Le constat est posé depuis lurette: il n’y a pas d’ “opinion publique belge”. On vit dans un pays dédoublé, ou les francophones ne comprennent généralement pas grand chose à la “société flamande”, si tournée vers le modèle allemand. A l’inverse, les flamands ne comprennent souvent que pouic à ce qui se passe de positif en Wallonie: pour eux, les wallons et les francophones ne seraient, à entendre nombre d’entre eux, que juste un obstacle au sauvetage des entreprises du Nord du pays.
Jusqu’à ce qu’il apparaisse
comme le “Monsieur Nuts” rejettant
d’avaler la carotte de papier
qu’était la note marketing de “bonne volonté” de Bart De Wever, qui donc, en Flandre, connaissait
Benoît Lutgen? Pas grand monde. Tout comme le francophone ignore, par exemple,
jusqu’à l’existence de Hilde Crevits, cette Ministre flamande CD&V de
l'Environnement et des Travaux publics, dont la montée en popularité au Nord
est pourtant remarquable. Fossé politico-médiatique.
Mark Eyskens (81)
fanfaronnait un brin l’autre dimanche chez Pascal Vrebos: “Le CD&V a
toujours un stock de Premiers Ministres”, lançait-il, imprégné de la longue époque ou les sociaux-chrétiens
trustaient quasi naturellement tout à la fois la tête du Gouvernement fédéral
et celle du Gouvernement flamand.
Sur le rayon, en 2014, on
trouve surtout trois noms possibles si exit Di Rupo: celui de Wouter Beke,
actuel président en titre du CD&V, et ceux de deux amis: Koenraad Geens,
ministre des Finances, et Kris Peeters, le grand favori des pronostics et
Ministre-Président sortant du Gouvernement flamand. (le premier fut, de 2007 à
2009, le chef de cabinet très proche du second).
Le lapin blanc d’Yves
Leterme
Kris Peeters est lui aussi un
quasi inconnu pour le belge francophone, qui ne prête finalement un brin
d’attention qu’aux seules personnalités de Flandre siégeant au niveau fédéral.
Portrait–express. Au Nord,
Kris Peeters, c’est d’abord un surnom qui sera assurément médiapolitiquement
exporté si l’homme se retrouvait effectivement, un de ces mois, propulsé au 16
rue de la la Loi.
C’est, y dit-on, le “George
Clooney de la Flandre”.
Un nickname qu’il doit à une anecdote mettant en scène Bob
Geldof, le créateur du mémorable concert humanitaire mondial Live Aid pour un total cumulé de 1,5 milliard de
téléspectateurs. (avec les plus grandes stars: Bono, George Michael, Sting,
David Bowie, Paul McCartney, Phil Collins pour les plus connus du Band Aid)
Bref, Geldof, venu un soir à
un gala des diamantaires anversois, se retrouva placé entre Mathilde et Kris
Peeters. Ironiquement, il confessa aux médias “qu’il avait cru se trouver
entre Grace Kelly et Geoorge Clooney.”
Le surnom (on a connu pire)
fit florès et resta collé à Kris Peeters, un “lapin blanc” repéré et débauché par Yves Leterme.
C’est l’époque ou, pour se
refaire une santé électorale et remonter au pouvoir, les sociaux-chétiens du
Nord, devenus confédéralistes, viraient leur cuti. Le tout nouveau cartel
CD&V-N-VA, appelé le cartel flamand, devint d’ailleurs la première formation de Flandre avec 26 % des voix
aux élections régionales de 2004. C’est aussi (ceux qui s’en souvent pris aux
ralliements à la N-VA l’ont un peu oublié) le moment très pointu ou le CD&V
accueille carrément en son sein un Ignace Lowie, ancien parlementaire fédéral
du Vlaamse Blok et ex-rédacteur en chef de Révolte, une publication du mouvement extrémiste Voorpost… Ou débauche Johan Sauwens, qui avait créé l’émoi en
participant à une réunion du Sint Maartensfonds, amicale d'anciens combattants flamands du front de
l'Est.
Lorsque Leterme, chargé de
sauver le CD&V de l’agonie, désigne alors Kris Peeters comme ministre
flamand -sans que celui-ci ait jamais été élu- l’homme a déjà fait fait une
longue carrière au sein de l’Unizo (l’organisation patronale représentant
petites entreprises et PME du Nord) cet avocat y montant tous les échelons en
18 ans.
C’est évidemment un état
d’esprit, l’Unizo: on l’a bien vu encore il y a quelques jours, pas moins de la
moitié des membres de cette organisation patronale flamande allant jusqu’à
caresser l’idée, sinon la menace, de ne plus investir ni embaucher en Belgique,
voire de délocaliser, s’il naissait un
Di Rupo 2…
Le chien de chasse de
Wouter Beke
Ministre-Président flamand
depuis 2007, Kris Peeters s’est largement imposé. Pas forcément au niveau
électoral: le 24 mai dernier, la tête de liste N-VA pour les élections
régionales en province d'Anvers, Liesbeth Homans, fidèle lieutenant de Bart De
Wever, réalisa 163.502 voix de préférence, soit bien plus que Kris Peeters
(140.564), pourtant “Numero Uno” de la campagne du CD&V. Gloups.
Non, ce qui charme les
flamands, c’est que Kris Peeters se comporte un peu comme un CEO. C’est le
garant, le “manager des intérêts de la Flandre”.
Certes, l’homme incarne-t-il
une certaine “aile droite” du
CD&V mais Peeters est pragmatique et flexible, prenant aussi soigneusement
en compte les intérêts du Mouvement Ouvrier Chrétien flamand (ACW).
C’est un peu le “chien de
chasse” du sous-estimé Wouter Beke,
président du parti. C’est Kris Peeters qui impulse certes une ligne, une
orientation politique, mais Wouter Beke lui rappelle les limites. Et qu’il faut
toujours tenir compte, chez ces gens là, de l’aile plus à gauche du CD&V.
Kris Peeters est
l’incontestable leader des sociaux-chrétiens flamands mais sous le contrôle de
Wouter Beke: qui le recadre si besoin.
Le “pont” invisible entre
CD&V et N-VA
Les francophones
parviendront-ils, pour nouer un jour une incertaine coalition fédérale, à
briser –comme en 2011- l’axe N-VA-CD&V, qui sera encore renforcé dès la
formation du Gouvernement flamand?
Ce sera cette fois très
difficile, même si quelques fissures sont décelables. (Qui donc sera finalement
Ministre-Président flamand? Vraiment le N-VA Geert Bourgeois? Ou Kris Peeters,
au vu des incertitudes fédérales, tentera-t-il le coup d’y rester, un tiens
valant mieux que deux tu l’auras…)
C’est qu’il y a, entre Kris
Peeters et Bart De Wever, une indéniable forte estime réciproque. Qui dépasse le
pur niveau politique. Ces hommes-là partagent des convictions proches et
s’apprécient fortement mutuellement.
Bart De Wever n’est pas loin
d’admirer Kris Peeters (pour son charisme, son savoir-faire, sa présence, ses
qualités intellectuelles, olé): et ce dernier dit souvent tout le bien qu’il
pense du penseur-stratège De Wever, humour à froid y compris.
Le cartel CD&V-N-VA est
mort. Mais cette relation particulière entre Kris Peeters et Bart De Wever est
le pont entre les deux formations
politques, avec Wouter Beke en arrière-plan.
C’est moins visible, c’est
plus flou, plus difficile à analyser que feu le cartel : mais ce pont
confédéraliste existe bien et bien.
Et on ne le fera pas céder aisément cette fois-ci.
Quel sera le futur de Kris
Peeters? L’homme affectionne assurément projecteurs et pouvoir. Avant les
élections, on l’a souvent entendu évoquer la menace de la Tentation de Venise, ce truc que les politiques ne mettent quasi jamais à
exécution: ici, l’évocation d’un job dans le secteur privé ou européen s’il ne
pouvait rester le boss de la Flandre.
L’homme n’est peut-être pas
définitivement marié à la politique
mais il pourrait quand même finalement se retrouver au 16 rue de la Loi.
Et là, les bruxellois et les
wallons découvriraient un homme qui, sous bien des aspects, se comporterait,
médiapolitiquement, comme Elio Di Rupo.
Tout comme Di Rupo, il ne
parle pas trop bien la langue de l’autre communauté (la presse flamande s’est
longuement interrogée sur son bilinguisme réel).
Tout comme Di Rupo, il
adopterait un style un peu présidentiel,
plutôt au dessus de la mêlée.
Sans trop se risquer à de
grandes déclarations politiques périlleuses.
Son compte Twitter
@MP_Peeters continerait, comme celui d’ @eliodirupo, à s’inscrire dans la
communication -prudente et très marketing- commune à celle de tous les
responsables politiques qui maîtrisent les clés de la communication politique
en ligne (Obama, Hollande, etc)
Le gouvernement Di Rupo 2,
c’est peut-être le Kris Peeters 1.
Un Di Rupo 2 par le style et
la com’, l’aspect “belgicain” en moins.
Mais assurément en version
très CEO et très flamande pour le reste.
Michel HENRION