Il suffira d’un watt. Le watt trop peu qui déclenchera le tout premier “délestage” électrique. Parce que, pendant quelques jours d’hiver, il aura soudain fait banalement trop froid. Parce que ce soir-là, la production ou l’importation d’électricité n’aura pu coller à la demande de consommation.
Ce soir-là, les habitants des
zones de Belgique momentanément préservées de la coupure de courant,
regarderont les inmanquables Journaux Télévisés spéciaux en boucle, stupéfaits
de se croire soudain dans un pays du Tiers-Monde énergétique.
Ce soir-là, certains
bourgmestres distraits découvriront soudain qu’ils ont omis quelques légers détails: ouvrir un centre d’accueil
chauffé, veiller si personne ne traîne plus à 17h dans les écoles, vérifier si
tout coulait pour les égouts… Et, pour d’aucuns, avoir géré les pompes
anti-inondations, les prisons, les centres d’accueil, voire les agences bancaires
et les tribunaux du cru.
Ce soir-là, policiers et
pompiers découvriront soudain des situations aléatoires: des ascenseurs
bloqués; de petites entreprises au bord de la crise de nerfs parce que leur
chaîne de production est soudain compromise; des bricoleurs allumés qui auront
connecté dangereusement au réseau le groupe électrogène acheté discount au
magasin brico du coin; des personnes âgées qui, après les heures de coupure du
chauffage, ne se rendront pas compte qu'il leur faut parfois le relancer
manuellement… A relever: sauf groupe électrogène, maisons de repos et hôpitaux devront tout de même patienter
quelques minutes, même s’ils sont prioritaires.
Ce soir-là, des citoyens, tentés jusqu’alors de
parfois poétiser le délestage (ils se voyaient déjà jouer au “nain jaune” dans
une atmosphère familiale enfin débarrassée du numérique), découvriront que les
radiateurs gelés par -10°, c’est pas vraiment le top convivial.
Et, au moment de rétablir le
courant, d’aucuns s’apercevront que ça ne se relance pas comme l’on relève d’un
doigt léger un plomb Teco dans sa cave. Et que, dehors, des câbles électriques, ça peut geler,
se givrer. Qu’il faut des moteurs pour le gaz. Que nos réseaux sont vraiment bien vieux: et que, pour
retrouver la lumière, ce sont des hommes qui devront s’en aller péniblement, de
cabine en cabine, relancer manuellement le bigntz. Peut-être même sans ligne GSM pour communiquer.
L’hiver 2015-2016 sera
encore plus risqué
Et, le lendemain matin, le
belge du Nord ou du Sud, s’il n’est pas préservé par l’un ou l’autre statut
(habiter une grande ville ou être situé sur la route électrique d’une
installation vitale) s’inquiètera grave: sera-ce mon tour ce soir? Et il lui
faudra du temps pour comprendre que lorsque le Nord sera coupé par deux fois de
courant, la Wallonie ne l’aura été qu’une fois (puisqu’elle est scindée, pour
conserver l’équilibre avec le Nord, en 2 zones alternativement délestées ) Et
que chacune des cinq zones fédérales définies sera délestée selon une échelle de
six à un. Si votre rue est labelisée 6, vous êtes en première ligne pour être
out trois ou quatre heures. Et si ça ne suffit pas, on coupera les rues sises
“en degré 5”. Et ainsi de suite selon le niveau de pénurie.
Première certitude: “Le
risque de manquer d’électricité cet hiver est très sérieux et sera sans doute
encore plus élevé pour l’hiver 2015-2016” confirme à M…Belgique le
professeur Damien Ernst (ULg)
Seconde certitude: pour les hommes politiques de tous
bords, cela sera assurément un très mauvais moment à passer. Sauf pour ceux
qui, bien mieux informés, se sont déjà fait installer at home un dispositif de
secours. (on en connaît, chut…) D’aucuns se mettront assurément à courir en
tous sens, soit pour fuir l’opinion publique, soit pour enfin tenter de
comprendre ce qui se passe. Car les jolis discours de langue de bois, ça ne
passera plus, même pas auprès des heureux propriétaires de poêles à pellets.
(cette tendance calorifique qui vous bouffe, mine de rien, des km2 de forêts).
Le Valet Noir des
politiques
Oh, la rue de la Loi va user assurément de mille artifices de
com’ pour faire accroire au citoyen lambda que-c’est-pas-moi-c’est-l’autre. On
se refilera le fameux Valet Noir de l’impopularité. D’aucuns inaugureront le
Cap Canaveral de l’envoi des responsabilités vers la stratosphère de l’oubli et
de la confusion. D’autres feront croire dogmatiquement que-
c’est-la-faute-au-photovoltaïque alors que c’est bien évidemment la déglingue
du parc nucléaire belge qui est la raison première de la pénurie actuelle. Et
pas de manière inopinée, c’est depuis 2008 qu’il y a alerte..
Car le truc est tout de même
émorme. Hénaurme. On se pince: la Belgique, pays industrialisé moderne, gèrant
son électricité comme un pays sous-développé.
Tout le monde bottera en
touche. Ah, le ministre, c’était pas moi… Le gouvernement untel: oh j’y étais
pas… C’est comme dans les jeux télévisés lorsqu’un candidat ne connaît pas la
réponse et qu’il s’exclame “Ah, mais c’est que je n’étais pas né!”. Comme si ça le dispensait de connaître Simenon ou
Zénobe Gramme.
Le syndrome Kodak
Nos politiques sont dans le “syndrome Kodak”, du nom du si puissant géant mondial de photographie
clic-clac-kodak qui n’a jamais vu venir, qui a nié l’évolution, la révolution
du numérique… Jusqu’à tout y perdre.
Et pour cause: nos hommes
politiques, nos élus, ne sont pas formés à suivre toute la complexité des
événements énergétiques.
Soyons clairs: ils n’ont,
pour la plupart, pas la capacité d’en analyser les enjeux.
Rien de forcément rhédibitoire
à ça: être un bon ministre généraliste qui peut passer de
la Santé Publique à la Défense Nationale, c’est simplement le don d’avoir des
méthodes, des techniques applicables à tous les dossiers. Et, surtout, d’être
bien entouré et conseillé par des spécialistes.
C’est ici qu’est le bigntz.
On a connu des cabinets de responsables ministériels de l’Energie affichant carrément zéro ingénieur dans
l’organigramme. Zéro conseiller connaissant les réseaux d’électricité.
On y préfère les juristes,
histoire d’arracher des “rentes nucléaires” à Electrabel. (la déclaration
gouvernementale de #Michel1 prévoit encore naïvement 500mio d’€ du style alors
qu’il est probable que GDF-Suez ne consentira plus à dépenser bonbon pour
moderniser ses installations sans intervention financière de l’Etat)
Quand le politique
sous-traite dangereusement ses compétences
Conséquence: une tendance
évidente du politique à déléguer son pouvoir d’Etat, voire à sous-traiter sa
politique énergétique à des institutions diverses. Lesquelles polluent plutôt
parfois les dossiers, racontant parfois portnawak aux ministres
responsables. Ainsi de la très
flamande Elia (l’organisme qui a la responsabilité quasi morale d’éviter les
black-outs) qui s’intéresse
apparemment bien davantage à ses ambitions internationales controversées qu’aux
investissements à réaliser en Belgique,
exception faite du Nord du pays…(c’est Elia qui, avant que la ministre
Catherine Fonck ne l’impose de force, n’entendait mordicus rien changer à ses
délestages frappant deux fois plus la Wallonie, la désavantageant gravement au
plan économique)
Les parlementaires ahuris
Il faut avoir la patience
bénédictine, comme on l’a fait pour M…Belgique, de se pencher sur les mètres de compte-rendus
parlementaires des Commissions spécialisées, tant au niveau fédéral que Wallon.
Oh, ce n’est pas que nos
parlementaires manquent d’intérêt pour le sujet: le hic, c’est qu’ils… le
découvrent.
Et ils sont même assez
passionnés par les discours de la foultitude d’experts venus didactiquement tenter
d’ éclairer leur lanterne. Et leur faire photographier que, pour l’heure, 3000
mégawatts de production nucléaire sont à l’arrêt. (contre 2000 MW l’an dernier
en hiver doux). Qu’Electrabel, qui assure en temps normal 46% de la production, a donc vu foirer la moitié de sa
production.
LOLE ne fait pas toujours
rire
Mais on ne les voit plus sourire lorsqu’un expert leur
parle pourtant du LOLE (Loss of Load Expectation) bien moins drôle que
l’acronyme internet puisqu’il
prédit le nombre hypothétique d’heures potentielles de délestage; qui
varient de 5H à 116h d’après de vagues calculs et selon les délais de
réparation de la centrale de Doel
4 gravement sabotée. (le Ministère de l’Intérieur a oublié d’ailleurs de
sécuriser les lignes critiques.)
On tourne les pages et on
voit les élus des zones rurales défendre leurs électeurs hautement délestables
cet hiver alors que Bruxelles sera préservé, et ce contrairement à l’arrêté
royal du 3 juin 2005.
On voit ceux du Brabant
Wallon s’étonner dêtre deux fois plus délestés que ceux du Brabant flamand.
C’est qu’il subsiste une “région du Centre”, sorte de BHV électrique.
On voit les élus du peuple
multiplier les idées les questions, parfois naïves, tantôt précises.
“C’est bien beau tout ça,
mais qui financera un toutes-boîtes communal, hein ?”, s’interroge un député à
idées courtes.
Y a-t-il moyen de doper
l’importation?, s’interroge un autre. ( bof, bof, faudra plus trop compter sur
la France, notamment vu les millions de pavillons Leroy-Merlin dotés à moindre coût de chauffage
électrique)
On ne stocke pas le
courant comme du sucre
Peut-on encore améliorer ce qu’on appelle la
“réserve stratégique”? demande un autre. L’électricité ne se stockant pas comme
le sucre, il s’agit que des
entreprises acceptent de refiler leur consommation à l’Etat en arrêtant leur
chaîne de production. (ce qui préoccupe alors les syndicats, soucieux de la
manière dont les travailleurs seront compensés pour ce chômage technique
inédit).
Quant à la question
récurrente: qui paiera les indemnités, les dédommagements pour les multiples
dégâts annoncés? c’est l’imbroglio juridique vu le nombre incalculable d’acteurs se renvoyant la patate
toute chaude.
Pour les politiques, la
vérité est rarement bonne à dire…
Photographiez bien ça: on vit
dans un pays dont le parc nucléaire, pourtant robuste, est vieillissant ou à problèmes. Les
diamants sont éternels: pas les centrales, qu’elles soient à l’uranium et au
gaz.
Bref, la Faillite
énergétique, nous voilà. Un pays limite exsangue pour plusieurs hivers, en
attendant un renfort en gaz, sans doute hollandais. Avec un programme d’accord
gouvernemental qui, pas plus que ses prédécesseurs, n’a l’air de prendre
vraiment la mesure du problème . La N-VA veut juste sa centrale nucléaire de
4ème Génération. Mais ce serait …pour 2035 et, léger détail pas accessoire, le
Mégawatt qui en sortirait coûterait bonbon.
On sait bien que pour tout
politique, la vérité est rarement bonne à dire. Dans la vie publique,
s’arranger avec la vérité est bien moins dangereux que de “parler vrai”.
Ce qui est cependant
affolant, ce sont tous ces politiques qui, après n’avoir rien vu venir,
continuent à minimiser tous partis confondus. D’ou cette nouvelle dramaturgie à deux sous: “Arrêtez votre
micro-ondes et tout ira bien”. Prière de croire ça sans ciller, avec sérieux,
en acquiesçant d’un air entendu.
Le hic, c’est qu’il faudrait mettre 500.000 micro-ondes à
l’arrêt pour obtenir l’équivalent d’une modeste centrale nucléaire.
Et que la “bonne volonté
citoyenne” , si elle plait au “bon sens” de l’opinion, risque de faire
-techniquement- plus de mal que de bien. Provoquer l’inattendu sur un réseau
sensible, vite instable, c’est jouer à la roulette russe. C’est même le risque
d’un #blackout total.
Mais qui ces politiques ont-ils
consulté comme experts en réseaux avant de décider de leur campagne cache-sexe?
Rien de bien sérieux d’évidence. Un peu de communication et passez muscade sur
le fond.
En fait, rien ne semble se
passer pour sécuriser au plus vite le pays.
120 millions perdus par
heure de délestage
Ce n’est pas qu’une anecdote,
ces délestages plus ou moins hypothétiques. C’est toute notre économie, nos
emplois qui sont en jeu. L’économie souffre de cette désinvolture d’Etat, de ce
perpétuel manque de vision politique à long terme. “Il ne faut absolument
pas négliger, souligne le professeur Damien Ernst, mine de rien sommité mondiale du genre, les
conséquences. C’est terriblement destructeur de richesse. Une heure de perte
d’approvisionnement pendant un « business day », ça coûte 120 millions d’€ à
l’économie”
Le CEO à l’autre bout du
monde du monde qui zyeute la carte d’Europe pour y placer l’un ou l’autre
investissement, vous croyez qu’il va aller le jouer dans un pays dont
l’approvisionnement en électricité ne lui est pas garanti?
Comme le dirait Nabilla, c’est
tout simple: si t’as pas d’électricité, t’as pas de croissance.
Michel HENRION.
___________________________
-->
___________________________
Interview-express de l’expert Damien Ernst (ULg)
“Electrabel ne rénovera pas Doel 1 et Doel 2 sans être
subsidié par l’Etat”
Question : Que devrait faire Marie-Christine Marghem, la
nouvelle ministre MR de l’énergie ?
Damien Ernst (ULg): -“ La nouvelle ministre est dans une
situation extrêmement inconfortable: il n’est pas possible d’augmenter
significativement la capacité de notre pays en moins de trois-quatre ans. Je
lui conseillerais de tout faire pour que la situation n’empire pas d’ici l’hiver
2015-2016. Si elle ne fait rien, on risque de perdre encore plus de 1000 MW de
centrales thermiques. On annonce aussi la fermeture de Doel 1 et Doel 2 pour
l’hiver 2015-2016, ce qui risque de conduire à une perte additionnelle de 900
MW. Sans vouloir jouer les alarmistes, si on perd encore 1900 MW de capacité en
2015, on sera réellement dans une situation catastrophique ! “
Q: -La solution serait-elle de prolonger les centrales
nucléaires de Doel 1 et Doel 2 ?
-Mme Marghem (MR) devrait d’abord essayer de sécuriser les
1000 MW de centrales thermiques qui sont menacées en augmentant la taille de la
“réserve stratégique”. Pour ce qui est de Doel 1 et Doel 2, cela s’annonce être
un dossier pour le moins difficile. Je ne suis même pas sûr que cela soit possible
pour l’hiver 2015-2016, car ça prend du temps d’obtenir du nouveau combustible.
Comptez quelque 18 mois… D’autre part, l’Agence de Contrôle Nucléaire
n’autorisera probablement pas la prolongation de Doel 1 et Doel 2 au-delà de
quelques mois par rapport à leur date de fermeture sans des investissements
considérables. Il faudra plus de 600 millions d’euros. Or, il est quasi certain
qu’Electrabel ne se lancera pas dans de tels investissements sans une “garantie
de profitabilité” donnée par l’Etat belge. Vu le prix très bas de l’électricité
sur les marchés de gros, il y a même fort à parier que cette garantie de profit
devrait se traduire par un subside de l’Etat pour Electrabel. Ce qui pourrait
être politiquement assez difficile à gérer...”
“Le
photovoltaïque est déjà rentable lorsqu’il est
consommé localement, avec des batteries”
-Alors, le rêve du renouvelable serait-il mort ?
Damien Ernst (Ulg): -“Le belge est en désamour avec les
énergies renouvelables car il a l’impression qu’elles ont couté cher, trop
cher. Et qu’elles ont fragilisé sa sécurité d’approvisionnement. Ca se
répercute sur les politiques qui semblent ne plus vouloir soutenir activement
la filière, sans peut être le dire. Or -même si l’on met de côté toutes les
considérations et passions écologiques- le renouvelable est toujours
intéressant. Car il offre une vraie solution pour réduire nos besoins en
importation d’énergie, qui nous coûtent de plus en plus cher. Tenez-vous bien:
en 1999, l’Europe importait pour 84 milliards d’€ en énergie. En 2011, la
facture atteignait …488 milliards d’€, un montant dont l’ampleur étouffe
réellement l’Europe.”
- Qu’est-ce qui pourrait réanimer la filière?
- C’est tout
simple: les progrès technologiques! Notez bien ceci de peu connu: même sans
subsides, le photovoltaïque est déjà rentable en Belgique lorsqu’il est
consommé localement. C’est-à-dire
lorsque le photovoltaïque ne doit pas transiter par le réseau électrique global
pour alimenter les charges. Les gens ne se rendent pas compte que c’est déjà
financièrement intéressant pour eux d’installer du photovoltaïque sur le toit
et éventuellement aussi quelques batteries dans leur cave, même sans subsides.
Ces progrès permettent déjà d’avoir en Belgique des
éoliennes qui sont compétitives avec des centrales au gaz. D’ici quelques
années, même le photovoltaïque belge sera compétitif avec lesdites centrales…
“On va moins dépendre des réseaux électriques”
Damien Ernst (ULg): -“On va migrer beaucoup plus rapidement
que l’on ne le pense vers un monde où la majorité de l’énergie générée le sera
grâce à des éoliennes et du photovoltaïque. La seule chose dont je ne suis pas
sûr c’est la place que nos sociétés donneront au réseau électrique. Je pense
qu’il n’est pas impossible que notre dépendance vis-à-vis du réseau diminue de
plus en plus, au profit de la génération distribuée et du stockage distribué de
l’électricité. Quoi qu’il en soit, nos systèmes électriques/énergétiques vont
muter très fortement dans les années à venir.”
(propos recueillis par Michel Henrion pour M...Belgique)