Raser gratis ? Cette expression viendrait d'un barbier qui avait placé jadis une pancarte proclamant ladite formule…Mais notre artisan, tout aussi fûté que près de ses sous, l'y laissait tous les jours. Par conséquent, le naïf qui, le lendemain du jour où il avait vu la pancarte pub, venait se faire raser ou couper les cheveux et qui s'étonnait de devoir quand même payer, s'entendait répondre : "Oui, mais il y a écrit que c'est demain que c'est gratuit !". Aujourd’hui encore, notamment en politique, les promesses des personnalités en vue n'engagent que ceux qui les écoutent sans faire appel à leur libre-examen…Ce n’est pas le cas ici. Où on s'efforce plutôt de manier le mot à couper la langue de bois .

lundi 18 août 2014

Kris Peeters sera-t-il le George Clooney du 16 rue de la Loi? (MBelgique du 4/07/2014)

 

Le constat est posé depuis lurette: il n’y a pas d’ “opinion publique belge”. On vit dans un pays dédoublé, ou les francophones ne comprennent généralement pas grand chose à la “société flamande”, si tournée vers le modèle allemand. A l’inverse, les flamands ne comprennent souvent que pouic à ce qui se passe de positif en Wallonie: pour eux, les wallons et les francophones ne seraient, à entendre nombre d’entre eux, que juste un obstacle au sauvetage des entreprises du Nord du pays.
Jusqu’à ce qu’il apparaisse comme le “Monsieur Nuts” rejettant d’avaler la carotte de papier qu’était la note marketing de “bonne volonté” de Bart De Wever, qui donc, en Flandre, connaissait Benoît Lutgen? Pas grand monde. Tout comme le francophone ignore, par exemple, jusqu’à l’existence de Hilde Crevits, cette Ministre flamande CD&V de l'Environnement et des Travaux publics, dont la montée en popularité au Nord est pourtant remarquable. Fossé politico-médiatique.
Mark Eyskens (81) fanfaronnait un brin l’autre dimanche chez Pascal Vrebos: “Le CD&V a toujours un stock de Premiers Ministres”, lançait-il, imprégné de la longue époque ou les sociaux-chrétiens trustaient quasi naturellement tout à la fois la tête du Gouvernement fédéral et celle du Gouvernement flamand.
Sur le rayon, en 2014, on trouve surtout trois noms possibles si exit Di Rupo: celui de Wouter Beke, actuel président en titre du CD&V, et ceux de deux amis: Koenraad Geens, ministre des Finances, et Kris Peeters, le grand favori des pronostics et Ministre-Président sortant du Gouvernement flamand. (le premier fut, de 2007 à 2009, le chef de cabinet très proche du second).

Le lapin blanc d’Yves Leterme

Kris Peeters est lui aussi un quasi inconnu pour le belge francophone, qui ne prête finalement un brin d’attention qu’aux seules personnalités de Flandre siégeant au niveau fédéral.
Portrait–express. Au Nord, Kris Peeters, c’est d’abord un surnom qui sera assurément médiapolitiquement exporté si l’homme se retrouvait effectivement, un de ces mois, propulsé au 16 rue de la la Loi.
C’est, y dit-on, le “George Clooney de la Flandre”.
Un nickname qu’il doit à une anecdote mettant en scène Bob Geldof, le créateur du mémorable concert humanitaire mondial Live Aid pour un total cumulé de 1,5 milliard de téléspectateurs. (avec les plus grandes stars: Bono, George Michael, Sting, David Bowie, Paul McCartney, Phil Collins pour les plus connus du Band Aid)
Bref, Geldof, venu un soir à un gala des diamantaires anversois, se retrouva placé entre Mathilde et Kris Peeters. Ironiquement, il confessa aux médias “qu’il avait cru se trouver entre Grace Kelly et Geoorge Clooney.”
Le surnom (on a connu pire) fit florès et resta collé à Kris Peeters, un “lapin blanc” repéré et débauché par Yves Leterme.
C’est l’époque ou, pour se refaire une santé électorale et remonter au pouvoir, les sociaux-chétiens du Nord, devenus confédéralistes, viraient leur cuti. Le tout nouveau cartel CD&V-N-VA, appelé le cartel flamand, devint d’ailleurs la première formation de Flandre avec 26 % des voix aux élections régionales de 2004. C’est aussi (ceux qui s’en souvent pris aux ralliements à la N-VA l’ont un peu oublié) le moment très pointu ou le CD&V accueille carrément en son sein un Ignace Lowie, ancien parlementaire fédéral du Vlaamse Blok  et ex-rédacteur en chef de Révolte, une publication du mouvement extrémiste Voorpost… Ou débauche Johan Sauwens, qui avait créé l’émoi en participant à une réunion du Sint Maartensfonds, amicale d'anciens combattants flamands du front de l'Est.
Lorsque Leterme, chargé de sauver le CD&V de l’agonie, désigne alors Kris Peeters comme ministre flamand -sans que celui-ci ait jamais été élu- l’homme a déjà fait fait une longue carrière au sein de l’Unizo (l’organisation patronale représentant petites entreprises et PME du Nord) cet avocat y montant tous les échelons en 18 ans.
C’est évidemment un état d’esprit, l’Unizo: on l’a bien vu encore il y a quelques jours, pas moins de la moitié des membres de cette organisation patronale flamande allant jusqu’à caresser l’idée, sinon la menace, de ne plus investir ni embaucher en Belgique, voire de délocaliser, s’il naissait un
Di Rupo 2…




Le chien de chasse de Wouter Beke

Ministre-Président flamand depuis 2007, Kris Peeters s’est largement imposé. Pas forcément au niveau électoral: le 24 mai dernier, la tête de liste N-VA pour les élections régionales en province d'Anvers, Liesbeth Homans, fidèle lieutenant de Bart De Wever, réalisa 163.502 voix de préférence, soit bien plus que Kris Peeters (140.564), pourtant “Numero Uno” de la campagne du CD&V. Gloups.
Non, ce qui charme les flamands, c’est que Kris Peeters se comporte un peu comme un CEO. C’est le garant, le “manager des intérêts de la Flandre”.
Certes, l’homme incarne-t-il une certaine “aile droite” du CD&V mais Peeters est pragmatique et flexible, prenant aussi soigneusement en compte les intérêts du Mouvement Ouvrier Chrétien flamand (ACW).
C’est un peu le “chien de chasse” du sous-estimé Wouter Beke, président du parti. C’est Kris Peeters qui impulse certes une ligne, une orientation politique, mais Wouter Beke lui rappelle les limites. Et qu’il faut toujours tenir compte, chez ces gens là, de l’aile plus à gauche du CD&V. 
Kris Peeters est l’incontestable leader des sociaux-chrétiens flamands mais sous le contrôle de Wouter Beke: qui le recadre si besoin.

Le “pont” invisible entre CD&V et N-VA

Les francophones parviendront-ils, pour nouer un jour une incertaine coalition fédérale, à briser –comme en 2011- l’axe N-VA-CD&V, qui sera encore renforcé dès la formation du Gouvernement flamand? 
Ce sera cette fois très difficile, même si quelques fissures sont décelables. (Qui donc sera finalement Ministre-Président flamand? Vraiment le N-VA Geert Bourgeois? Ou Kris Peeters, au vu des incertitudes fédérales, tentera-t-il le coup d’y rester, un tiens valant mieux que deux tu l’auras…)
C’est qu’il y a, entre Kris Peeters et Bart De Wever, une indéniable forte estime réciproque. Qui dépasse le pur niveau politique. Ces hommes-là partagent des convictions proches et s’apprécient fortement mutuellement.
Bart De Wever n’est pas loin d’admirer Kris Peeters (pour son charisme, son savoir-faire, sa présence, ses qualités intellectuelles, olé): et ce dernier dit souvent tout le bien qu’il pense du penseur-stratège De Wever, humour à froid y compris.
Le cartel CD&V-N-VA est mort. Mais cette relation particulière entre Kris Peeters et Bart De Wever est le pont entre les deux formations politques, avec Wouter Beke en arrière-plan. 
C’est moins visible, c’est plus flou, plus difficile à analyser que feu le cartel : mais ce pont confédéraliste existe bien et bien. Et on ne le fera pas céder aisément cette fois-ci.

Quel sera le futur de Kris Peeters? L’homme affectionne assurément projecteurs et pouvoir. Avant les élections, on l’a souvent entendu évoquer la menace de la  Tentation de Venise, ce truc que les politiques ne mettent quasi jamais à exécution: ici, l’évocation d’un job dans le secteur privé ou européen s’il ne pouvait rester le boss de la Flandre.
L’homme n’est peut-être pas définitivement marié à la politique  mais il pourrait quand même finalement se retrouver au 16 rue de la Loi.
Et là, les bruxellois et les wallons découvriraient un homme qui, sous bien des aspects, se comporterait, médiapolitiquement, comme Elio Di Rupo.
Tout comme Di Rupo, il ne parle pas trop bien la langue de l’autre communauté (la presse flamande s’est longuement interrogée sur son bilinguisme réel).
Tout comme Di Rupo, il adopterait un style un peu présidentiel,  plutôt au dessus de la mêlée.
Sans trop se risquer à de grandes déclarations politiques périlleuses.
Son compte Twitter @MP_Peeters continerait, comme celui d’ @eliodirupo, à s’inscrire dans la communication -prudente et très marketing- commune à celle de tous les responsables politiques qui maîtrisent les clés de la communication politique en ligne (Obama, Hollande, etc)
Le gouvernement Di Rupo 2, c’est peut-être le Kris Peeters 1.
Un Di Rupo 2 par le style et la com’,  l’aspect “belgicain” en moins.
Mais assurément en version très CEO et très flamande pour le reste.

Michel HENRION