--> En 1999, l’impensable était déjà arrivé: pendant huit longues années, un gouvernement belge sans chrétiens démocrates.
En 2014, ce qu’on croyait vraiment impossible est survenu:
pour la première fois depuis 1830, les chrétiens démocrates se sont séparés. Le
CD&V au pouvoir, le CDH dans l’opposition. Pas rien comme événement
politique, d’ailleurs pas assez souligné: la distanciation des partis-frères en
Belgique est désormais un fait totalement acquis.
Et, après même pas deux mois d’existence du gouvernement
#Michel1, l’esquisse politique de l’ex-famille social chrétienne est assez
nette.
Lutgen roule sans le CD&V |
Du côté du CDH, dans le fond, on respire. Au vu de l’ampleur
de la grogne sociale, au vu de l’allergie de nombre de francophones vis à vis
de la N-VA, on s’y dit qu’on l’a
finalement échappé belle. On est soulagé. Tout juste Joëlle Milquet
considère-t-elle son Président plus comme un Secrétaire général que comme un
stratège politique. Tout juste d’aucuns regrettent-ils encore que Benoît Lutgen
n’ait pas adopté la stratégie d’aller à tout le moins négocier avant d’envoyer
valdinguer la N-VA. Tandis que d’autres s’interrogent, fort opportunément, sur
les effets, les conséquences électorales
d’une telle rupture avec le parti-frère du Nord. Puisque le destin
électoral ne sera plus forcément le même, le CDH (9 sièges contre 20 jadis sous
le fameux gouvernement Martens-Gol) peut-il remonter la pente avec plus de “sérieux
wallon”?
Du côté du CD&V, on maugrée. A deux, y dit-on, on aurait
été un peu moins seuls face à tous ces libéraux. Et le parti de Wouter Beke
devient de plus en plus bizarre. Comme disait l’autre, “chez les
sociaux-chrétiens flamands, souvent on ne sait pas où l’on va, mais on y va
tout droit”.
Le CVP
d’antant, celui de “l’Etat CVP”, comptait encore 49 sièges à la Chambre sous
Martens-Gol (1985). Et 1.291.244 électeurs. Wouter Beke a beau eu avoir cette
forte formule: “ On a perdu des électeurs par containers, on les récupérera
par brouettes”, la récolte fut timide aux dernières
élections: 783.040 électeurs et
75.000 de plus en mai 2014.
Et si la grève du 15 décembre se prolongeait au finish ?
Pendant des décennies, le CD&V fut le meneur du jeu
politique belge. Avec la N-VA, il
n’oriente vraiment plus les choses.
Et la politique belge est devenue de moins en moins prévisible.
Wouter Beke, assis entre deux chaises... |
La grande question du moment, pour les stratèges
sociaux-chrétiens du Nord, c’est de savoir ce qui peut bien se passer si
l’actuelle protestation sociale continuait? Si celle-ci devait reprendre début
2015, toujours en Front commun tripartite? Ou, hypothèse crédible, se prolonger au finish, en grève
générale, dès le 16 décembre si le gouvernement tentait de passer en force à la
Chambre avant les fêtes de fin d’année. Bref, si les ténors du CD&V
n’arrivent pas, malgré leurs efforts de séduction massive, à ramener le
syndicat chrétien “à la raison”, isolant ainsi stratégiquement syndicalistes
socialistes et libéraux. Il faut, implorait ainsi l’autre jour Wouter Beke, “que
la CSC-ACV mesure son rôle et se montre responsable le moment venu”.
Vite dit car, en coulisses, le climat entre le Mouvement
Ouvrier Chrétien et CD&V ne semble guère virer davantage au rose. Marc
Leemans, personnage peu connu des francophones mais vrai boss des syndicats
chrétiens, en a, tout au contraire, remis une couche au vitriol, dézinguant à
tout va.
“On voit, a-t-il lancé en substance, que dans la tête de
#Michel1, il n’y a pas de volonté pour un vrai dialogue social, mais juste un
monologue (…) C’est la vision de l’Entreprise 4.0, où the “winner takes it all”. Ou il arrive malheur au représentant du monde syndical qui ose ne
fut-ce qu’élever la voix”.
Pensions et pré-pensions, un enjeu majeur
Mais, au delà des mots, le boss du syndicat chrétien de
soutenir quand même mine de rien le CD&V: “ La CSC, dit-il, serait prête à s’asseoir si le
gouvernement met déjà un tax-shift sur la table” (glissement de la fiscalité du travail vers le capital)
Relisez bien la phrase- elle est importante- et comprenez
que l’appareil du syndicat chrétien pourrait redevenir accommodant, et
peut-être bel et bien avaler le
saut d’index, si un tax-shift donnait
l’impression de le compenser à court-terme. Saut d’index qui apparaît, aux yeux
syndicaux, comme de plus en plus “idéologique”, vu l’inflation… négative depuis
septembre.
Psychologiquement, l’appareil de l’ACV- CSC doit d’ailleurs
marcher sur des oeufs: la “base” syndicale est remontée comme un coucou tant au
Sud qu’au Nord. Et si les lois sur la pension ou pré-pension (un enjeu très
important, notamment pour apaiser les restructurations d’entreprise) ou la
prolongation des pensions sont votées à la Chambre, ben c’en sera forcément
fini de l’action syndicale. Le gouvernement sera passé en force sans
concertation aucune.
Si les “standen”, les
piliers traditionnels des sociaux-chrétiens du Nord, ont perdu de leur
pertinence au fil du temps, ils n’en demeurent pas moins encore influents. On
l’a vu avec le scandale Arco, le
Mouvement Ouvrier Chrétien peut faire veiller politiquement à ses intérêts. Et
les puissantes Mutualités Chrétiennes ne sont, par exemple, pas vraiment ravies
du taux de croissance raboté (seulement +2,5%) fixé par #Michel1 pour la
croissance des soins de santé. Elles se sont abstenues au vote à l’INAMI mais
avec le vieillissement de la population, les conséquences budgétaires feront
mal. Très mal.
Il ne faut pas perdre de vue que nombre des électeurs
conservateurs du CD&V votent désormais plutôt N-VA, donc qu’il y a
relativement davantage de démocrates chrétiens dans ses rangs. Et une
difficulté supplémentaire pour le CD&V, c’est qu’aucun de ses rares
ministres ne représente plus vraiment
cette aile plus à gauche du CD&V. Kris Peeters a beau se présenter
comme le “visage social” du gouvernement, d’aucuns se pincent au souvenir de
ses multiples discours de jadis, plutôt para-patronaux. Et savent l’homme
partisan de lien forts avec la N-VA. Quant à Koen Geens, il a bien du mal à se faire passer pour le
défenseur des petites gens avec son passé d’avocat d’affaires et du grrrrand
capital.
L’aile progressiste du CD&V n’a d’ailleurs pas manqué de
remarquer que seuls deux
gouvernements viennent de voter
récemment contre les dispositions européennes anti-fraude fiscale: les
Pays-Bas…et la Belgique.
Certes, le CD&V a toujours été un parti très hétérogène,
ou se cotoyaient conservateurs et hommes de gauche, citadins et Flandre rurale.
Le hic, c’est que Bart De Wever a capté largement ce trésor électoral: la N-VA représente désormais tout à la fois la
Flandre moderne et la Flandre traditionnelle.
Et cette N-VA là, tout comme l’OpenVLD, dit “non” pour
l’instant à toutes les petites idées de Kris Peeters pour ce fameux tax-shift de justice fiscale qui serait idéal pour détacher
l’ACV-CSC du mouvement social. “ Taxer les plus-values? “ Mais alors,
que fera-t-on des moins values” réplique
aussitôt le N-VA Johan Van Overtveldt, oubliant qu’il y a évidemment bien
d’autres formules possibles (comme l’intégration progressive des revenus du capital dans les déclarations
fiscales).
C’est la question du moment: qu’adviendra-t-il in fine des
idées visant une plus grande justice fiscale que les sociaux-chrétiens comptent
bel et bien déposer sur la table du gouvernement #Michel1, affirmant que
l’esprit de l’accord de coalition l’aurait bel et bien prévu?
Un voeu pieux pendant des années?
Ses partenaires lui concèderont-ils “un petit quelque chose
sur la taxation du capital” qui sauverait la face? Sans doute: mais cela ne
tromperait pas grand monde à l’analyse.
Ou bien le CD&V devra-t-il se contenter de répéter comme
un mantra, cinq années durant, son voeu pieux? D’autant plus curieux que la
revendication du “tax shift”, bref d’une
plus grande taxation du capital, ne figurait même pas au programme CD&V des
dernières élections du printemps…
Il faut toujours lire avec intérêt Bart Maddens (KUL), tout
de même le seul politologue à avoir prédit la coalition actuelle avec le seul
MR comme participation francophone.
“C’est douteux, dit-il en substance, que le CD&V puisse capitaliser
électoralement en dénonçant l’encre encore humide de l’accord de coalition:
c’est difficile à expliquer. Et
“qui casse paie” est une autre loin d’airain en politique”.
Et d’estimer que si le CD&V devait dans les mois à venir s’enfoncer
dans les sondages d’intentions de vote ce serait panique au CD&V. “Et
qu’une crise n’est dès lors pas à exclure, pas plus que des élections au
printemps”.
C’est juste peut-être oublier que le CD&V est un parti
bien structuré; avec beaucoup d'expérience et une faculté d’adaptation parfois saisissante.
Il n’y a qu’Alexander De Croo à pouvoir retirer la prise
gouvernementale en toute insouciance.
Michel HENRION.