Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

lundi 17 novembre 2014

Black Out et politiques: le fiasco des bricoleurs (Qui voudrait encore investir dans un pays devenu du Tiers Monde énergétique?)

 
Il suffira d’un watt. Le watt trop peu qui déclenchera le tout premier “délestage” électrique. Parce que, pendant quelques jours d’hiver, il aura soudain fait banalement trop froid. Parce que ce soir-là, la production ou l’importation d’électricité n’aura pu coller à la demande de consommation.
Ce soir-là, les habitants des zones de Belgique momentanément préservées de la coupure de courant, regarderont les inmanquables Journaux Télévisés spéciaux en boucle, stupéfaits de se croire soudain dans un pays du Tiers-Monde énergétique.

Ce soir-là, certains bourgmestres distraits découvriront soudain qu’ils  ont omis quelques légers détails: ouvrir un centre d’accueil chauffé, veiller si personne ne traîne plus à 17h dans les écoles, vérifier si tout coulait pour les égouts… Et, pour d’aucuns, avoir géré les pompes anti-inondations, les prisons, les centres d’accueil, voire les agences bancaires et les tribunaux du cru.

Ce soir-là, policiers et pompiers découvriront soudain des situations aléatoires: des ascenseurs bloqués; de petites entreprises au bord de la crise de nerfs parce que leur chaîne de production est soudain compromise; des bricoleurs allumés qui auront connecté dangereusement au réseau le groupe électrogène acheté discount au magasin brico du coin; des personnes âgées qui, après les heures de coupure du chauffage, ne se rendront pas compte qu'il leur faut parfois le relancer manuellement… A relever: sauf groupe électrogène,  maisons de repos et hôpitaux devront tout de même patienter quelques minutes, même s’ils sont prioritaires.

Ce soir-là,  des citoyens, tentés jusqu’alors de parfois poétiser le délestage (ils se voyaient déjà jouer au “nain jaune” dans une atmosphère familiale enfin débarrassée du numérique), découvriront que les radiateurs gelés par -10°, c’est pas vraiment le top convivial.

Et, au moment de rétablir le courant, d’aucuns s’apercevront que ça ne se relance pas comme l’on relève d’un doigt léger un plomb Teco dans sa cave. Et que, dehors,  des câbles électriques, ça peut geler, se givrer. Qu’il faut des moteurs pour le gaz.  Que nos réseaux sont vraiment bien vieux: et que, pour retrouver la lumière, ce sont des hommes qui devront s’en aller péniblement, de cabine en cabine, relancer manuellement le bigntz.  Peut-être même sans ligne GSM pour  communiquer.







L’hiver 2015-2016 sera encore plus risqué



Et, le lendemain matin, le belge du Nord ou du Sud, s’il n’est pas préservé par l’un ou l’autre statut (habiter une grande ville ou être situé sur la route électrique d’une installation vitale) s’inquiètera grave: sera-ce mon tour ce soir? Et il lui faudra du temps pour comprendre que lorsque le Nord sera coupé par deux fois de courant, la Wallonie ne l’aura été qu’une fois (puisqu’elle est scindée, pour conserver l’équilibre avec le Nord, en 2 zones alternativement délestées ) Et que chacune des cinq zones fédérales définies sera délestée selon une échelle de six à un. Si votre rue est labelisée 6, vous êtes en première ligne pour être out trois ou quatre heures. Et si ça ne suffit pas, on coupera les rues sises “en degré 5”. Et ainsi de suite selon le niveau de pénurie.

Première certitude: “Le risque de manquer d’électricité cet hiver est très sérieux et sera sans doute encore plus élevé pour l’hiver 2015-2016” confirme à M…Belgique le professeur Damien Ernst (ULg)

Seconde certitude:  pour les hommes politiques de tous bords, cela sera assurément un très mauvais moment à passer. Sauf pour ceux qui, bien mieux informés, se sont déjà fait installer at home un dispositif de secours. (on en connaît, chut…) D’aucuns se mettront assurément à courir en tous sens, soit pour fuir l’opinion publique, soit pour enfin tenter de comprendre ce qui se passe. Car les jolis discours de langue de bois, ça ne passera plus, même pas auprès des heureux propriétaires de poêles à pellets. (cette tendance calorifique qui vous bouffe, mine de rien, des km2 de forêts).





Le Valet Noir des politiques



Oh,  la rue de la Loi va user assurément de mille artifices de com’ pour faire accroire au citoyen lambda que-c’est-pas-moi-c’est-l’autre. On se refilera le fameux Valet Noir de l’impopularité. D’aucuns inaugureront le Cap Canaveral de l’envoi des responsabilités vers la stratosphère de l’oubli et de la confusion. D’autres feront croire dogmatiquement que- c’est-la-faute-au-photovoltaïque alors que c’est bien évidemment la déglingue du parc nucléaire belge qui est la raison première de la pénurie actuelle. Et pas de manière inopinée, c’est depuis 2008 qu’il y a alerte..

Car le truc est tout de même émorme. Hénaurme. On se pince: la Belgique, pays industrialisé moderne, gèrant son électricité comme un pays sous-développé.

Tout le monde bottera en touche. Ah, le ministre, c’était pas moi… Le gouvernement untel: oh j’y étais pas… C’est comme dans les jeux télévisés lorsqu’un candidat ne connaît pas la réponse et qu’il s’exclame “Ah, mais c’est que je n’étais pas né!”. Comme si ça le dispensait de connaître Simenon ou Zénobe Gramme.



Le syndrome Kodak



Nos politiques  sont dans le “syndrome Kodak”, du nom du si puissant géant mondial de photographie clic-clac-kodak qui n’a jamais vu venir, qui a nié l’évolution, la révolution du numérique… Jusqu’à tout y perdre.

Et pour cause: nos hommes politiques, nos élus, ne sont pas formés à suivre toute la complexité des événements énergétiques.

Soyons clairs: ils n’ont, pour la plupart, pas la capacité d’en analyser les enjeux.

Rien de forcément rhédibitoire à ça: être un bon ministre généraliste qui  peut  passer de la Santé Publique à la Défense Nationale, c’est simplement le don d’avoir des méthodes, des techniques applicables à tous les dossiers. Et, surtout, d’être bien entouré et conseillé par des spécialistes.

C’est ici qu’est le bigntz. On a connu des cabinets de responsables ministériels de l’Energie  affichant carrément zéro ingénieur dans l’organigramme. Zéro conseiller connaissant les réseaux d’électricité.

On y préfère les juristes, histoire d’arracher des “rentes nucléaires” à Electrabel. (la déclaration gouvernementale de #Michel1 prévoit encore naïvement 500mio d’€ du style alors qu’il est probable que GDF-Suez ne consentira plus à dépenser bonbon pour moderniser ses installations sans intervention financière de l’Etat)



Quand le politique sous-traite dangereusement ses compétences



Conséquence: une tendance évidente du politique à déléguer son pouvoir d’Etat, voire à sous-traiter sa politique énergétique à des institutions diverses. Lesquelles polluent plutôt parfois les dossiers, racontant parfois portnawak aux ministres responsables.  Ainsi de la très flamande Elia (l’organisme qui a la responsabilité quasi morale d’éviter les black-outs)  qui s’intéresse apparemment bien davantage à ses ambitions internationales controversées qu’aux investissements à réaliser en Belgique,  exception faite du Nord du pays…(c’est Elia qui, avant que la ministre Catherine Fonck ne l’impose de force, n’entendait mordicus rien changer à ses délestages frappant deux fois plus la Wallonie, la désavantageant gravement au plan économique)



Les parlementaires ahuris



Il faut avoir la patience bénédictine, comme on l’a fait pour M…Belgique, de se pencher sur les mètres de compte-rendus parlementaires des Commissions spécialisées, tant au niveau fédéral que Wallon.

Oh, ce n’est pas que nos parlementaires manquent d’intérêt pour le sujet: le hic, c’est qu’ils… le découvrent.

Et ils sont même assez passionnés par les discours de la foultitude d’experts venus didactiquement tenter d’ éclairer leur lanterne. Et leur faire photographier que, pour l’heure, 3000 mégawatts de production nucléaire sont à l’arrêt. (contre 2000 MW l’an dernier en hiver doux). Qu’Electrabel, qui assure en temps normal 46% de la production,  a donc vu foirer la moitié de sa production.



LOLE ne fait pas toujours rire



Mais on ne les voit  plus sourire lorsqu’un expert leur parle pourtant du LOLE (Loss of Load Expectation) bien moins drôle que l’acronyme internet puisqu’il  prédit le nombre hypothétique d’heures potentielles de délestage; qui varient de 5H à 116h d’après de vagues calculs et selon les délais de réparation de la centrale de  Doel 4 gravement sabotée. (le Ministère de l’Intérieur a oublié d’ailleurs de sécuriser les lignes critiques.)

On tourne les pages et on voit les élus des zones rurales défendre leurs électeurs hautement délestables cet hiver alors que Bruxelles sera préservé, et ce contrairement à l’arrêté royal du 3 juin 2005.

On voit ceux du Brabant Wallon s’étonner dêtre deux fois plus délestés que ceux du Brabant flamand. C’est qu’il subsiste une “région du Centre”, sorte de BHV électrique.

On voit les élus du peuple multiplier les idées les questions, parfois naïves, tantôt précises.

“C’est bien beau tout ça, mais qui financera un toutes-boîtes communal, hein ?”, s’interroge un député à idées courtes. 

Y a-t-il moyen de doper l’importation?, s’interroge un autre. ( bof, bof, faudra plus trop compter sur la France, notamment vu les millions de pavillons Leroy-Merlin  dotés à moindre coût de chauffage électrique)



On ne stocke pas le courant comme du sucre



Peut-on  encore améliorer ce qu’on appelle la “réserve stratégique”? demande un autre. L’électricité ne se stockant pas comme le sucre,  il s’agit que des entreprises acceptent de refiler leur consommation à l’Etat en arrêtant leur chaîne de production. (ce qui préoccupe alors les syndicats, soucieux de la manière dont les travailleurs seront compensés pour ce chômage technique inédit).



Quant à la question récurrente: qui paiera les indemnités, les dédommagements pour les multiples dégâts annoncés? c’est l’imbroglio juridique  vu le nombre incalculable d’acteurs se renvoyant la patate toute chaude.



Pour les politiques, la vérité est rarement bonne à dire…



Photographiez bien ça: on vit dans un pays dont le parc nucléaire, pourtant robuste,  est vieillissant ou à problèmes. Les diamants sont éternels: pas les centrales, qu’elles soient à l’uranium et au gaz.

Bref, la Faillite énergétique, nous voilà. Un pays limite exsangue pour plusieurs hivers, en attendant un renfort en gaz, sans doute hollandais. Avec un programme d’accord gouvernemental qui, pas plus que ses prédécesseurs, n’a l’air de prendre vraiment la mesure du problème . La N-VA veut juste sa centrale nucléaire de 4ème Génération. Mais ce serait …pour 2035 et, léger détail pas accessoire, le Mégawatt qui en sortirait coûterait bonbon.

On sait bien que pour tout politique, la vérité est rarement bonne à dire. Dans la vie publique, s’arranger avec la vérité est bien moins dangereux que de “parler vrai”.

Ce qui est cependant affolant, ce sont tous ces politiques qui, après n’avoir rien vu venir, continuent à minimiser tous partis confondus.  D’ou cette nouvelle dramaturgie à deux sous: “Arrêtez votre micro-ondes et tout ira bien”. Prière de croire ça sans ciller, avec sérieux, en acquiesçant d’un air entendu.

 Le hic, c’est qu’il faudrait mettre 500.000 micro-ondes à l’arrêt pour obtenir l’équivalent d’une modeste centrale nucléaire.

Et que la “bonne volonté citoyenne” , si elle plait au “bon sens” de l’opinion, risque de faire -techniquement- plus de mal que de bien. Provoquer l’inattendu sur un réseau sensible, vite instable, c’est jouer à la roulette russe. C’est même le risque d’un #blackout total.

Mais qui ces politiques ont-ils consulté comme experts en réseaux avant de décider de leur campagne cache-sexe? Rien de bien sérieux d’évidence. Un peu de communication et passez muscade sur le fond.

En fait, rien ne semble se passer pour sécuriser au plus vite le pays.



120 millions perdus par heure de délestage



Ce n’est pas qu’une anecdote, ces délestages plus ou moins hypothétiques. C’est toute notre économie, nos emplois qui sont en jeu. L’économie souffre de cette désinvolture d’Etat, de ce perpétuel manque de vision politique à long terme. “Il ne faut absolument pas négliger, souligne le professeur Damien Ernst, mine de rien sommité mondiale du genre, les conséquences. C’est terriblement destructeur de richesse. Une heure de perte d’approvisionnement pendant un « business day », ça coûte 120 millions d’€ à l’économie”

Le CEO à l’autre bout du monde du monde qui zyeute la carte d’Europe pour y placer l’un ou l’autre investissement, vous croyez qu’il va aller le jouer dans un pays dont l’approvisionnement en électricité ne lui est pas garanti?

Comme le dirait Nabilla, c’est tout simple: si t’as pas d’électricité, t’as pas de croissance.



Michel HENRION.
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Interview-express de l’expert Damien Ernst (ULg)

“Electrabel ne rénovera pas Doel 1 et Doel 2 sans être subsidié par l’Etat”



Question : Que devrait faire Marie-Christine Marghem, la nouvelle ministre MR de l’énergie ?

Damien Ernst (ULg): -“ La nouvelle ministre est dans une situation extrêmement inconfortable: il n’est pas possible d’augmenter significativement la capacité de notre pays en moins de trois-quatre ans. Je lui conseillerais de tout faire pour que la situation n’empire pas d’ici l’hiver 2015-2016. Si elle ne fait rien, on risque de perdre encore plus de 1000 MW de centrales thermiques. On annonce aussi la fermeture de Doel 1 et Doel 2 pour l’hiver 2015-2016, ce qui risque de conduire à une perte additionnelle de 900 MW. Sans vouloir jouer les alarmistes, si on perd encore 1900 MW de capacité en 2015, on sera réellement dans une situation catastrophique ! “



Q: -La solution serait-elle de prolonger les centrales nucléaires de Doel 1 et Doel 2 ?



-Mme Marghem (MR) devrait d’abord essayer de sécuriser les 1000 MW de centrales thermiques qui sont menacées en augmentant la taille de la “réserve stratégique”. Pour ce qui est de Doel 1 et Doel 2, cela s’annonce être un dossier pour le moins difficile. Je ne suis même pas sûr que cela soit possible pour l’hiver 2015-2016, car ça prend du temps d’obtenir du nouveau combustible. Comptez quelque 18 mois… D’autre part, l’Agence de Contrôle Nucléaire n’autorisera probablement pas la prolongation de Doel 1 et Doel 2 au-delà de quelques mois par rapport à leur date de fermeture sans des investissements considérables. Il faudra plus de 600 millions d’euros. Or, il est quasi certain qu’Electrabel ne se lancera pas dans de tels investissements sans une “garantie de profitabilité” donnée par l’Etat belge. Vu le prix très bas de l’électricité sur les marchés de gros, il y a même fort à parier que cette garantie de profit devrait se traduire par un subside de l’Etat pour Electrabel. Ce qui pourrait être politiquement assez difficile à gérer...”






 “Le photovoltaïque est déjà rentable lorsqu’il est

consommé localement, avec des batteries”



-Alors, le rêve du renouvelable serait-il mort ?

Damien Ernst (Ulg): -“Le belge est en désamour avec les énergies renouvelables car il a l’impression qu’elles ont couté cher, trop cher. Et qu’elles ont fragilisé sa sécurité d’approvisionnement. Ca se répercute sur les politiques qui semblent ne plus vouloir soutenir activement la filière, sans peut être le dire. Or -même si l’on met de côté toutes les considérations et passions écologiques- le renouvelable est toujours intéressant. Car il offre une vraie solution pour réduire nos besoins en importation d’énergie, qui nous coûtent de plus en plus cher. Tenez-vous bien: en 1999, l’Europe importait pour 84 milliards d’€ en énergie. En 2011, la facture atteignait …488 milliards d’€, un montant dont l’ampleur étouffe réellement l’Europe.”

- Qu’est-ce qui pourrait réanimer la filière?

-  C’est tout simple: les progrès technologiques! Notez bien ceci de peu connu: même sans subsides, le photovoltaïque est déjà rentable en Belgique lorsqu’il est consommé localement.  C’est-à-dire lorsque le photovoltaïque ne doit pas transiter par le réseau électrique global pour alimenter les charges. Les gens ne se rendent pas compte que c’est déjà financièrement intéressant pour eux d’installer du photovoltaïque sur le toit et éventuellement aussi quelques batteries dans leur cave, même sans subsides.

Ces progrès permettent déjà d’avoir en Belgique des éoliennes qui sont compétitives avec des centrales au gaz. D’ici quelques années, même le photovoltaïque belge sera compétitif avec lesdites centrales…




“On va moins dépendre des réseaux électriques”





Damien Ernst (ULg): -“On va migrer beaucoup plus rapidement que l’on ne le pense vers un monde où la majorité de l’énergie générée le sera grâce à des éoliennes et du photovoltaïque. La seule chose dont je ne suis pas sûr c’est la place que nos sociétés donneront au réseau électrique. Je pense qu’il n’est pas impossible que notre dépendance vis-à-vis du réseau diminue de plus en plus, au profit de la génération distribuée et du stockage distribué de l’électricité. Quoi qu’il en soit, nos systèmes électriques/énergétiques vont muter très fortement dans les années à venir.”

(propos recueillis par Michel Henrion pour M...Belgique)