Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

mercredi 4 juin 2014

Les petits partis vont-ils forcer les grands à ratisser moins large? (MBelgique du 16/05/14)




Nos partis traditionnels, qui jouent depuis lurette à se positionner tous au centre chou-vert et vert-flou- histoire de ne prendre aucun risque vis à vis de l’électorat flottant- seront-ils poussés, sous l’influence d’un succès électoral des petites listes, à enfin se reprofiler de manière plus nette? A ratisser moins large?
Ce qui est sans hésitation une vitalité de la démocratie, de par l’apport parfois d’idées nouvelles, serait aussi alors un acquis de clarté politique.
Première lapalissade: avant de devenir un grand parti, on est forcément d’abord petit. Le café du commerce, qui postule que “voter ne sert à rien puisque jamais rien ne change” a la mémoire courte. En 2003, la N-VA s’adjugeait à peine 3,06%  et un seul malheureux député: sept ans à peine plus tard, c’était le premier parti de Flandre et du pays. En 1978, Ecolo a démarré sous les ricanements avec 32.330 maigres voix et 0,58%, nul se doutant que l’environnement s’imposerait subitement aux programmes de tous les partis traditionnels.
Seconde lapalissade: si des partis restent petits, c’est parce qu’ils ne trouvent pas d’électeurs. La petite histoire électorale de Belgique est truffée de noms de formations naissantes, souvent très idéologiques, et dont les promoteurs y croyaient pourtant dur comme fer. Et ce ne sont pas les moyens financiers qui y changent grand chose: Roland Duchatelet, le proprio du Standard et promoteur du parti Vivant et de son salaire universel, s’y est notamment cassé les dents.  C’est que, léger détail, il ne suffit pas d’imprimer des affiches: il faut aussi susciter l’adhésion de l’électeur. Sur base de valeurs, idéalement d’une aspiration politique nouvelle. Ce qui, si l’alchimie se produit, finira par contourner les chicanes (le seuil électoral de 5%) placées par les partis déjà installés, qui n’aiment d’évidence guère partager le pouvoir… Ecolo-Groen, qui a résisté aux copiés-collés des formations classiques et surtout la N-VA, qui a su capter le “grondstroom” de la Flandre, en sont la démonstration.
L’histoire des partis n’est nullement inamovible: en 1971, porté par le courant très profond du besoin d’autonomie wallonne et du fédéralisme naissant, un nouveau parti - le Rassemblement Wallon- décrocha d’un coup 20% des voix et 14 sièges à son premier scrutin (le FDF-RW totalisa un temps 24 sièges à la Chambre) avant de s’effondrer au fil des années, des sécessions et des divergences stratégiques.
Le vote d’adhésion, le “vote pour” un parti émergent nécessite un projet fort et des idées nouvelles: a contrario, ceux-ci peuvent parfois prospérer en se nourrissant d’un “vote contre”. Ce fut le cas jadis d’un parti poujadiste-populiste, l’UDRT, qui obtint jusqu’à 3 députés sur base de la colère fiscale de travailleurs indépendants. C’est le “vote exutoire”: l’électeur entend exprimer avant tout une insatisfaction. Il rejette soudain son parti d’antan pour lui “donner une leçon”, faire pression pour le ramener dans le droit chemin. Si la droite n’est plus assez à droite à son gré, si la gauche n’est plus assez à gauche à son goût. Défaut du phénomène: le succès n’y repose pas sur une base réelle. Une majorité des électeurs que les sondages prêtent au PTB ignorerait ainsi qu’il s’agit d’un parti communiste, ce qui n’a rien de rédhibitoire en soi, mais n’est pas qu’un détail.
Tout cela n’est d’ailleurs qu’une part de l’explication: la société mue, les réseaux sociaux modifient profondément la donne du débat, l’électeur fait du zapping électoral… Ce qui se passe aux Pays-Bas est illustratif de la tendance: le paysage s’y fragmente tant qu’il est allé jusqu’à donner 2 sièges au “Parti des Animaux”. Une évolution qui pourrait d’ailleurs bien gagner la Flandre si la N-VA venait un jour à s’effondrer: au Nord, c’est d’ailleurs déjà plus segmenté (9 formations décrocheraient un siège au Parlement flamand) qu’au Sud.
Nul ne s’étonnerait, demain, d’y voir apparaître un parti Euro-critique (ce que la N-VA n’est pas); ou un Parti animalier rivalisant avec les écolos de Groen: ou un Parti Pirate plus structuré; ou même un parti plus libéral concurrençant l’OpenVLD… De toute façon, autant de votes démocratiques si le “petit ou micro-parti” choisi est lui-même démocrate. De quoi peut-être aussi mettre de la vie dans les assemblées parlementaires, devenues par trop souvent ronron et presse-bouton.

Michel HENRION