Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

mardi 14 juin 2011

Les secrets de Bart De Wever: clés pour l’âme d’un homme à tiroirs…


Son stylo, Marcel Sel le dégoupille. Car c’est un polémiste.
Qui défouraille, qui tac-taque, qui tac-tâcle, qui déloque, qui démousse, qui démorpionne, qui désale, qui dénoyaute, qui dépantalonne, qui débartifie voire qui défie son meilleur ennemi, celui qui le fait écrire jusqu’à pas d’heure: le nationalisme.
Ce qui- par les temps de crise qui courent- synonyme illico N-VA, premier parti d’un pays que Bart De Wever tachycardise depuis un an.
Las, il existe des secrets de patrie comme il est des secrets de famille. Et l’essai-document très politique (“Les secrets de Bart De Wever”) que Marcel Sel vient de publier chez Véronique de Montfort et ses “Editions de l’Arbre” ne plait d’évidence déjà pas à tout le monde. Ce n’est évidemment pas surprenant au Nord, ou l’entrelacs que noue “la grande cause” flamande entre partis, est parfois carrément insaissisable.
Caroline Gennez, la présidente du SPa, l’exprimait assez bien il y a peu en lâchant:
 “ Dans la famille socialiste, Di Rupo est mon neveu. Mais dans la famille flamande, Bart De Wever –aussi conservateur soit-il- est mon petit-neveu…”.
Au Sud, c’est un paradoxe: alors que l’auteur est belge de chez tripes de belge, voilou que Marcel Sel dérange bizarrement par trop les Belgicains à oeillères; ceux qui se refusent à voir ce qui se passe vraiment au Nord, à admettre qu’un Herman Van Rompuy ou même qu’un Vande Lanotte, sous leurs dehors plus policés, ont parfois des stratégies de “système belgo-flamand” tout aussi crues qu’un De Wever, somme toute bien moins toursiveux.
Il n’est pas inutile de rappeler que le “Walen Buiten économique” (le refus flamand d’aider à la restructuration de la sidérurgie wallonne) fut en son temps porté par les sociaux-chrétiens du Nord…
Marcel Sel dérange et embarrasse itou, pour leur communication, des wallons et francophones moins naïfs: tant qu’on se parle, il faut tout de même que la N-VA reste, pour l’électeur du Sud, dans les limites politiquement présentables. 
Les fréquentations douteuses et soulignées d’un Jan Jambon, d’évidence futur ministre N-VA en cas d’accord ou de “coalition des droites”, ça le fait pas trop. Ni chez Bruneau ni rue de la Loi.

LE SEL CEREBOS

Lorsqu’on se prénomme Marcel, c’est sans doute prédestiné qu’on se mouille le maillot (de corps).
A ce point là, c’est étonnant: même avec l’habitude, même en connaissant l’oiseau Cerebos, le blog de Marcel Sel me laisse encore fréquemment pantois.
L’”ascenseur” de mon écran d’ordi y dispute souvent l’ascension des tours Petronas. J’ai connu, dans mes diverses vies journalistiques, bien des Ponson du Terrail, bien des “pisseurs de copie” au sens non-péjoratif...
Mais une telle effrénégance, c’est chose rare.
Cet homme là relève, fouille, constate, s’indigne, s’échevèle, enquête, turlupine, redonde, googlelise, mephistophise, lacrymogène et lacrymorigène, youtubise, festivale les jeux de mots, polémique par milliers, que dis-je, millions de signes.
Et ne lâche en tout cas jamais les baskets de tout un d’aucun qui s’écarte de sa ligne de fracture analytique: voyons qui est démocrate et qui ne l’est point, fut-ce momentanément.
Mais, de ce désarçonnant maelstrom, se dégage un regard: souvent politiquement juste. Même si, tenaillé au corps par son affect belge, on sent bien que l’auteur est turlupiné à tirer les conclusions logiques de ses propres analyses…(“Nous n’aurions que le choix de rompre l’Union avec la Flandre identitaire que Bart de Wever conçoit sous nos yeux”…)
Ne pas confondre. Le blogger Marcel Sel n’est pas Marcel Sel l’essayiste: le premier en fait des tonnes et des tonnes avec son minerai, le second passe au tamis et en tire plutôt des pépites.
 “Walen Buiten”, son premier vrai livre, était déjà un bouquin  limpide et très enlevé, vulgarisant agréablement les folles intransigeances linguistiques et flamingantes de certains.
 Les 400 pages  de ces “Secrets de Bart De Wever” sentent le papier frais mais aussi l’évolution personnelle: indigné par l’intolérance linguistique, le pseudonymé Marcel Sel a d’évidence- le triomphe de Bart De Wever aidant- élargi son champ de vision et de combat, scrutant désormais les dangers du nationalisme versus N-VA. Toujours avec ce style peu académique ne résistant pas à virer un peu farce… (“Quand Brel se rebrelle…”)
Ce n’est pas du journalisme d’investigation au sens premier du terme: on n’apprendra donc ici rien de plus sur les étranges contacts récurrents entre Bart De Wever  et Koen Blyweert, ce sulfureux lobbyiste déjà présent au célèbre “Déjeûner chez Bruneau”.
Marcel Sel s’est plutôt attaché à faire apparaître tous les ressorts, tous les réseaux (parfois fort sombres), toutes les figures controversées, toutes les polarisations voulues (contre les intellectuels, contre les wallons…), tous les charismes de Bart De Wever toutes les stratégies de propagande  qui expliquent  le succès de la N-VA, “ ce Vlaams Belang sans le racisme” à en croire Bert Anciaux.(au dernier congrès de la mort qui tue de la Volksunie). 
C’est truffé de détails, de piments et de mises en relation tantôt évidentes, tantôt un chouia tordues du bras pour en remettre une couche dans le raisonnement. (Le Front National, ce n’est nullement du nationalisme wallon…) On entre ici, de plain pied, dans le monde complexe des forces du “mouvement flamand” ou les molécules de l’air qu’on y respire sont d’évidence très différentes, y compris pour les poumons du SPa ou des Verts de Groen…
En fait, l’auteur pose surtout une big question: faut-il croire au Bart De Wever qu’on nous vend ?  Pourquoi De Wever répète-t-il à ce point sans cesse qu’il est “démocrate”, qu’il n’est pas “révolutionnaire”, qu’il est “conservateur” ?
Dessin de Vanmol dans Knack
Est-il l’héritier d’un “nationalisme démocratique” qui reste à inventer ? se demande l’auteur.  Ou, pour faire plus court, est-il un adepte masqué de la “Nouvelle Droite” ?  celle qui apparaît un peu partout en Europe. Celle qui a abandonné les oripeaux de l’extrême-droite à  Le Pen ou au Belang avec pour stratégie de “s’immiscer au sein même du discours démocrate “ ? Seul le temps qui passe confirmera la réponse : comme disait l’autre, chaque âme est à elle seule une société secrète…
Marcel Sel instaure en tout cas une intéressante grille de lecture. Qu’on pourra vérifier longtemps puisque, en ne promettant qu’un lointain et utopique ”paradis flamand “, le nationaliste-populiste Bart De Wever n’est jamais en rien tenu par ce qui se passe au court terme.
Après les “demandeurs de rien”, les “responsables de rien”…

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“Les secrets de Bart De Wever”, par Marcel Sel. Document aux “Editions de l’Arbre”. 21,90 €