En Belgique, les Nic-Nacs,
ces petits biscuits secs en forme
d’alphabet, ont, outre les enfants, deux clientèles assez portées à
jouer avec les lettres: les banquiers et les responsables de partis politiques.
Les premiers parce qu’il
s’agissait évidemment, en changeant les logos des agences, de faire oublier la
crise bancaire. Les seconds, parce qu’ils s’imaginent régulièrement que
rebaptiser leur formation politique
donnera forcément un nouveau souffle à celle-ci.
Comme les Nic-Nacs, c’est
vraiment là une spécialité très belge. Que nos politiques ne partagent qu’avec
la France, recordman du genre, dans une curieuse exception politico-culturelle.
Si l’on met à part le cas plus spécifique de l’Italie -ou la corruption fit
s’effondrer tout le paysage politique - rares sont les pays où l’on change
presque de sigle comme Elio Di Rupo de chemise le 21 juillet.
En Andalousie, lors des
élections-test pour les futures législatives ibériques, c’est toujours un
“Parti Socialiste Ouvrier” qui vient de l’emporter. Et ce sous sa très vieille
appellation qui n’émeut d’évidence aucun andalou. En Allemagne, les
sociaux-démocrates du SPD vivent avec la même étiquette depuis 1890. Et ne
parlons pas des Etats-Unis ou ni le Parti Démocrate (1824) ni le Républicain
(1854) ne penseraient un instant à toucher à leur appellation.
Pourquoi le FDF veut se
rebaptiser “libéral social”
Tiens, vous souvenez-vous
ainsi du PPW, le Parti Pour la Wallonie? Pas étonnant: ce parti éphémère ne fut
qu’à usage unique, pour un seul scrutin de 1991, à l’époque ou Olivier Maingain
souhaitait que le FDF-PPW devienne le “parti québécois” de la Communauté
française, histoire de renforcer son identité francophone. Avec pour ambition –
curieusement redevenue d’actualité vingt ans plus tard- de “soumettre les
autres partis à des tests de sincérité francophone”.
On rappelle la suite: un an
plus tard, en 1993, le FDF (dont l’ADN implique qu’il ait toujours, depuis la
disparition de feu le Rassemblement Wallon, un pendant/allié au Sud du pays) construit la Fédération
PRL-FDF, rejointe en 1998 par une mini-dissidence du PSC, le MCC. Résultat: en
2002, la fédération PRL-FDF-MCC prend le nom de Mouvement Réformateur, en bref,
le MR.
Un sigle à forte identité qui
vaut déjà la peine de s’y attarder en analyse médiapolitique:
-Tout comme Charles de
Gaulle, on préfèra à l’époque éviter le mot “parti” et opter pour le mot
“Mouvement”, moins rebutant.
-On se limitait à deux
lettres, histoire d’affronter de front celles du PS.
-On abandonnait, dans la
dénomination, le mot “libéral”, dont l’image était jugée ternie par les dérives
de la mondialisation…
Retournement politique: en
2011, le FDF claque la porte du MR estimant déjà “que les capitulent devant les
exigences flamandes”. (libéraux (car l’usage du terme “libéral” s’est maintenu,
on ne parle qu’occasionnellement de “réformateurs”)
Et voici qu’Olivier Maingain
aujourd’hui fort de sa enième réelection se dit enclin, pour “mieux traduire
l’évolution socio-économique de son parti”, à changer l’appellation FDF à
travers un nouveau sigle. Pour y greffer le mot “libéral” et l’idée du
“libéralisme social”, abandonnée, selon Maingain, depuis que Charles Michel
s’est allié avec la N-VA.
L’objectif stratégique est
évident: l’électeur aurait ainsi le choix, surtout à Bruxelles (14,8% des voix
au FDF, 23,04% au MR), entre deux partis se revendiquant du libéralisme.
Et des libéraux qui s’inquiètent
des “dérives” de l’alliance avec Bart De Wever pourraient enfin donner un peu
de poids au FDF wallon. (2,53% en Wallonie au scrutin 2014)
On vous parle de ça, car
c’est un cas d’école: celui ou on entend adapter le nom du parti à l’évolution
d’une ligne politique. Ici d’un parti qui, BHV aidant, met désormais plutôt
l’accent sur ses propositions socio-économiques et, originalité, la défense de
la laïcité. Oh, sans doute le FDF n’ira-t-il évidemment pas jusqu’à suicider sa
marque très forte mais l’ajout à celle-ci d’une touche libérale sociale sera
une consolidation.
Le cdH ne se rebaptisera
pas mais se centre sur son C
Au cdH, lui aussi en pleine
phase de réflexion, nul mandataire ne sait exactement la ligne de redressement
que Benoît Lutgen mitonne dans un quasi black-out. C’est que les
sociaux-chrétiens voient soudain avec bonheur s’ouvrir davantage d’espace
politique au centre, entre la “droite suédoise” et le PS obligé , sous la
pression PTB, de s’ancrer davantage à gauche. Sans parler des électeurs jadis
détournés du droit chemin par la com’ de l’Ecolo monarchiste Jean-Michel
Javaux. Cela pourrait-il aller, comme des jeunes cdH l’ont imaginé, jusqu’à
encore se rebaptiser puisque le meilleur score historique du cdH est en dessous
du pire score de l'histoire du défunt PSC (Parti social chrétien) d’antan?
Il n’en sera rien: on ne
changera plus ni l’eau ni le nom du bocal à poisson orange. Mais, dans ce
climat politique il est clair que les stratèges du Centre démocrate Humaniste
mettront davantage l’accent sur le C de leur sigle (ici, C comme Centre) que
sur le H d’Humaniste. Un mot controversé, puisque faisant par trop référence
aux Lumières et à la Libre Pensée, mais qui a vachement servi le cdH, du moins
à Bruxelles, lui permettant de s’ouvrir massivement aux électeurs musulmans et
de repasser largement la barre des 10%.
Mais lui valant aussi sa
nouvelle appellation de “Parti des Religions”. Ce qui postule aussi une moins
grande volatilité que celle de l’électeur Ecolo. (depuis mai 2014, le rapport
de force CDH/ Ecolo , en Wallonie, c’est 15,1% contre 8,6%)
Dans cette création du cdH,
un gros hic: non seulement l’ouverture aux laïcs est-elle restée quasi lettre
morte depuis 2002 mais encore le changement de dénomination n’a-t-il guère
fonctionné en Wallonie, sociologie électorale aidant. Dans le cas du cdH, le
changement de dénomination se voulait véritable rupture: ce ne fut pas pour
autant la renaissance escomptée.
Côté flamand, c’est un fait
marquant que tous -oui tous- les partis du Nord ont changé leur nom. Parfois
par la force (la Cour de Cassation qui condamna le Vlaamse Blok pour racisme et
xénophobie, le forçant à se rebaptiser en Belang et “cassant” son élan), le
plus souvent pour se défaire du passé, avec plus ou moins de bonheur.
Au CD&V, une
mayonnaise qui a mis son temps à prendre
Ainsi, lorsqu’il s’est
retrouvé dans l’opposition en 2001, le CVP choisit de se défaire de l’image
“conservatrice” de l’Etat CVP. Des spins doctors inventèrement donc le
CD&V, insistant sur le coup de génie du symbole &, censé démontrer la
volonté d’unir et non point de diviser.
Las, la mayonnaise a pris
lentement mais a fini par virer plutôt réussite, en “image publique” s’entend.
Le fait est là: alors que le CVP ne séduisait presque plus aucun jeune flamand,
c’est devenu un parti, voire une marque qui fonctionne à nouveau chez les
jeunes électeurs flamands.
Les libéraux flamands, eux,
ont connu bonheurs et malheurs. Lancé sur orbite en 1992 par l’emblématique
Verhofstadt, le VLD (Vlaamse Liberalen en Democraten) devient finalement, de
peu, le premier parti de Flandre en 1999.
Mais a la curieuse idée en
2007 de se mettre en cartel, histoire de se montrer encore plus rassembleur,
avec le mini parti Vivant du
richissime Roland Duchâtelet (oui, celui du Standard de Liège) sous le nom
d'Open Vld. C’est le début de ses ennuis. Déjà critiqué parce que ses trois
premiers “Burgermanifesten” (les
petits livres ou Verhofstadt décrivait sa vision politique) ne collaient pas
vraiment avec son action comme Premier Ministre jugée bien trop à gauche en
Flandre, Verhofstadt réactualise ses convictions et opte parallèlement de
changer le VLD en OpenVLD.
Trois ans plus tard,
Alexander De Croo retire la prise du gouvernement Leterme: et les libéraux du
Nord dévissent les échalotes, perdant plus d’un quart de leurs électeurs. Et la
N-VA fait un énorme bond en avant. Merci Alexander. Ici, la nouvelle image du
parti aura été celle de la chute et du déclin.
Le nom d’un parti: une
valeur variable
C’est le moment d’épingler un
phénomène évident: le nom d’un parti n’a pas la même valeur à droite qu’à
gauche d’une assemblée parlementaire.
La droite -le phénomène est
très voyant en France- a plutôt tendance à opter pour des valeurs
consensuelles. On parlera de “Rassemblement”, d’ “Union”, ou , comme pour le
MR, de “Mouvement”. Les militants ne sont pas attachés à tout prix au nom de
leur parti: à preuve en France les multiples appellations successives du
courant gaulliste… (UDR, RPR, UMP, demain les Républicains?)
Les partis de gauche, eux,
ont davantage l’impression de perdre partie de leur identité. Leur appellation
c’est, mine de rien, la continuité des luttes politiques des ancêtres, de toute
l’histoire sociale du Mouvement ouvrier.
C’est ce qui explique que,
comme en France depuis 1971, le PS n’a, chez nous, jamais même envisagé de
changer de nom depuis la scission du national PSB en 1978. Même dans ses
périodes de ressac. On y a juste, dans une “consolidation stratégique” de com’
jeté avec les orties la rose au poing, empruntée à François Mitterrand depuis
1971, et relooké design le logo PS.
Le sp.a ne pétille plus
Du côté des socialistes
flamands, pour là aussi faire oublier les affaires judiciaires et se défaire
d’une image vieillotte, le
publicitaire Patrick Janssens devenu soudain président en 1999 appliqua une
logique marketing. Le SP devint le sp.a, (Socialistiche Partij Anders) le point graphique étant juste là pour qu’on ne confonde pas
le parti avec… l’eau minérale. Il s’agissait aussi d’accueillir le mini-parti Spirit de Geert Lambert, ex vice-président de la Volksunie.
Et touriste politique puisqu’il fonda ensuite le Sociaal-Liberale Partij, qui fusionnera avec les écolos flamands de Groen.
Bref, les socialistes
flamands ont tellement voulu changer le nom et leur image d’ouverture qu’ils
ont fini par s’égarer. (pour rappel, Caroline Gennez voulait appeler son parti
Socialistisch en Progressist Partij) C’est pourquoi l’actuel duel interne entre
l’ostendais John Crombez et Bruno Tobback se focalise tant sur la question du
message et des valeurs que le Sp.a doit incarner et “vendre” à l’opinion.
Or, les deux hommes
représentent finalement les mêmes valeurs un peu floues. Ni l’un ni l’autre ne
va inventer l’eau chaude qui , soudainement, fera faire des bulles électorales
aux socialistes du Nord. “Il y a,
lâche un politologue flamand, des enterrements plus gais que les débats
entre les deux candidats”
John Crombez, qui ne manque
pas de qualités, sera sans doute le prochain président des socialistes flamands
mais juste pour une raison principale: il n’est pas Bruno Tobback.
On le voit: un nouveau nom
n’est pas automatiquement, pour n parti, une renaissance: c’est aussi un
risque.
L’entreprise peut être une
formidable réussite (le VLD de la grande époque de Guy Verhofstadt ou un
égarement (l’embarras des socialistes flamands).
Bref, une belle interrogation
médiapolitique: faut-il toujours tout chambouler pour se moderniser?
Michel HENRION