Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

samedi 27 décembre 2014

Pourquoi Bart De Wever joue au Premier Ministre fantôme (chronique MBelgique Hebdo du 12/12/14)

 

En médiapolitique, il faut toujours jeter un oeil  attentif sur les cartoonistes et autres amuseurs publics: leurs traits d’humour valent souvent bien des sondages. Le  dessinateur Erik Meynen, publié chaque jour par le plus puissant quotidien du Nord (Het Laatste Nieuws, qui se targue de plus d’un million de lecteurs) développe ainsi, quasi chaque jour, le même “running gag”. L’un ou l’autre personnage-clé de la coalition actuelle (Charles Michel, Kris Peeters, Wouter Beke…) développe l’une ou l’autre idée et se heurte récuremment –c’est le gag- à un “Nee!” retentissant de Bart De W
Parallèlement, un autre quotidien flamand, tout aussi influent même si son tirage est bien moindre (en l’occurrence, le quotidien De Tijd, souvent reflet du patronat du Nord) s’interrogeait crûment l’autre jour sur le leadership du Premier Ministre : “Combien de temps Charles Michel peut-il continuer comme cela?”. Et l’éditorialiste de pousser le bouchon encore plus loin avec cette question quasi sacrilège: “Michel a-t-il vraiment la carrure?”.

Deux démocraties d’opposition

Le Nord et le Sud du pays vivent d’ailleurs, politiquement, des tempo très différents. Le MR Didier Reynders résumait ça fort bien d’une phrase dans L’Echo: “ C’est le clivage: quand la Flandre demande des chiffres sur le budget, on a Onkelinx qui demande une déclaration sur la Seconde Guerre Mondiale”.
De fait, si, chez les francophones, on n’en a que pour la N-VA et les propos toujours borderline du ministre de l’Intérieur Jan Jambon, en Flandre, on se bat à coups d’arguments socio-économiques. Et surtout, nombre des soutiens de la coalition ne se gênent plus pour dire “qu’ils attendent de ce gouvernement de centre-droit qu’il s’affirme enfin vraiment comme de centre-droit”.
“Un des avantages des socialistes, c’est qu’ils respectent leurs accords” : le même Reynders décochait ainsi l’autre jour une lourde flèche au CD&V, vrai talon d’Achille de la majorité, accusé -bousculé qu’il est par le Mouvement Ouvrier Chrétien et l’ACV-CSC- de chercher sans cesse à affaiblir toutes les mesures. Celles qui sont censées différencier la coalition #Michel1 des multiples gouvernements de “centre-centre” de ces dernières années. “Avec le CD&V, somme toute, pas besoin d’opposition” lançait l’autre jour un poids lourd de la majorité.

Jan Jambon, Vice-Premier N-VA muet

Résultat: Bart De Wever est déjà redevenu la figure centrale du paysage politique.
Soupçonné, dès la naissance de #Michel1, de vouloir jouer le “Premier Ministre de l’ombre”, c’est un fait que le président de la N-VA- qui avait annoncé urbi et orbi qu’il se retirerait d’ici 2019 sur son Aventin anversois- ne cesse d’intervenir, quasi au jour le jour. Qu’il  rejette l’idée de Maggie De Block sur les drogues douces, on peut le concevoir: il casse ainsi, manière Brice de Nice, l’ OpenVLD et surtout sa rivale en popularité.  C’est plus étonnant lorsque Johan Van Overtveldt, son propre ministre des Finances N-VA avec de fortes convictions propres d’économiste, entrouvre pointe des pieds un débat sur les voitures de  société. Résultat:  le bourgmestre d’Anvers
tance et tonne: “ Je vais casser l’idée dans l’oeuf” puisque ce-n’-est-pas-dans-l’-accord-gouvernemental. Une Bible dont pourtant il se fiche comme de sa première frite lorsqu’il s’agit de faire plaisir à la clientèle électorale des diamantaires anversois, la secrétaire d’Etat N-VA Elke Sleurs décidant soudain de relever le plafond des paiements en cash de 3000€ à 7500€, même sous les hauts cris du CD&V.
A chaque fois, ce n’est pas Jan Jambon, Vice-Premier Ministre N-VA en titre, qui s’exprime: c’est le président de la N-VA. C’est Bart. Forcément puisque Jan Jambon est quelque part l’homme traqué de la coalition.
D’ou nombre de questions.

De Wever veut juste “aider”

Certes, on ne doute pas que Bart De Wever prenne un certain ou un incertain plaisir
d‘ego à montrer ainsi son emprise sur la rue de la Loi. Ca ne mange pas de pain en Flandre d’être considéré comme le vrai leader du gouvernement qui tire les ficelles.
Mais une autre vision, très différente, est sans doute plus juste. Ce n’est pas réellement stratégique comme comportement et De Wever est le premier à savoir qu’il ne pourra longtemps se comporter de la sorte.
S’il le fait c’est pour, en quelque sorte, “aider”. Une façon, à son estime, de remplir un certain vide, tant de communication que de leadership. De soutenir un gouvernement vu, par d’aucuns au Nord, comme “insufissamment dirigé”, dérivant d’un incident à l’autre…
Avec un gros hic: s’il ne veut  assurément que du bien à la coalition suédoise, Bart De Wever affaiblit, mine de rien, l’autorité du Premier Ministre à chacune de ses sorties médiatiques.

Le Parlement, arène romaine


D’autant plus que la Flandre, selon le principe des “deux démocraties” cher à De Wever, ne perçoit pas vraiment combien le MR est seul pour faire face à une opposition large au Sud du pays. A la fois dans la rue face à la contestation syndicale et dans l’hémicycle du Parlement ou PS,cdH, Ecolo, PTB s’en donnent à coeur joie. Chaque séance de la Chambre du jeudi en est une illustration. “ Ce jour là, c’est une arène romaine” s’exclame assez lucidement Daniel Ducarme, chef de groupe MR, qui a le sens de l’image.
C’est un paradoxe: alors que les socialistes sont historiquement renvoyés dans l’opposition après 27 ans,  la confiance dans le gouvernement #Michel1 est très étonnamment faiblarde au Nord du pays (35% d’opinions négatives contre 26% seulement de positives selon le sondage Libre-RTBF) , tout semble plutôt aller bien à bord de la N-VA. En intentions de votes, l’ Etat Major N-VA s’attendait à décrocher bien plus qu’il ne le fait dans le dernier baromètre de Dedicated.
Malgré son tout nouveau jeune Président assez médiatique, le Vlaams Belang semble toujours assommé. Et, selon certaines études, tout un potentiel de croissance de la N-VA serait encore disponible. Tout comme d’ailleurs, il faut le relever, pour le CD&V, ou certains tablent toujours que la N-VA décevra dès lors qu’elle aura été mouillée au fédéral.


Oups, cinq milliards de plus à trouver

Le hic, c’est que l’Europe frémit des risques d’une crise financière;  c’est que la déflation pique son nez; c’est que les prévisions de croissance sont toujours plus en berne. La Banque Nationale en est à prédire + 0,9% en 2015  au lieu de + 1,5%. Conséquence: on va vers de l’austérité additionnelle:  1,5 milliard en 2015, 3 milliards en 2016. Olé.
D’ou cette réflexion grandissante au Nord: pour affronter tout cela, le navire suédois a besoin d’un vrai capitaine et c’est là que d’aucuns pointent et aiguillonnent Charles Michel.
“J’admets que le gouvernement doit mieux organiser sa communication: c’est normal, c’est le début” lâchait Reynders à Martin Buxant.
C’est un subtil euphémisme.
Une des erreurs du Premier Ministre est sans doute de considérer psychologiquement que toute attaque francophone contre la N-VA est automatiquement une critique le visant directement, lui, ou le MR.
Dès le début, la N-VA savait pertinemment elle-même que la personnalité de Jan Jambon ne serait pas sans risques, une fois déménagée au gouvernement fédéral. Mais, vu de Flandre (ou toutes les révélations sur le passé de l’homme sont plutôt reçues avec nonchalance sinon indifférence) on s’attendait plutôt à des risques de déclarations inopportunes.  A la limite, on n’excluait pas que Jambon doive un jour faire un pas de côté das l’intérêt de la poursuite de la coalition. Mais on ne l’attendait assurément pas sur son passé puisque, en Flandre,  on sait bien que Jan Jambon – et d’autres N-VA de ce parti hétérogène et par ailleurs démocratique- ont cotoyé des milieux ou ils rencontraient l’extrème droite ou la droite extrème. Rien donc de bien neuf en Flandre: on savait que l’homme avait eu une attitude empathique vis à vis notamment du Vlaams Blok.

Un homme peut évoluer:le hic, c’est que Jambon  n’est pas clair

Il est vrai que, en vingt ans, un homme peut changer. Evoluer. Le hic, ici, c’est que Jan Jambon, pour ne pas perdre une part de son électorat venu du Belang, n’est toujours pas plus clair sur ce qu’il pense aujourd’hui. Il reste borderline.  Et, de fait, il n’a pas dit la vérité sur son rôle passé même si une chose est sûre: qu’importent les révélations,  le Ministre de l’Intérieur ne va nullement démissionner.
Le mauvais moment n’est pas prêt de passer au Sud: l’opposition politique francophone, et bien d’autres milieux, ont bien compris qu’ils avaient là une faille morale. L’os du Jambon demeure.
Dans L’Echo, journal financier francophone peu suspect de militance de gauche, Joan Condijts écrivait ceci d’assez juste: “Le parti indépendantiste flamand porte un projet de droite aussi respectable que d’autres  formules politiques mais cette même formation présente égalementun visage intolérable. S’en accommoder en évoquant la tâche qui occupe le gouvernement reviendrait à entamer dangereusement le principe démocratique. Et à insulter la mémoire de ceux qui l’ont défendu”.

On en est là. Avec la tentation d’ un certain retour du communautaire, puisque le socio-éco est difficile. Avec des clivages, des polarisations fortes, des grèves à répétition et peut-être illimitées; un CD&V mal à l’aise qui peut très théoriquement faire capoter la coalition à tout moment; une N-VA qui n’entend absolument rien céder aux syndicats; et, au sein du MR, des doutes et quelques méfiances…Notamment pour ce qui est des Reyndersiens, soupçonnés par d’aucuns Micheliens des calculs les plus souterrains. Comme si Didier Reynders avait trop regardé  la série House of Cards et serait aussi rusé qu’un Frank Underwood. “Souvenez-vous du jeu d’Herman Van Rompuy pour devenir Premier Ministre à la place de Leterme” murmure un cacique socialiste.

L’indulgence  n’existe pas en  politique.
Au sein de la coalition, d’aucuns craignent que celle-ci, faute de reprise en mains, ne devienne obsolète dans ses objectifs. Cela ne signifierait pas forcément la chute du gouvernement.  Mais le grand pari-poker d’une pure coalition appliquant une vraie politique de droite serait alors définitivement perdu. Comme s’il y avait eu, en usine, un défaut de fabrication.

Michel HENRION