Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

dimanche 28 septembre 2014

Wouter Beke, l’idéologue discret devenu champion du poker CD&V (chronique MBelgique du 12/07/14)

 
Le prénom Wouter est tendance en politique.  Il y a Wouter Van Besien, le fou de scoutisme qui a requinqué Groen!,  les Ecolos du Nord. Il y a Wouter De Backer, plus connu sous le nom de Gautye (prononcez Gauthier ce qui, aussi curieux que ça puisse paraître, est l’équivalent francophone de Wouter). Ce chanteur belgo-australien au succès mondial (1), vient de créer son propre parti politique en Australie.  Parce que, tiens! il entend  dénoncer “les politiciens par hérédité, issus de familles aisées, qui sont préparés à être parlementaires, politiciens à vie sans aucune autre expérience de vie que celle d’avoir été membre des jeunes libéraux ou socialistes”. (Toute ressemblance avec la cohorte de “fils de” en Belgique est bel et bien avenue
Et puis, il y a Wouter Beke, 40 ans, le président si discret, si effacé, si peu charismatique du CD&V. Presque totalement inconnu des francophones et même largement méconnu en Flandre.
Le tour est, il est vrai, vite fait: l’homme  a fait des études de Sciences Politiques et Sociales, de Droit Social à la KUL et est aussi bourgmestre de Bourg-Léopold depuis les dernières communales. Voila qui est court et bref.
On croyait  Kris Peeters, Premier Ministre Virtuel pendant deux mois d’illusions, le “numero uno” du CD&V qui pouvait tout imposer, à commencer par lui. Eh bien non. Le discret Wouter Beke est devenu président des sociaux-chrétiens du Nord en 2010 après un long intérim de deux ans. Soyons francs: on ne voyait pas en lui, au CD&V,  un formidable talent politique. On avait remarqué son ascension sans grand bruit: c’était le candidat parfait pour un parti qui, après un Etienne Schouppe et une Marianne Thyssen, voulait une atmosphère de consensus. 

La dot du mariage avec la Suédoise

Surprise-surprise:  voici que  “Wout” se révèle un formidable jouer de poker-menteur (il a déjà empoché un Commissariat Européen pour Marianne Thyssen alors que les autres partis n’ont encore décroché que nada) et un stratège apparaissant redoutable.
Certes, le CD&V est fiancé: mais avant de convoler avec la fameuse #suédoise, les sociaux-chrétiens vont encore exiger leur dot, sinon leur dû. A commencer par quelques acquis pour convaincre et protéger l’ACW (le Mouvement Ouvrier flamand, un des piliers du CD&V). Une taxation du capital ou ce genre (qui n’était même pas dans le programme électoral CD&V) ainsi que des intercommunales et, bien entendu, une solution tordue pour dédommager les 780.000 coopérateurs d’Arco. (malgré les comités techniques ad hoc, on table sur l’influence, fut-elle prudente, fut-elle limitée, de Marianne Thyssen à l’Europe).

Le meneur de jeu


Car le style Wouter Beke, c’est ça: un président “meneur de jeu”. Attentif à tous les horizons, tous les intérêts de sa formation. A la N-VA, Bart De Wever impose malement sa ligne: au CD&V, Wouter Beke s’entoure, consulte, tâte tous les terrains avant de prendre des décisions lourdes. Wouter Beke n’est pas une pupille politique du Mouvement ouvrier Chrétien flamand qui a fourni tant de ministres et autres leaders au CVP-CD&V: mais il veille aux intérêts de tous les piliers chrétiens. Ceux qui ont fait jadis la force de “l’Etat CVP”.
 C’est lui qui gère les relations délicates avec les syndicats chrétiens, les mutuelles (que la #suédoise n’enthousiasme guère); c’est  lui qui bride Kris Peeters jusqu’à le faire renoncer (momentanément?) aux leçons de français qui le préparaient au 16 rue de la Loi… C’est lui, encore qui, à l’instar de tous les présidents de parti, décide des destins et des ambitions,  de qui deviendra quoi.

L’idéologue meurtri par l’euthanasie des mineurs

Le leadership de Beke, c’est, comme on dirait dans la série Downtown Abbey, “To lead from Behind”. Comprenez  que Wouter Beke laisse la solution venir à lui.
Au CD&V, Wouter Beke tient donc son autorité de par son parcours. Prudent. Efficace, malgré les résultats électoraux décevants.
Mais l’aspect le plus intéressant de Wouter Beke, c’est son côté idéologue. L’homme, qui s’avoue volontiers flamingant (ce qui fait sourire d’aucuns en Flandre) a profondément actualisé la doctrine du CD&V, histoire de se défaire de l’image du vieux CVP, de rendre son parti à nouveau plus attractif pour les jeunes. A l’instar des fameux “Burgermanifesten” de Guy Verhofstadt (qui assurèrent son ascension et sa dégringolade, tant les actes de l’OpenVLD n’ont pas correspondu aux promesses), il publie un livre: “ De mythe van het vrije ik: een pleidooi voor en menselijke vrijheid”. En clair, un plaidoyer pour la liberté de l’homme. Objectif: positionner radicalement (on dirait du Lutgen) le CD&V au centre, en s’appuyant sur des valeurs chrétiennes updatées. (le CDH a, très théoriquement, échangé sa poudre électorale catho contre un baril d’humanisme).
C’est d’ailleurs la raison d’un “clash” politique qui a terriblement marqué Wouter Beke: la majorité alternative qui a voté, contre les sociaux-chrétiens, l’élargissement de l’euthanasie aux mineurs. (88 voix pour, 44 contre dont CD&V-PSC-N-VA et 12 abstentions) Une amertume qu’Elio Di Rupo a, peut-être, mal évalué, sous-estimé: à son honneur d’avoir fait avancer l’éthique, même si le texte final avait été pour le moins raboté.

Wouter-Noé sur son arche

Comme le disait un observateur très averti du jeu politique flamand, Wouter Beke, “c’est un peu Noé sur son arche”. Qui avant de lâcher l’ancre, a fait le tri de ce qu’il fallait abandonner ou sélectionner pour survivre sur les flots houleux, guider l’arche social-chrétienne à travers orages et tempêtes politiques.
Tout comme il faut relire le menu du fameux déjeuner chez “Bruneau”, il est amusant de reprendre mains l’interview commune Wouter Beke-Charles Michel dans “Le Soir”, ce “coup médiatique” qui entendait forger un axe politique pour lendemain d’élections. Le CDH- aussi surpris que Valérie Trierweiler par la trahison, l’adultère politique de son parti-frère- avait assez bien pressenti les événements: “Le MR se sert du CD&V pour monter dans le sac à dos de la N-VA”, avait-on commenté rue des Deux Eglises.
Au PS, on y humait un parfum d’ “Orange Bleue” (la tentative de coalition sans le PS de 2007): “On massifie à droite: l’option d’une coalition ancrée à droite est dans l’air”.

Les cinq dernières minutes

Intouchable au CD&V, Wouter Beke fréquente donc de très près la toute jeunette #suédoise.
Si l’on réfléchit, ce sont d’ailleurs les deux partis sociaux-chrétiens qui ont posé les actes les plus notables, sinon fondateurs, de cette formation hors-normes (les autres partis se sont ajustés):
-Les sociaux-chrétiens de Wouter Beke en s’alliant avec la N-VA.
-Les sociaux-chrétiens francophones de Benoît Lutgen en disant “nuts”.
Au CDH, d’aucuns s’interrogent d’ailleurs sur les ressorts de Noé-Beke: car, dans une tripartite (sans la N-VA) le CD&V se serait adjugé tout à la fois le Premier Ministee flamand (perdu au profit du N-VA Geert Bourgeois) et le premier Ministre fédéral.
C’est pour cette raison qu’il ne faut rien exclure: manoeuvrier affirmé, désormais champion du poker chrétien, nous est avis que Wouter Beke lorgnera encore, pour y replacer Kris Peeters, sur le 16 rue de la Loi.
Jusqu’aux cinq toutes dernières minutes.

Michel HENRION

(1) https://www.youtube.com/watch?v=8UVNT4wvIGY