La posture de retenue est un des grands classiques de la com’ politique. On annonce, mais on n’insulte pas l’avenir. On délivre un message dont chaque mot a juste été prudemment soupesé.
C’est d’évidence la technique qu’avait adoptée le “supercommunicateur” Elio Di Rupo face à Laurent Haulotte pour la première du “Grand Direct” politique de RTL-TVI. L’assortissant d’un chapelet dont tous les grains se voulaient immuablement positifs voire – et c’en était presque étrange dans le climax d’enchevêtrement totalement inédit dans lequel on se trouve- carrément optimiste. Si.
L’homme n’avait d’ailleurs pas d’autre choix tactique, sinon à perturber la mission, qui est sans doute celle de la dernière chance, de Johan Vande Lanotte. Pas d’effet d’annonce spectaculaire donc: plutôt, comme on le prévoyait au micro de Fred Cauderlier dans ”Sans langue de bois-radio”, une séance de pédagogie. Histoire de vendre et vulgariser la position du PS dans la crise à une heure de très grande écoute. (bilan: 548.000 téléspectateurs.)
Ce fut d’ailleurs médiapolitiquement très travaillé.
Di Rupo sait bien que l’opinion francophone est angoissée, qu’il règne, après 150 jours de crise, un climat quelque peu anxyogène en Wallonie et à Bruxelles. D’ou ce ton volontairement rassurant, notamment sur la Sécu, le côté “bouclier protecteur” étant dans les gênes socialos depuis la nuit des temps.
Et puisque l’idée de l’échec (sa mission de préformation) est viscéralement insupportable à l’homme, ce “prime time politique” a surtout permis à Di Rupo de reprendre politiquement la main. Et pas qu’un peu puisque sa com’ au culot le faisait se positionner comme celui qui mènerait finalement le jeu, affichant presque une responsabilité de chef de l’Etat. ” On parle du pays, du pays !”, martela-t-il d’un ton qui se voulait un brin dramatique de la trémole.
De Wever ? ( avec qui le climat ne serait plus sibérien grâce aux dîners de Johan Van de Lanotte) Là aussi, le discours protège l’avenir: le dialogue avec Bart De Wever a été rétabli et, pour ce qui est du passé, la confiance, dit-il, a “juste” été effritée. (ici, on se pince un chouia quand même…) Et l’attitude de la N-VA est, dans le fond, plutôt jugée sous l’angle du “nationalisme” et des “différences” que ce concept politique implique.
Et comme c’est du boulot de com’ travaillé, Di Rupo place, mine de rien, une petite mise en garde sur la rigueur budgétaire, y va d’un couplet d’humilité (“ oh,il faut parfois faire un pas en arrière. Ca ne sert à rien de se fracasser contre un obstacle….), place une formule de gros bon sens popu ( “ Le but des politiques n’est pas de se disputer”) et s’arrange surtout in fine pour recoller au MR ce “sparadrap politique” de la trahison du déjeuner secret Reynders- De Wever chez “Bruneau”…
Bref, Di Rupo est le champion des discours d’opportunité du moment et des discours d’empathie. Ce n’est pas pour rien que sa popularité a une inhabituelle longévité. Elio Di Rupo, c'est beau comme du Houellebecq, genre "Extension du domaine médiatique".
Il n’y a qu’un hic. C’est qu’on n’a vu, dans tout ce discours soigné, aucun accent copernicien de plus que depuis feu sa mission de préformation. Mieux: comme s’il soupçonnait Bart De Wever et la N-VA de vouloir subtilement additionner les désordres (désordre au Palais, désordre au fédéral), histoire de prouver que le pays n’est plus gérable, Di Rupo balance, lui, toutes ses touches d’ordre .
Eloge du Palais à faire fondre d’émotion les férus de “Place Royale” ("J'ai toujours trouvé que le Roi avait une maitrise totale de la situation. C'est la personnalité qui connait le mieux la situation du pays. Il agit dans l'intérêt du pays. Celles et ceux qui pensent que le Roi peut être influencé se trompent”) et invitation martelée à “aimer notre pays”.
"On doit être Flamand, Wallon, Bruxellois et Belge en même temps. C'est notre richesse..." surenchérissait-il comme s’il venait de découvrir l’affiche du CDH de juin dernier.
On doute que cela ait harmonisé le couscoussier dans les rangs du groupe “Stratego” de la N-VA. C’est d’ailleurs, comme ton, tout ce qui horripile généralement Bart De Wever.
On était donc pris d’un sacré doute mardi soir, justement devant l’optimisme par trop sans faille, par trop construit, du président du PS qui-ne-veut-à-aucun-prix-d’élections.
Chaque parti sait aujourd’hui que celui qui prendrait la responsabilité de retourner aux urnes risquerait , peu ou prou, d’en payer le prix. Donc, il est assurément de bonne tactique prudente que de se présenter avec grande force devant l’opinion comme celui qui y est farouchement opposé.
Mais qui devine peut-être déjà, très intimement, que ce destin là l’attend peut-être.