En médiapolitique, ce
qui fait mouche aujourd’hui tient en un mot: authenticité.
Le citoyen est de plus en plus insupporté par la vacuité des
discours formatés, aseptisés, les
paroles contrôlées, la pensée en éléments de langage. Toutes ces interviews
mécaniques ou la fausseté des propos crève le petit écran.
Aujourd’hui, ce qui fonctionne, c’est le côté direct,
spontané, plus ou moins naturel.
On l’avait pressenti avec feu Jean-Luc Dehaene, ce subtil
bulldozer, qui avait fait de sa mauvaise humeur bourrue une marque de fabrique.
On en en a eu récemment la confirmation avec l’Ovni Maggie
De Block: dont nul rue de la Loi, au moment de sa surprenante désignation par
Alexandre De Croo, n’avait évidemment prévu que les électeurs -dont un nombre
effarant de francophones- s’amouracheraient de la toubib de Merchtem –qui-ne-fait-que-son-petit-possible.
Mais qui en fait, assez douée pour le marketing de
l’authenticité, a subtilement exagéré sa singularité, dissimulant assez bien
l’hypertrophie de ses ambitions. Mais qui, si elle a de la carrure, n’a, à tout
le moins, pas celle qui se forge à l’entraînement politique de haut niveau;
celle qui permet d’accéder au 16 rue de la Loi.
On vous rappelle ça, parce que vient de débouler, dans le
petit monde médiapolitique belge – celui qui se croise et se fraie sans cesse
sur les plateaux télé et dans les colonnes des journaux- un nouveau et
singulier personnage syndical. Entendez Marc Goblet, le successeur juste élu
pour remplacer Anne Demelenne au Secrétariat Général de la FGTB. Bref l’homme
qui, au delà des subtiles influences et rapports de force de la complexe
structure syndicale socialiste, en sera désormais le porte-drapeau principal.
“Ne pas baisser son pantalon”
Or, dès sa première interview, Marc Goblet a d’évidence
surpris, déconcerté, voire irrité d’aucuns, souvent peu portés de sympathie, il
est vrai, sur le rôle du syndicalisme dans la société belge.
Ah, mais c’est que l’homme parle sans langue de bois. “Je
ne ne suis pas radical, mais je suis clair sur mes positions: si on baisse sans
cesse sans pantalon, on ne doit pas faire de syndicalisme”.
Ah, mais c’est que l’homme, pour convaincre, affectionne les
raisonnements pointés de bon sens: “L’argent pris du côté des cotisations
sociales, ne créera pas d’emploi. Qu’on me démontre qu’un employeur engage
quelqu’un dont il n’a pas besoin, parce que ça lui coûte la moitié du prix, je
n’ai jamais vu cela”.
Ah, mais c’est que l’homme est wallon, avec l’accent des
territoires de la province de Liège, là, ou –héritier d’une tradition syndicale
familiale qui se transmet de génération en génération- il affirme avoir
toujours privilégié la concertation sociale, son idéal d’action syndicale. “Dans
les secteurs que je gérais jusqu’ici, il n’y a jamais eu un jour de grève, je
ne fais pas grève pour faire grève”.
On a perdu l’habitude du langage des ouvriers
Ah mais, c’est que l’homme réintroduit –et ça, c’est très
important- une expression populaire quasi ouvrière, un
langage que l’évolution médiatique policée a gommé du poto-poto de la rue de la Loi.
Ouvrier chauffagiste dans une PME dans sa jeunesse, Marc Goblet parle comme les ouvriers, les
travailleurs qu’il côtoie au jour le jour.
Que ça plaise ou non: et jusqu’ici ça plait.
Or, dans notre société belge, on entend finalement très peu
cette “voix des ouvriers”. Pire: on en a
perdu l’habitude.
Il y a encore juste François Pirette pour parfois rappeler
indirectement, dans ses sketches, que la classe ouvrière ça existe toujours bel
et bien.
Un certain mépris
Bref, avec le nouveau leader de la FGTB, c’est le choc des
accents: celui du terroir, celui des travailleurs de la “base”.
La preuve: on a vu aussitôt, sur les réseaux sociaux, des
réactions marquées, tantôt d’un certain mépris de classe, tantôt d’un certain” “bruxellanisme (entendez une version importée du “parisianisme”).
Comme si, pour ces gens-là, l’interlocuteur syndical
se devait -comme c’est souvent le cas aujourd’hui, notamment à la CSC-ACW- d’être un “technicien”, un technocrate peu habitué au contact permanent avec
les travailleurs.
Il y aura donc, sur les plateaux de télé, dans les
négociations interprofessionnelles, un “style Marc Goblet”. Qui marquera aussi, dans l’histoire du syndicat
socialiste, une nouvelle évolution, en attendant la grande réforme interne des
structures.
L’empathique Anne Demelenne venait du Setca-FGTB, entendez
les employés.
Goblet est un pur produit de la Centrale Générale, entendez
les ouvriers.
Une Centrale plutôt “unitaire” dont il était aussi, en tant
que wallon, le plus régionaliste.
C’est qu’une organisation syndicale est traversée, comme
toutes les autres sociétés, par bien de multiples clivages.
Ceux des interrégionales (Goblet préside désormais les wallons avec
comme secrétaire général cet autre Liégeois qu’est Thierry Bodson; un homme qui
-tout le monde des initiés en convient- ira loin…) Ceux des centrales ouvrières
qui ne partagent pas toujours les mêmes vues que celle du Setca (la défense des
employés), notamment sur l’application du statut unique.
Donné favori dès le début, Marc Goblet ne l’a finalement
emporté, au sein de la FGTB, qu’après débat entre deux tendances: celle qui
fait davantage à des “techniciens du syndicalisme” (l’alternative était Estelle Ceulemans, produit de cabinets PS et du Bureau
d’Etudes de la FGTB) et celle, au départ minoritaire, tenante d’un syndicalisme
de concertation mais qui repartirait à l’offensive sur base des fondamentaux de la Sécurité Sociale, à
commencer par les pensions.
“ Quand on a créé la Sécurité Sociale en 1944, dit Marc Goblet, le travailleur a dit: “
Ne me donnez pas tout mon salaire, mais assurez-moi si je perds mon emploi, si
je suis malade. On oublie cela aujourd’hui.
Le meilleur ennemi du PTB
Le truc du nouveau boss de la FGTB, c’est ça: un homme de
concertation qui se fait une fierté de respecter la parole donnée (ce qui n’est
pas le cas de tous les représentants syndicaux, à la fiabilité parfois
variable). Un syndicaliste qui parle vrai, qui ne vit , disent ses amis, que
pour son action et dont la force
de conviction a gagné dans d’innombrables assemblées de travailleurs indignés,
souvent rétifs à tout accord raisonnable.
En région liégeoise (son fief est le Val-St-Lambert), ce
militant PS drapé dans son indépendance syndicale, nostalgique de l’Action Commune socialiste, est d’ailleurs
un peu le fly-tox des effets de manche du PTB de Raoul Hedebouw, qui a bien du
mal à convaincre lorsqu’il se retrouve confronté aux discours du tribun Marc
Goblet.
Un homme qui, sous des dehors brut-de-pomme est aussi un
technicien hors pair. Capable de remonter à lui seul toutes les pièces du
moteur de la Sécurité Sociale depuis 1944. Lorsque employeurs et syndicats
avait signé ces importantes avancées historiques que sont l’assurance-maladie,
les allocations familiales, l’assurance-chômage…
Un pragmatique de la concertation
Au micro d’Antonio Solimando (Bel-RTL) le nouveau Secrétaire général
efgétébiste a confirmé volontiers, sur un ton parfois un brin archéo, que “la #suédoise, c’est la coalition des
nantis et du
capital “: alors qu’en fait, retenez bien cela, l’homme n’est en rien un idéologue. Plutôt un pragmatique de la concertation sociale, bien décidé, si la FEB continue à polariser et -selon sa formule-“ à déconner”, à s’adresser directement aux chefs d’entreprise pour leur demander s’ils veulent vraiment abîmer la paix sociale dans leur propre entreprise .
capital “: alors qu’en fait, retenez bien cela, l’homme n’est en rien un idéologue. Plutôt un pragmatique de la concertation sociale, bien décidé, si la FEB continue à polariser et -selon sa formule-“ à déconner”, à s’adresser directement aux chefs d’entreprise pour leur demander s’ils veulent vraiment abîmer la paix sociale dans leur propre entreprise .
Thierry Bodson (FGTB wallonne) relevait l’autre jour dans le
Soir: “Aujourd’hui on a des
fédérations patronales qui sont beaucoup plus arrogantes que par le passé, plus
politisées davantage au Nord qu’au Sud… Mais l’Union Wallonne des Entreprises
prend aussi des positions qui sont politisées et davantage idéologiques.”
Le secrétaire général de la FGTB wallonne force, certes, la
note mais il y a quelque chose de pas faux dans le constat.
Renversement des rôles: pour l’heure, ce ne sont effectivement
pas les trois partis du Front Commun syndical (FGTB, CSC, Syndicat libéral) qui
y vont d’un discours plus radical qu’à l’habitude. D’autant plus que l’ACW (CSC
flamande) est engagée dans le sauvetage controversé des 780.000 coopérateurs
d’Arco (Mouvement Ouvrier Chrétien).
Le changement émane en effet plutôt d’une certaine droite,
parfois patronale, de plus en plus décomplexée, climat de la #suédoise aidant.
“Est-ce tout le monde doit se coucher devant les
exigences de la N-VA, s’interrogeait Goblet
à Bel-RTL. Est-ce qu’on doit laisser le monde du travail, les
allocataires sociaux retourner au début du XIXe siècle, pendant que les
détenteurs des capitaux ne cessent de faire des profits plus importants ?”
Lobbyiste discret et syndicaliste au porte-voix, même
combat
De nos jours, les syndicats n’ont pas toujours bonne presse.
Et pourtant, lobbies et syndicats, c’est un peu le même combat, le même but:
défendre leurs intérêts face aux gouvernements et aux Parlements.
Au fond, seuls les moyens diffèrent: le lobbyiste se veut
discret et rode presque masqué aux abords de la rue de la Loi.
Le syndicaliste s’habille en rouge, vert ou bleu, branche
les baffles et fait entendre très fort ses revendications à coups de
porte-voix.
Très politique, au sens stratégique du terme, ce Goblet-qui-vient-de-la-base
est peut-être le leader qu’il fallait à la
FGTB en ce moment de naissance du gouvernement #Michel1 et de
la coalition #suédoise de centre-droit ou de droite, c'est selon.
Celle-ci distillera sans doute habilement et progressivement
ses mesures d’austérité: la FGTB
mesurera sans doute tout aussi finement ses réactions et actions.
Evolution des temps: face aux techniciens de l’austérité,
Marc Goblet, avec son accent de terroir, ses discours d’apparent bon sens, son
ton “ouvriériste”, son parler brut-de-pomme, va peut-être soudain apparaître
plus moderne, plus tendance que des bien des technocrates.
Michel HENRION