Nos partis traditionnels, qui
jouent depuis lurette à se positionner tous au centre chou-vert et vert-flou-
histoire de ne prendre aucun risque vis à vis de l’électorat flottant-
seront-ils poussés, sous l’influence d’un succès électoral des petites listes,
à enfin se reprofiler de manière plus nette? A ratisser moins large?
Ce qui est sans hésitation
une vitalité de la démocratie, de par l’apport parfois d’idées nouvelles,
serait aussi alors un acquis de clarté politique.
Première lapalissade: avant
de devenir un grand parti, on est forcément d’abord petit. Le café du commerce,
qui postule que “voter ne sert à rien puisque jamais rien ne change” a la mémoire courte. En 2003, la N-VA s’adjugeait à
peine 3,06% et un seul malheureux
député: sept ans à peine plus tard, c’était le premier parti de Flandre et du
pays. En 1978, Ecolo a démarré sous les ricanements avec 32.330 maigres voix et
0,58%, nul se doutant que l’environnement s’imposerait subitement aux
programmes de tous les partis traditionnels.
Seconde lapalissade: si des
partis restent petits, c’est parce qu’ils ne trouvent pas d’électeurs. La
petite histoire électorale de Belgique est truffée de noms de formations
naissantes, souvent très idéologiques, et dont les promoteurs y croyaient
pourtant dur comme fer. Et ce ne sont pas les moyens financiers qui y changent
grand chose: Roland Duchatelet, le proprio du Standard et promoteur du parti Vivant et de son salaire universel, s’y est notamment cassé les dents. C’est que, léger détail, il ne suffit
pas d’imprimer des affiches: il faut aussi susciter l’adhésion de l’électeur.
Sur base de valeurs, idéalement d’une aspiration politique nouvelle. Ce qui, si
l’alchimie se produit, finira par contourner les chicanes (le seuil électoral
de 5%) placées par les partis déjà installés, qui n’aiment d’évidence guère
partager le pouvoir… Ecolo-Groen, qui a résisté aux copiés-collés des
formations classiques et surtout la N-VA, qui a su capter le “grondstroom” de la Flandre, en sont la démonstration.
L’histoire des partis n’est
nullement inamovible: en 1971, porté par le courant très profond du besoin
d’autonomie wallonne et du fédéralisme naissant, un nouveau parti - le Rassemblement
Wallon- décrocha d’un coup 20% des voix et 14 sièges à son premier scrutin (le
FDF-RW totalisa un temps 24 sièges à la Chambre) avant de s’effondrer au fil
des années, des sécessions et des divergences stratégiques.
Le vote d’adhésion, le “vote
pour” un parti émergent nécessite un
projet fort et des idées nouvelles: a contrario, ceux-ci peuvent parfois
prospérer en se nourrissant d’un “vote contre”. Ce fut le cas jadis d’un parti
poujadiste-populiste, l’UDRT, qui obtint jusqu’à 3 députés sur base de la
colère fiscale de travailleurs indépendants. C’est le “vote exutoire”: l’électeur entend exprimer avant tout une
insatisfaction. Il rejette soudain son parti d’antan pour lui “donner une
leçon”, faire pression pour le
ramener dans le droit chemin. Si la droite n’est plus assez à droite à son gré,
si la gauche n’est plus assez à gauche à son goût. Défaut du phénomène: le
succès n’y repose pas sur une base réelle. Une majorité des électeurs que les
sondages prêtent au PTB ignorerait ainsi qu’il s’agit d’un parti communiste, ce
qui n’a rien de rédhibitoire en soi, mais n’est pas qu’un détail.
Tout cela n’est d’ailleurs
qu’une part de l’explication: la société mue, les réseaux sociaux modifient
profondément la donne du débat, l’électeur fait du zapping électoral… Ce qui se
passe aux Pays-Bas est illustratif de la tendance: le paysage s’y fragmente
tant qu’il est allé jusqu’à donner 2 sièges au “Parti des Animaux”. Une
évolution qui pourrait d’ailleurs bien gagner la Flandre si la N-VA venait un
jour à s’effondrer: au Nord, c’est d’ailleurs déjà plus segmenté (9 formations
décrocheraient un siège au Parlement flamand) qu’au Sud.
Nul ne s’étonnerait, demain,
d’y voir apparaître un parti Euro-critique (ce que la N-VA n’est pas); ou un
Parti animalier rivalisant avec les écolos de Groen: ou un Parti Pirate plus
structuré; ou même un parti plus libéral concurrençant l’OpenVLD… De toute
façon, autant de votes démocratiques si le “petit ou micro-parti” choisi est
lui-même démocrate. De quoi peut-être aussi mettre de la vie dans les
assemblées parlementaires, devenues par trop souvent ronron et presse-bouton.
Michel HENRION