La #suédoise fait naître un climat politique inédit: et la
com’ sera l’arme absolue d’une bataille complexe
mais sans merci...
La Rue de la Loi vire Games
of Thrones
Ce ne sera pas aussi sanglant que dans Games of Thrones. Aujourd’hui, les luttes pour le pouvoir se font
feutrées, et la violence se camoufle derrière les artifices médiatiques.
L’électeur d’aujourd’hui est ainsi: il ne supporte plus que les fleurets
mouchetés. Mais le combat pour le pouvoir sera assurément aussi féroce que dans
la saga de George R. R. Martin.
On en perçoit déjà les premiers signes: le climat politique
en Belgique francophone vire dur. Lourd. Le ton change du tout au tout.
L’évolution est quasi tellurique.
Car la formation d’un gouvernement fédéral
N-VA-CD&V-OpenVLD, avec le MR comme seul et unique pendant francophone,
crée une situation totalement inédite au Sud du pays. Les libéraux francophones
seuls contre tous, olé: cdH, Ecolos, PTB et, surtout, un PS renvoyé dans
l’opposition fédérale après plus de 26 ans de participation. Sans compter la
grogne déjà déclarée des syndicats et mutuelles et des mouvements
associatifs. Du jamais vu.(1) Conséquence: ça va guerroyer ferme dans un
Parlement ou c’en sera largement fini de ce consensus mou-chloroforme ou tout
le monde ménageait habituellement tout le monde. Puisque on-ne-sait-jamais.
Puisque les opposants d’un niveau de pouvoir étaient les alliés d’un autre. (le
MR gouvernait depuis 15 ans rue de la Loi aux côtés du PS, les libéraux sont dans l’opposition depuis 10 ans à
la Région Wallonne).
Tous les coups sont permis, surtout les médiatiques
C’en est fini: les événements ont composé, polarisé deux
blocs inédits dans l’arène francophone; et les acteurs vont s’y affronter dans
une lutte sans merci.
Ou tous les coups seront permis: surtout les médiatiques.
Objectif de chaque parti: faire basculer l’opinion publique
plutôt dans son camp.
Rude tâche, car celle-ci est, par définition, changeante et
mouvante. Versus francophone, carrément même équivoque selon les époques.
Capable tout à la fois d’aduler, jadis, un José Happart (234.000 voix de
préférence) et de rêver, aujourd’hui, d’une Maggie de Block comme Premier
Ministre.
Une opinion publique qui n’est souvent que le résultat de
l’interaction entre le citoyen et le torrent médiatique; télé, presse et médias
sociaux étant censés la modeler, la façonner à loisir. Du moins, c’est ce que
croit souvent le petit monde fébrile des responsables politiques, de leurs
courtisans et des attachés de com’.
Donc, plus que jamais, les politiques de chaque camp vont
chercher, par les mécanismes du combat médiatique, à faire valoir, à asséner
leurs points de vue. L’hypercommunication
est l’arrière du décor de la rue de la Loi; pour nombre de nos leaders plus
essentielle que tout débat à la Chambre. Petit tour d’horizon de l’artillerie
de com de cette guerre #suédoise-#kamikaze.
Deux camps inconciliables
On connaît déjà par coeur les grands arguments de
communication des deux camps:
- pour les libéraux, le virage à droite est un outil de
positionnement et l’alliance avec
les nationalistes de la N-VA se justifie par la nécessité de mener les nécessaires réformes que
les socialistes bloquaient. Et Charles
Michel de reprendre le vieux rêve de son papa Louis Michel: comme l’écrit
Corentin de Salle, un des cerveaux du président du MR, “il s’agit de
mettre le PS dans l’opposition pour 15 ans et de redessiner l’espace
francophone”.
Entendez mettre aussi le cdH en difficulté: malgré le flop du MCC, le miniparti de Gérard Deprez, on peut s’attendre à ce que le MR racole des cdH grognons. (Anne Delvaux aurait ainsi été approchée)
Entendez mettre aussi le cdH en difficulté: malgré le flop du MCC, le miniparti de Gérard Deprez, on peut s’attendre à ce que le MR racole des cdH grognons. (Anne Delvaux aurait ainsi été approchée)
-Pour l’opposition francophone, “Charles Michel a une
place de choix dans le Dictionnaire des Girouettes” et, à l’entendre,
“le MR ne serait qu’un alibi francophone dans un gouvernement
flamand dominé par le boss N-VA” et il ne s’agira que de “coupes
bugétaires forcément anti-sociales”.
Une certitude: c’est l’homme de la rue qui arbitrera. On
prend tous les paris que, lorsqu’il s’agira de demander la confiance du
Parlement et de la population, les
formateurs de la #suédoise mettront très en avant les thèmes de com’ qui leur
apparaissent favorables: l’éternelle promesse de créer des emplois (ce qui
n’est pas forcément du travail), la
lutte contre le terrorisme islamique (le grand truc actuel de De Wever, qui
calque systématiquement le marketing de David Cameron), la symbolique
imposition -qui plait beaucoup à l’opinion- d’un service minimum dans les
transports en communs, ce genre. Sans oublier une mesurette d’imposition
du capital, alibi de marketing gouvernemental vital pour le CD&V.
Une communication qui sera de contrepoids: car le grand
public lambda semble, pour l’heure, plus préoccupé par la réforme de l’âge de
sa pension, la hausse des taux TVA, les nouvelles taxes sur la consommation:
indexation des accises sur carburants et alcool, ce genre.
La bataille sera doublement hard: sur le front de la
bataille gauche-droite, le MR compte
convaincre un wallon et un bruxellois sur trois que ces mesures d’austérité là
sont nécessaires. Et
l’objectif de fond est de
capitaliser tous les électeurs qui n’affectionnent guère le PS et les “rouches”.
Sur le front communautaire, si le francophone lambda se sent, demain, effectivement dominé par la
Flandre, roulé, colonisé par la N-VA, c’est tout autre chose. Le cumul de deux
mauvaises humeurs, deviendrait, en médiapolitique, quasi insoutenable pour les #suédois francophones.
Patrons, experts en tous genres: la société civile prend
parti
Signe du temps: les esprits s’échauffent idéologiquement;
des politiques et leurs entourages propagent, voire manipulent bruits et
soi-disant certitudes aux médias; les forums café-du-commerce des quotidiens et
des réseaux sociaux se chauffent à blanc; même les déjeuners en famille du
dimanche se tendent. Et nouveauté: au delà des rangs politiques, le débat
déborde vers la société civile, tout
aussi soudain à couteaux tirés idéologiques.
Bref, ça polarise à tout va.
Ce sont une flopée de constitutionnalistes qui y vont de
leurs avis sur le sexe des anges version 2014: à savoir la légitimité fédéraliste ou
confédéraliste controversée de la représentation francophone #suédoise.
Ce sont, à l’instar de ce qui se passe en Flandre-ou
certains d’entre eux sont carrément des vedettes médiatiques- des patrons
francophones qui se mêlent ouvertement de politique.
Ce sont des économistes (souvent du secteur bancaire) qui se
répandent en “cartes blanches” au
filigrane parfois assez militant. Mieux: Etienne de Callatay (2), “expert” médiatique s’il en est (Banque Degroof, apparenté
jusqu’ici cdH, ex-chef de cab’ de Jean-Luc Dehaene) s’est porté, il y a peu,
carrément candidat ministre-technicien -en plein mercato entre postulants
libéraux élus- au cas ou le MR, conscient de certaines de ses faiblesses en
hommes, chercherait un “candidat
d’ouverture”. Ce qui permettrait, il est vrai, à Charles Michel de vendre le concept com’ d’un ministre
technicien de la société civile
et, partant, donner l’image que le MR n’occupe pas vraiment à lui tout seul
tous les postes ministériels.
Le choix des mots
-Le fameux duel sémantique #Suédoise contre #Kamikaze. Le
surnom donné par les médias à une coalition peut apparaître comme un détail
accessoire, voire un jeu; mais, en politique, une fois prononcés, les mots
vivent leur vie. Et sont riches de connotations qui peuvent peser sur le long
terme. Inventée par De Morgen, reprise
comme une aubaine par tous les cartoonistes, la formule “coalition
Kamikaze” était un danger d’image pour les
co-formateurs. Qui ont fait le forcing, voire pression, pour imposer
l’expression “coalition suédoise”,
en référence complexe au drapeau du pays d’Ikea. Ce qui ne manque pas d’ailleurs pas d’un certain piquant, la
société suédoise étant profondément marquée par l'idéologie sociale-démocrate,
jusqu’à faire gagner ceix-ci aux élections de l’autre dimanche.
Bref, cette
sémantique est désormais la ligne claire de démarcation de com’ entre future
majorité et future opposition. “Je me refuse à parler de #suédoise. Avec
Nagasaki, on sait que les kamikazes n’ont pas apporté grand chose” martelait l’autre jour le PS André Flahaut.
Le gimmick vous sera
inlassablement servi, soyez-en sûr, dans tous les débats télé du dimanche midi.
Tout comme celui du "gouvernement des droites". Tout comme le rappel du “déjeûner chez Bruneau” (en août 2010, le déjeûner confidentiel et qui fit
remous réunissant Bart De Wever, Sigfried Bracke, Koen Blijweert, Louis Michel,
Didier Reynders, J-C Fontinoy)
Ce n’est pas non plus un hasard si Charles Michel a
entrepris une mue de com’. Objectif: faire oublier le côté jugé par d’aucuns un
peu Iznogoud pour, dixit son dernier spin-doctor, “le transformer en homme
d’Etat”. Plus facile à dire qu’à réussir.
Surtout très complexe lorsqu’on donne depuis longtemps dans l’hypercommunication. Dont le défaut -et ça vaut pour bien des politiques
belges- est qu’elle affadit les personnalités, les dissolvent dans le mainstream.
A force de s’épancher, les politiques finissent par se
standardiser, s’appauvrir jusqu’à la pensée en kit, en éléments de langage cent fois psalmodiés, fiches
formatées récurrentes comprises.
De Wever se met en réserve, pas son ombre
Fait majeur: dans la #suédoise, Bart de Wever n’a aucun des
soucis francophones. Avec le CD&V et l’OpenVLD comme alliés partout, il n’a
plus à redouter une quelconque vraie opposition de droite: le Belang est en crise et devenu négligeable derrière le cordon
et l’artillerie du bloc de gauche flamand le laisse jusqu’ici assez
indifférent. C’est toute la question de l’actuelle faiblesse structurelle de la
gauche en Flandre.
Ce qui intéresse le président de la N-VA en communication
-dont l’acquis final comme “mesures de rupture” s’annonce light- c’est surtout que ses futurs ministres fédéraux
raflent au moins la mise médiatique pendant qu’il fera mine de se retirer sur
son Aventin anversois.
Avec sa suprématie en nombre de responsables ministériels,
la N-VA peut espérer tout dominer médiatiquement. Ne pas s’y tromper: même s’il
entend se construire l’image de l’homme providentiel en réserve si kladderadatsch (boxon soudain), l’ombre puissante de Bart De
Wever planera sans cesse rue la Loi, tout comme
celle, plus légère, de Wouter Beke. Le président de la N-VA a déjà, l’autre
fois, rappelé sèchement Kris Peeters et Charles Michel à l’ordre sur le
sulfureux dossier Arco-Dexia. De même, le président de la N-VA ne laissera pas
un Jan Jambon, qui n’en est pas à sa première bourde, Théo Francken, Hendrik
Vuye, Johan Van Overtveldt, Steven Vandeput, Elke Sleurs, Sarah
Smeyers ou Zuhal Demir (tous les favoris)
en roue très libre. Autant d’élus N-VA qui devront aussi apprendre, s’ils ne
veulent pas mettre leurs partenaires MR en difficulté, à modérer leur ton.
Zuhal Demir affectionne ainsi, par exemple, de comparer le combat kurde à la
résistance flamande face à la domination francophone.
Ce ne sera pas le premier gouvernement dont certains
ministres demandent –allo, allo…-l’autorisation à leur président de parti avant
chaque décision mais le handicap est parfois puissant. (jadis, le gouvernement
Tindemans)
Pour le PS, plutôt l’axe gauche-droite
Quelle sera la stratégie de com de l’armada (40 sièges sur
les 63 francophones) des partis d’opposition au fédéral ?
Oh, le ton sera dur et la joute intense. Même chez Ecolo, ou
le ton par trop consensuel semble enfin largué. Puisque Charles Michel
qualifiait lui-même le gouvernement Di Rupo de “centre-droit, on évoquera sans cesse le “gouvernement
des droites”.
Si un Olivier Maingain (FDF) continuera à abattre la carte communautaire de
l’illégitimité, le PS de Di Rupo
privilégiera l’opposition gauche-droite, diabolisant la N-VA et tentant de déstabiliser le CD&V. Tout en
jouant parallèlement le créneau de l’ “opposition responsable”. Car les gouvernements wallons (PS-cdH) et
bruxellois (PS-FDF-cdH) veilleront à donner l’image d’entités fédérées bien
gérées, de Régions en redressement, qui empoignent tout autant les problèmes
budgétaires (la Wallonie vise le retour à l’équilibre dès 2018) mais sans
manier, disent-ils, la hache sociale
fédérale. Et qui veilleront, dans la foultitude (26) d’accords à nouer avec le
fédéral #suédois, à montrer qu’ils comptent. “Le PS pèsera encore,
dans ce système hybride, encore fortement sur le gouvernement fédéral: hormis
un certain symbolisme, ce ne sera pas très différent d’une tripartite” analysait le politologue flamand Bart Maddens (KUL)
Le 16 rue de la Loi, pouvoir retréci
L’opposition fédérale de 2014 du PS n’aura ainsi plus rien à
voir avec celle de la période Martens-Gol (1981-1987). En 26 ans, la Belgique a
mué. Le pouvoir s’est fragmenté et celui des Régions et Communautés a explosé
et, sixième réforme de l’Etat oblige, les gouvernements wallons, bruxellois et
flamands gèrent désormais quelque 70% du budget de l’Etat belge.
Le grand public- à qui nul n’explique vraiment ce formidable
chambardement- révère, mythifie
toujours symboliquement et
erronément le 16 rue de la Loi. Dont les pouvoirs, entre Europe et autonomie
des entités fédérées, ne cessent pourtant de retrécir. Et où les ministres ne
peuvent souvent donner, à coups de discours make-up, que l’illusion de leur
capacité à influer sur le cours des choses.
Un exemple? La #suédoise a fait grand cas, entre autres affichages
politiques, de mettre en place des prestations d’intérêt public aux chômeurs de
longue durée: un hic, cela ne peut désormais passer que par des accords de
coopération aléatoires avec les régions.
Pour Bart De Wever, son Premier Ministre flamand, Geert
Bourgeois, est d’évidence désormais plus important que le Premier Ministre
fédéral. Et Kris Peeters n’a quitté la Flandre, forcé et contraint par la N-VA,
qu’après moult réticences, comme s’il devait se résigner à un lot de consolation rue de la Loi.
Les wallons, les francophones, sous-estiment encore, eux, l’importance du pouvoir peu visible de leurs
Premiers Ministres des entités fédérées: Paul Magnette et des deux Rudy-Rudi
(Demotte et Vervoort). Il n’y a pas que dans Games of Thrones qu’il y a plusieurs couronnes.
C’est d’ailleurs la stratégie à peine voilée de De Wever:
miser sur cinq années d'agitation socio-économique; tabler sur le fait que les wallons, exaspérés par
l’influence, le poids flamand, le “modèle allemand”, les “deux démocraties”, s’en
mettent à rêver eux aussi au confédéralisme. Et acceptent une septième réforme
de l’Etat bien plus autonomiste. Ce dont il n’est toujours pas question, Elio
Di Rupo revenu au Bd de l’Empereur. “On est à l’os au plan
institutionnel” y est la ligne quasi
officielle.
La communication, ce sont des idées, mais aussi un timing.
PS et cdH tablent sur un paramètre essentiel: celui du temps. Attendant le
dossier pourri, imprévu ou négligé par acédie – cette paresse désinvolte dans
les affaires publiques-, ou plus probablement communautaire, qui,
escomptent-ils, fera capoter l’aventure MR. “Le MR débranchera la prise en
cours de route si certains partis flamands se montrent déloyaux” a écrit le MR Corentin de Salle.
Plus vite dit que fait: car Charles Michel a précisément
construit toute sa communication sur le fait que la #suédoise serait LE
gouvernement de la pacification communautaire. Comme quoi, la force apparente
peut parfois masquer une grande faiblesse. “Le risque est que le MR ne doive
tout de même avaler, au jour le jour, pas mal de couleuvres” nous confiait une sommité libérale.
Le danger du déni
Mais la lutte politique, n’échappe pas pour autant à la
comédie humaine.
C’est en cela que la coalition #suédoise risque des engrenages de communication
pervers.
Pour la première fois, la N-VA désignera des ministres
fédéraux capables –juste par ADN politique- de tous les écarts.
Pour la première fois, un seul parti s’adjugera une
influence hors normes en raflant tous les postes francophones.
Or, sous les feux médiatiques, la prudence est de mise.
Le style heu-reux
adopté par les co-formateurs Peeters-Michel est déjà souvent limite, par trop
joyeux en communication. “Comment peut-on parler de 17 milliards
d’austérité avec un tel ton aussi hilare?”
s’interrogeait l’autre jour Gazet Van Antwerpen.
Attention à l’ego qui souvent, rue de la Loi, se dilate.
Car, quel que soit le parti, le péché d’orgueil mène au manque de discernement.
Les libéraux francophones, seul contre tous en Wallonie et à Bruxelles, sous
les attaques incessantes d’une opposition aux multiples facettes, risquent
d’adopter une mentalité d’assiégé. Et le plus grand danger médiatique vient donc sans
doute de leurs propres rangs: se murer dans l’orgueil et la mécanique du
discours du déni. Le pire des dangers de la rue de la Loi.
Surtout lorsque des politiques ont le sentiment obscur de
leur propre faiblesse.
Michel HENRION
(1) Hormis, comme l’a noté
l’essayiste Charles Bricman, au 19ème et au début du 20ème siècle, lorsque les
gouvernements catholiques étaient très minoritaires en Wallonie et les quelques
gouvernements libéraux très minoritaires en Flandre.
(2) De Callatay, célèbre pour
une série de déclarations…euh…disons pétulantes (“Pourquoi faut-il indemniser
le philosophe ou le sociologue ? (et les journalistes) Il n’est pas juste que
la collectivité, en ce compris des gens qui ne gagnent pas bien leur vie, voie
ses impôts financer des formations universitaires qui ne serviront à rien”) en oubliait juste une règle-politique non-écrite: ne
jamais avouer ses ambitions.