La politique belge, c’est pas
sorcier. Il suffit toujours, pour le gouvernement du moment, de trouver la juste
incantation qui transforme la réalité. Mais comme -Europe et mondialisation
aidant- les casse-tête se multiplient, la rue de la Loi peine de plus en plus à
faire croire en ses éternels tours de magie. Budgétaires et autres.
Et puisque le vieux truc des
“recettes du bon sens”, cet efficace terminus de la pensée, laisse même
l’opinion publique être critique, l’institutionnel belge tombe cette fois à pic
pour tout rendre illisible.
Pas de drame sanglant: on
prévoit une croissance plus optimiste et on ristourne surtout 750 mio € de
moins aux entités fédérées.
Supercalifragilisticexpialidocious
et l’essentiel du tour de passe passe est joué. Aux Régions, et aux communes,
de se serrer soudain la ceinture bien plus que prévu. Surprise-surprise,
débrouillez-vous, c’est la loi de financement même si les chiffres partent
soudain en toupie.
C’est d’autant plus simple
qu’aucun parti du gouvernement fédéral n’est présent dans les Exécutifs de la
Région wallonne et de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Fastoche: il suffit juste de
cliquer et d’envoyer un petit mail. Signalant aux bruxellois qu’ils ont 105
mio€ en moins et aux wallons qu’ils ne recevront pas les 317 mio€ escomptés.
Le malaise
Après six mois de
gouvernement suédois, malgré cet ajustement budgétaire peu fédéraliste mais
finaud, une évidence s’impose pourtant: il y a comme un malaise. A tel point que d’aucuns, dans certains
salons feutrés de la rue de la Loi, en arrivent à évoquer jusqu’à l’hypothèse,
très hypothétique, d’un remaniement ministériel. Rejoints en cela par certains
cénacles patronaux de Flandre, qui, s’ils voudraient encore davantage de
leadership de la part du Premier Ministre MR, veillent surtout à ce que le menu
de centre-droit de cette coalition puisse continuer à être servi.
C’est que le discours d’excuse et d’opportunité (“Ils
viennent d’arriver”, “laissez-nous le temps”, “c’est la faute à nos
prédécesseurs”) ne peut plus guère tenir longtemps la route pour expliquer
certains couacs. Après six mois, c’est même déjà le moment de faire une
première évaluation de la #Suédoise… Et celle-ci pose problème à plusieurs
partis de la coalition.
Les valeurs libérales
La N-VA s’est certes hissée
au fédéral mais n’engrange jusqu’ici, si on réfléchit, que quasi pouic par
rapport aux folles promesses de “changement” de mai 2014. Un saut d’index n’est
pas le “verandering”.
Le MR, lui, est encore tout à
la joie d’être au 16 rue de la Loi, surtout dans son aile la plus à droite, (“La
section N-VA de Jurbise est ravie”,
ironise un cadre reyndersien du MR)
mais qu’a-t-il déjà vraiment obtenu comme réforme libérale forte?
Le #taxshift, la réforme
fiscale, c’est renvoyé à l’automne. Certes, le cap de l’ajustement budgétaire
est franchi et les tenants de la #Suédoise ont soudain retrouvé le moral.
D’autant plus que des Houdini de la com’ ont transformé l’opération en quasi
bonne nouvelle.
Mais reste ce souci de fond:
jusqu’où les valeurs libérales peuvent-elles accepter ce qui se passe en dehors
du 16 de la rue de la Loi? C’est à dire
les comportements et offensives des ténors de la N-VA. Car si libéraux
et nationalistes peuvent s’accorder largement sur le socio-économique, c’est
pour le moins différent sur d’autres thèmes, comme celui du racisme.
Une sarabande d’incidents
extérieurs
D’où ce constat: il apparaît
de plus en plus que la #Suédoise a souffert , dès le départ, de plusieurs
défauts d’architecture, voire de fabrication.
Jugés par d’aucuns comme
relatifs. Mais qui font qu’à l’usage, on voit se multiplier comme une sarabande
de soucis et d’ incidents politiques.
Le dernier en date, en
attendant l’inévitable prochain couac à venir, étant évidemment la controverse
enflammée du “racisme relatif”, cette théorie N-VA qui veut que si l’allochtone
a du mal à trouver un job ou un logement, c’est qu’il l’a somme toute bien
cherché. La Flandre est censée être un paradis de l’égalité des chances, sans
problème pour celui qui s’est intégré comme il convient à Bart (De Wever) et
Liesbeth (Homans).
Une sortie provo “d’allumeur
de vrais Berbères”* qui a en tout cas permis à Bart De Wever de s’adjuger,
d’accaparer tout l’espace médiapolitique pendant une formidable séquence-temps.
Celui de préparer en douce l’ajustement budgétaire, avec ici la caution du boss
mais aussi de Wouter Beke (CD&V et Gwendolyn Rutten (OpenVLD) pour ce qui
est du financement réduit des nouvelles compétences de la Flandre. (moins 396
mio€)
Un message tourné d’abord
vers les flamands
Phénomène marquant à
épingler: ce qui secoue la coalition n’a, le plus souvent, pas grand chose à
voir avec l’Accord gouvernemental. Ce sont les propos ambigus de Jan Jambon sur
la collaboration; l’anniversaire du charmant Bob Maes; ou le président de la
Chambre s’en allant chanter, comme si de rien n’était, avec des ministres N-VA,
à la Fête du Chant flamand (pour le N-VA Hendrik Vuye, l’expression
"België barst" exprime “juste un projet politique qui vise une
plus grande autonomie ou l'indépendance").
Et puis, il y a surtout, les déclarations du “Slimste
Mens” De Wever.
Qui mélange sans cesse idéologie (retenez que De Wever, avec son “intégration
inclusive”, dit ici vraiment ce qu’il croit, ce qu’il pense) et stratégie. En s’emparant de ce thème, le président de la N-VA
protège son acquis électoral, se méfiant du Belang et de cet incertain
mouvement anti-islam qu’est Pegida, très actif à Anvers.
Certes, dans cette affaire,
les francophones n’ont pas perçu toute la séquence qui fut, d’abord, un
feuilleton flamand.
Au départ, présentant un
livre en compagnie du bourgmestre PVDA (travailliste) de Rotterdam, De Wever
-fait exceptionnel- tançait uniquement aux flamands. Pour une fois, il ne
renvoyait pas la responsabilité de l’intégration vers le niveau fédéral, les
wallons, les francophones ni même de ce PS “qu’il ne veut plus jamais voir
au gouvernement”.
Ce jour là, il gaffe un peu
(son Gouvernement flamand est mis en cause) et se doit de récupérer le bigntz en se rendant à la VRT et en y
poussant le bouchon, cette fois fédéral, jusqu’à soulever de (discrets) remous
chez ses propres rangs, qui ne sont pas tous forcément “de droite”.
On sent bien que tout le
monde, à la N-VA, n’est pas forcément d'accord. Jan Peumans, le Président du
Parlement flamand, qui est plutôt vu comme quelqu'un de gauche au sein de la
N-VA, a exprimé son désaccord. Les personnalités “allochtones” de la N-VA se sentent un brin forcées à
défendre De Wever. Certaines comme Zuhal Demir avec conviction, d’autres (Nadia
Sminate) d'une maniere moins convaincante.
Certes, on avait illico
épinglé le fait exceptionnel que ce ne soit pas le premier parti de la
coalition qui livre le Premier Ministre. Mais on y avait sous-estimé à quel
point le poids politique énorme du bourgmestre de la multiculturelle Anvers
allait mettre régulièrement le gouvernement Michel dans l’embarras.
Faire le gros dos
C’est clair que le jeudi
n’est pas devenu le jour de la semaine favori du Premier Ministre. Répondre aux
interpellations devient de plus en plus compliqué dès lors qu’il s’agit des
foucades de la N-VA. Et que l’OpenVLD lui-même incite le Secrétaire d’Etat N-VA Théo Francken à la boucler.
Charles Michel n’a d’autre
solution que de faire sans cesse le gros dos. C’est la quadrature du cercle.
Faute de communautaire pur, De Wever entend se profiler vigoureusement sur les
terrains de la sécurité, de l’islamisme et de la migration, ce thème favori du
Belang.
Le hic, c’est que côté MR, ni
Olivier Chastel ni Charles Michel ne se trouvent dans une position de force
pour ramener De Wever à plus de raison.
Le “storytelling” MR, genre “nous
sommes très à l’aise dans ce gouvernement” n’est plus toujours si évident. Au MR, on les qualifie de “marginales”,
mais des voix s’élèvent tout de même en interne. Notamment celle, remarquée, de l’avocat Renaud Duquesne,
fils de l’ancien président libéral Antoine Duquesne: “Les ministres de la
N-VA sont donc devenus comparables au dieu Janus, le dieu aux deux visages.
C'est le règne de la duplicité.”
a-t-il lancé, se demandant “si Charles Michel était atteint du syndrome de
Stockholm ?”
Et même s’ils se maintiennent
plutôt bien dans les sondages, des libéraux s’inquiètent d’autres retombées:
celles d’une politique souvent conduite dans l’intérêt du Nord (l’arrêt du
Thalys wallon), des conséquences du saut d’index sur les PME et du taux
variable que le ministre Daniel Bacquelaine impose pour ce qui est des pensions
complémentaires
et autres contrats
d'assurance groupe.
Le vocabulaire vire Viking
On l’avait prédit dans ces
colonnes de M… Belgique dès la
composition exceptionnelle de cette coalition: le combat politique allait virer
violent, style Games of Thrones.
C’est pire que ça: c’est le style Ragnar Lothbrok qui a envahi la rue de la
Loi, ou le vocabulaire vire carrément combat oratoire pour Vikings.
Médiapolitiquement, il faut
toujours faire attention au vocabulaire. Et celui-ci a lourdement tendance,
depuis quelques mois à déraper.
Le Ministre-Président bruxellois
PS Rudi Vervoort s’était au moins excusé lorsqu’il avait effectivement dérapé
en comparant la déchéance de nationalité prévue par l’actuel gouvernement et le
régime nazi.
A la N-VA, ce n’est pas
vraiment le genre de la maison de regretter. Le président de la Chambre peut
aller jusqu’à employer le très chargé mot “pogrom” (attaques contre des juifs)
pour qualifier les critiques contre De Wever, ça ne soulève quasi aucun remous…
L’absence des hommes forts
du Nord
Les événements, les
positionnements l’ont rendu impossible mais une telle “aventure politique” eût
impliqué que les hommes forts de chaque parti intègrent le gouvernement.
C’était évident pour De Wever et presque autant pour le CD&V Wouter Beke.
Ce l’était moins pour Gwendolyn Rutten de l’OpenVLD.
Point commun à tous ces
politiques restés présidents de parti: ils se comportent tous depuis des mois
comme des snipers. Plus précisément des “Flemish Snipers” puisque le phénomène
inattendu de la coalition suédoise, c’est un incessant combat de parts de
marché électorales entre les trois partis du Nord, qui se fichent comme un
poisson d’une pomme de l’embarras, des difficultés que cela peut susciter chez
leur seul partenaire francophone…
Entre CD&V et N-VA, même
à l’intérieur du Gouvernement flamand, on en est carrément à la guerilla
médiatique, à prendre plus ou moins au sérieux.
Si les hommes forts de tous
les partis s’étaient retrouvés autour de la table gouvernementale, leurs
successeurs n’auraient eu d’évidence qu’un rôle accessoire.
C’est ce qui s’est passé au
MR: Olivier Chastel peut dire tout ce qu’il veut, en s’accordant ou non avec
son Premier Ministre, c’est ce que disent Charles Michel et Didier Reynders qui
compte. Même si ce dernier a une évidence tendance à soutenir la coalition (et
à se chercher peut-être un nouveau destin) depuis Singapour, Tripoli, Le Caire
ou Moscou…
Résultat: face au lourd poids
flamand de trois partis, Charles Michel -qui n’a pas encore l’expérience
ministérielle d’un Reynders- se retrouve souvent seul, avec Willy Borsus, qui,
lui, n’avait jamais été ministre.
La réforme de l’Etat
définitive?
Il y a comme un paradoxe:
c’est la 6ème réforme de l’Etat de la coalition Di Rupo qui permis de mettre le
communautaire sur le côté et de constituer le gouvernement #suédois
socio-économique. Pour l’heure, le
transfert de compétences se fait vaille que vaille, car pas à ressources
équivalentes.
Mais tout un chacun sait, rue
de la Loi, qu’un second gouvernement socio-économique est impensable pour la
N-VA. “Il n’est pas question alors d’une 7ème réforme de l’Etat, mais d’une
réforme définitive” clame-t-on à la
N-VA. Entendez le confédéralisme qui nécessite à tout le moins un accord des
deux tiers des parlementaires.
Quoiqu’il en advienne,
l’essentiel pour le parti nationaliste est, d’ici là, de maintenir coûte que
coûte son poids électoral. Quitte, un jour, à anticiper la fin de son
expérience “belche” et fédérale. Ce qui explique aussi pourquoi, en coulisses,
PS et cdh, au delà des effets de manche, maintiennent tout de même quelques
contacts. Car avec le perpétuel malaise créé par la N-VA, avec celui qui est
apparu chez les libéraux francophones, on sent bien qu’il va devoir se passer
quelque chose. “On ne peut pas continuer comme ça avec de telles attitudes
de De Wever”, confie un MR liégeois.
Bref, on ne sait pas où on
va, mais on y va.
Michel HENRION
* Lu sur Facebook, sous la
plume de Jean-Claude Broché.