“ Si un saut d’index doit provoquer une telle agitation
sociale, autant alléger le coût du travail autrement”.
C’est Etienne De Callatay, expert économiste à la Banque
Degroof, peu soupçonné de grandes affinités avec Marc Goblet (FGTB) ou Marc
Leemans (ACV-CSC), qui avait lâché en substance, jouant les précurseurs il y a
quelques semaines:
C’est Bernard Delvaux, le CEO de la Sonaca (aéronautique),
qui enchaînait ces jours-ci sur les plateaux-télé: “Le saut d’index n’est
pas forcément une bonne chose si cette mesure bloque toute concertation”.
Ce sont d’autres patrons encore qui, dans Le Soir- au grand dam de Pieter Timmerman et de
l’institutionnelle FEB- balancent ce qu’ils ont sur le coeur: “Le saut d’index, ça rend fou
les syndicats et ça ne nous rapporte pratiquement rien”.
Des syndicats qui, derrière les fumigènes des piquets de
grève, sont aussi très conscients
des impératifs de compétitivité.
On y relève des propos pour le moins très éloignés des discours agités
du PTB.
C’est Marie-Hélène Ska qui, pour la CSC, déclare: “Le
front commun syndical ne conteste ni l'assainissement ni le besoin de
compétitivité.”
C’est Marc Leemans, puissant boss de l’ACV-CSC, qui renchérit: “Faut-il assainir? Oui.
Améliorer la compétitivité des entreprises? Oui”
C’est Marc Goblet (FGTB) qui réaffirme sans cesse sa volonté
d’aider les entreprises à créer de l’emploi. Et invite la FEB à tracer en
commun une "feuille de route" économique et sociale (compétitivité,
taux d'emploi, etc)
Curieux climat, ou sur fond de déflation, d’inflation
négative, l’idéologie semble parfois prendre le dessus sur les réalités du
terrain.
Jean-François Héris, Président de l’Union Wallonne des
Entreprises, relève: “Ce que les investisseurs étrangers regardent avant de
s’installer dans un pays, c’est le taux d’imposition, le coût salarial mais
aussi le coût énergétique…”
Bernard Delvaux, boss de la Sonaca, martèle encore plus
fort: "Le gouvernement ne communique pas une vision de la Belgique à un
horizon de trois à cinq ans. Le programme de #Michel1 sera insuffisant pour
redresser la compétitivité industrielle. Il y a d’autres facteurs, dans la
compétitivité, que le coût du travail: il y a l’énergie”.
Salaires: +32%, Energie: +156% en dix ans
On ne lit pas assez les documents de la Banque Nationale.
Accrochez-vous: dans notre pays, de 2000 à 2010, les coûts salariaux ont augmenté de +32 %, tandis que ceux des
matières premières énergétiques ont fait un bond de…+156 %.
Or, étonnement:
dans le programme de #Michel1, nulle trace d’une quelconque mesure pour
améliorer la compétitivité des entreprises belges via un allègement des coûts
énergétiques. L’évoquez-vous avec la ministre fédérale de l’Energie
Marie-Christine Marghem (MR) qu’elle botte aussitôt en touche, comme si c’était
là mission impossible.
Le coût de l’énergie est, de fait, la piste complètement
ignorée du gouvernement #Michel1.
Celle qui, pourtant, ces jours-ci, agite et intéresse de
plus en plus les patrons sur le terrain. Ceux qui, plutôt que de jouer les
idéologues, s’intéressent au jour le jour à leurs coûts de production.
Une autre voie que le saut d’index est-elle possible pour
relancer la compétitivité des entreprises belges. Damien Ernst, professeur à
l’Université de Liège et sommité mondiale de la vision énergétique, y va d’un
tableau secouant pour M…Belgique.
Interview décapante à contre-courant.
Damien Ernst: “ En Chimie, c’est devenu impensable de
construire de nouvelles usines”
Damien Ernst (ULg) |
-M…Belgique: Le saut d’index est un des noeuds gordiens de
la confrontation sociale actuelle. Ne serait-ce pas une solution de le trancher
en diminuant carrément le coût de l’énergie pour augmenter la compétitivité de
nos entreprises ?
Damien Ernst:
Ce qu’on peut en tout cas relever, affirmer, ce dont on peut s’étonner
c’est qu’aucune mesure qui permettrait de diminuer, et ce de manière
significative, les coûts énergétiques des entreprises-et, en particulier,
l’impact de l’électricité- ne soit mise à l’ordre du jour! C’est d’autant plus
surprenant qu’il est maintenant très clairement admis dans le monde industriel
belge qu’il est devenu impensable d’espérer des investissements dans de
nouvelles usines gourmandes en électricité, par exemple les usines
chimiques, avec un prix de
l’électricité aussi élevé que celui qu’on connait à l’heure actuelle.
Un exemple? En Belgique, un industriel paiera aux alentours
de 110 euros/MWh pour son électricité. Alors qu’en Amérique du Nord ce prix
tourne aux alentours de 60-70 euros/MWh, voire même moins.
Résultat: un industriel préfèrera dès lors toujours investir
dans une usine chimique en Amérique de nord plutôt qu’en Belgique…
Beaucoup d’autres pays européens souffrent d’un problème
similaire, même si ce dernier semble être plus aigu en Belgique. Vous savez, du côté de la Commission
Européenne, on estime même qu’une des raisons fortes derrière la
“désindustrialisation” de l’Europe est précisément ce coût trop élevé de
l’énergie.
L’Allemagne, elle, a protégé ses grandes industries
-Mais pourquoi diable avons-nous un prix de l’électricité
bien plus élevé en Belgique qu’ailleurs ?
-D.E. : Il y a plein de raisons différentes derrière cette
situation de fait. Mais la plus souvent évoquée ces temps-ci par les industriels belges est le financement
des “énergies renouvelables” au travers d’une augmentation du tarif de l’électricité.
Il faut savoir que chaque fois qu’un industriel achète un MWh d’électricité, il doit
payer pour plus de 10 euros de “certificats verts”, ce qui pénalise sa
compétitivité, surtout si ses usines sont gourmandes en électricité.
Contrairement à la Belgique, l’Allemagne a posé un autre
choix: celui de faire porter le financement de ses énergies renouvelables
principalement par les petits consommateurs, ne grevant ainsi pas la
compétitivité de ses grosses industries.
Une mesure similaire serait sans doute accueillie avec
beaucoup d’enthousiasme par les industriels belges mais peut-être un peu moins
par les citoyens vu qu’en Allemagne le tarif de fourniture de l’électricité aux
particuliers est de l’ordre de 290 euros/MWh contre 220euros/MWh en Belgique.
-Donc tout est de la faute des énergies renouvelables ?
-D.E. : Financer les énergies renouvelables en augmentant le
coût de l’électricité pour nos industries n’était pas, à mon avis, une très
bonne idée. Et ce surtout à cause de la très forte globalisation des économies
de la planète. Cela a incontestablement étouffé notre monde industriel et, de par la même, sans doute aussi
participé à la crise économique à
laquelle on doit faire face aujourd’hui.
Il aurait sans doute fallu financer les énergies renouvelables en évitant
d’ augmenter le prix de l’électricité pour les industriels.
Un tax shift électrique plus belge que les intérêts
notionnels
-Mais quelles idées le gouvernement pourrait-il développer
pour réduire le prix de l’électricité et améliorer ainsi, autrement, la
compétitivité tant souhaitée?
-D.E. : On peut agir. Un travail pourrait certainement être
mené à bien pour diminuer les coûts des réseaux de transmission et peux être
aussi des réseaux de distribution. Beaucoup de taxes, autres que celles liées
aux énergies renouvelables, sont
également inclues dans le prix de l’électricité et affectent assurément la
compétitivité de nos entreprises.
On pourrait très bien imaginer un “tax shift” de
l’électricité donnant de l’air à nos industries. Je suis persuadé que cela
pourrait être une mesure fiscale très efficace. Et ce d’autant plus que
contrairement aux fameux intérêts notionnels, seules les entreprises ayant
réellement une vraie activité industrielle sur notre territoire en
bénéficieraient!
- Même en finançant autrement les énergies renouvelables, il
aurait quand même fallu les payer, non? Question un brin provo: dans le
contexte économiquement très morose que l’Europe connait, n’est-ce pas un luxe
de vouloir, comme on dit, “faire du vert”. Ne faudrait-il pas développer une
politique énergétique uniquement basée sur les coûts et mettre de côté, comme
d’aucuns le voudraient, toutes ces préoccupations écologiques ?
500 milliards perdus chaque année
-D.E. : De fait, on pourrait être tenté de dire qu’une
politique énergétique trop fortement basée sur le renouvelable est suicidaire
pour l’économie européenne.
Mais quand on analyse bien les choses, je pense que l’Europe
n’a pas vraiment le choix. Surtout dans un contexte où il est devenu
socialement pour le moins difficile de construire de nouvelles centrales
nucléaires. Pourquoi ? Parce que
se passer du renouvelable dans un tel contexte impliquerait augmenter notre
dépendance aux combustibles fossiles. Et même si l’on exclut de l’équation leur
côté polluant, l’Europe a un immense problème de ce côté-là .Qui tient en un
montant secouant: les quasi 500 milliards d’euros que l’Europe des 27 dépense chaque année pour importer de
l’énergie fossile.
Photographiez bien ceci: ce ne sont pas 500 milliards
d’euros qui sont réinvestis dans l’économie européenne, comme cela serait le
cas si l’on investissait dans les soins de santé ou dans l’éducation. Ce sont
carrément 500 milliards de perdus.
Pas de permis pour le charbon chez nous
-Il nous reste quand même du charbon en Europe, non?
Question #Vrebosstyle qu’on-n’ose-pas-poser-mais-qu’on-pose-quand-même:
pourquoi ne pas développer, comme en Allemagne, une filière charbon ? Si on
reprend au mot votre thèse selon laquelle un faible prix de l’électricité
favorise la croissance économique, le choix d’un combustible aussi peu onéreux
que le charbon par la Chine pourrait expliquer, du moins en partie, ce qu’on a
appelé le “miracle économique chinois”?
-D.E. : Pour la Chine je vous rejoins. Théoriquement, pour
ce qui est d’une politique énergétique
européenne basée fortement
sur le charbon, ce serait effectivement une solution pour produire de l’électricité
à faible coût.
Mais il faut garder à l’esprit que le charbon est très
polluant! Surtout les charbons de basse qualité comme le lignite qui est
utilisé en Allemagne.Autre élément:
il est devenu quasi impossible d’obtenir en Belgique des permis
environnementaux pour construire des centrales au charbon. On en a eu la
démonstration il y a quelques années avec un projet de construction d’une
centrale au charbon dans la région d’Anvers. Celui-ci n’a jamais vu le jour car
le permis environnemental n’a jamais pu être obtenu.
La Belgique pourrait déjà aller, seule, de l’avant
-L’énergie est donc bien un levier beaucoup trop peu
utilisé, aussi en Belgique, pour
le développement économique…
-D.E. : Il ne faut pas se leurrer, l’Europe et, en
particulier la Belgique, a un vrai problème au niveau de son approvisionnement
énergétique. De plus en plus de scientifiques ou économistes, s’accordent
d’ailleurs à dire que la crise actuelle en Europe est avant tout énergétique.
Soyons clairs: il est impossible que l’industrie européenne redevienne à
nouveau championne sans que l’Europe ne résolve son problème énergétique.
D’aucuns parlement d’utopie, mais, à mon modeste avis, cela passe par un plan
européen ambitieux et cohérent d’investissements dans le renouvelable et/ou le
nucléaire. Et la Belgique pourrait très clairement déjà aller de l’avant sans
attendre l’Europe. Si notre pays est peu chanceux en termes de ressources
énergétiques, elle devrait à tout le moins s’attacher à réduire sa
consommation, notamment en dopant bien plus qu’aujourd’hui l’ utilisation
rationnelle de l’énergie.
C’est sans doute quelque chose qui ferait très plaisir à la
SNCB. N’oubliez jamais que le train est, à l’heure actuelle, le moyen de
transport énergétiquement le plus efficace…
Michel HENRION