Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

mercredi 4 juin 2014

Ces politiques que la fonte du glaçon Belang perturbe. (MBelgique du 30/5/14)

 
En politique, tout ce qui est excessif n’est pas forcément insignifiant.
On peut comprendre l’irritation, la désillusion de politiciens francophones qui, après avoir décidé que le score de la N-VA en 2010 ne serait, allez, qu’un accident de parcours, croyaient cette fois dur comme fer que ce serait plié sous les 30% pour De Wever. Las, la N-VA triomphe et, à la Chambre, s’est adjugée carrément sept sièges de plus, neuf de plus que le PS.
Déjà largement dans le déni de ce qui se passe au Nord,  voici des leaders wallons qui assènent, en communication, un “élément de langage” qui ne les grandit vraiment pas.
Si la N-VA a triomphé, les entend-on psalmodier, ce serait juste parce qu’elle a pillé les voix du Vlaams Belang. Sous-entendu- nouvel épisode du film d’horreur à deux balles déjà scénarisé pendant la campagne dans les studios francophones- la N-VA c’est forcément kif-kif comme l’odieux Belang-Blok.
Evidemment, leur raisonnement pêche par quelques menus détails.
D’une part, au Parlement flamand, la N-VA gagne bien plus de sièges (+37) que n’en perdent les fachos du Belang (-15, laminés à 6 malheureux sièges sur 124). D’autre part, tout politologue sait que le phénomène des transferts de voix est bien plus complexe; et que de nombreux électeurs peuvent, par exemple, passer du socialisme à l’extrême-droite et inversément si les circonstances changent.
On y prêterait à peine attention si, derrière ces classiques jeux de rôle post électoraux, il n’y avait une dangereuse élucubration démocratique.
Pour un peu, à les entendre, c’est comme si ces belles âmes auraient, tant qu’à faire, préféré finalement un… maintien électoral des fascistes du Belang. Dingue.
C’est à croire que c’est  presque une mauvaise nouvelle que des électeurs, qui ont longtemps voté pour un parti fasciste, raciste et non-démocratique (le Vlaams Blok devenu Vlaams Belang après condamnation) optent à nouveau pour un parti démocratique, à savoir pour une large part la N-VA. Qui est associée aux socialistes, aux libéraux, aux sociaux-chrétiens partout en Flandre.  Lesquels ne voient aucun problème de légitimité morale à s’allier, si c’est leur intérêt,  avec une formation positionnée à droite, sur le modèle des conservateurs britanniques et qui prend effectivement des allures de CSU des Flandres. (le parti conservateur de Bavière allemande)
Ces démocrates francophones là auraient-ils déjà oublié le fameux “Dimanche Noir” du 24 novembre 1991 ou l’extrême droite secouait toute la scène politique en Belgique?  Ont-ils perdu de vue, englués dans leurs petits jeux à court-terme, que, tant aux élections de 2003 que de 2007, le Belang frôlait encore les 800.000 voix?
La vérité, c’est que le “cordon sanitaire” heureusement mis en place autour du Blok-Belang, tenait plutôt du congélateur. Tout le jeu politique se déroulait depuis des lustres en zappant ces centaines de milliers d’électeurs, carrément gelés, donc neutralisés  dans l’esprit des partis démocratiques. Le dégel , oui, change toute la donne des coalitions en Belgique fédéralisée. On comprend que ça déconcerte d’aucuns, que ça les désarçonne, mais cela devrait être une bonne nouvelle évidente pour tout démocrate, non?
Bart De Wever n’a pas tort lorsqu’il déclare que la N-VA a sorti la Flandre d’une impasse, “que la situation va y redevenir quasi normale.” Que la Flandre va pouvoir refaire de la politique dans un jeu démocratique ressourcé, comme dirait le roi Philippe.
La quasi disparition du Belang est, de fait, un apport d’oxygène pour la démocratie belge. Et ceux qui refusent de l’admettre, qui ne s’habituent pas à la fonte du glaçon Belang,  ne se réjouissent pas ouvertement de la disparition de l’iceberg facho, ont des oeillères bien médiocres.

Michel HENRION