Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

jeudi 11 décembre 2014

La N-VA n’entend pas plier face aux syndicats: mais son “modèle allemand” a des ratés (chronique MBelgique du 14/11/2014)

 
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Le mot médiapolitique a la mode ces derniers jours, celui qu’on s’envoie à la tête de part et d’autre,  c’est enfumage. Entendez, pour les uns, que le Gouvernement #Michel1 minimise et enfume à tout va chiffres et conséquences de ses  propres mesures. Pour les autres, que l’opposition enfume l’opinion en proclamant notamment que le vrai patron du gouvernement, c’est-Bart-de-Wever-depuis-l’Hôtel de-Ville-d’Anvers. Un point de controverse qui ne s’éclaircira qu’à la première vraie crise gouvernementale, avec en toile de fond cette anomalie structurelle indubitable: le premier parti de la coalition pèse de tout son poids mais n’a, et c’est exceptionnel, pas livré le Premier Ministre.

Il faut reconnaître au moins un mérite à Bart De Wever: lui, il n’enfume guère.

Oh, bien sûr, il sait fort bien ce qu’il fait en insistant lourdement l’autre soir, à la télé hollandaise, sur le désastre de François Hollande, ficelle de com’ idéale pour susciter rejet et allergies. Mais on est loin des circonvolutions toursiveuses des apparatchiks du CD&V.

Le boss de la N-VA l’a ainsi proclamé net, haut et fort pour qui s’égarerait: pour le parti nationaliste, “il n’y a pas d’alternative”. Face aux syndicats, une certitude désormais: la N-VA n’entend nullement plier.

C’est une différence fondamentale par rapport au gouvernement Martens-Gol (1981-1987) si souvent évoqué ces derniers temps et avec lequel #Michel1 n’a pas grand chose à voir. Les sauts d’index de jadis de Wilfried Martens, dans une toute autre conjoncture (à l’époque, on dévaluait encore le franc belge), avaient en effet l’aval implicite des syndicats chrétiens. Et les ministres de l’époque tenaient compte des sensibilités syndicales: nul ne serait allé aussi loin dans un certain autoritarisme hors normes du “modèle belge”.





L’objectif de Kris Peeters: diviser les syndicats



C’est ce souvenir qui explique sans nul doute que le CD&V, parti le plus à gauche (ou le moins porté vers la droite) du gouvernement,  n’a pas été distrait en décrochant pour Kris Peeters le portefeuille de l’Emploi (de nos jours on évacue des compétences le mot “Travail”) et de l’Economie.

Histoire d’infléchir le cap, si besoin était, au profit des sociaux-chrétiens flamands.

La stratégie était évidente ces jours derniers: Kris Peeters a tenté de se profiler, d’apparaître comme le “Ministre de la Concertation Sociale”, le “visage social” de #Michel1.

Avec un objectif politique évident: arriver à détacher la CSC-ACV de Marc Leemans, un leader au ton pourtant étonnamment dur, du Front Commun d’Action syndicale.

Ce qui postulerait une concession à tout le moins forte du gouvernement.

Or, ses partenaires sont loin de lui avoir laissé “carte blanche”. Sa marge de manoeuvre de “facilitateur discret” est faiblarde puisque ses collègues n’entendent pas rediscuter du “lourd”. Mieux: puisque le Mouvement Ouvrier Flamand a déjà obtenu de Wouter Beke qu’il bloque, pendant les négociations, d’autres projets suédois (notamment l’idée d’une limitation dans le temps des allocations de chômage), le CD&V n’est plus guère en état de décrocher un quelconque trophée bonus. On voit bien les idées social-chrétiennes qui circulent: que les entreprises garantissent le retour en emplois de la baisse des cotisations patronales; ou un effort sur le capital pour davange d’équité. Aseez aléatoire, sauf mesure cosmétique, dans le climat actuel.



La N-VA, ce parti sans histoire syndicale



La caractéristique de la N-VA, c’est que, contrairement aux trois partis traditionnels,

cette encore très jeune formation politique n’a aucun lien historique avec la notion de syndicalisme.

C’est pour le moins différent des libéraux de l’OpenVLD Alexander De Croo ou du MR Charles Michel dont les formations ont tout de même, elles, une mémoire syndicale, fut-elle parfois flanchante. En Flandre, dès 1891,  la "Liberale Werkersverdediging" (Défense des travailleurs libéraux) était clairement un groupe de pression électoral dont le but était d'obtenir des places en ordre utile sur les listes aux élections de toutes sortes, y compris politiques. Nés à Gand dans la seconde moitié du XIXe siècle, les premiers syndicats connurent une vie effervescente, y compris chez les libéraux d’antan. En 1917, on recensait la "Liberale Werkersverdediging" qui  fusionnait avec la "Volksgezinde Vereniging Help U Zelve" avant, en 1921, de fonder l’ ”Union des Syndicats libéraux des Deux Flandres”.



La “caisse de grève”, invention… libérale



Amusant: à l’heure ou la ministre libérale Jacqueline Galant interpelle, non sans populisme, sur les tarifs spéciaux SNCB et l’appui financier des syndicats aux manifestants, on peut lui apprendre que la toute première “caisse de grève” -à l’époque, on disait “de résistance”- de Belgique, avant même celles des catholiques et des socialistes, fut l’initiative de la "Centrale nationale des Syndicats libéraux de Belgique". Et aujourd’hui la CGSLB assortit toujours son logo de la mention “Syndicat libéral”, avec des contacts variables avec les deux partis libéraux.

Ainsi sa branche “service public” vient-elle de demander aux mandataires MR et OpenVLD, traditionnellement invités à l’assemblée générale académique, de ne pas se présenter à la prochaine, prévue en novembre. Or,  Charles Michel, Gwendolyn Rutten et Guy Vanhengel avaient pourtant déjà confirmé leur présence. Bref, petit camouflet entre amis. Circonstances obligent.



Ces syndicalistes qui votent N-VA



Rien de tout cela évidemment à la N-VA, davantage liée (mais moins qu’on ne le dit) au Voka, cette association associant l’ancien Vlaams Economisch Verbond et  huit chambres de commerce régionales de Flandre, soit 18.000 entreprises.

En fait, c’est assez complexe: lorsqu’on décroche, comme la N-VA, 1.366.397 électeurs et quasi 32% des votes en Flandre, cela signifie qu’on a aussi attiré nombre d’affiliés des trois syndicats traditionnels, dont des délégués et même des responsables. (et sans doute nombre de votes des délicats dockers anversois)

C’est ainsi tout sauf un hasard si la N-VA, qui sait qu’elle débauché nombre d’électeurs proches du CD&V et du Mouvement Ouvrier Chrétien, a baissé le ton et a accepté ce scandale d’Etat qu’est le sauvetage des 800.000 coopérateurs d’Arco-Dexia, si chers aux intérêts électoraux du CD&V.

Donc, malgré tout, la N-VA doit faire attention au ressenti des travailleurs du Nord.

Et tient compte désormais bien plus qu’on ne le pense des sensibilités francophones , notamment parce qu’elle n’entend pas mettre le MR en péril et saborder “sa coalition”.



La vision du syndicalisme de la N-VA



Bref, lorsqu’ils causent syndicalisme, les leaders N-VA se réfèrent, une fois de plus, au #modèle allemand, prônant une évolution vers cette direction. A les entendre, nos syndicats seraient par trop attachés au passé, pas assez “modernes”; la concertation sociale fédérale interprofessionnelle serait évidemment, elle,  dépassée par les faits. Et il faudrait, of course, que les syndicats deviennent plus “flexibles”.

Bref, le discours N-VA se résume en une formule: la manière dont les syndicats pensent leur rôle et agissent dans la société belge se doit d’évoluer, notamment en fonction de la situation économique…



Six grèves du rail depuis septembre en Allemagne, dont une de trois jours



Le hic, c’est que le modèle allemand tangue pour le moins ces temps-ci.

Le belge n’en sait quasi rien mais, au pays d’Angela, les chemins de fer ont connu six grèves du rail depuis le début septembre. Et la dernière, de loin la plus dure, a duré trois jours ininterrompus. Olé.

Le belge n’en sait quasi rien mais la pauvreté a progressé à un niveau record en Allemagne parallèlement –notez bien ça- à une diminution du chômage. Explication: la multiplicité des emplois à très bas salaire, la diminution des contrats à durée indéterminée (soumis aux cotisations sociales), le développement incessant du travail à temps partiel et la multiplicité des emplois précaires. Comme ces fameux “mini-jobs”: des contrats destinés aux chômeurs de longue durée rémunérés aux alentours de 400 euros par mois, le plus souvent limités à 15 heures de travail par semaine (et exonérés d'impôts et de charges) Aujourd'hui, 7,4 millions de personnes exercent un mini-job; et 1,4 million sont rémunérées moins de 5 euros bruts de l'heure. Olé.

Le belge n’en sait quasi rien, mais, contrairement à l’irruption de plus en plus grande du politique dans le social belge (la déclaration gouvernementale intègre directement  des mesures qui  relèvent manifestement de la concertation sociale, comme l’âge de le pension), le dialogue social est la plus grande originalité du système allemand, sans ingérence possible de l’État. La force de la concertation, celle dont le gouvernement #Michel1 ne veut pas dans sa vision classique, celle qui est capable de canaliser et de résoudre bien des conflits, y joue un rôle important à côté de la politique. Ce principe, hérité, après la chute du Troisième Reich, de la méfiance à l’égard de l’État, est d’ailleurs inscrit dans la Constitution allemande.



Marche arrière de Merkel: la pension à 67 ans ramenée à …63 ans.



Le plus étonnant, mais le belge n’en sait quasi rien, c’est que l’Allemagne est aussi revenue bel et bien en arrière pour ce qui est de l’âge de la pension et du principe de la retraite à 67 ans en 2029.

Vote face: tous les salariés de 63 ans qui auront cotisé quarante-cinq ans pourront partir à la retraite à taux plein. (et certaines périodes de chômage pourront être prises en compte) C’est d'autant plus symbolique que le SPD (socialistes sociaux-démocrates) Bref, le modèle allemand a plus que des ratés.

 est convaincu d'avoir perdu les élections de 2009 pour avoir précisément accepté  de porter le départ à la retraite à 67 ans, ce que les syndicats ne lui ont jamais pardonné.

Il est des mesures que, face à l’opinion publique, aucun gouvernement, fut-il celui d’Angela, ne réussit vraiment à imposer.

Même dans le modèle allemand si cher à la N-VA, la “pension pour les morts”, ça n’enfume ni ne séduit personne.



Michel HENRION