Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

vendredi 7 novembre 2014

Comment le ministère de l’émotion régente la rue de la Loi (M...Belgique 24/10/2014)

 

L’autre matin, Pascal Vrebos me téléphone, la voix parfumée à l’envie (émotion positive) : “Dis Michel, ne pourrais-tu expliquer aux lecteurs de M…Belgique le rôle des émotions en politique belge?”. Aussitôt des images toutes fraîches déboulent: les vertèbres du dos de Laurette Onkelinx qui se bloquent le soir même de son exit de 22 années passées au gouvernement fédéral (de l’influence du psy sur le corps); le visage du très pro Didier Reynders parvenant pourtant mal à cacher sa peine que le poste de Commissaire Européen lui échappe (émotion négative de besoin); l’affolement (émotion d’anticipation négative) d’un Siegfried Bracke -néo-président N-VA de la Chambre au prénom émotionnel d’une époque- incapable de gérer  la séance parlementaire de la Déclaration gouvernementale de Charles Michel. Du coup lui-même prvié de sa joie et émotionnellement choqué (insatisfaction négative) par ce climat de jamais-vu
En fait, on dit parfois que l’homme politique est comme ces boules de verre avec de la fausse neige à l’intérieur. Pas faux: l’élu du peuple  passe son temps à secouer ses émotions. Et ne voit la rue de la Loi -ce qu’on appelle le “jeu politique”- qu’à travers le filtre de ses passions, de ses  émotions au jour le jour.

La haine, l’émotion celée

Ca surprend, mais la haine est sans aucun doute l’émotion principale en politique. Oh, le politologue lambda, qui préfère généralement causer positionnements et idéologies,  évite généralement cette vision dérangeante.
On l’a vu ces jours derniers: des électeurs tout heureux (émotion de contentement, sinon pour d’aucuns de délectation) de voir les deux partis socialistes évacués de la rue de la Loi s’étonner, assez paradoxalement, que SPa et PS entament illico une opposition hard. Ce qui n’est pourtant pas sans logique puisque tout qui connaît quelques rudiments de la communication politique  sait que l’image d’un nouveau gouvernement se joue très vite, dès sa venue. C’est pourquoi, dans un  Parlement redevenant soudain intéressant, #Michel1 est né dans un climat de fureur, de rage, de colère, d’agressivité, voire de détestation. (autant d’émotions négatives, comme on dit en psy)
Toute l’histoire de Belgique est marquée par l’émotion, avec des moments extrèmement forts et majeurs: la Question Royale,  la Guerre Scolaire, les Grèves historiques de ’60 d’André Renard, voire le Carrousel Fouronnais, symbolique de ce qu’une question communautaire peut vite dégénérer…
Oh, Jan Jambon et Théo Francken, eux, ne font que passer, mais leurs propos douteux n’en ont pas moins déclenché une vague émotionnelle au Sud du pays. Qui laissera, cela dit, bien des traces: notamment au Nord.
C’est que les fréquentations, les  amitiés particulières des désormais ministres  N-VA Jan Jambon et Théo Francken sont à replacer dans un contexte flamand. Il y a, comme partout, quelques idiots au Nord. Mais pour nombre d’habitants des Flandres, la collaboration n'est pas à voir en blanc ou noir: mais plutôt en gris.
Ce n’y est pas quelque chose de binaire.
Vaste débat que celui des visions Nord-Sud  de la collaboration: ce qui est sûr c’est que l’opposition à #Michel1, tant francophone que flamande, ne pouvait manquer - dans un combat politique ou l’émotionnel est toujours une arme d’assaut forte- de s’en emparer.

Règle de base: déconsidérer l’adversaire


Car la règle de base à retenir, pour ce qui est de l’émotionnel politique, c’est que le mécanisme du combat politique vise toujours à ruiner l’adversaire. A le déconsidérer, ce pour quoi tous les moyens sont bons. Surtout lorsque, comme avec la N-VA,  les pièges tombent comme cadeaux de Noël. L’objectif est classique et de toutes les époques: susciter des dissensions, influer sur les esprits des électeurs et sur l’opinion par un travail médiatique de fond.
Un autre exemple récent ? Un des points controversés de l’après-élections est de savoir qui a mis réellement fin à l’idée d’une hypothétique tripartite? Le cdH, qui n’aurait pas voulu d’une telle formule en Wallonie? Le MR, qui aurait déjà prémédité de débarquer le PS? PS et cdH qui auraient mis le MR devant le fait accompli dans les entités fédérées francophones?
Ce qui est certain, c’est que toute stratégie agressive entraîne une émotion de colère, bref  des représailles. Dans ce cas ce fut sans doute cette coalition inédite -pour d’aucuns “extravagante”-  dont nombre d’analystes postulent qu’elle n’est basée somme toute que sur une autre émotion: l’amertume (émotion négative par rapport au besoin) et une volonté de revanche.
Il ne faut pas tromper sur la forte réaction syndicale qui se dessine: c’est rare qu’un tel Front Commun syndical (rouges, verts et bleus) se forme et, surtout, reste uni dans les actions à venir; se sentant en fait, bien au delà du programme de #Michel, agressé émotionnellement dans leurs raisons d’être.
L’émotion est donc partout rue de la Loi: comme l’a si bien défini Pierre Lenain, “l’homme politique vit dans un monde précaire, instable, incertain, au jour le jour: et il tient avant tout à rester dans le jeu”. Bref, un monde hostile, fait souvent de peur (émotion d’anticipation) de l’avenir (ah, les angoisses, la crainte des rivaux, de la chute électorale…)

L’art de susciter des émotions

Bons connaisseurs de la psychologie des foules, les politiques jouent sans cesse sur l’émotionnel, sur le registre affectif.  Pour, bien évidemment, inciter leurs électeurs à penser comme eux. La politique, c’est quelque part l’art de susciter des émotions.
Le politique de centre-droit agitera toutes les formules capables de produire leur petit effet émotionnel subliminal: les “abus des chômeurs”, les “gréviculteurs”, ce genre.
A l’inverse celui de centre-gauche évoquera l’ “odieux capital”, “la socialisation des richesses”.  C’est, toutes idéologies confondues, la litanie des formules creuses au succès tout aussi assuré.
En politique, on lutte contre d’autres, mais souvent d’abord au sein de son propre parti.  En communication, les frères ennemis Didier Reynders et Charles Michel ont , le jour de la prestation de serment de #Michel1, joué intelligemment l’émotion, se donnant une accolade remarquée mais de pure communication. En politique, seul le rapport de forces compte: cette fois, il était en faveur de Charles Michel, qui a littéralement piqué son rêve à l’homme d’Uccle.
Hormis quelques rares personnalités adorant le style affectif, le plus souvent l’émotion privée est d’ailleurs étouffée en politique: l’amitié n’y pèse guère ou, alors, on la trouve plutôt souvent dans d’autres partis. Quant aux haines personnelles, elle peuvent vite émotionnellement virer Corses.
Des années durant, Guy Verhofstadt a ainsi refusé tout contact avec feu Wilfried Martens.
André Cools vouait, en son temps, une rancune tenace à Léo Tindemans.
Et pour ceux qui croient dur comme fer que PS et FGTB c’est vice et versa, le même André Cools eut des chocs frontaux terribles avec le leader syndical de l’époque (Georges Debunne) allant même jusqu’à clamer “J’en ai marre des syndicats”.
L’émotion règne même  jusqu’au Palais, et pas que dans les tumultes familiaux.  N’a-t-on pas vu feu Baudouin ne pas parvenir, en refusant de signer la loi sur l’interruption de grossesse, à faire la différence entre sa fonction et son émotionnel personnel? Et que de ministres n’avait-t-on pas vu sortir, blèmes, du cabinet royal? (Le cdH-PSC Philippe Maystadt fut cité comme exemple par Wilfried  Martens)

Se passer d’émotions, où bien les celer…


Curieux: malgré tous les avertissements de leurs experts, des multiples commissions spécialisées ad hoc, la politique tient souvent peu compte des hommes, de l’humain. Pris par leur mission, désormais souvent uniquement budgétaire, les politiques en arrivent de plus en plus à gommer toute émotion, refusant de voir les retombées humaines de ce qu’ils décident, tout pris qu’ils sont par leur “devoir”.  (c’est le cas notable de Maggie De Block, qui avait toujours refusé de se rendre en Afghanistan)
L’homme politique refoule d’ailleurs tellement ses émotions qu’il en tombe même malade: qu’on se souvienne d’Yves Leterme, ce stressé, hospitalisé  pour de sérieux problèmes d’estomac. Mais revenant quasi illico rue de la Loi avec un baxter roulant.
Car un politique se doit de cacher ses émotions perso: la règle est d’être dans le contrôle. Pas de chagrins intimes. Pas de deuils. Pas de faiblesse extériorisée. Pas d’amours contrariées ou par trop scandaleuses. (ah, les SMS d’Yves Leterme)
Jadis pas de divorce possible au CVP pour Wilfried Martens (qui dut céder, furax, colère, la première place européenne à…sa future épouse Miet Smet)
Car tout pouvoir affaibli est, dans ce petit monde là, un pouvoir condamné.
Ils sont rares, les hommes politiques qui acceptent de confesser leurs fragilités  émotionnelles au grand public. Au début des années  nonante, on se souvient pourtant
d’un Elio Di Rupo, ministre débutant qui -au lieu du département de l’Energie- se vit attribuer l’Enseignement, pas vraiment un département fastoche à l’époque.
“Je fus traversé par une indicible frayeur” confessa-t-il.
Depuis, l’homme a plutôt basculé dans le storytelling, vendant plus de mille fois à tous les médias l’histoire de son enfance difficile et de sa famille des Abruzzes.
Le milieu politique est ainsi fait de personnalités des plus complexes. On se trompe ainsi souvent sur #cestjoelle Milquet, souvent présentée comme autoritaire, colérique, mais dont l’émotionnel peut surtout basculer  de la joie, de l’euphorie (émotions positives de besoin) à l’insécurité (émotion négative, “on perd les pédales”). L’émotionnel autoritaire, au cdH, ne serait-ce pas plutôt, sous sa gouaille un brin gauloise, Benoît Lutgen?


L’émotionnel, ça aide souvent à se faire un nom en politique. On a ainsi connu des victimes de faits-divers, de drames remuants se reconvertir soudain, avec plus ou moins de bonheur, en politique. D’aucuns ont disparu (feu Jean-Pierre Malmendier au MR), d’aucuns ont renoncé (Carine Russo chez Ecolo), d’autres persistent obstinément. (Jean-Denis Lejeune, à chaque fois candidat CDH)
Car l’électeur n’est pas touché que par la compétence ou la séduction: mais aussi par cette région inconsciente du cerveau ou germent les émotions.

Colère et petits tyrans

Par contre, l’homme politique affectionne cette autre émotion qu’est la colère.
Pas celles de la population bien sûr. Sauf s’il peut en tirer parti.
La colère, en politique, est soit une colère feinte, quasi stratégique (par exemple pour arracher un accord) soit une perte de sang froid (C’est le célèbre “Casse toi pov’ con” de Sarkozy)
Cela vaut pour la rue de la Loi: bien des journalistes ont été un jour plantés là par l’un ou l’autre politique fuyant émotionnellement une situation qui le dérangeait ou lui échappait.
La colère, c’est souvent un excès de stress, mais pas toujours.
On connaît certains petits tyrans de la politique:  ces ministres qui affectionnent –trépignements infantiles- de jeter leurs dossiers ou leur GSM à travers les pièces, histoire d’humilier. Dans un autre style, on se souvent des horaires vexatoires de l’ancien ministre PS Jean-Maurice Dehousse qui plantait là ses collaborateurs à soumission complète, s’en partait à la dernière séance d’un cinéma et s’en revenait vers 1h du matin pour reprendre une réunion… C’est aussi le même qui bouclait lui –même, de ses petites clés, dans d’immenses armoires, d’innombrables signataires voués à attendre longtemps la griffe ministérielle.

Un bonheur toujours de courte durée

Le soir d’un scrutin électoral, certes, l’homme politique espère la joie, le succès.
Mais ce bonheur est de courte durée: l’ulcère le guette déjà tant il est vite déjà préoccupé  par le scrutin suivant,  guettant le moindre signe de traîtrise, surveillant les jeunes loups qui, forcément, rêvent déjà de lui piquer sa place…
Et lorsque le destin, l’âge, la trahison des alliances, ou un reflux électoral de sa formation (pensée pour Ecolo) frappe le politique, le temps est venu pour lui l’émotion nostalgique de son influence retrécie, du regret des temps passés, de l’âge d’or perdu où on prenait son avis en considération. (sauf en francophonie, quel CD&V prend encore une seconde Mark Eyskens au sérieux?)

L’émotion nous égare: c’est son principal mérite. Et comme cela vaut pour nos politiques, ça explique peut-être beaucoup en ces temps agités.

Michel HENRION