L’autre matin, Pascal Vrebos me téléphone, la voix parfumée
à l’envie (émotion positive) : “Dis
Michel, ne pourrais-tu expliquer aux lecteurs de M…Belgique le rôle des
émotions en politique belge?”. Aussitôt des
images toutes fraîches déboulent: les vertèbres du dos de Laurette Onkelinx qui
se bloquent le soir même de son exit de 22 années passées au gouvernement
fédéral (de l’influence du psy sur le corps); le visage du très pro Didier Reynders parvenant
pourtant mal à cacher sa peine que le poste de Commissaire Européen lui échappe
(émotion négative de besoin);
l’affolement (émotion d’anticipation négative) d’un Siegfried Bracke -néo-président N-VA de la
Chambre au prénom émotionnel
d’une époque- incapable de gérer
la séance parlementaire de la Déclaration gouvernementale de Charles
Michel. Du coup lui-même prvié de sa joie et émotionnellement choqué (insatisfaction négative) par ce climat de jamais-vu
En fait, on dit parfois que l’homme politique est comme ces
boules de verre avec de la fausse neige à l’intérieur. Pas faux: l’élu du
peuple passe son temps à secouer
ses émotions. Et ne voit la rue de la Loi -ce qu’on appelle le “jeu politique”-
qu’à travers le filtre de ses passions, de ses émotions au jour le jour.
La haine, l’émotion celée
Ca surprend, mais la haine est sans aucun doute l’émotion
principale en politique. Oh, le politologue lambda, qui préfère généralement
causer positionnements et idéologies,
évite généralement cette vision dérangeante.
On l’a vu ces jours derniers: des électeurs tout heureux (émotion
de contentement, sinon pour d’aucuns de délectation) de voir les deux partis socialistes évacués de la rue de la Loi
s’étonner, assez paradoxalement, que SPa et PS entament illico une opposition
hard. Ce qui n’est pourtant pas sans logique puisque tout qui connaît quelques
rudiments de la communication politique
sait que l’image d’un nouveau gouvernement se joue très vite, dès sa
venue. C’est pourquoi, dans un
Parlement redevenant soudain intéressant, #Michel1 est né dans un climat
de fureur, de rage, de colère, d’agressivité, voire de détestation. (autant d’émotions
négatives, comme on dit en psy)
Toute l’histoire de Belgique est marquée par l’émotion, avec
des moments extrèmement forts et majeurs: la Question Royale, la Guerre Scolaire, les Grèves
historiques de ’60 d’André Renard, voire le Carrousel Fouronnais, symbolique de
ce qu’une question communautaire peut vite dégénérer…
Oh, Jan Jambon et Théo Francken, eux, ne font que passer,
mais leurs propos douteux n’en ont pas moins déclenché une vague émotionnelle
au Sud du pays. Qui laissera, cela dit, bien des traces: notamment au Nord.
C’est que les fréquentations, les amitiés particulières des désormais ministres N-VA Jan Jambon et Théo Francken sont à
replacer dans un contexte flamand. Il y a, comme partout, quelques idiots au
Nord. Mais pour nombre d’habitants des Flandres, la collaboration n'est pas à
voir en blanc ou noir: mais plutôt en gris.
Ce n’y est pas quelque chose de binaire.
Vaste débat que celui des visions Nord-Sud de la collaboration: ce qui est sûr
c’est que l’opposition à #Michel1, tant francophone que flamande, ne pouvait
manquer - dans un combat politique ou l’émotionnel est toujours une arme
d’assaut forte- de s’en emparer.
Règle de base: déconsidérer l’adversaire
Car la règle de base à retenir, pour ce qui est de
l’émotionnel politique, c’est que le mécanisme du combat politique vise toujours
à ruiner l’adversaire. A le
déconsidérer, ce pour quoi tous les moyens sont bons. Surtout lorsque, comme
avec la N-VA, les pièges tombent
comme cadeaux de Noël. L’objectif est classique et de toutes les époques:
susciter des dissensions, influer sur les esprits des électeurs et sur
l’opinion par un travail médiatique de fond.
Un autre exemple récent ? Un des points controversés de
l’après-élections est de savoir qui a mis réellement fin à l’idée d’une
hypothétique tripartite? Le cdH, qui n’aurait pas voulu d’une telle formule en
Wallonie? Le MR, qui aurait déjà prémédité de débarquer le PS? PS et cdH qui
auraient mis le MR devant le fait accompli dans les entités fédérées
francophones?
Ce qui est certain, c’est que toute stratégie agressive
entraîne une émotion de colère, bref
des représailles. Dans ce cas ce fut sans doute cette coalition inédite
-pour d’aucuns “extravagante”-
dont nombre d’analystes postulent qu’elle n’est basée somme toute que
sur une autre émotion: l’amertume (émotion négative par rapport au besoin) et une volonté de revanche.
Il ne faut pas tromper sur la forte réaction syndicale qui
se dessine: c’est rare qu’un tel Front Commun syndical (rouges, verts et bleus)
se forme et, surtout, reste uni dans les actions à venir; se sentant en fait,
bien au delà du programme de #Michel, agressé émotionnellement dans leurs raisons d’être.
L’émotion est donc partout rue de la Loi: comme l’a si bien
défini Pierre Lenain, “l’homme politique vit dans un monde précaire,
instable, incertain, au jour le jour: et il tient avant tout à rester dans le
jeu”. Bref, un monde hostile, fait souvent
de peur (émotion d’anticipation)
de l’avenir (ah, les angoisses, la crainte des rivaux, de la chute électorale…)
L’art de susciter des émotions
Bons connaisseurs de la psychologie des foules, les
politiques jouent sans cesse sur l’émotionnel, sur le registre affectif. Pour, bien évidemment, inciter leurs
électeurs à penser comme eux. La politique, c’est quelque part l’art de
susciter des émotions.
Le politique de centre-droit agitera toutes les formules
capables de produire leur petit effet émotionnel subliminal: les “abus des
chômeurs”, les “gréviculteurs”, ce genre.
A l’inverse celui de centre-gauche évoquera l’ “odieux
capital”, “la socialisation des
richesses”. C’est, toutes idéologies confondues, la litanie des formules
creuses au succès tout aussi assuré.
En politique, on lutte contre d’autres, mais souvent d’abord
au sein de son propre parti. En
communication, les frères ennemis Didier Reynders et Charles Michel ont , le
jour de la prestation de serment de #Michel1, joué intelligemment l’émotion, se
donnant une accolade remarquée mais de pure communication. En politique, seul
le rapport de forces compte: cette fois, il était en faveur de Charles Michel,
qui a littéralement piqué son rêve à l’homme d’Uccle.
Hormis quelques rares personnalités adorant le style
affectif, le plus souvent l’émotion privée est d’ailleurs étouffée en
politique: l’amitié n’y pèse guère ou, alors, on la trouve plutôt souvent dans
d’autres partis. Quant aux haines personnelles, elle peuvent vite
émotionnellement virer Corses.
Des années durant, Guy Verhofstadt a ainsi refusé tout
contact avec feu Wilfried Martens.
André Cools vouait, en son temps, une rancune tenace à Léo
Tindemans.
Et pour ceux qui croient dur comme fer que PS et FGTB c’est
vice et versa, le même André Cools eut des chocs frontaux terribles avec le
leader syndical de l’époque (Georges Debunne) allant même jusqu’à clamer “J’en
ai marre des syndicats”.
L’émotion règne même
jusqu’au Palais, et pas que dans les tumultes familiaux. N’a-t-on pas vu feu Baudouin ne pas
parvenir, en refusant de signer la loi sur l’interruption de grossesse, à faire
la différence entre sa fonction et son émotionnel personnel? Et que de ministres
n’avait-t-on pas vu sortir, blèmes, du cabinet royal? (Le cdH-PSC Philippe
Maystadt fut cité comme exemple par Wilfried Martens)
Se passer d’émotions, où bien les celer…
Curieux: malgré tous les avertissements de leurs experts,
des multiples commissions spécialisées ad hoc, la politique tient souvent peu
compte des hommes, de l’humain. Pris par leur mission, désormais souvent
uniquement budgétaire, les politiques en arrivent de plus en plus à gommer
toute émotion, refusant de voir les retombées humaines de ce qu’ils décident,
tout pris qu’ils sont par leur “devoir”.
(c’est le cas notable de Maggie De Block, qui avait toujours refusé de
se rendre en Afghanistan)
L’homme politique refoule d’ailleurs tellement ses émotions
qu’il en tombe même malade: qu’on se souvienne d’Yves Leterme, ce stressé,
hospitalisé pour de sérieux
problèmes d’estomac. Mais revenant quasi illico rue de la Loi avec un baxter
roulant.
Car un politique se doit de cacher ses émotions perso: la
règle est d’être dans le contrôle. Pas de chagrins intimes. Pas de deuils. Pas
de faiblesse extériorisée. Pas d’amours contrariées ou par trop scandaleuses.
(ah, les SMS d’Yves Leterme)
Jadis pas de divorce possible au CVP pour Wilfried Martens
(qui dut céder, furax, colère, la première place européenne à…sa future épouse
Miet Smet)
Car tout pouvoir affaibli est, dans ce petit monde là, un
pouvoir condamné.
Ils sont rares, les hommes politiques qui acceptent de
confesser leurs fragilités
émotionnelles au grand public. Au début des années nonante, on se souvient pourtant
d’un Elio Di Rupo, ministre débutant qui -au lieu du
département de l’Energie- se vit attribuer l’Enseignement, pas vraiment un
département fastoche à l’époque.
“Je fus traversé par une indicible frayeur” confessa-t-il.
Depuis, l’homme a plutôt basculé dans le storytelling, vendant plus de mille fois à tous les médias
l’histoire de son enfance difficile et de sa famille des Abruzzes.
Le milieu politique est ainsi fait de personnalités des plus
complexes. On se trompe ainsi souvent sur #cestjoelle Milquet, souvent
présentée comme autoritaire, colérique, mais dont l’émotionnel peut surtout basculer de la
joie, de l’euphorie (émotions positives de besoin) à l’insécurité (émotion négative, “on
perd les pédales”). L’émotionnel
autoritaire, au cdH, ne serait-ce pas plutôt, sous sa gouaille un brin
gauloise, Benoît Lutgen?
L’émotionnel, ça aide souvent à se faire un nom en
politique. On a ainsi connu des victimes de faits-divers, de drames remuants se
reconvertir soudain, avec plus ou moins de bonheur, en politique. D’aucuns ont
disparu (feu Jean-Pierre Malmendier au MR), d’aucuns ont renoncé (Carine Russo
chez Ecolo), d’autres persistent obstinément. (Jean-Denis Lejeune, à chaque
fois candidat CDH)
Car l’électeur n’est pas touché que par la compétence ou la
séduction: mais aussi par cette région inconsciente du cerveau ou germent les
émotions.
Colère et petits tyrans
Par contre, l’homme politique affectionne cette autre
émotion qu’est la colère.
Pas celles de la population bien sûr. Sauf s’il peut en
tirer parti.
La colère, en politique, est soit une colère feinte, quasi
stratégique (par exemple pour arracher un accord) soit une perte de sang froid
(C’est le célèbre “Casse toi pov’ con”
de Sarkozy)
Cela vaut pour la rue de la Loi: bien des journalistes ont
été un jour plantés là par l’un ou l’autre politique fuyant émotionnellement
une situation qui le dérangeait ou lui échappait.
La colère, c’est souvent un excès de stress, mais pas
toujours.
On connaît certains petits tyrans de la politique: ces ministres qui affectionnent
–trépignements infantiles- de jeter leurs dossiers ou leur GSM à travers les
pièces, histoire d’humilier. Dans un autre style, on se souvent des horaires
vexatoires de l’ancien ministre PS Jean-Maurice Dehousse qui plantait là ses
collaborateurs à soumission complète, s’en partait à la dernière séance d’un
cinéma et s’en revenait vers 1h du matin pour reprendre une réunion… C’est
aussi le même qui bouclait lui –même, de ses petites clés, dans d’immenses armoires,
d’innombrables signataires voués à attendre longtemps la griffe ministérielle.
Un bonheur toujours de courte durée
Le soir d’un scrutin électoral, certes, l’homme politique
espère la joie, le succès.
Mais ce bonheur est de courte durée: l’ulcère le guette déjà
tant il est vite déjà préoccupé
par le scrutin suivant,
guettant le moindre signe de traîtrise, surveillant les jeunes loups
qui, forcément, rêvent déjà de lui piquer sa place…
Et lorsque le destin, l’âge, la trahison des alliances, ou un
reflux électoral de sa formation (pensée pour Ecolo) frappe le politique, le
temps est venu pour lui l’émotion nostalgique de son influence retrécie, du
regret des temps passés, de l’âge d’or perdu où on prenait son avis en
considération. (sauf en francophonie, quel CD&V prend encore une seconde
Mark Eyskens au sérieux?)
L’émotion nous égare: c’est son principal mérite. Et comme
cela vaut pour nos politiques, ça explique peut-être beaucoup en ces temps
agités.
Michel HENRION