Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

lundi 18 août 2014

Ces influences qui sont la face cachée de la formation d’un gouvernement (MBelgique du 20/06/2014)

 

 L’électeur lambda voit souvent, un brin naïvement, les partis comme des machines parfaitement homogènes. Alors que ce ne sont souvent que des façades derrière lesquelles s’agitent, en interne, de solides divergences, qu’elles soient de personnes (qui croit ainsi, ces temps-ci, que Charles Michel serait réellement  ravi-content de voir Reynders promu Premier Ministre?) ou,  phénomène plus marquant, de tendances idéologiques. Qui ne sont souvent elles-mêmes que le reflet, le relais de groupes de pression, de lobbies multiples.
Il ne faut pas s’y tromper: le mécanisme de la formation d’un gouvernement fédéral intègre, entre autres rouages, les influences, les jeux plus ou moins souterrains de nombre de milieux d’influence, de jeux d’intérêts à l’action plus ou moins perceptible.
On l’a vu lors de la longue crise des 541 jours d’après le scrutin de 2010: craignant l’indépendantisme-nationalisme-républicain d’une N-VA provocatrice, bien des milieux- dont d’aucuns proches de la Monarchie- se mobilisèrent pour faire trébucher le Bart De Wever de l’époque.
On le voit aujourd’hui  à l’inverse: bien des lobbies – et parfois curieusement les mêmes qu’en 2010- frémissent et s’activent en coulisses, séduits à l’idée d’une coalition de centre-droit, intégrant le même Bart De Wever- dont la mue soudaine en ferait un quasi Homme d’Etat- histoire de renvoyer la gauche dans l’opposition après 26 ans de présence rue de la Loi. (9 mai 1988-2014)
Ce fut l’une des étrangetés de la dernière campagne électorale: sur les plateaux-télé, libéraux et socialistes s’étripaient grave jusqu’à l’absurde en évoquant  sans cesse un truc paléopolitique quasi incompréhensible pour tout électeur  de moins de 40 ans: à savoir la “période Martens-Gol”. Traduction: les gouvernements Martens qui, de 1981 à 1987, marièrent libéraux et chrétiens sous leurs sigles démodés d’alors (CVP-PVV-PRL-PSC).
C’est, pour mémoire, l’époque ou les idées  “thatchéristes” font plutôt fureur.  Se dotant de pouvoirs spéciaux entre 1982 et 1987, l’équipe Martens-Gol mettra en œuvre des décisions plutôt impopulaires: sauts d’index (2% à chaque fois, soit une mesure d’austérité assez sévère), limitation des dépenses publiques, ceinture dans la Sécurité Sociale, diminution de 3 % de la masse salariale…
Une politique qui n’avait été rendue possible que par l’accord dit “de Poupehan”, ce petit village aux collines boisées ou Wilfried Martens avait obtenu l’appui explicite de Jef Houthuys, à l’époque le tout grand boss des syndicats chrétiens (ACW-CSC). 
Feu Wilfried Martens l’a écrit dans ses “Mémoires”:
-“Houthuys a bien tenu ses troupes en main et toutes les actions syndicales ont échoué”. 
Et tout ce qu’organisait Georges Debunne, le mythique  dirigeant d’alors de la FGTB, n’eut- de par l’inertie relative de la CSC- que peu d’effet sur ce qui se décidait au 16 rue de la Loi.
On rappelle ça parce que c’est l’une des multiples faces du rubik’s cube de l’actuelle formation. Et que c’est, évidemment, une des interrogations évoquées au sommet du MR ces temps derniers.
Des libéraux francophones pour qui, pure hypothèse, ce ne serait déjà pas psychologiquement fastoche d’être le seul parti francophone à pactiser avec “le diable De Wever”. Mais être la seuble cible -à chaque décision impopulaire- d’un Front Commun Syndical wallon FGTB-CSC, c’est encore un tout autre pari.  (certains liens avec le CDH ont été récemment mis en avant par l’élection au Parlement Européen de Claude Rolin, ex-figure de proue dudit syndicat chrétien)
Paradoxe: alors que le taux de syndicalisation augmente toujours en Belgique, le poids politique des syndicats tend d’évidence à diminuer. Et leur capacité à peser sur les décisions politiques s’est d’évidence  amoindrie. Mais l’influence persiste et n’est pas mince. Ni au PS, ni au CD&V, qui s’appuie toujours sur le “verzuiling”, entendez le système des piliers, les fameux “standen” qui ont fait longtemps la force , l’armature de “l’Etat CVP”. (syndicats, mutualités, Boerenbond, coopératives, etc…)

Pourquoi le Mouvement Ouvrier Chrétien flamand peut préférer la N-VA


De Wever et la N-VA doivent prendre sans cesse en compte, s’ils veulent accéder au pouvoir fédéral,  que le parti de Wouter Beke et le Mouvement Ouvrier Chrétien flamand  (la coupole de tous les piliers démocrates-chrétiens chers au CVP-CD&V) demeurent très proches. L’ACW ne peut, certes, dicter une ligne politique aux  sociaux-chrétiens du Nord mais, consultée, très bien informée, elle peut à tout le moins, selon ses intérêts propres, donner le feu vert ou poser un veto.
Ne jamais oublier que c’est l’ACW (Mouvement Ouvrier Chrétien flamand) qui a poussé des carrières politiques comme  celles de Jean-Luc Dehaene, Etienne Schouppe, Yves Leterme, Steven Vanackere, Jo Vandeurzen, Inge Vervotte ou, aujourd’hui, de l’hyper-populaire Hilde Crevits…
La pièce est subtile: pourquoi diable le Mouvement Ouvrier Chrétien flamand – que la N-VA n’a cessé d’attaquer, notamment sur le dossier crucial du sort des coopérateurs d’Arco-Dexia, c’est à dire le coeur même des intérêts financiers de l’ACW- n’est-il pas davantage réticent à ce que le CD&V convole avec la N-VA?
Tout simplement parce que l’ACW pose, mine de rien, la même analyse que le CD&V: pour peser sur les décisions, il vaut mieux un gouvernement reserré de centre-droit qu’un large gouvernement de centre-gauche aux partenaires plus insaissisables.
Certes, pas mal des points du programme de la N-VA (sauts d’index, limiter le chômage dans le temps) apparaissent peu compatibles avec ce que veulent les syndicalistes chrétiens du Nord du pays. Et des opinions “critiques” que Patrick Develtere, le président de l’ACW, martèle dans diverses interviews, histoire de créer l’illusion de son pouvoir.
Mais Bart  De Wever chante désormais du Florent Pagny (“Puisque ici tout est négociable”) et fait bien asavoir que toutes les marges étaient possibles. Une volonté de compromis qui fait donc l’affaire de l’aile plus patronale du CD&V: sans la N-VA, le saut d’index n’était que rêverie programmatique.  Avec la N-VA présente, on peut peut-être forcer -comme jadis à Poupehan- la main de l’ACW. Genre la mesure maligne que l’ACW pourrait présenter comme n’étant pas du tout un vrai saut d’index mais que De Wever et Kris Peeters  affirmeraient, eux, que c’est tout kif.
Bref, un peu moins de pouvoir politique pour les syndicats, mais toujours une solide influence. Parmi beaucoup d’autres en ce Royaume de Belgique ou c’est par dizaines qu’on compte aussi, depuis la seconde guerre mondiale, les ministres liés, dans leur carrière, aux intérêts du monde financier. (les deux derniers exemples emblématiques étant  feu Jean-Luc Dehaene et Guy Verhofstadt)
La Belgique politique est décidément une vaste terre d’influences.


Michel HENRION.