C’est un
des mystères de la création politique que le sourire de com’ mécanisé de Di
Rupo ne suffit pas à expliquer. Pourquoi alors que le gouvernement fédéral est
régulièrement secoué, paralysé par des conflits pas tristes, zizanié par de
profondes disputes politiques, que ses décisions sont parfois erratiques ou
impopulaires, que ses accords et désaccords sont loin d’être glorieux (ah, les
petits jeux à la SNCB…), pourquoi l’image de ce gouvernement là, sans très
grande vision, s’en sort-elle mieux que celle du Gouvernement wallon? Qui, quasiment quoi qu’il fasse -et ce
serait, selon d’aucuns, plutôt mieux comme bilan qu’au fédéral- fait
curieusement automatiquement l’objet d’un bashing (1) récurrent. Pas seulement de
l’opposition libérale, qui fait somme toute son job. Non: on retrouve ce bashing aussi dans les médias et jusque sur
les réseaux sociaux ou souvent le wallon facebookeur se moque des autres
wallons, comme par automatisme stérile d’auto-dénigrement. Nuance: il en va
d’ailleurs un peu ainsi de toutes les entités fédérées; et l’observation vaut
aussi largement pour le Gouvernement de la Région Bruxelloise ou la Fédération
Wallonie-Bruxelles. Bref, tout ce qui n’est pas le fédéral de papa. Or, si en 1983, la Wallonie ne gérait
somme toute que 10% des compétences, la 6ème réforme de l’Etat fait que les
entités fédérées seront de loin plus importantes que ce qui restera de
compétences fédérales. Philippe ne s’y est pas trompé: il sait qu’il est le roi
d’un “autre pays”
lorsqu’il proclame “que la force de la Belgique réside aussi dans ses
entités fédérées”.
Le fait massif est que le pouvoir va se trouver désormais à quasi 70% dans les
Régions et Communautés. Mais cette réalité, si elle a bien été intégrée par les
politiques (en Flandre, les meilleurs, comme le “numero uno” CD&V Kris Peeters, sont surtout
intéressés à gouverner le Nord) a du mal à être intégrée par la population, qui
n’a souvent qu’une administration comme réalité tangible du changement. Et qui
aime ses fonctionnaires, hein? Si, en Flandre, le niveau fédéral (ou
l’influence du Nord est historiquement prépondérante) précède encore itou ce
qui se passe au Parlement flamand, on n’y connaît pas ce même climat de bashing ou dénigrement. Pourtant, le climat
interne au gouvernement de Kris Peeters
a été tout aussi tumultueux, avec autant de crisettes et de frictions;
mais il n’y a pas, au Nord, cette attitude si vite auto-négative vis à vis de
son gouvernement régional, quelle que soit d’ailleurs sa composition politique.
Le sentiment y est qu’on pourrait faire mieux (pour la mobilité, pour le
cauchemar du contournement d’Anvers…) mais Kris Peeters apparaît un peu comme
le “pater familias” du flamand, lui garantissant une relative bonne gestion sans “malgoverno”. Sa précédente équipe (avec le SPa
Franck Vandenbroucke) avait déjà laissé plutôt de bons souvenirs dans
l’opinion, gérant pas trop mal les budgets et réalisant bof bof plus ou moins
ce qu’ils avaient promis. Bref, toute critique de Kris Peeters ne porte guère, glissant comme eau sur les
plumes d’un canard. Au Sud, un Rudy Demotte, s’il a pu casser la légende
ridicule du wallon qui n’affectionnerait pas les entreprises, n’a pas droit à
cet atout, notamment de par la rivalité légendaire du liégeois J-C
Marcourt. (Elio Di Rupo, au
fédéral, peut rester au dessus des partis par l’appui de Laurette Onkelinx: au
gouvernement wallon, Demotte a dû souvent y jouer le double rôle: chef de file
et représentant du PS) .
Ca se discute bien sûr, mais le
bilan du pouvoir wallon (mise à jour du plan Marshall, gestion budgétaire, tarification
solidaire de l’électricité arrachée par J-M Nollet, meilleure gouvernance - a
fin du cumul député-bourgmestre est la vraie raison cachée de l’hostilité
interne aux écolos- n’a, si on regarde ça d’un oeil calcaire, pas grand chose à
envier à celui d’un Kris Peeters.
Qu’en retenir: que, demain les
bruxellois et les wallons seront de plus en plus responsables d’eux-mêmes. Que
leurs dirigeants l’ont bien perçu, mais qu’ils ne le communiquent pas vraiment
à l’homme de la rue. Qui, du coup,
ne perçoit pas que les francophones n’ont quasi plus rien à dire en
Flandre et inversément. Ce qui fait apparaître d’autant plus stériles certains
jeux politiques basés sur l’illusion qu’il existerait encore un seul corps
électoral belge. Car le danger, c’est qu’à force d’encore se mêler de ce qui se
passe en Flandre, -ah, ce combat stérile contre la N-VA- certains politiques
wallons en oublient qu’ils ont surtout à bosser positivement pour leur région.
Et fissa.
Michel HENRION
(1) Le bashing
est une forme de
défoulement qui consiste à dénigrer collectivement une personne ou un sujet.