistes de ”Kroost”
(Vier), mais ce n’est pas pour autant une
mise à nu.
On le voit au foot, mais aime-t-il vraiment le ballon rond?
Il est gay assumé mais, bizarrement, il n’aime apparemment guère en parler.
(Qu’est-ce qui le passionne en dehors du pouvoir? A-t-il un coeur qui bat
parfois la chamade, un esprit qui chavire?)
Si fortiche en communication, Di Rupo n’a pas saisi cet
angle typiquement flamand: les “bekende vlamingen” populaires (Tom Boonen, Kim Cleysters, Tia
Hellebaut, Sven Nys…) se comportent
comme des people modestes.
Di Rupo est resté dans sa fonction de “Monsieur Belgique”, avec une com’ parfois vite pompeuse. D’ou la
réaction fréquente: mais pour qui se prend-il ce “Mandela à la
belge”? Adepte a ses heures du même style présidentiel -largement
moqué par les cartoonistes du Nord pour son souci d’être vu partout- le
Ministre-Président flamand Kris Peeters veille bien, lui, à compenser en joyeux
divertissements parfois ras du gazon.
5)Tiens, parlons-en d’ailleurs de Kris Peeters, le “numero
uno”, le George Clooney, l’ “acteur” (le mot adéquat) principal d’un CD&V qui tient
largement dans ses mains le devenir d’Elio Di Rupo.
A qui, élément peu relevé, les sociaux-chrétiens n’ont pas
vraiment pardonné les votes sur l’extension de l’euthanasie aux mineurs par une
majorité éthique alternative (dont la N-VA). Ca laisse, mine de rien, autant de
traces chez les sociaux-chrétiens que, jadis, l’octroi du droit de vote des
étrangers pour les libéraux du Nord.
Et le CD&V, qui est tout sauf unanime, a du coup plein
de fers au feu possibles, sur base d’un objectif principal bien établi: Kris
Peeters doit rempiler comme Premier Ministre de Flandre. (là où il y aura
désormais, tout comme d’ailleurs en Wallonie, 70% des compétences).
-Premier fer au feu possible: l’idée risquée et largement
hasardeuse (à nouveau pas de majorité au Nord) d’une tripartite qui rejeterait
la N-VA pour cinq ans partout dans l’opposition, avec l’espoir d’envoyer ainsi
définitivement ad patres Bart De Wever et ses troupes. Un cadeau que le
CD&V emballerait forcément du ruban du 16 rue de la Loi: pour la révélation
Koen Geens par exemple. Accessoirement, tiens, l’ex-chef de Cabinet et meilleur
pote de Kris Peeters, au profil acceptable par tous les partis.
-Second fer au eu possible: Kris Peeters et Bart De Wever
concrétisent leurs fleurets mouchetés de scrutin de St Valentin (les deux
hommes veillent quasi amoureusement et prudemment à ne jamais s’étriper) et
ledit Peeters prend la tête d’un gouvernement flamand assez parfumé au
confédéralisme. Avec une sorte de Ministre-Président bis zyeutant tout depuis
l’Hôtel de Ville d’Anvers sans prendre trop de responsabilités finales. (et
peut-être Liesbeth Homans, l’indispensable bras droit de De Wever, en relais
direct comme ministre N-VA). Une bonne question alors: quelles garanties la
N-VA obtiendrait-elle d’accompagner à son tour, le jour venu, le CD&V au
gouvernement fédéral? Vous savez, le truc qui prend plein de temps à se former
en Belgique alors qu’un gouvernement régional, ça peut se nouer fissa (on
rappelle que Kris Peeters avait déjà laissé Herman Van Rompuy se débrouiller au
fédéral, bouclant sans se gêner son propre gouvernement flamand)
Bref, retenez ceci: ce qui se passera pour former le
Gouvernement flamand sera caital pour déterminer qui sera au 16 rue de la Loi.
6) Le fameux élément de langage “Laissons la parole aux
électeurs” est souvent une formule toute
faite pour crédules. Pourtant, le 25 mai, l’avenir d’Elio Di Rupo pourrait bien
être suspendu, cette fois, a peu de choses: genre à 1% ou 2% de plus ou de
moins pour l’un ou l’autre parti.
Exemple: cette N-VA qui apparaît en bonne forme, comme
l’évident pari perdu de l’équipe Di Rupo qui proclamait jadis “qu’on la
jugerait à l’aune du recul de la
N-VA”. Si, ce fut dit. Reste à voir si la N-VA prendra
cette fois, selon l’expression anversoise, le “tram 2” (cantonnée dans la
vingtaine de %) ou le “tram 3” (plus de 30% au lieu des 28,6% de 2010).
Et qu’arriverait-il si le CD&V, aujourd’hui si confiant,
(finalement le seul parti flamand de la majorité à apparaître en léger mieux)
se ramassait subitement une claque?
Et quid des libéraux du Nord -cible première de l’autre
parti libéral qu’est la N-VA- et du Sud, avec un Didier Reynders en sérieuse
embuscade. Et qui finit par user son rasoir à rêver chaque matin d’être Premier
Ministre, avec, si l’ouverture se faisait, l’appui évident de son parti.
C’est l’effet-papillon: un petit malus ou bonus électoral
peut avoir un formidable impact sur le choix du Premier Ministre des cinq
années à venir.
7) Autre paradoxe: si Elio Di Rupo est assurément très
populaire, cela ne se traduit pas en retombées positives pour le PS, dont il
est pourtant toujours président en titre.
Que du contraire. De baromètre en baromètre, la température
des sondages est plutôt fraîche: juste en dessous ou juste au dessus des 30%,
bref loin derrière les 36% de 2010.
En interne, on y table beaucoup sur la mobilisation de
campagne, un “effet Di Rupo”, pour
remonter le courant électoral en dernière minute, histoire de préserver
techniquement un max de sièges dans cet enjeu devenu crucial qu’est le vote
pour la Chambre (ou on retrouvera désormais physiquement Bart De Wever, c’est
dire).
Espoir complexe. Si le Hainaut socialiste apparaît en ordre
de marche, la situation liégeoise suscite bien des insomnies au Bd de
l’Empereur. Non seulement les camarades du cru se querellent-ils pour de pures
raisons intrapersonnelles (les couteaux tirés allant jusqu’à retrancher des
listes le ministre Jean-Pascal Labille, pourtant porteur en voix du fort réseau
d’influence des mutualités…) mais encore certains d’entre eux, et pas qu’un,
risquent-ils le coup de tonnerre de foudres judiciaires. Le spectre du
cauchemar carolo de 2007 rode toujours: cette fois en bords de Meuse. Et il
fait presque davantage peur à d’aucuns, d’ici le 25 mai, que la grille d’analyse marxiste du
botaniste ornithologue Raoul Hedebouw et de son PTBGo, si mis en avant -c’est
de bonne guerre électorale- par les libéraux.
8) En fait, ce que d’aucuns redoutent, au PS, c’est ce
phénomène électoral qu’on ne voit parfois même pas venir dans les Etats-Majors:
celui de la “bonne claque”, celui du
sympathisant traditionnel qui, pour une fois, entend donner une “bonne
petite leçon” à ses élus habituels. C’est
qu’au nom de la lutte contre la N-VA et, partant, du soutien aux partis
flamands, les militants ont l’impression d’avoir souvent du avaler de bien grosses couleuvres du genre “Serpents
dans l’avion socialiste”. En confidence,
bien des élus locaux vous confessent qu’ils ont parfois bien du mal à endiguer
certaines colères. Marginalement pour ce qui est de Maggie De Block ou du sort
réservé aux réfugiés afghans (les rangs du PS ne sont plus préservés des
xénophobes) Mais plus massivement pour ce qui est de l’exclusion, du sort
réservé aux chômeurs et cohabitants wallons, et pas que des jeunes. Vrai danger
social à retardement puisque, lorsque le dernier filet de sécurité sociale se
troue, c’est vers la solidarité familiale que tout le poids est reporté. Que la
FGTB wallonne organise des manifestations sur le sujet à quelques semaines d’
élections cruciales, on a connu meilleur climat chez les camarades.
9) Ce n’est assurément pas par hasard si Elio Di Rupo,
l’autre jour, chez Pascal Vrebos, sur RTL-TVI, a repris le rôle du socialiste protecteur des faibles,
agitant le “bouclier social” de la
grande mythologie publicitaire du POB , du PSB et du PS. Il se dit que le
Premier Ministre a parfois été en interrogation quant à son successeur ff, Paul
Magnette, notamment lorsque celui-ci a lâché son intention de taxer les loyers;
et ce à la veille d’un enjeu qui ne souffre cyniquement pas la moindre gaffe,
même si l’on n’en pense pas moins.
Comme si Magnette avait perdu de vue que ce qu’une bonne
partie de l’électorat du PS veut d’abord, ce n’est pas forcément qu’on s’en
prenne aux riches, aux banquiers et autres nantis. Ce qu’il veut surtout, c’est
qu’on aide classiquement les pensionnés, les plus démunis, les pauvres.
10) Voici donc le destin d’ Elio Di Rupo Premier Ministre
suspendu à un fil noué d’inconnues. Avec deux jokers en poche:
--Sa position et ses relais lui permettront sans doute
d’opter, s’il le faut, vers la voie classique du reclassement des politiques
belges de quelque importance: l’Europe ou l’International.
--Quoi qu’il advienne aux élections, il est assuré de rester
un temps Premier Ministre d’un pays en affaires courantes. Dont les citoyens
sont déjà inondés d’insensées
promesses électorales par milliards. Comme si les politiques gommaient
pour l’électeur cette cruelle réalité: les caisses sont vides.
Donc, dès le 26 mai, on prend le pari que vous entendrez le
discours sur la nécessité de former un gouvernement asap (“aussi vite que
possible”) pour éviter tout déraillement ,
tout dérapage de la situation budgétaire. De quoi augmenter un chouia les
chances d’un Di Rupo 2.
Même si la “recette belge” a d’évidence plein de grumeaux.
Michel HENRION