Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

lundi 3 février 2014

LE "BASHING" ANTI-WALLON (paru dans Marianne Belgique du 26/01/2014)



C’est un des mystères de la création politique que le sourire de com’ mécanisé de Di Rupo ne suffit pas à expliquer. Pourquoi alors que le gouvernement fédéral est régulièrement secoué, paralysé par des conflits pas tristes, zizanié par de profondes disputes politiques, que ses décisions sont parfois erratiques ou impopulaires, que ses accords et désaccords sont loin d’être glorieux (ah, les petits jeux à la SNCB…), pourquoi l’image de ce gouvernement là, sans très grande vision, s’en sort-elle mieux que celle du Gouvernement wallon?  Qui, quasiment quoi qu’il fasse -et ce serait, selon d’aucuns, plutôt mieux comme bilan qu’au fédéral- fait curieusement automatiquement l’objet d’un bashing (1) récurrent. Pas seulement de l’opposition libérale, qui fait somme toute son job. Non: on retrouve ce bashing aussi dans les médias et jusque sur les réseaux sociaux ou souvent le wallon facebookeur se moque des autres wallons, comme par automatisme stérile d’auto-dénigrement. Nuance: il en va d’ailleurs un peu ainsi de toutes les entités fédérées; et l’observation vaut aussi largement pour le Gouvernement de la Région Bruxelloise ou la Fédération Wallonie-Bruxelles. Bref, tout ce qui n’est pas le fédéral de papa.  Or, si en 1983, la Wallonie ne gérait somme toute que 10% des compétences, la 6ème réforme de l’Etat fait que les entités fédérées seront de loin plus importantes que ce qui restera de compétences fédérales. Philippe ne s’y est pas trompé: il sait qu’il est le roi d’un “autre pays” lorsqu’il proclame “que la force de la Belgique réside aussi dans ses entités fédérées”. Le fait massif est que le pouvoir va se trouver désormais à quasi 70% dans les Régions et Communautés. Mais cette réalité, si elle a bien été intégrée par les politiques (en Flandre, les meilleurs, comme le “numero uno” CD&V Kris Peeters, sont surtout intéressés à gouverner le Nord) a du mal à être intégrée par la population, qui n’a souvent qu’une administration comme réalité tangible du changement. Et qui aime ses fonctionnaires, hein? Si, en Flandre, le niveau fédéral (ou l’influence du Nord est historiquement prépondérante) précède encore itou ce qui se passe au Parlement flamand, on n’y connaît pas ce même climat de bashing ou dénigrement. Pourtant, le climat interne au gouvernement de Kris Peeters  a été tout aussi tumultueux, avec autant de crisettes et de frictions; mais il n’y a pas, au Nord, cette attitude si vite auto-négative vis à vis de son gouvernement régional, quelle que soit d’ailleurs sa composition politique. Le sentiment y est qu’on pourrait faire mieux (pour la mobilité, pour le cauchemar du contournement d’Anvers…) mais Kris Peeters apparaît un peu comme le “pater familias” du flamand, lui garantissant une relative bonne gestion sans “malgoverno”. Sa précédente équipe (avec le SPa Franck Vandenbroucke) avait déjà laissé plutôt de bons souvenirs dans l’opinion, gérant pas trop mal les budgets et réalisant bof bof plus ou moins ce qu’ils avaient promis. Bref, toute critique  de Kris Peeters ne porte guère, glissant comme eau sur les plumes d’un canard. Au Sud, un Rudy Demotte, s’il a pu casser la légende ridicule du wallon qui n’affectionnerait pas les entreprises, n’a pas droit à cet atout, notamment de par la rivalité légendaire du liégeois J-C Marcourt.   (Elio Di Rupo, au fédéral, peut rester au dessus des partis par l’appui de Laurette Onkelinx: au gouvernement wallon, Demotte a dû souvent y jouer le double rôle: chef de file et représentant du PS) .
Ca se discute bien sûr, mais le bilan du pouvoir wallon (mise à jour du plan Marshall, gestion budgétaire, tarification solidaire de l’électricité arrachée par J-M Nollet, meilleure gouvernance - a fin du cumul député-bourgmestre est la vraie raison cachée de l’hostilité interne aux écolos- n’a, si on regarde ça d’un oeil calcaire, pas grand chose à envier à celui d’un Kris Peeters.

Qu’en retenir: que, demain les bruxellois et les wallons seront de plus en plus responsables d’eux-mêmes. Que leurs dirigeants l’ont bien perçu, mais qu’ils ne le communiquent pas vraiment à l’homme de la rue. Qui, du coup,  ne perçoit pas que les francophones n’ont quasi plus rien à dire en Flandre et inversément. Ce qui fait apparaître d’autant plus stériles certains jeux politiques basés sur l’illusion qu’il existerait encore un seul corps électoral belge. Car le danger, c’est qu’à force d’encore se mêler de ce qui se passe en Flandre, -ah, ce combat stérile contre la N-VA- certains politiques wallons en oublient qu’ils ont surtout à bosser positivement pour leur région. Et fissa.


Michel HENRION


(1) Le bashing est une forme de défoulement qui consiste à dénigrer collectivement une personne ou un sujet.