Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

jeudi 4 juin 2015

Le grand virage socio-éco de la N-VA pour muer en CSU flamande (MBelgiqueHebdo du 15/5/15)

Le marketing politique de la N-VA ne manque pas de doigté. Mine de rien, les deux doigts très nationalistes du “V” (le fameux serment de Jan Jambon et consorts devant le roi Philippe) se sont effacés, se sont noyés dans les cinq doigts de la main de la bien plus conformiste métacampagne #Helfie à un million d’€. (“Tout le monde donne un coup de main pour remettre le pays –oui, le pays…- en mouvement”)
C’est que la mue de la N-VA est en route. Ambition encore voilée: faire du parti une version flamande de la CDU allemande, ou plutôt de la CSU, le parti hyper-dominant en Bavière. Qui règne sans partage depuis près de 60 ans sur l'un des länder les plus riches d’Allemagne avec un des taux de chômage les plus bas.
La CSU de centre-droit y domine largement la politique régionale. A chaque élection, c’est le parti qui réunit le plus grand nombre de voix avec des résultats oscillant entre 62% des électeurs et 42,9%. (lorsque les résultats, comme en 2009, sont alors jugés catastrophiques).
Personnage-clé de cette saga: feu Franz Josef Strauß, surnommé le “Taureau de Bavière”, célèbre, pour son charisme et son éloquence, figure tutélaire et incontournable du parti dominant dont il était perçu comme le principal idéologue. Ca ne vous évoque rien?
C’est en tout cas un paysage politique dont Bart De Wever connait tous les tenants et aboutissants, lui qui affectionne de passer ses vacances sur la route allemande des Alpes et de s’y faire (jadis) photographier en “Lederhose”, la culotte de cuir de cerf traditionnelle.
De Wever est un stratège, un joueur d’échec patient. Avec des objectifs à court-terme (ses déclarations sur la collaboration avaient comme premier but de se garantir  le “vote juif” à Anvers aux communales de 2018, dont le résultat est un enjeu essentiel) et d’autres à long terme:  à savoir positionner la N-VA davantage au centre et devenir le grand parti incontournable de la Communauté flamande. Celui qui s’assurera le pouvoir pour très longtemps.
Et ce en défendant fortement les intérêts de sa région sans pour autant mettre vraiment en cause la Fédération belche. Bref, ce qu’aurait pu être un “CVP/CD&V moderne” s’il ne s’était égaré. Le gouvernement flamand de Geert Bourgeois est d’ailleurs bien plus qu'un gouvernement: c'est un projet, la matérialisation d'une vision de société libérale. A preuve, le moral actuel de l’OpenVLD, qui nage d’évidence dans le bonheur, tant à la Région flamande qu’au fédéral.

Le nouveau virage de Bracke

Il faut toujours prêter attention aux déclarations des “missi dominici” du président de la N-VA. C’est le président de la Chambre, Siegfried Bracke, qui avait déjà signalé le premier virage (“bocht van Bracke”) de la N-VA l’an dernier, lorsque rares étaient les observateurs à pouvoir imaginer que le parti nationaliste laisserait ainsi tomber le communautaire pour former un gouvernement socio-économique.
Donc, lorsque le même Bracke y va, l’autre jour, dans une interview à Knack, d’une autre petite phrase-choc (“Un nationaliste flamand peut avoir des rêves: cela ne veut pas dire qu’il doit ignorer son intelligence”) il y a de quoi avoir plus que la puce à l’oreille.
Pour la N-VA, le socio-économique, la “bonne gouvernance” à la flamande, relèguent doucettement le nationalisme, le confédéralisme au rang de positionnement quasi philosophique. C’est toujours l’objectif mais disons, euh, qu’on ne le poursuit plus de manière aussi militante.
Bart De Wever ne s’intéresse pas qu’à la Bavière. Un autre de ses centres d’intérêt est la stratégie de David Cameron, le Premier Ministre conservateur britannique, à qui il a déjà emprunté nombre d’éléments de langage (régulation de l’immigration, danger du terrorisme salafiste, rejet de la dépénalisation des drogues douces, etc). Et la récente réussite électorale de Cameron influence assurément déjà la N-VA.
Et on prendrait bien le pari que, d’ici les prochains scrutins (les communales de 2018, de par leur proximité de date avec les législatives de 2019, seront déjà très fédérales) la N-VA se la jouera comme Cameron.  On se focalisera sur le socio-économique, sur la “bonne gouvernance” au pouvoir, sans oublier de faire peur. Le message de David Cameron aux électeurs britanniques était on ne peut plus clair: “Gare aux socialistes du Labour. On a reconstruit tout ce qu’ils avaient détruit. Ne les laissez pas détruire à nouveau notre économie: on gouverne mieux qu’eux”.
C’est déjà le message martelé gratti-grattou par les leaders N-VA: regardez chers électeurs flamands, De Wever a chassé les socialistes à Anvers, au niveau flamand et au fédéral. Et ouvrez les yeux: vous voyez, la N-VA sait gouverner la Belgique, ce n'est nullement un danger pour le pays, ce n’est pas le grrrand méchant loup qui veut tout souffler et tout balayer. Au contraire, il a  juste grand faim de nominations dans l’appareil de l’Etat belge.
Certes, les élections de 2019, c’est très loin: c’est même dans une éternité. Certes, cette coalition est toujours à la merci d’un dossier imprévu, d’une polémique communautaire inattendue. Ou alors d’une catastrophe de bonne gouvernance marquant grave l’opinion publique: comme une multiplication des délestages électriques et autre black-outs en cas d’hiver très froid. 


“5 more years”

Il n’empêche que la campagne #Helfie pourrait bien évoluer un jour, dans le chef de la N-VA, vers une campagne à l’américaine dont le slogan serait: “5 more years”.
Si la conjoncture économique (prix du pétrole, cours de l’€uro, taux d’intérêts, inflation basse) confortait une croissance économique, si le #taxshift réussit et allège vraiment l’impôt, si l’épineux dossier des pensions est bouclé (surveillons bien le dossier de la pension des policiers, un vrai test pour les métiers lourds) la N-VA pourrait faire à nouveau le cadeau au MR de continuer à mettre le communautaire en veilleuse. Pour rendre une #Suédoise bis plus probable et éviter tout hypothétique rapprochement libéraux-socialistes au Sud.
Puisque la N-VA n’a aucune garantie, ni quant à son objectif confédéraliste, ni surtout quant à la majorité des deux tiers que cela postulerait, le nationalisme de la N-VA pourrait s’avérer moins actif. Un parti moins conquérant mais, comme la CSU bavaroise, défendant fortement sa communauté.
C’est là quelque chose que De Wever peut se permettre: il sait pertinemment que son électorat vote désormais bien davantage N-VA pour des motifs socio-économiques que pour l’indépendance rêvée de la Flandre.
Rue Royale, on tire les leçons de la réussite de David Cameron: si la #Suédoise affiche des résultats qui plaisent au Nord, le “peuple flamand” voudra qu’on joue les prolongations. Et ce serait même alors quasi contre-productif d’agiter du communautaire si la #Suédoise affiche un bon bilan pour son électorat socio-éco.
Que la N-VA compte d’ailleurs bien élargir encore, toujours dans une stratégie de “type CSU”. En pompant des voix tant au CD&V qu’à l’OpenVLD.
Mine de rien, on note que la N-VA se permet d’ailleurs des démarches qu’on imagine plus généralement portées par des partis positionnés moins à droite: c’est le ministre N-VA des Finances Van Overtveldt qui parle de réviser le revenu cadastral, c’est Ben Weyts qui se fait l’apôtre, à la Région flamande, d’une taxation de tous les véhicules au kilomètre…
Objectif de tout cela: se donner une image plus centriste. Tout comme celle du CVP à l’heure de sa grande époque ni-gauche-ni-droite, mais servant avant tout les intérêts de la Flandre.

Le Belang n’est pas mort

Y aura-t-il en 2019 des déçus de la N-VA? Assurément. Parce que pour certains, il n’aura  pas été assez à droite au plan socio-éco; parce que, pour d’autres, il n’y aura pas eu d’avancée communautaire; parce que d’autres encore croient –bourdes de Jan Jambon aidant- que  la N-VA ne visait finalement que le pouvoir et serait donc “traître à la cause flamande”… “ Pour l’heure, il se dit que Bart De Wever n’est pas mécontent du léger ressac de son parti dans des sondages de plus en plus aléatoires (vu notamment le nombre d’indécis): il s’attendait à pire.
De Wever sait pertinemment qu’il risque de perdre une partie de ses durs. Le Belang n’est pas mort. Et les radicaux les plus flamingants y retourneront d’autant plus aisément que le nouveau président du Belang est moins sulfureux qu’un Filip Dewinter.
Pas vraiment un souci pour le président de la N-VA: nul ne conteste ni ne contestera la nouvelle ligne CDU qu’il entend donner au parti: tous ses ténors sont d’ailleurs au pouvoir quelque part. Et s’y plaisent, sinon s’y complaisent.

Le CD&V rentre dans le rang

La #Suédoise reste une coalition difficile mais, pour la première fois depuis sa formation, elle semble avoir trouvé un rythme. Soudain, les conflits épiques -les émeutes” disaient certains- entre partis flamands n’apparaissent plus, du moins au grand jour. Comme s’il y avait un armistice de la dispute.
Comme si le CD&V, bien que l’ego de Kris Peeters reste d’évidence fragile, venait de trouver sa place au sein du gouvernement.  Certes, les sociaux-chrétiens continueront leur marketing de “visage social” du gouvernement, certes on peut s’attendre à quelques déclarations un brin matamoresques lors des discussions sur le #taxshift mais le CD&V rentre d’évidence dans le rang. Comme son chef de groupe à la Chambre, Servais Verhertstraeten, l’ami des diamantaires anversois, l’a dit: le CD&V n’est pas à l’aise dans ce gouvernement, mais il est aussi fatigué du PS, jugé “mauvais perdant” et se positionnant trop à gauche aux yeux d’aujourd’hui des sociaux-chrétiens du Nord. 

Mais le CD&V –on vient encore de le voir avec son spectaculaire revirement d’abandon d’un saut d’index pour les loyers- tient tant de rôles successifs que nul ne sait quels costumes il endossera encore d’ici 2019.


Michel HENRION.