Le prénom Wouter est tendance en politique. Il y a Wouter Van Besien, le fou de scoutisme qui a requinqué Groen!, les Ecolos du Nord. Il y a Wouter De Backer, plus connu sous le nom de Gautye (prononcez Gauthier ce qui, aussi curieux que ça puisse paraître, est l’équivalent francophone de Wouter). Ce chanteur belgo-australien au succès mondial (1), vient de créer son propre parti politique en Australie. Parce que, tiens! il entend dénoncer “les politiciens par hérédité, issus de familles aisées, qui sont préparés à être parlementaires, politiciens à vie sans aucune autre expérience de vie que celle d’avoir été membre des jeunes libéraux ou socialistes”. (Toute ressemblance avec la cohorte de “fils de” en Belgique est bel et bien avenue
Et puis, il y a Wouter Beke, 40 ans, le président si
discret, si effacé, si peu charismatique du CD&V. Presque totalement
inconnu des francophones et même largement méconnu en Flandre.
Le tour est, il est vrai, vite fait: l’homme a fait des études de Sciences
Politiques et Sociales, de Droit Social à la KUL et est aussi bourgmestre de
Bourg-Léopold depuis les dernières communales. Voila qui est court et bref.
On croyait Kris
Peeters, Premier Ministre Virtuel
pendant deux mois d’illusions, le “numero uno” du CD&V qui pouvait tout imposer, à commencer
par lui. Eh bien non. Le discret Wouter Beke est devenu président des
sociaux-chrétiens du Nord en 2010 après un long intérim de deux ans. Soyons
francs: on ne voyait pas en lui, au CD&V, un formidable talent politique. On avait remarqué son
ascension sans grand bruit: c’était le candidat parfait pour un parti qui,
après un Etienne Schouppe et une Marianne Thyssen, voulait une atmosphère de
consensus.
La dot du mariage avec la Suédoise
Surprise-surprise:
voici que “Wout” se révèle
un formidable jouer de poker-menteur (il a déjà empoché un Commissariat
Européen pour Marianne Thyssen alors que les autres partis n’ont encore décroché
que nada) et un stratège apparaissant redoutable.
Certes, le CD&V est fiancé: mais avant de convoler avec
la fameuse #suédoise, les sociaux-chrétiens vont encore exiger leur dot, sinon
leur dû. A commencer par quelques acquis pour convaincre et protéger l’ACW (le
Mouvement Ouvrier flamand, un des piliers du CD&V). Une taxation du capital
ou ce genre (qui n’était même pas dans le programme électoral CD&V) ainsi
que des intercommunales et, bien entendu, une solution tordue pour dédommager les
780.000 coopérateurs d’Arco. (malgré les comités techniques ad hoc, on table
sur l’influence, fut-elle prudente, fut-elle limitée, de Marianne Thyssen à
l’Europe).
Le meneur de jeu
Car le style Wouter Beke, c’est ça: un président “meneur
de jeu”. Attentif à tous les horizons, tous
les intérêts de sa formation. A la N-VA, Bart De Wever impose malement sa
ligne: au CD&V, Wouter Beke s’entoure, consulte, tâte tous les terrains
avant de prendre des décisions lourdes. Wouter Beke n’est pas une pupille
politique du Mouvement ouvrier Chrétien flamand qui a fourni tant de ministres
et autres leaders au CVP-CD&V: mais il veille aux intérêts de tous les piliers chrétiens. Ceux qui ont fait jadis la force de “l’Etat
CVP”.
C’est lui qui
gère les relations délicates avec les syndicats chrétiens, les mutuelles (que
la #suédoise n’enthousiasme guère); c’est
lui qui bride Kris Peeters jusqu’à le faire renoncer (momentanément?)
aux leçons de français qui le préparaient au 16 rue de la Loi… C’est lui,
encore qui, à l’instar de tous les présidents de parti, décide des destins et
des ambitions, de qui deviendra
quoi.
L’idéologue meurtri par l’euthanasie des mineurs
Le leadership de Beke, c’est, comme on dirait dans la série Downtown
Abbey, “To lead from Behind”. Comprenez
que Wouter Beke laisse la solution venir à lui.
Au CD&V, Wouter Beke tient donc son autorité de par son
parcours. Prudent. Efficace, malgré les résultats électoraux décevants.
Mais l’aspect le plus intéressant de Wouter Beke, c’est son
côté idéologue. L’homme, qui s’avoue volontiers flamingant (ce qui fait sourire d’aucuns en Flandre) a
profondément actualisé la doctrine du CD&V, histoire de se défaire de
l’image du vieux CVP, de rendre
son parti à nouveau plus attractif pour les jeunes. A l’instar des fameux “Burgermanifesten” de Guy Verhofstadt (qui assurèrent son ascension et
sa dégringolade, tant les actes de l’OpenVLD n’ont pas correspondu aux
promesses), il publie un livre: “ De mythe van het vrije ik: een
pleidooi voor en menselijke vrijheid”. En
clair, un plaidoyer pour la liberté de l’homme. Objectif: positionner
radicalement (on dirait du Lutgen) le CD&V au centre, en s’appuyant sur des
valeurs chrétiennes updatées. (le CDH a, très théoriquement, échangé sa poudre
électorale catho contre un baril d’humanisme).
C’est d’ailleurs la raison d’un “clash” politique qui a
terriblement marqué Wouter Beke: la majorité alternative qui a voté, contre les
sociaux-chrétiens, l’élargissement de l’euthanasie aux mineurs. (88 voix pour,
44 contre dont CD&V-PSC-N-VA et 12 abstentions) Une amertume qu’Elio Di
Rupo a, peut-être, mal évalué, sous-estimé: à son honneur d’avoir fait avancer
l’éthique, même si le texte final avait été pour le moins raboté.
Wouter-Noé sur son arche
Comme le disait un observateur très averti du jeu politique
flamand, Wouter Beke, “c’est un peu Noé sur son arche”. Qui avant de lâcher l’ancre, a fait le tri de ce
qu’il fallait abandonner ou sélectionner pour survivre sur les flots houleux,
guider l’arche social-chrétienne à travers orages et tempêtes politiques.
Tout comme il faut relire le menu du fameux déjeuner chez “Bruneau”, il est amusant de reprendre mains l’interview
commune Wouter Beke-Charles Michel dans “Le Soir”, ce “coup médiatique” qui entendait forger un axe politique pour
lendemain d’élections. Le CDH- aussi
surpris que Valérie Trierweiler par la trahison, l’adultère politique de son
parti-frère- avait assez bien pressenti les événements: “Le MR se
sert du CD&V pour monter dans le sac à dos de la N-VA”, avait-on commenté rue des Deux Eglises.
Au PS, on y humait un parfum d’ “Orange Bleue” (la tentative de coalition sans le PS de 2007): “On
massifie à droite: l’option d’une coalition ancrée à droite est dans l’air”.
Les cinq dernières minutes
Intouchable au CD&V, Wouter Beke fréquente donc de très
près la toute jeunette #suédoise.
Si l’on réfléchit, ce sont d’ailleurs les deux partis
sociaux-chrétiens qui ont posé les actes les plus notables, sinon fondateurs, de cette formation hors-normes (les autres partis
se sont ajustés):
-Les sociaux-chrétiens de Wouter Beke en s’alliant avec la
N-VA.
-Les sociaux-chrétiens francophones de Benoît Lutgen en
disant “nuts”.
Au CDH, d’aucuns s’interrogent d’ailleurs sur les ressorts
de Noé-Beke: car, dans une tripartite (sans la N-VA) le CD&V se serait
adjugé tout à la fois le Premier Ministee flamand (perdu au profit du N-VA
Geert Bourgeois) et le premier Ministre fédéral.
C’est pour cette raison qu’il ne faut rien exclure:
manoeuvrier affirmé, désormais champion du poker chrétien, nous est avis que Wouter
Beke lorgnera encore, pour y replacer Kris Peeters, sur le 16 rue de la Loi.
Jusqu’aux cinq toutes dernières minutes.
Michel HENRION
(1) https://www.youtube.com/watch?v=8UVNT4wvIGY