Il est un trousseau de trois clés à toujours avoir à
l’esprit pour décrypter toute “campagne électorale”, ce vocabulaire que la politique a emprunté à l’art
de la guerre.
A savoir que la Belgique a cette particularité d’être
traversée par un triple clivage: le classique gauche-droite, le tout aussi classique laïcs-catholiques et le plus particulier francophones contre
flamands. Trois oppositions qui ne cessent
de se croiser, de se mélanger, de s’entrelacer selon les thèmes politiques
aiguisés du moment.
Contrairement à d’autres pays - système électoral
proportionnel aidant- nos frontières politiques y sont donc floues, les
connivences parfois surprenantes.
Ce qui explique que socialistes et libéraux soient tantôt
ennemis, tantôt meilleurs amis du monde.
A l’heure ou ces maîtres en images électorales que sont PS
et MR s’étripent avec soin, dans une mise en scène télécolorée selon toutes les
règles de l’art, ceux-ci savent pertinemment que leurs éclats n’accrocheront guère la mémoire de
l’électeur.
Qui a, pourtant, parfois, le culte du souvenir.
Ainsi, à chaque sondage de popularité, wallons et bruxellois
affichent-ils imperturbablement et très étrangement leur souvenir quasi culte
de Guy Verhofstadt.
Et de ses huit années comme Premier Ministre dans ses deux
premiers gouvernements, un “arc-en-ciel”
(libéraux, socialistes et écologistes) et un “violacé” (libéraux, socialistes avec un zeste du minuscule
parti Spirit)
Baby Thatcher : le grand projet, avec… les socialistes
Pourquoi cette étrange nostalgie pour une alliance
socialistes-libéraux presque inhabituelle dans l’histoire du pays? (on ne
recense comme autre exemple que les gouvernements d’Achille Van Acker et de
Camille Huysmans dans l’immédiat après la seconde guerre mondiale, avec
d’ailleurs aussi des ministres communistes)
Parce que Guy Verhofstadt, l’ex dogmatique Baby Thatcher –qui a commencé sa carrière politique en étant
nettement tout aussi ingérable que la N-VA et bien plus à droite qu’un Bart De
Wever- est aussi un homme de grands projets.
Et que lui est venu un jour à l’esprit l’idée d’une révolution
politique à la belge: celle de renvoyer dans
l’opposition l’ Etat-CVP et
l’ensemble des sociaux-chrétiens, présents au pouvoir- parfois en majorité
absolue- depuis la nuit des temps, entendez la révolutionnaire Muette
de Portici de 1830.
Son grand dessein échoua une première fois (les socialistes flamands
réclamaient bêtement le 16 pour l’un des leurs) mais aboutit enfin en 1999,
lançant un gouvernement libéral-socialiste-écolo qui, par ses formidables
avancées sur le plan de l’éthique (loi de 2002 sur l'euthanasie; loi de 2003
qui fait alors de la Belgique le deuxième pays au monde -après les Pays-Bas- à
reconnaître le mariage homosexuel, droits des LBGT, etc…)
C’est important à souligner, car c’est une illustration
récente de ces périodes ou libéraux et socialistes se rapprochent parce qu’ils
sont anticléricaux (jadis) ou simplement défendent des valeurs laïques, de
progrès face aux lobbiesd’influence catholique.(en ce sens, on ne voit guère de
différence entre PSC et le CDH qui, malgré une mue un temps intéressante, n’a
pas réussi à s’ouvrir philosophiquement comme les libéraux le firent, avec
succès, en d’autres temps)
C’est une des clés évoquées en début d’article:
Verhofstadt a gouverné sur l’axe
d’opposition laïcs-catholiques, allant
jusqu’à obliger le CD&V à se carteliser naïvement avec la N-VA pour se
refaire…
A certains moments de l’histoire, face aux lobbies cathos,
les libéraux et les socialistes se
rejoignent. Parfois, c’est loin (la lutte pour le suffrage universel ou le
Congrès wallon de 1913, qui fixa le drapeau wallon et institua une Assemblée
wallonne avec le concours d'un très grand nombre, sinon de quasi tous les
parlementaires socialistes et libéraux) parfois c’est encore très présent dans
la mémoire familiale collective.
Ainsi lors de la “Question Royale”, de 1944 à 1950 et bien au delà ; où lors de la Guerre
Scolaire, libéraux et socialistes se sont
longuement retrouvés alliés. (de 1954 à 1958, un gouvernement au “laïcisme
très prononcé” (socialistes et Libéraux),
présidé par Achille Van Acker, avait succédé à un gouvernement PSC homogène au “cléricalisme
très marqué”)
Le symbole d’une trahison par la fiscalité
On notera que, contrairement à l’homme de la rue
francophone, le Nord du pays ne
partage pas cette même nostalgie de l’époque Verhofstadt.
En Flandre, l’ex-Premier est devenu le symbole d’une fiscalité
galopante, bien que sa grande époque ait
été marquée par des circonstances économiques somme toute favorables.
C’est tout à fait étonnant et permet d’ailleurs de mieux
comprendre l’actuelle envolée de la N-VA.
Bien avant De Wever, le libéral de Gand avait su, lui, aussi
capter le “grondstroom” flamand (les
forces souterraines de la Flandre). Le hic, c’est qu’il n’a rien consolidé, que
tout s’est évaporé, qu’il a joyeusement liquidé le patrimoine de d’Etat et tous
les efforts budgétaires d’avant son règne…
Fortes avancées éthiques top, mais sur son “core business” flamand, entendez l’économique, le flop. Bref, pour l’électeur
flamand- qui parfois en arrive même à le mépriser - Verhofstadt a trahi et
s’est surtout trahi lui-même. Et
la N-VA ne fait, somme toute, aujourd’hui, que promettre de réaliser ce que
l’ex grand-homme de l’OpenVLD n’a pu ou voulu réaliser.
Elio Di Rupo, qui fut l'un des principaux négociateurs des
accords de ce gouvernement « arc-en-ciel » dirigé par le libéral flamand Guy
Verhofstadt, a d’ailleurs un point commun aujourd’hui avec le libéral flamand.
Tout comme Di Rupo, qui se proclame porte-parole du modèle
de société belge et dit sans cesse pis que pendre des confédéralistes mais
n’ose pas le débat avec Bart De Wever, Guy Verhofstadt se profile comme un
grand homme d’Etat européen, quasi un visionnaire, mais refuse toute forme de
débat, ni avec De Wever, ni même avec de simples eurosceptiques (ainsi Thierry Baudet, polémiste universitaire bien
connu aux Pays-Bas, qui s’oppose à
l’Europ élitiste)
MR et PS, tantôt régionalistes, tantôt unitaristes…
Les trois clivages, disions-nous, n’arrêtent pas de
s’entrelacer: pour ce qui du communautaire, de la conception de la Belgique
fédéralisée, libéraux et
socialistes ont ainsi chacun leurs périodes plutôt unitaristes ou plutôt régionalistes. Au Nord, l’OpenVLD de Gwendolyn Rutten croit aujourd’hui, face à la N-VA,
trouver son salut dans l’abandon du confédéralisme: c’est un pari hardi puisque
le CD&V le conserve prudemment en l’assortissant d’un mot rassurant: “confédéralisme
positif”.
En Wallonie, après l’usure de l’unitariste PLP, de nouveaux
acteurs sont apparus, notamment le Rassemblement Wallon ou le
virage du syndicat chrétien, lui-même un temps assez wallon. L’ancien président
libéral André Damseaux fut lui-même un wallon plus convaincu qu’on ne le pense
et, lors de l’éclatement de feu le Rassemblement wallon, ceux qui rallièrent les libéraux finirent par y
prendre le pouvoir, Jean Gol en tête. A la Région wallonne, le très
régionaliste Guy Spitaels fit alliance avec le CDH du wallon Gerard Deprez, de
1992 à 1994. Mais, de 1999 à 2004, le MR Serge Kubla apparut comme un wallon
convaincu. Mais fut évincé par le retour-surprise d’une alliance régionale
PS-CDH.
Le PS 2014: bien plus éloigné du MR que par le passé…
Oui, on sait: tout cela est fort complexe. Et c’est
volontaire d’aligner, ici, tous ces rebondissements à s’y perdre. On veut
démontrer par ceci, ami lecteur de MBelgique, que les trois clés secrètes de la politique belge font sans cesse évoluer les alliances dans tous les sens.
Il est vrai que, contrairement à ceux des scrutins de 2007
et de 2010, le programme électoral du PS de 2014 est bien plus divergent de
celui des libéraux : mais il ne faut pas
s’y tromper, ce virage d’aile vise avant tout à contrecarrer la grande peur
qu’est la brusque émergence des marxistes-léninistes du PTB.
Qui, tensions PS-FGTB aidant, surfent sur la conversion à
l’économie de marché des partis socialistes ou sociaux-démocrates, et ce
partout en Europe de manière plus ou moins recentrée.
Louis Michel, jadis, pour le MR, a marqué bien des points
avec son malin “libéralisme social”
que Didier Reynders rangea quelque
peu au grenier des idées libérales.
Mais les conversions européenne des partis socialistes en
Europe , qui acceptent peu ou prou l’économie de marché, ne signifie pas
forcément l’acceptation d’une société de marché, celle-ci ne produisant, selon les leaders du PS, ni vraie valeur ni
sens…
Cela peut se débattre à l’infini, mais on voit bien que les
socialistes du Nord ne sont
souvent pas horriblement éloignés de l’OpenVLD.
On l’a vu récemment lors du vote de la saga des noms de
famille: l’alliance, au Parlement, fut violette. On le voit dans plein d’autres
dossiers très agités en Flandre (contournement d’Anvers, compétitivité…) ou les
alliances qui se forment sont souvent libérales-socialitstes contre l’axe
CD&V-N-VA.
Relations humaines et parole donnée
Il est une
autre règle essentielle en politique: les partis sont accros au
pouvoir. A l’instar du MR et du
PS, la libérale flamande Gwendolyn Rutten fera évidemment tout, et encore plus,
pour participer au pouvoir régional et fédéral.
Le seul hic dans tout ça, ce sont les relations
humaines. Ce n’est un secret pour
personne qu’un Louis Michel , même dix ans passés, est toujours bouleversé,
troublé par le fait qu’Elio di Rupo, président d’un PS plus belgicain, n’avait pas respecté sa parole et les accords de
2004 qui devaient voir MR et PS gérer de concert la Région wallonne (Di Rupo
argua, un brin laconiquement, qu’il avait été mis en minorité à son Bureau
politique).
C’est ce genre d’épisodes qui laissent parfois des traces
psy lourdes: et qui font que, le soir de chaque scrutin, seul le nombre de
sièges est une assurance tous-risques pour un grand parti.
S’ils sont suffisants, d’autres critères entrent alors en
compte: comme le fait que, curieusement, les coalitions PS-MR dans les entités
fédérées se déroulent de manière parfois moins heurtées que sous des alliances
progressistes plus larges et plus sujettes à remous.
La politique
est un art qui conjugue de la guerre, du spectacle, de la communication
et de la réconciliation parfois suprenante.
La raison d’être de la droite, c’est bien sûr de mener
contre la gauche une guerre éternelle. La raison d’être de la gauche c’est de
mener contre la droite une guerre sans fin.
Mais en Belgique, entre libéraux et socialistes, tiens, on
ne sait jamais.
Michel HENRION
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