En politique, tout ce qui est
excessif n’est pas forcément insignifiant.
On peut comprendre
l’irritation, la désillusion de politiciens francophones qui, après avoir décidé
que le score de la N-VA en 2010 ne serait, allez, qu’un accident de parcours,
croyaient cette fois dur comme fer que ce serait plié sous les 30% pour De
Wever. Las, la N-VA triomphe et, à la Chambre, s’est adjugée carrément sept
sièges de plus, neuf de plus que le PS.
Déjà largement dans le déni
de ce qui se passe au Nord, voici
des leaders wallons qui assènent, en communication, un “élément de langage” qui
ne les grandit vraiment pas.
Si la N-VA a triomphé, les
entend-on psalmodier, ce serait juste parce qu’elle a pillé les voix du Vlaams
Belang. Sous-entendu- nouvel épisode du film d’horreur à deux balles déjà
scénarisé pendant la campagne dans les studios francophones- la N-VA c’est
forcément kif-kif comme l’odieux Belang-Blok.
Evidemment, leur raisonnement
pêche par quelques menus détails.
D’une part, au Parlement
flamand, la N-VA gagne bien plus de sièges (+37) que n’en perdent les fachos du
Belang (-15, laminés à 6 malheureux sièges sur 124). D’autre part, tout
politologue sait que le phénomène des transferts de voix est bien plus
complexe; et que de nombreux électeurs peuvent, par exemple, passer du
socialisme à l’extrême-droite et inversément si les circonstances changent.
On y prêterait à peine
attention si, derrière ces classiques jeux de rôle post électoraux, il n’y
avait une dangereuse élucubration démocratique.
Pour un peu, à les entendre,
c’est comme si ces belles âmes auraient, tant qu’à faire, préféré finalement
un… maintien électoral des fascistes du Belang. Dingue.
C’est à croire que c’est presque une mauvaise nouvelle que des
électeurs, qui ont longtemps voté pour un parti fasciste, raciste et
non-démocratique (le Vlaams Blok devenu Vlaams Belang après condamnation)
optent à nouveau pour un parti démocratique, à savoir pour une large part la
N-VA. Qui est associée aux socialistes, aux libéraux, aux sociaux-chrétiens
partout en Flandre. Lesquels ne
voient aucun problème de légitimité morale à s’allier, si c’est leur intérêt, avec une formation positionnée à
droite, sur le modèle des conservateurs britanniques et qui prend effectivement
des allures de CSU des Flandres. (le parti conservateur de Bavière allemande)
Ces démocrates francophones
là auraient-ils déjà oublié le fameux “Dimanche Noir” du 24 novembre 1991 ou l’extrême droite secouait
toute la scène politique en Belgique?
Ont-ils perdu de vue, englués dans leurs petits jeux à court-terme, que,
tant aux élections de 2003 que de 2007, le Belang frôlait encore les 800.000
voix?
La vérité, c’est que le “cordon
sanitaire” heureusement mis en place
autour du Blok-Belang, tenait plutôt du congélateur. Tout le jeu politique se déroulait depuis des
lustres en zappant ces centaines de milliers d’électeurs, carrément gelés, donc
neutralisés dans l’esprit des
partis démocratiques. Le dégel , oui, change toute la donne des coalitions en
Belgique fédéralisée. On comprend que ça déconcerte d’aucuns, que ça les
désarçonne, mais cela devrait être une bonne nouvelle évidente pour tout
démocrate, non?
Bart De Wever n’a pas tort
lorsqu’il déclare que la N-VA a sorti la Flandre d’une impasse, “que la
situation va y redevenir quasi normale.”
Que la Flandre va pouvoir refaire de la politique dans un jeu démocratique ressourcé, comme dirait le roi Philippe.
La quasi disparition du
Belang est, de fait, un apport d’oxygène pour la démocratie belge. Et ceux qui
refusent de l’admettre, qui ne s’habituent pas à la fonte du glaçon
Belang, ne se réjouissent pas
ouvertement de la disparition de l’iceberg facho, ont des oeillères bien
médiocres.
Michel HENRION