En politique, tout est image. Et l’oeil du citoyen lambda
compte souvent plus que la pensée. Lorsqu’ils ont découvert la photo, les
images du nouveau gouvernement Michel, le wallon et le bruxellois ont eu
d’évidence un sentiment d’étrangeté
C’était le remake de la Télé des Inconnus. Avec d’abord cette
panoplie de nouveaux promus MR sortant soudain des frontières de leur fief
électoral. Avec surtout la présence massive de tous ces nouveaux ministres
fédéraux de la N-VA, aux rires un peu trop nerveux. Et surtout bizarrement
parfumés “trop flamands”, bien plus flamands en quelque sorte que les ministres
flamands de comme-d’habitude auxquels le wallon ou le bruxellois est habitué.
Oh, sans doute les plus âgés se souviennent-ils d’Hugo Schiltz ou de Jef
Valkeniers, deux leaders de feu la flamingante Volksunie qui, jadis, furent
pendant trois ans (1988-1991) de gentils ministres de la pentapartite de
Martens VIII. Noyés d’ailleurs dans la masse d’une véritable rafle de 32
ministres et secrétaires d’Etat.
Ici, en médiapolitique, tous les mots étaient soudain
remplacés par des images. Comme si se matérialisait soudain la large prise de pouvoir des
nationalistes de la N-VA sur le 16 rue de la Loi. Que Bart De Wever aurait
–évidemment- même pu occuper perso, s’il n’avait pas eu l’intelligence
stratégique de rester sciemment dans les coulisses. D’où il gèrera assurément
ses ministres mais sans partrop,interférer. D’où il pourra
aussi sortir à tout moment pour doper l’image ou les sondages électoraux de sa
N-VA.
Au pied de l’escalier de la Chambre, belges et bruxellois
ont découvert le cliché officiel du gouvernement Michel : mais ils ont
photographié aussi la position minoritaire des francophones dans l’Etat belge.
(et c’est logique: les nationalistes détiennent à eux seuls 33 des 65 sièges
flamands de la nouvelle coalition de 85 députés sur 150)
La N-VA rejoue la Révolution de 1830
Jusqu’ici, avec la présence classique d’un Verhofstadt de
Gand (toujours idolâtré au Sud du pays alors qu’il ne pèse plus guère en
Flandre), d’un Dehaene de Vilvorde, plus récemment du phénomène Maggie De Block
de Merchtem, le cliché restait flou. La N-VA fait la mise au point.Le
débarquement en force de la N-VA c’est le poids des jaunes et noir.
A la création mouvementée de l’Etat belge, en 1830-1831, le
juriste libéral hutois Joseph Lebeau –celui qui s’opposa à la candidature de
Louis d'Orléans au trône de Belgique- forma le tout premier gouvernement. Oh,
vraiment le minimum. Très peu de portefeuilles. Notamment les Finances, pour
faire vivre le pays. L’Intérieur, pour faire respecter l’ordre public. Et
évidemment, à l’époque, un Ministre de la Guerre (aujourd’hui, on préfère dire
“Défense” mais c’est kif).
Aujourd’hui, le N-VA Steven Vandeput a remplacé le bien oublié colonel
Constantin d'Hane-Steenhuyse. Qui a dégradé le CD&V Pieter De Crem et
accédé au poste simplement parce qu’il est limbourgeois: et qu’il se fait que
l’armée belge est un des plus grands employeurs de cette région des Flandres.
Aujourd’hui, le N-VA Johan Van Overtveldt, prend la place de Charles de Brouckère,
premier ministre à gérer les Finances et qui, en 1835, créa d’ailleurs la
première “Banque de Belgique”.
Aujourd’hui encore, le très controversé N-VA Jan Jambon
succède, dans l’histoire, à Étienne de Sauvage au très important département de
l’Intérieur; qui gère bien entendu la police mais aussi, eh oui, les lois
linguistiques.
“Jambon à l’Intérieur? Symboliquement, tout est dit”
s’exclamait l’autre jour un élu francophone.
Coincidence étrange de l’histoire politique: mis à part les
Affaires Etrangères, les nationalistes flamands se sont donc adjugés
curieusement toutes les compétences qui fondèrent, en 1830, cet Etat belge qu’ils aiment si peu.
C’est quelque part leur propre “Révolution de 1830”, cet
accès au pouvoir fédéral ultime. (après Anvers et le Gouvernement flamand).
Le retour de bâton de la diabolisation
C’est déjà un fait: en Wallonie et à Bruxelles, le
gouvernement Michel ne connaîtra pas ce qu’on appelle, en politique, l’état de
grâce. Cette période parfois éblouissante ou l’électeur donne un quasi
blanc-seing à la nouvelle équipe, lui laissant le temps de lancer à son aise
réformes et projets.
L’explication est limpide: cela tient largement à la seule
présence de la N-VA, parti épouvantail s’il en est au Sud du pays, alors
qu’elle est bel et bien –qu’on l’aime ou pas- une formation démocratique. De
droite ou de centre-droite certes, nationaliste et républicaine certes, sans doute détestable aux yeux d’aucuns, mais démocratique. Nul parti
flamand ne le contestera, à commencer par les socialistes flamands, jusqu’il y
a peu associés à la N-VA au Gouvernement flamand..
En fait, le MR va payer, devra encaisser le retour de bâton
de sa longue contribution au mouvement général francophone de diabolisation
absurde de la N-VA.
Le hic, pour Charles Michel, c’est que cette même N-VA est
désormais le poids lourd de son attelage gouvernemental. Et que, pour nombre de
francophones (en dehors de l’électoral libéral qui semble suivre ses
dirigeants) c’est un peu comme si la N-VA prenait le pays en otage.
Et que, médiapolitiquement, tout propos, toute attitude,
tout écart d’un ministre N-VA du gouvernement Michel sera aussitôt montré du
doigt par la lourde opposition francophone PS-cdH-Ecolo-PTB.
Ruiner l’adversaire
Il ne faut jamais oublier que, en politique, l’adversaire
est supposé être maléfique: et que ruiner l’adversaire est la loi de base,
fut-elle cruelle, de ce qu’on appelle le “jeu politique”.
La normalisation de la N-VA, versus francophone, est loin
d’être acquise. Si on peut penser que Johan Van Overtveldt (qui n’a pas fait le V para-N-VA devant
le roi Philippe) peut surprendre positivement aux Finances; si on peut prévoir que le N-VA Steven Vandeput,
qui va gérer l’armée, ne va pas trop se profiler, d’autres ministres N-VA vont
assurément être plus difficiles à gérer pour Charles Michel, qui devra freiner
cette “droite décomplexée”.
C’est compliqué: voici des nationalistes de combat qui,
après des années de propos enflammés, dans d’innombrables meetings de
convaincus ou sur les bancs de la Chambre, doivent soudain se reconvertir en
ministres fédéraux du Roi, suppoés gérer aussi dans l’intérêt des wallons et
des bruxellois.
Un Théo Francken, déjà peu diplomatique dans le style, sans
langue de bois aucune dans les médias flamands, pitbull N-VA comme construit
pour ses compétences (Asile et Immigration) est-il capable de tenir compte, ne
fut-ce qu’un peu, des sensibilités francophones? On a plus que des doutes: il y
a des N-VA que le Premier Ministre aura assurément bien du mal à protéger d’eux-mêmes.
Que fera Jan Jambon, cet adepte de la Fête du Chant flamand,
cet homme dont on fouille désormais sans cesse le supposé “passé noir”, de tout le “symbolisme belge”? Va-t-il rendre fantômatiques, à l’instar de nombre de bourgmestres
N-VA, les portraits de Philippe et Mathilde des murs du ministère de
l’Intérieur? Sans doute que non.
Mais comment chantera-t-il la Brabançonne lors de certaines cérémonies
officielles?
Deux N-VA pour commémorer le 70ème anniversaire de la
guerre 40-45 en 2015
“Les gens qui ont collaboré avec les Allemands avaient leurs
raisons “ a lâché l’autre jour Jan Jambon
(qui participait à l’opération “mediablitz” De Wever entendant que ses ministres
occupent stratégiquement le
maximum d’espace médiatique).
Retenez déjà cet enjeu-ci. La Seconde Guerre mondiale
s’est terminée officiellement en
Europe le 8 mai 1945, à 23h01. Or,
il se fait qu’en 2015, le
Gouvernement Michel se devra d’organiser, comme partout en Europe,
d’importantes commémorations pour ce 70ème anniversaire de la fin de l’horreur
nazie.
En dehors du Premier Ministre, qui donc sera au premier plan
pour organiser ces manifestations d’anniversaire de 40-45?
Deux ministres N—VA: Steven Vandeput(Défense) et, pour
l’Intérieur, le …même Jan Jambon.
Le pilon dans le poulet, c'est bon ; le pilon N-VA dans l'ancien combattant,
ça risque d’être secouant.
Michel HENRION.