Parallèlement, un autre quotidien flamand, tout aussi
influent même si son tirage est bien moindre (en l’occurrence, le quotidien De
Tijd, souvent reflet du patronat du Nord)
s’interrogeait crûment l’autre jour sur le leadership du Premier Ministre : “Combien
de temps Charles Michel peut-il continuer comme cela?”. Et l’éditorialiste de pousser le bouchon encore plus
loin avec cette question quasi sacrilège: “Michel a-t-il vraiment la
carrure?”.
Le Nord et le Sud du pays vivent d’ailleurs, politiquement,
des tempo très différents. Le MR Didier Reynders résumait ça fort bien d’une
phrase dans L’Echo: “ C’est le
clivage: quand la Flandre demande des chiffres sur le budget, on a Onkelinx qui
demande une déclaration sur la Seconde Guerre Mondiale”.
De fait, si, chez les francophones, on n’en a que pour la
N-VA et les propos toujours borderline du ministre de l’Intérieur Jan Jambon,
en Flandre, on se bat à coups d’arguments socio-économiques. Et surtout, nombre
des soutiens de la coalition ne se gênent plus pour dire “qu’ils attendent de
ce gouvernement de centre-droit qu’il s’affirme enfin vraiment comme de
centre-droit”.
“Un des avantages des socialistes, c’est qu’ils
respectent leurs accords” : le même
Reynders décochait ainsi l’autre jour une lourde flèche au CD&V, vrai talon
d’Achille de la majorité, accusé -bousculé qu’il est par le Mouvement Ouvrier
Chrétien et l’ACV-CSC- de chercher sans cesse à affaiblir toutes les mesures.
Celles qui sont censées différencier la coalition #Michel1 des multiples
gouvernements de “centre-centre” de ces dernières années. “Avec le
CD&V, somme toute, pas besoin d’opposition” lançait l’autre jour un poids lourd de la majorité.
Jan Jambon, Vice-Premier N-VA muet
Résultat: Bart De Wever est déjà redevenu la figure centrale
du paysage politique.
Soupçonné, dès la naissance de #Michel1, de vouloir jouer le
“Premier Ministre de l’ombre”, c’est un fait que le président de la N-VA- qui
avait annoncé urbi et orbi qu’il se retirerait d’ici 2019 sur son Aventin
anversois- ne cesse d’intervenir, quasi au jour le jour. Qu’il rejette l’idée de Maggie De Block sur
les drogues douces, on peut le concevoir: il casse ainsi, manière Brice de
Nice, l’ OpenVLD et surtout sa rivale en popularité. C’est plus étonnant lorsque Johan Van Overtveldt, son propre
ministre des Finances N-VA avec de fortes convictions propres d’économiste,
entrouvre pointe des pieds un débat sur les voitures de société. Résultat: le bourgmestre d’Anvers
tance et tonne: “ Je vais casser l’idée dans l’oeuf” puisque ce-n’-est-pas-dans-l’-accord-gouvernemental.
Une Bible dont pourtant il se fiche comme de sa première frite lorsqu’il s’agit
de faire plaisir à la clientèle électorale des diamantaires anversois, la
secrétaire d’Etat N-VA Elke Sleurs décidant soudain de relever le plafond des
paiements en cash de 3000€ à 7500€, même sous les hauts cris du CD&V.
A chaque fois, ce n’est pas Jan Jambon, Vice-Premier
Ministre N-VA en titre, qui s’exprime: c’est le président de la N-VA. C’est
Bart. Forcément puisque Jan Jambon est quelque part l’homme traqué de la
coalition.
D’ou nombre de questions.
De Wever veut juste “aider”
Certes, on ne doute pas que Bart De Wever prenne un certain
ou un incertain plaisir
d‘ego à montrer ainsi son emprise sur la rue de la Loi. Ca
ne mange pas de pain en Flandre d’être considéré comme le vrai leader du
gouvernement qui tire les ficelles.
Mais une autre vision, très différente, est sans doute plus
juste. Ce n’est pas réellement stratégique comme comportement et De Wever est
le premier à savoir qu’il ne pourra longtemps se comporter de la sorte.
S’il le fait c’est pour, en quelque sorte, “aider”. Une façon, à son estime, de remplir un certain vide,
tant de communication que de leadership. De soutenir un gouvernement vu, par
d’aucuns au Nord, comme “insufissamment dirigé”, dérivant d’un incident à l’autre…
Avec un gros hic: s’il ne veut assurément que du bien à la coalition suédoise, Bart De
Wever affaiblit, mine de rien, l’autorité du Premier Ministre à chacune de ses
sorties médiatiques.
Le Parlement, arène romaine
D’autant plus que la Flandre, selon le principe des “deux
démocraties” cher à De Wever, ne perçoit pas vraiment combien le MR est seul
pour faire face à une opposition large au Sud du pays. A la fois dans la rue
face à la contestation syndicale et dans l’hémicycle du Parlement ou PS,cdH,
Ecolo, PTB s’en donnent à coeur joie. Chaque séance de la Chambre du jeudi en
est une illustration. “ Ce jour là, c’est une arène romaine” s’exclame assez lucidement Daniel Ducarme, chef de
groupe MR, qui a le sens de l’image.
C’est un paradoxe: alors que les socialistes sont
historiquement renvoyés dans l’opposition après 27 ans, la confiance dans le gouvernement
#Michel1 est très étonnamment faiblarde au Nord du pays (35% d’opinions
négatives contre 26% seulement de positives selon le sondage Libre-RTBF) , tout
semble plutôt aller bien à bord de la N-VA. En intentions de votes, l’ Etat
Major N-VA s’attendait à décrocher bien plus qu’il ne le fait dans le dernier
baromètre de Dedicated.
Malgré son tout nouveau jeune Président assez médiatique, le
Vlaams Belang semble toujours assommé. Et, selon certaines études, tout un
potentiel de croissance de la N-VA serait encore disponible. Tout comme
d’ailleurs, il faut le relever, pour le CD&V, ou certains tablent toujours
que la N-VA décevra dès lors qu’elle aura été mouillée au fédéral.
Oups, cinq milliards de plus à trouver
Le hic, c’est que l’Europe frémit des risques d’une crise
financière; c’est que la déflation
pique son nez; c’est que les prévisions de croissance sont toujours plus en
berne. La Banque Nationale en est à prédire + 0,9% en 2015 au lieu de + 1,5%. Conséquence: on va
vers de l’austérité additionnelle:
1,5 milliard en 2015, 3 milliards en 2016. Olé.
D’ou cette réflexion grandissante au Nord: pour affronter
tout cela, le navire suédois a besoin d’un vrai capitaine et c’est là que d’aucuns pointent et aiguillonnent
Charles Michel.
“J’admets que le gouvernement doit mieux organiser sa
communication: c’est normal, c’est le début”
lâchait Reynders à Martin Buxant.
C’est un subtil euphémisme.
Une des erreurs du Premier Ministre est sans doute de
considérer psychologiquement que toute attaque francophone contre la N-VA est
automatiquement une critique le visant directement, lui, ou le MR.
Dès le début, la N-VA savait pertinemment elle-même que la
personnalité de Jan Jambon ne serait pas sans risques, une fois déménagée au
gouvernement fédéral. Mais, vu de Flandre (ou toutes les révélations sur le
passé de l’homme sont plutôt reçues avec nonchalance sinon indifférence) on
s’attendait plutôt à des risques de déclarations inopportunes. A la limite, on n’excluait pas que
Jambon doive un jour faire un pas de côté das l’intérêt de la poursuite de la
coalition. Mais on ne l’attendait assurément pas sur son passé puisque, en
Flandre, on sait bien que Jan
Jambon – et d’autres N-VA de ce parti hétérogène et par ailleurs démocratique-
ont cotoyé des milieux ou ils rencontraient l’extrème droite ou la droite
extrème. Rien donc de bien neuf en Flandre: on savait que l’homme avait eu une
attitude empathique vis à vis notamment du Vlaams Blok.
Un homme peut évoluer:le hic, c’est que Jambon n’est pas clair
Il est vrai que, en vingt ans, un homme peut changer.
Evoluer. Le hic, ici, c’est que Jan Jambon, pour ne pas perdre une part de son
électorat venu du Belang, n’est toujours pas plus clair sur ce qu’il pense
aujourd’hui. Il reste borderline.
Et, de fait, il n’a pas dit la vérité sur son rôle passé même si une
chose est sûre: qu’importent les révélations, le Ministre de l’Intérieur ne va nullement démissionner.
Le mauvais moment
n’est pas prêt de passer au Sud: l’opposition politique francophone, et bien
d’autres milieux, ont bien compris qu’ils avaient là une faille morale. L’os du
Jambon demeure.
Dans L’Echo, journal
financier francophone peu suspect de militance de gauche, Joan Condijts
écrivait ceci d’assez juste: “Le parti indépendantiste flamand porte
un projet de droite aussi respectable que d’autres formules politiques mais cette même formation présente
égalementun visage intolérable. S’en accommoder en évoquant la tâche qui occupe
le gouvernement reviendrait à entamer dangereusement le principe démocratique.
Et à insulter la mémoire de ceux qui l’ont défendu”.
On en est là. Avec la tentation d’ un certain retour du
communautaire, puisque le socio-éco est difficile. Avec des clivages, des
polarisations fortes, des grèves à répétition et peut-être illimitées; un
CD&V mal à l’aise qui peut très théoriquement faire capoter la coalition à
tout moment; une N-VA qui n’entend absolument rien céder aux syndicats; et, au
sein du MR, des doutes et quelques méfiances…Notamment pour ce qui est des Reyndersiens, soupçonnés par d’aucuns Micheliens des calculs les plus souterrains. Comme si Didier
Reynders avait trop regardé la
série House of Cards et serait
aussi rusé qu’un Frank Underwood. “Souvenez-vous du jeu d’Herman Van
Rompuy pour devenir Premier Ministre à la place de Leterme” murmure un cacique socialiste.
L’indulgence
n’existe pas en politique.
Au sein de la coalition, d’aucuns craignent que celle-ci,
faute de reprise en mains, ne devienne obsolète dans ses objectifs. Cela ne
signifierait pas forcément la chute du gouvernement. Mais le grand pari-poker d’une pure coalition appliquant une
vraie politique de droite serait alors
définitivement perdu. Comme s’il y avait eu, en usine, un défaut de
fabrication.
Michel HENRION