Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

mercredi 12 novembre 2014

Stress test pour le gouvernement Michel (M... Belgique hebdo du 31/10/2014)



Ce pays vit décidément à l’époque du jamais vu. Jusqu’ici seuls les spécialistes des relations sociales ont apparemment photographié l’inédit du vaste mouvement social programmé jusqu'au 15 décembre. Ceux-ci ont beau fouiller dans les annales syndicales, nada à comparer, à tout le moins depuis l’après seconde guerre mondiale.
C’est le fait marquant: les trois syndicats de toutes les tendances (socialiste, chrétien, libéral) qui conviennent, pour la première fois ensemble, d’un “plan d’action” s‘étalant sur cinq dates tant au Nord qu’au Sud. (manifestation nationale à Bruxelles, trois jours de grèves tournantes par provinces et une grève nationale le 15 décembre). Olé.
Car, dans l’histoire sociale de ce pays, les syndicats sont loin d’être toujours sur la même longueur d’ondes. Parce que la sensibilité n’est pas la même en Flandre qu’en Wallonie. Parce que les élections sociales postulent la concurrence. Parce que, si les organisations syndicales veillent toutes à leur image d’indépendance vis à vis des partis politiques, (c’est particulièrement le cas, ces temps-ci, à la FGTB vis à vis du PS et de ses “ciseaux”) cela n’empêche pas les proximités, les amitiés et les relais. Et cela vaut tout autant pour le patronat, Bart De Wever n’hésitant pas à proclamer en son temps que le “VOKA était son patron”, entendez l’influent  lobby des 18.000 PDG de Flandre.

Poupehan: lorsque Jef soutenait Wilfried

Le gouvernement Martens-Gol des années 80’, si souvent évoqué ces temps derniers, s’était ainsi appuyé sur les fameux accords secrets de Poupehan, ces collines boisées de la Semois ou Wilfried Martens s’en allait parfois à la messe avec trois amis sociaux-chrétiens. Dont le gouverneur CVP de la Banque Nationale et l’atout Jef Houthuys, à l’époque tout puissant boss des syndicats chrétiens. Si la CSC wallonne de l’époque était pour le moins sceptique quant aux sacrifices exigés par “l’esprit du Cardinal Cardijn” , Jef Houthuys -fort du lourd poids du Nord en interne ACV-CSC- soutenait dans l’ombre Wilfried Martens. Sa formule est restée célèbre: “ Wilfried, vous dites ce qui doit passer au syndicat: je m’arrangerai pour que ça passe”.  
De même peut-on rappeler, même si toute comparaison avec la situation actuelle est totalement hors de propos, que  lors des ”Grèves du siècle” (cinq semaines) de 1960-1961 contre la “Loi Unique” de feu Gaston Eyskens, les syndicalistes wallons d’André Renard- qui allaient marquer l’histoire du fédéralisme et de l’autonomie wallonne- s’étaient vite senti seuls, les actions des syndicalistes chrétiens étant bridées par leurs instances. (la FGTB flamande n’adhérant pas non plus).
Bref, tout ça pour souligner que l’unité syndicale dans l’action est plutôt chose rare.

En toile de fond, l’enjeu du modèle social à la belge


Contrairement à ce que d’aucuns pensent, s’il y a une règle médiapolitique à retenir c’est celle-ci: un mouvement social, ça ne se décrète pas. Comme le dit en substance Marc Goblet, le nouveau secrétaire général de la FGTB, c’est plutôt la base qui dirige… Et celle-ci l’a apparemment fait asavoir très vite aux trois syndicats: l’accord de gouvernement #Michel1 (saut d’index, réforme des pensions, coupes dans la sécurité sociale…) ça ne le fait pas.
Avec, en toile de fond, un truc bien belche mais essentiel aux yeux syndicaux: l’enjeu du “modèle social belge” de concertation que-le-monde-nous-envie-depuis-1944.
Dans l’esprit de la Libération, patrons et syndicats avaient en effet décidé de se définir comme des “partenaires sociaux”, s’appuyant sur des institutions ad hoc comme le Conseil Central de l’Economie ou le Conseil National du Travail.
 La philosophie en était très simple: au delà de nos rapports de forces, cherchons le compromis, visons autant que possible la paix sociale, nouons entre nous des accords interprofessionnels tous les deux ans et laissons de préférence l’Etat en retrait. Juste prié, à l’époque, d’intervenir s’il fallait légiférer ou stabiliser des accords noués dans ladite concertation.   C’est de ce système de concertation qu’est notamment né, entre bien d’autres avancées, le “salaire minimum légal” (adopté en 1977)
Oh, bien sûr, comme le chantait Brel, il y eût bien des orages dans le couple des partenaires sociaux.
Et des périodes roses (shake-hands ininterrompus de 1986 à 1995)
Mais aussi, au fil du temps, un retour de plus en plus marquant du politique dans la négociation. Elément un brin technique mais marquant : l’exemple de la “Loi de compétivité de 1996”, qui fixe depuis lors des marges salariales préventives.
Oh, le monde évolue: la Belgique s’est fédéralisée, a cumulé les réformes de l’Etat. D’ou la naissance d’autres modes, d’autres lieux de concertation sociale tant en Wallonie qu’à Bruxelles.
Mais, en gros, l’esprit demeure le même: se concerter.

La concertation, remède souvent miracle

L’autre dimanche, sur le plateau de Controverse (RTL-TVI) une joute verbale l’a bien illustré. On y discutait du climat pour le moins agité à la SNCB. Et on y vit Etienne Schouppe, figure du CD&V mais surtout ancien CEO de nos chemins de fer s’accorder soudain avec Marc Goblet (FGTB). Les deux en choeur-embrassons-nous-Folleville: “Mais bon sang, mais c’est bien sûr que s’il y a concertation, nous trouverons une solution”.  Et les syndicats de cheminots de relever que les actions spontanées ont cessé dès lors que Jo Cornu, le nouveau CEO du rail, daignait accepter se réunir.


Le hic, pour les trois syndicats, c’est que si la déclaration gouvernementale est bien truffée de phrases appelant à la concertation, nombre de décisions sont d’ores et déjà bel et bien prises par le gouvernement du libéral Charles Michel. Ce qui ne va doncpas sans fâcher les militants du syndicat… libéral, “parfois bien plus énervé que des militants du PTB”, raconte un syndicaliste chrétien.

“Mais qui crée du désordre? “

C’est tout le paradoxe: se déclarant très responsables dans leur plan d’action, fuyant même toute récupération des politiques,  les syndicats se posent en quelque sorte, par leur appel incessant à la concertation sociale, en défenseur de l’”ordre social”, bref du modèle belge très ordonné de dialogue social.
Le désordre, à leurs yeux, ce ne sont pas les actions spontanées ou autres: ce sont les mesures prises par une coalition qui, à leurs yeux, nie la concertation.
Le bras de fer entre le plan d’action syndicale et le gouvernement s’annonce délicat.
Les syndicats ne sont pas sans ignorer que, même si la N-VA n’a guère –et c’est un euphémisme- de sympathie pour ce qu’ils représentent, nombre de leur affiliés, de leurs représentants ont bel et bien voté N-VA. Qui adoptera sans doute aussi, au sein de la coalition gouvernementale, la position la plus rigide.
Et ce contrairement au CD&V, qui n’apprécie jamais d’être malmené par son aile démocrate-chrétienne, vitale pour le parti depuis le large exode d’électeurs vers le parti de Bart De Wever.
Dans les milieux gouvernementaux, on ne fait d’ailleurs pas grand mystère de la stratégie à développer: tenter de concéder suffisamment à l’ACV-CSC pour qu’elle se détache de cet inédit très large Front Commun; pour tenter de fissurer la cohésion syndicale Nord-Sud.
La mobilisation syndicale est d'ailleurs, mine de rien, de plus en plus ardue au fil de la disparition des toutes grandes entreprises. “Jadis, commente un syndicaliste aguerri, les gars qui venaient en masse de Cockerill ou des ACEC, ça suffisait ”.

Michel HENRION.


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