Un des best-sellers de la rentrée littéraire est un roman de
Romain Puértolas, avec son déjà fameux “Extraordinaire voyage du fakir qui
était resté coincé dans une armoire Ikéa”. Un titre qui, #suédoise
aidant, convient opportunément à la situation belge: ou, pour la première fois,
syndicats et partis francophones (autres que le MR) se sentent enfermés,
déconcertés, en tout cas loins de leur pouvoir d’influence, de leurs horizons
d’action habituels.
Il est vrai qu’on
vit décidément une page inédite, de plus en plus surprenante, de
l’histoire politique de Belgique.
Il faut ainsi rendre hommage au côté visionnaire de Bart
Maddens, le politologue influent de la KUL -militant flamand comblé par les
neurones- qui, dès 2010, avait été le seul à imaginer “un gouvernement
fédéral dominé par les Flamands avec la NV-A, le CD&V, l’OpenVLD et le seul
MR “.
Quel analyste aurait aussi imaginé, le soir des élections du
25 mai, que le mouvement syndical, plus ou moins influent selon les
gouvernements mais toujours présent en filigrane, (même les si critiqués
gouvernements Martens-Gol de 1981-1987 étaient soutenus par Jef Houthuys, le
puissant patron de la CSC-ACW de l’époque) pourrait aujourd’hui être mis quasi
hors jeu ?
Du moins à la table d’accouchement de la #suédoise ou –c’est
une première- aucune personnalité n’était peu ou prou liée à un des trois
syndicats du Front Commun, y
compris le libéral. Ce qui n’empêche pas d’ailleurs pas d’autres tensions
idéologiques.
Autant de patrons que chez les couturiers
Le N-VA Jan Jambon est aussi l’ancien PDG de Bank Card
Company (les cartes Visa et Master
Card). Un autre N-VA, Johan Van
Overtveldt, s’il s’est fait connaître
comme journaliste à Trends-Tendances (version néerlandophone) fut aussi un homme
d’affaires éclectique, dans le secteur bancaire, dans la chaussure (Shoeconfex)
ou la signalisation routière…(un holding britannique)
Le CD&V Koen Geens est, lui, un avocat d’affaires très
prisé du monde financier (il est co-fondateur du cabinet Eubelius, le plus
grand cabinet d'avocats indépendant de Belgique avec “ 38 associés, dont 21
equity partners, ainsi que près de 100 collaborateurs offrant une expertise et
une expérience uniques dans tous les domaines du droit des affaires.”
Et Kris Peeters, avant de s’engager en politique, a fait
toute sa carrière à l’Unizo,
l’ organisation patronale flamande représentant les PME.
Certes, il se doit de consulter son président de parti,
Wouter Beke (qui veille aux intérêts d’un Mouvement Ouvrier flamand qui a perdu
tout à la fois beaucoup d’influence et plein d’argent dans l’aventure
Dexia-Arco) mais Peeters a d’évidence la sensibilité des fédérations patronales
flamandes: Unizo ou Voka…
C’est donc, pour ce qui est du poids flamand surtout, un microcosme aux fortes affinités qui, plutôt que de négocier avec les partenaires sociaux, va plutôt les consulter. Ou juste les écouter. Voire
les informer. C’est bien
assez.
En communication, l’essentiel sera qu’on n’accuse pas la
#suédoise d’avoir décidé seul.
Surprise-surprise: le mécontentement surgit au Nord
Bref, puisque le lobby syndical se retrouve soudain dans
l’inhabituelle impossibilité d’influencer, d’amender, de suggérer des accords
politiques, il se rabat sur ce qui lui reste: montrer que la force du nombre,
ça compte. Et que c’est une autre manière d’influer.
A preuve, le propos, l’autre jour, à la RTBF de l’économiste
Etienne de Callatay (Banque Degroof et candidat ministre #suédois à ses heures)
qui, soudain, doutait et estimait en substance que “si un saut d’index
signifiait d’innombrables manifs, mieux valait alors s’en dispenser”. Et d’opter pour d’autres solutions comme “une
réforme plus globale du marché du travail.”
Si Bart De Wever affectionne de parler de “deux démocraties”
, la surprise est que le mécontententement social n’a point démarré en Wallonie
grévicultrice (selon un thème favori de la
N-VA) mais bel et bien en Flandre.
Les francophones ne l’ont pas encoore vraiment encore perçu,
mais au Nord du pays, c’est le tout grand clash gauche-droite. Pas seulement au Parlement flamand (le jeu normal
d’opposition Spa-Groen contre le trio N-VA-CD&V-OpenVLD) mais aussi dans
les médias.
En ligne de mire: le plan de restrictions budgétaires du
nouveau gouvernement flamand du N-VA Geert Bourgeois. Qualifié carrément par la
VRT de “Bain de sang de Bourgeois”. Il
est vrai que la radio-télévision publique est, elle aussi, très concernée par
la hache budgétaire flamande. Et qu’elle apprécie fort peu.
C’est vrai que le nouveau gouvernement flamand tape dur dans
les secteurs sociaux, les associations, le budget de la Culture raboté de
carrément 7,5%.
Mais tout est toujours relatif. Et la nuance, c’est que
l’homme de la rue compare d’abord toujours à ce qu’il n’a plus.
L’Etat-Providence flamand
Or, jusqu’ici, CD&V et socialistes flamands avaient
quelque part bâti, en Flandre
gâtée et riche, un mini
Etat Providence. Avec plein, plein
d’avantages pour les flamands. Transports parfois carrément gratuits, minerval
universitaire light…
On l’a déjà relevé: l’actuel gouvernement flamand (N-VA,
CD&V, Open VLD) n’est pas qu’une simple coalition. C’est un projet de
société.
Au fonctionnement très simple (“Un gouvernement de
comptables”, a lancé Bruno Tobback,
président du SPa). L’économie va mal ? La philosophie N-VA est la même à Anvers
qu’au Gouvernement flamand: on coupe, on rabote,on scalpe. Pas aussi
brutalement qu’aux Pays Bas et qu’en Grande Bretagne (où on a imposé des coupes
noires de 20% à 25%) Mais si demain, l’économie flamande était à nouveau tirée
vers le haut, on budgétiserait alors à nouveau vers le haut. Peut-être.
Le stratagème de l’instrumentalisation
Si tant le Nord que le Sud veulent, doivent réaliser des
économies, l’approche est pour le moins différente. Si les entités fédérées
francophones ont aussi opté pour des méthodes pas piquées des hannetons (on
remplacera –gloups- seulement un fonctionnaire sur cinq dans l’administration,
puis on adoucira avec un fonctionnaire sur trois).
Mais pour le reste la stratégie politique est très
différente. “ L’idéologie du dégraissage appartient à la N-VA et à ses
alliés de droite; nous on ne fera pas” a
lancé l’autre jour Rudy Demotte, ministre-président (PS) de la Fédération
Wallonie-Bruxelles et vieux renard de la politique.
Bref, l’enseignement sera protégé (même si on est y loin des
promesses bien roses de la défunte campagne électorale) et le budget de la
Culture sera sinon “gelé”, à tout le moins très préservé.
En fait, les milieux culturels francophones vont quelque
part être sauvés par un effet d’aubaine
politique.
Car il y a de la stratégie de com’ habile derrière tout
cela.
Même un chouia d’instrumentalisation excessive pour pouvoir
mettre en avant le clivage Nord-Sud et Gauche-Droite.
Style: “Souvenez-vous que , de tous temps, lorsque
l’extrème-droite arrive au pouvoir, la première chose qu’elle fait, c’est s’es
prendre à la Culture”. (c’est le cas en
France lorsque le Front National s’empare d’une ville).
La note est forcée. Cela tient du stratagème. Certes, en dehors du chanteur Urbanus,
la N-VA donne l’impression de n’aimer guère les artistes et ceux-ci le lui
rendent bien, mais c’est, qu’on apprécie ou non, un parti de centre droit ou de
droite démocratique.
Le truc, l’astuce du fakir, c’est qu’en critiquant vivement
les choix d’économies du gouvernement de Geert Bourgeois (N-VA), les partis
d’opposition à la #suédoise (PS, cdH, Ecolo, PTB) jouent tout à la fois sur le
velours du billard (grogne minimale garantie par rapport au fédéral) et au
billard à deux bandes.
Sans nommer les libéraux francophones, ils critiquent en
effet plein pot, mine de rien – et sans le nommer- le MR qui a choisi de
s’associer à cette Flandre là,
dominée par la N-VA.
Comme quoi la politique peut conjuguer tout à la fois les
arts de la culture et de la guerre.
Michel HENRION.